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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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2 août 2013

Genèse historique de l’autisme francophone

 

Goudouli

Godolin déclamant devant Molière, toile d'Edouard Debat-Ponsan

 

Genèse historique de l’autisme francophone

 

A propos de : Jean-François Courouau, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (XVIe-XVIIe siècle), Genève, Droz, 2012.

 

            J’avais déjà rendu compte du précédent livre de Jean-François Courouau, Moun Lengatge bèl, consacré aux « choix linguistiques minoritaires en France » entre 1490 et 1660 (voir ici même). L’auteur revient avec un nouveau livre portant sur la même période, mais il centre cette fois son attention sur la description du processus de marginalisation de toutes les langues autres en france, suivi de l’étude de deux des formes majeures de leur fragile mais obstinée persistance : l’édification religieuse et la poésie. En fait l’ouvrage s’emploie à faire la genèse de la raison pour laquelle, en régime français, « la place accordée à la variation linguistique, sous quelque forme que ce soit, est impensable » (p. 264), tout en constatant que dans un contexte aussi défavorable, les langues minoritaires ont pu malgré tout gagner, dans le royaume de la langue unique, une place, pour modeste qu’elle soit, dans l’expression écrite imprimée.

 

« Non autrement »

Courouau revient d’abord à l’interprétation du fameux article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en partant de son contexte général, marqué par une promotion tous azimuts du français, désormais largement dominant dans le monde de l’écrit (et donc de l’imprimé en plein développement), servi par la première génération des grammairiens. Dans ce contexte, les autres langues, en dehors du latin, ne constituent déjà plus, d’aucune façon, une concurrence sérieuse ; ce qui permet de comprendre pourquoi l’édit de 1539 les ignore, ou plutôt fait comme s’il les ignorait en adoptant la formule « en langaige maternel françois et non autrement ». En ceci le législateur se montre d’une « grande habileté », car « nommer serait revenu à faire exister ». La seule langue qui est encore utilisée de manière résiduelle dans le domaine juridique étant, comme on le sait bien, l’occitan (qui d’ailleurs, s’il avait été nommé ne l’aurait pas été ainsi, mais seulement par quelque terme générique et flou comme le « vulgaire » ou le « langage du pays » des contrées de droit écrit[1]), mais il n’y a aucune raison de laisser, une porte ne serait-ce qu’entrouverte, « à une langue sans prestige, sans écrivains reconnus, sans notables pour la défendre, sans pouvoir politique pour la promouvoir » (p. 64). Ainsi Courouau dit-il adhérer à l’interprétation défendue par Auguste Brun, qui pourtant tendait à accorder une importance exagérée à l’Ordonnance dans le processus de substitution[2]. Il me semble surtout parvenir à une position proche de celle développée par Gilles Boulard (cité par l’auteur)[3] et de celle défendue par Philippe Martel, plus tranchée, pour lequel l’occitan était bien tacitement visé par l’édit[4]. Pour ma part, j’avais essayé de montrer, ici même (Villers-Cotterêts et la langue qui n’avait pas de nom), que le génie de la formulation était de permettre une interprétation libérale (attestée à l’époque) incluant dans la formule « langage maternel français » la tolérance possible de scripta occitans, tout en laissant entendre que ceux-ci n’étaient plus souhaités ; la « langue du roi » s’imposant désormais en droit dans toutes les expressions du droit.

 

Partie gagnée

De toute façon la partie est déjà gagnée et les contemporains en ont parfaitement conscience. Dès 1530, comme le rappelle Courouau, l’anglais John Palsgrave, fait l’observation suivante : « There is no man of what parte of Fraunce so ever he be borne if he desyre that his writynges shulde be had in any estymacion but he writeth in suche language as they speke within the boundes that I have before rehersed. Nor there is no man that is a minister of their common wealth outher as a capitayne or in office of Iudicatoure[5] or as a famous preachour but where soever his abiding be he speketh the parfyte frenche »[6]. Trois décennies plus tard, un Ronsard, pourtant si élogieux envers les dialectes, ne se fait pas faute de rappeler à quel point le choix de la langue d’écriture est politiquement déterminé : « [je] ne fais point de doute que s’il y avoit encore en France des Ducs de Bourgongne, de Picardie, de Normandie, de Bretaigne, de Gascogne, qu’ilz ne desirassent pour l’honneur de leur altesse, que leurs subjetz escrivissent en la langue de leur païs natuel : car les Princes ne doivent estre moins curieux d’agrandir les bornes de leur empire, que d’estendre leur langage par toutes les nations : mais aujourd’huy pour ce que nostre France n’obeist qu’à un seul Roy, nous sommes contraincts si nous voulons parvenir à quelque honneur, de parler son langage, autrement nostre labeur, tant fust-il honorable & parfaict, seroit estimé peu de chose, ou (peult estre) totalement méprisé », Abrégé de l’art poétique (1565).

 

Fausses fenêtres

Le processus de marginalisation des langues est ainsi une « évolution socio-culturelle » ; pour comprendre celle-ci, nous dit Courouau, il convient de se libérer d’une série de fausses oppositions : d’abord d’un supposé antagonisme nord-sud, alors que la diversité linguistique est partout présente (jusqu’à Paris compris, n’oublions pas), et d’un clivage centre-périphérie, car le centre est partout « là où on adhère à l’acrolecte que forme le français standard ». Il n’empêche, bien sûr, que ce centre partout présent possède une référence centrale, à la fois politique (langue du roi) et géographique, car pour les grammairiens, les humanistes et plus généralement les élites du royaume, il existe une langue de référence « située entre Seine et Loire, entre Paris et la Tourraine » (p. 144), ce qui, remarque l’auteur, distingue le cas français du cas italien, où le « vulgaire illustre », ne se rattache que de façon très lâche à la Toscane (soit, la métaphore chez Dante de la panthère introuvable qui parcourt les forêts d’Italie).

De même, il faut se garder d’opposer des grammairiens et humanistes qui seraient « favorables », à d’autres, « hostiles » aux « dialectes ». Lorsqu’ils semblent en effet témoigner d’une ouverture linguistique, comme Peletier ou Ronsard, c’est généralement, dans le sillage du grammairien Tory, avec la volonté d’appliquer au français le modèle grec, suivant lequel la langue grecque se serait enrichie de la pluralité dialectale, en opposition à la fixité supposée du latin. Mais dans cette perspective, l’apparente valorisation des « dialectes » est d’abord un faux semblant, puisque leur intérêt n’est relatif qu’au service que ceux-ci sont susceptibles d’apporter à la triomphante langue du roi.

Du reste, Courouau rappelle que des études récentes (Chambon et Carles) ont montré que les emprunts du français aux « dialectes » furent des plus faibles, et déjà au XVIe siècle : c’est au niveau des formes régionales de français, considérées comme des basilectes, que la rencontre se fait et non, ou fort peu, au niveau de l’acrolecte littéraire.

Il ne faut pas non plus opposer un XVIe siècle réputé ouvert à la polyglossie dialectale et un XVIIe siècle monolingue acharné, à l’image de l’unité glorifiée de la souveraineté incarnée dans le monarque absolu. En particulier, Courouau montre que le mythe de la polyglossie rabelaisienne accueillante aux langues ne résiste pas à une analyse serrée de l’œuvre ; s’appuyant sur un article de Guy Demerson, il constate au contraire que « la parole allophone » qui se fait parfois entendre, tant qu’elle n’est pas glosée, « reste extérieure au flot porté par la langue du texte » (p. 140). De même, les jurons ou exclamations gasconnes forment-elles dans l’œuvre de Rabelais tout au plus un « bruit de fond », mais « le sens du texte, exactement comme dans le cas du discours direct allophone, est français » (p. 141).

 

Acrolecte et basilecte

En réalité l’opposition la plus tranchée et la plus déterminante est celle qui oppose la langue noble du roi et des élites à tout ce que parle le menu peuple, qu’il s’agisse de français régionalisé ou de « patois » (le même terme étant d’ailleurs susceptible de s’appliquer à toutes les formes déviantes de la norme) : « la grammaire, telle que la conçoit Ramus et avec lui les grammairiens de la seconde moitié du XVIe siècle, est destinée à maintenir l’écart social entre les « hommes plus notables » et la ‘populasse’. Peu importe ce que celle-ci parle dialecte ou français régional, ce ne sera qu’une forme dépréciée de langue » (p. 110). Même chez Henri Estienne, qui fait l’éloge du parler de la place Maubert, le français de référence est celui que parle les grands magistrats de la capitale : « l’identification du modèle acrolectal parlementaire s’accompagne de l’exclusion du dialecte parisien perçu comme un basilecte » (p. 118).

Cette contradiction d’ailleurs mériterait en soi d’être étudiée dans le long terme : seule l’invocation de l’usage populaire parisien (place Maubert, Port-au-Foin, les Halles, etc.) semble être en mesure de donner sa pleine légitimité à la langue noble (non du fait de profondes convictions démocratiques, mais par essentialisme, volonté de mettre au jour, et d’inventer de toute pièce s’il le faut, un français « naturel » de Paris, que l’on nommera plus tard Francien (voir mon compte rendu du livre de Cerquiglini : La langue opheline). Pourtant, on s’accorde à reconnaître que rien n’est plus éloigné du bon et beau langage que ce que parle effectivement le peuple de Paris : parler « vicié », « patois », « argot »...

 

Ad majorem Dei gloriam

Cependant, malgré cette dévalorisation de toute langue vulgaire, les altérités linguistiques de l’intérieur, entre XVIe et XVIIe siècle, ne sont pas dénuées d’expression publique.

Courouau, à travers une intéressante comparaison entre les cas occitan et basque, analyse l’attitude contrastée de l’Église catholique pour répondre principalement aux nécessités pastorales. Côté occitan (l'auteur suit ici le très riche ouvrage de Jean Eyghun, Au risque de Babel. Le texte occitan de 1600 à 1850, 2002), les initiatives sont impulsées par quelques membres du haut-clergé relayées sur le terrain par des prêtres, à travers tout un ensemble d’initiatives : traductions, publications, diffusion de cantiques, prêches dans la langue locale, etc.

Pierre Dupont, auteur de la Doutrinou cristiano 1641 a noté ce que disent les paroissiens pour justifier le fait qu’ils se dispensent du sermon français : « é que y anirôn hé ? é que n’au entenén ? » (p. 180). Et en effet pourquoi y aller si l’on n’y entend rien ou presque ? Par contre « nou y a lengatge que doune may dins le cor ; é que toque may al biu, que le maternal : permoque coumo natural à l’auditou, nou porto amb el cap de sutjet per pensa soulomen à so que ly es perpausat »:  « il n’y a pas de langue qui porte plus au cœur et qui touche plus profondément que le langage maternel : car, étant naturel à l’auditeur, il ne véhicule avec lui aucun sujet de divertissement et laisse toute la force de l’attention libre de ne penser qu’à ce qui lui est proposé » (cité p. 178). L'usage de la langue maternelle permet une communication optimale du message chrétien.

Mais ces actions, en zones occitanes, sont limitées dans le temps et dans l’espace et se heurtent à de fortes oppositions de certains curés (pourtant très certainement occitanophones).

Au pays basque les choses se déroulent de manière très différente ; on observe une meilleure coordination des efforts et surtout l’affirmation d’une « conscience linguistique aiguë », partagée apparemment par toutes les couches de la société : la vocation pastorale est inséparable de la volonté d’exhausser la langue et rejoint ainsi les fortes affirmations de Dechepare (Linguae vasconum primitiae) qui, dès 1545, affirmait la très haute « qualité » de la langue basque, désormais dignifiée par l’écriture imprimée.

 

Conformité et détournement

Chez les occitans, Courouau s’attache à montrer que la conscience linguistique est portée par les poètes, qui oscillent entre une adhésion pleine et entière au modèle pétrarquiste et son traitement parodique et burlesque, entre une conformité prédominante (Tronc, Larade) ou totale (Ruffi) et l’usage majoritaire du détournement (Bellaud, Paul, Gaillard). On peut ainsi parler à la fois d’un « adossement » au français  et d’une « démarcation » et dans ce double mouvement la création d’un espace que Courouau préfère appeler d’ « illustration » que de « liberté ». Dans l’adhésion au modèle, en effet, « il s’agit d’illustrer les capacités de la langue et, en se conformant le plus strictement possible, aux canons, de lui faire prendre le train de la modernité poétique. Imiter le français et Ronsard pour les valoir ou les dépasser ou comment respecter au maximum les règles de la poésie et de la diglossie pour, en un sens, les ‘inverser’ » (p.250).

Ainsi « la conformité absolue aux modèles dominants, le joyeux détournement et la parodie appuyée participent de la même démarche démonstrative en faveur de la langue ». Car « l’espace est ténu qui sépare la mise en question parodique des modèles hérités et la recréation de sens dans une intention comique, érotique, poétique, à partir de la tradition sans que celle-ci ne s’en trouve dépréciée. C’est sur ce fil particulièrement fin qu’évolue Godolin » (p. 245).

On ne peut qu’adhérer à ces analyses qui toutes ramènent au mystère de l’entêtement de certains auteurs à développer une œuvre partiellement ou entièrement en occitan, qui s’accompagne de l’affirmation de la dignité de leur langue, comme Dechepare le faisait pour le basque.

 

L’occitan a besoin des subalterns studies

Il me semble en effet que l’on est bien contraint de recourir à la très insatisfaisante notion de mystère, dès lors que l’on affirme, comme le fait Courouau après tant d’autres, que c’est « sans états d’âme particuliers que les élites méridionales abandonnent leur langue » (p. 255), ou que « l’imposition du français [comme langue du parlement de Béarn en 1620] ne semble pas avoir suscité le moindre émoi chez les Béarnais », dont les « élites adhèrent au projet royal » comme un seul homme (p. 67- 68). Pourtant Courouau cite et commente dans son ouvrage les propos nostalgiques d’Arnaud de Bordenave, tenus 20 ans plus tard, sur la langue gasconne qu’il avait connu au Conseil souverain de Béarn : « L’usage qui en estoit si universel, l’avoit tellement polie & cultivée sur tout dans le Palais, que j’ose dire avec liberté qu’apres la langue purement Françoise, il n'y a pas aucun d’entre tous les Idiomes du Royaume, qui luy fut comparable en la propriété de ses termes tres-significatifs, en la briefveté de la phrase, en la bonté de l’accent, & en plusieurs autres agréements qui peuvent donner de l’estime à un langage. Nous l’estimions aussi fort religieusement, nous y estions mesmes si fort attachés par affection, que la seule pensée de l’abolir ou changer en estoit odieuse ».

Cette seule citation suffit à mon avis à mettre en cause ce qui est donné comme une constatation sans appel. Car que savons-nous des « états d’âmes », et de la présence ou non d’ « émois » dans la substitution du français à l’occitan comme langue écrite du palais, chez les élites béarnaises, et face à la déconsidération culturelle de leur propre idiome natif ? Certes, elles ont rapidement intégré le fait que si l’« on peut être notable et continuer à parler la langue du lieu, on ne le devient pas en ne parlant que patois ». Et en effet, le bilinguisme semble se répandre très tôt dans le royaume, en même temps que s’impose un usage généralisé du français dans l’écriture, comme l’atteste le témoignage de Palsgrave cité plus haut : dans la France d’avant même l’édit de Villers-Cotterêts, le français s’impose partout à qui veut accéder aux offices publics et à qui recherche quelque renommée dans l’écriture ou par ses prêches. Telle est la situation objective, parfaitement intégrée par les intéressés.

Mais si ces élites, confrontées à une opération radicale de substitution touchant la langue écrite officielle étaient indubitablement clivées sur le plan linguistique (car chacun ou presque connaissait un ou plusieurs des autres parlers), on ne saurait exclure qu’elles ne fussent aussi clivées dans leurs représentations sociales de la langue autre, et alors même que ces tensions n’auraient reçues aucune traduction dans les actes ou – qui ne voit et ne comprend pourquoi ? – dans la langue même à la faveur de laquelle s’opérait la substitution. C’est ici une prudence méthodologique que je ne me lasserai pas de répéter encore et encore : l’absence ou à la rareté des témoignages écrits ne permet nullement de déduire l’inexistence d’un phénomène, surtout lorsqu’il concerne l’expression de dissensions, désaccord, murmures discordants et dissonants à l’égard des lois d’airain d’un ordre, nouvel ou ancien, explicitement imposé par le pouvoir établi et légitime.

Nous devrions, face à l’ordre diglossique imposé, adopter la même prudence critique qu’à l’égard de l’ordre patriarcal. Nous savons que ce n’est pas parce que les femmes n’accédaient pas à l’écriture, n’avaient aucun moyen ou presque de faire entendre leur voix dans les livres, et parce que leur statut de dépendance était inscrit dans la loi et la coutume, que nous pouvons affirmer qu’elles s’y pliaient volontiers et adhéraient sans reste, « sans état d’âme » et sans mot dire, à la domination masculine. Il serait grand temps, me semble-t-il, que nous nous inspirions pour les questions linguistiques d’éléments de méthodes proposées par les « gender studies » et les « subaltern studies », qui ont tant de mal à s’imposer en France pour des raisons qui ne sont pas étrangères à l’imposition du modèle linguistique exclusif, qui rejette l’altérité et la variante comme le droit constitutionnel français récuse jusqu’à la notion de minorité.

Tout le matériel réuni par Courouau pour la littérature occitane va, me semble-t-il, dans ce sens, car on saurait d’aucune façon imaginer que les poètes qui ont exprimé et illustré une conscience linguistique aussi aiguë fussent complètement isolés et ne représentaient qu’eux-mêmes, puisque ceux-là au moins accédèrent à l’imprimé (et il faut évidemment tenir compte de tous ceux qui n’y accédèrent jamais et eurent pourtant des publics) et furent reçus parfois avec grand succès par leurs lecteurs.

Si l’on ne soutient ce raisonnement, il est difficile de ne pas à son tour être victime du mythe de la « langue de référence absolue », qui rejette dans l’inconsistance d’une marge non représentative tout autre forme d’expression.

 

Courouau fait remonter au milieu du XVe siècle, dans notre pays, l’apparition de « cette surdité à l’existence de l’autre linguistique » ; on voit alors à quel point les Jacobins de l’époque révolutionnaire et leurs descendants sont héritiers de l’Ancien-Régime. C’est donc à la fin de l’époque médiévale qu’il faut ainsi remonter, pour trouver la genèse de cette « construction autistique […] qui explique bien des attitudes contemporaines, en France, mais aussi en dehors puisque c’est un produit qui a été assez bien exporté en Europe et dans le monde. On comprend mieux, me semble-t-il – conclut Courouau –, quand on a présent à l’esprit la façon dont s’est écrite une partie de l’histoire linguistique de la France pourquoi, dans ce pays, il y a des fonctionnaires qui considèrent comme un signe d’intégration des étrangers l’abandon total de la langue d’origine. Ou pourquoi, depuis bien longtemps, on trouve des Wallons qui se font gloire d’ignorer le flamand ou des Suisses romands l’allemand » (p. 263).

 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Voir par exemple l’ordonnance de Louis XII de juin 1510 qui, pour les « pays de droit escrit », prévoit que les procès criminels auront lieu « en vulgaire et langage du païs », cité par Courouau, p. 41.

[2] « Pour l’interprétation de l’ordonnance de Villers-Cotterêts », Le Français moderne, 18, 1950, 277-288.

[3] « L’Ordonnance de Villers-Cotterêts : le temps de la clarté et la stratégie du temps (1539-1992) », Revue Historique, CCCI-1, 1999, p. 45-100.

[4] « Autour de Villers-Cotterêts : histoire d’un débat », Lengas, 49, 2001, p. 7-25 ; « Occitan, français et construction de l’État en France », in D. Lacorne et T. Judt, La politique de Babel. Du monolinguisme d’État au plurilinguisme des peuples, Paris, Karthala, 2002, p. 87-116.

[5] Je retiens la leçon de l’édition Guénin, Imprimerie nationale, 1852 (en ligne). L’édition Baddeley (2003), citée par Courouau (mais je n’ai pu la consulter), donne « Indicatoure », qui me semble fort peu probable.

[6] « Il n’y a personne dans quelque partie de la France qu’il soit né, s’il désire que ses écrits soient tenus en quelque estime, qui n’écrive pas la langue qu’on parle dans le territoire que je viens de décrire. Il n’y a pas non plus d’homme qui ait une charge publique, qu’il soit capitaine, ou qu’il occupe un office dans la magistrature, ou qu’il soit prédicateur, qui ne parle le parfait français, quel que soit son lieu de résidence ».

 

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Commentaires
P
Le bouquin de Ploux est tout a fait remarquable. La question de la langue ne lui est pas totalement étrangère (il sait que c'est de l'occitan, au moins). Il est assez intéressant de voir que le cri de guerre des émeutiers lotois, qui effraie les autorités par sa "sauvagerie", est en fait, apparemment, un slogan en français, "au rat" (de cave en l'occurrence) un peu style "US go home" de dans le temps.
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L
Poser la question de la langue à travers la religion est particulièrement intéressant parce qu’elle oblige à faire un pas de côté par rapport à l’étouffant dialogue de sourd entre partisans du tout-français (sur le mode méprisant) et défenseurs des langues régionales (sur le mode outragé) et qu’elle permet de revenir, d’une façon un peu plus neutre, si seulement c’est possible, sur ce qui est à l’œuvre dans la société à travers le processus d’acculturation. <br /> <br /> <br /> <br /> Dans une logique proche, il faut lire « Guerres paysannes en Quercy » de François Ploux : c’est une thèse sur la violence et ses modes de régulation, dans la société lotoise au XIXe siècle. C’est surtout une description de la modification du rapport des individus avec le système de répression pénale français.<br /> <br /> <br /> <br /> Au lendemain de la révolution, la société quercynoise se caractérise par une grande rigidité des relations intra-familiales et une relative stabilité des relations entre « ostals » : l’exact contraire de ce qui se passe dans le bassin parisien. Le système juridique français napoléonien vient la percuter de front: le code civil déstabilise les règles de succession, le système pénal contredit le vieux système de régulation des conflits (crime, vengeance, négociations, réparations). Malgré le discours « civilisateur », lumières contre sauvages, l’ancien système résiste plutôt bien dans un premier temps : stratégies de contournement du code civil avec la complicité des notaires, cours d’assises acquittant presque systématiquement les crimes... Les commentaires outragés des hauts fonctionnaires et magistrats cités par Ploux sont parfois assez drôles. <br /> <br /> <br /> <br /> Or tout ceci arrive à un moment de changement économique et démographique (on peine à imaginer un Lot avec plus de 300 000 habitants !) qui déstabilise la société et se traduit par une montée de violence (intra-familiale, entre maisons, entre villages). La pénétration de la légalité nationale se fait à la fois par la force de l’appareil répressif (les gendarmes s’en prennent quand même plein la poire) et par une transformation des représentations (les cadets ont des droits, il ne faut pas se faire justice soi-même, etc) dans laquelle l’Eglise est d’ailleurs l’allié constant de l’Etat.<br /> <br /> <br /> <br /> Évidemment, comme la progression de l’Etat ne peut se faire sans celle du français, la langue est la victime collatérale du processus (le livre ne le traite pas, puisqu’il semble que cette question ne puisse être que hors-sujet pour un historien français). C’est le décorticage du processus d’acculturation qui est intéressant. L’abandon de la langue est un processus de soumission intime, très profond, très complexe, en partie assumé et en partie honteux. C’est vraiment dommage que cette question soit si peu/si mal explorée.
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P
Merci Laurent pour vos questions ! Même si les réponses sont compliquées et sujettes à débat. Voir Eygun, au risque de Babel, pour une analyse précise de la question de la langue chez les protestants. Ce que je sais :<br /> <br /> -Les "prophètes" cévenols, vivarais et dauphinois (la première, en 1686, Isabeau Vncent, est d'un bled de la Drôme actuelle) causent français. Les témoins protestants afifrment qu'ils parlent très bien, sans accent (i.e avec l'accent des gens bien) alors qu'ils ne savent pas lire , ont parfois cinq six ans, ou sont des "pauvres femmes imbéciles". Ils y voient un miracle, ce qui déplaît aux huguenots de la haute, qui ne croient pas aux miracles, et n'aiment pas l'idée que ce sont des petits pauvres et des bonnes femmes qui ont la ligne directe avec Dieu, alors qu'eux-mêmes... Bon. Côté catho, la riposte, c'est : a) des manipulateurs leur ont monté le bourrichon en leur faisant apprendre des mantras par coeur. et b) de toute façon, ce qu'ils racontent, c'est des citations bibliques qu'ils ont entendu cent fois rabâchées au culte, et qu'ils savent donc de la même façon que le catho de base peut, par immersion, répéter des trucs en latin sans les comprendre.<br /> <br /> -Ben oui, il y a distance entre les pasteurs et leur français, et leurs ouailles. Janine Garrisson, qui a étudié les protestants du sud (Protestants du Midi, chez Privat) explique qu'en fait à Genève, on veillait à envoyer au sud des gars qui étaient du coin et pouvaient donc comprendre/se faire comprendre des fidèles occitanophones.C'est de pur bon sens.<br /> <br /> -Ben oui, les historiens normaux ne se posent pas de question sur la langue. pas plus à propos de la prédication protestante qu'à propos de Villers-Cotterêts, ce qui justife les analyses géniales du style, le gentil Franaosi 1er a voulu que tous ses sujets comprennent le langage de la justice, puisque c'était le leur, forcément.<br /> <br /> Rions un peu avec Le Roy Ladurie. Dans Paysans du Languedoc il oppose des Cévenols protestants alphabétisés donc francophones aux paysans de St-Pons et la Salvetat, plus au sud, cathos et qui gardent l'usage de l'occitan chez les notaires jusqu'aux débuts du XVIIe. Le grand Manu explique ça par leur analphabétisme : c'est parce qu'ils ne savent pas écrire, donc pas le français, forcément, qu'ils continuent à écrire en occitan (ah, les cons !). Si ce garçon était allé voir les registres de notaire de la Salvetat, il y aurait trouvé plein d'actes en occitan (graphie classique en plus), signés (et pas en caractères bâton) par les gus qu'ils concernent. Ce qui signifie qu'on pouvait apprendre à écrire, au moins à signer, sans passer par le français. Mais ça, c'est évidemment impensable, non ?
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L
Merci Philippe pour votre réponse. On jette le politique par la porte, il revient par la fenêtre...<br /> <br /> Quand même, ce choix du français comme langue du culte me turlupine. D'autant que, comme d'habitude, les analyses historiques oublient la question (mais c'est évident que tous les sujets du roi de France ont toujours parlé le français du journal de 20h).<br /> <br /> En quelle langue les illuminés cévenols délivraient-ils leurs prophéties ? La transe permet-elle à un occitan de trouver les mots en français ?<br /> <br /> Plus concrètement, comment les pasteurs ont-ils pu mettre, avec le français, la même distance entre leurs ouailles et la parole divine que les curés avec le latin ? Et plus tard se faire doubler par ces mêmes curés avec la messe en patois ?
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P
Outre les raisons diglossiques ordinaires et le prestige du français au début du XVIe, la Réforme adopte le français parce que c'est la langue du roi,et que la stratégie des réformés, partout en Europe, c'est de faire basculer le pouvoir politique de leur côté (ils n'ont pas du tout envie d'être "minoritaires" et "excentrés" !) Comme on dit vulgairement, Cujus régio, ejus religio.. Dans ce cas, il est impensable de choisir comme "langue vulgaire" du culte, partout dans le Royaume, autre chose que la langue de François 1er, cible prioritaire de la démarche de conversion. En fait, ça ne marche pas, parce que le roi "très chrétien" qui tire sa légitimité de la sacralisation que lui confère l'Eglise romaine ne va pas la mettre en danger pour d'obscures questions sur la transubstantiation ou la prédestination. Le fait que la réforme française naisse à Meaux, et pas en Occitanie n'est pas sans importance non plus. Et c'est comme ça que Guillaume Farel, ancien du cercle de Meaux, mais Gapian, s'en va convertir les Vaudois en 1532, et parvient, aux termes d'un débat qui s'est plus que probablement mené en occitan, avant d'être résumé par écrit en italien, à les convaincre de bazarder leur propre littérature religieuse en oc avant de financer l'édition de la Bible française d'Olivetan. La majeure partie des Vaudois sont sujets du Royaume, ceux qui ne le sont pas, on peut alors penser q'ils finiront par le devenir, car François 1er n'a pas encore totalement renoncé à sa politique "italienne". C'est donc le français qui est de rigueur. Comme quoi même si l'Etat n'intervient pas directement dans cette histoire et pour cause, son ombre plane quand même dessus. Quant aux protestants drômois -j'en connais de près...le fait d'avoir le français comme langue de culte ne les a pas empêchés, comme leurs collègues des Cévennes, de conserver l'occitan comme langue normale aussi longtemps que les cathos. Et il n'est pas certain que même en lisant la Bible en français, ils en aient toujours mieux compris la langue que les cathos ne le faisaient du latin qu'ils marmottaient tous les dimanches à la messe.
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