Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 616 009
Newsletter
7 février 2010

Nommer les langues minorées : l’exception française

DJ
DJ Töfel - leçon de patois...

 

 

Nommer les langues minorées : l’exception française[1]

 

 Dans l’un de ses article, Jean-Baptiste Coyos, coorganisateur du colloque qui s’est récemment tenu en Sorbonne sur la question des « langues et cultures régionales de France » (3 et 4 décembre 2009), s’est employé à dresser une liste non exhaustive de la manière dont sont désignées les langues parlées en France autres que le français : « patois, dialectes, langues minoritaires de France, langues minorisées, langues non officielles, langues moins répandues, langues de moindre diffusion, langues de petite diffusion, langues historiques, langues à implantation territoriale, langues de pays, langues locales, parlers locaux, langues régionales et locales, langues et dialectes locaux[2], langues et dialectes à extension régionale, langues de France, langues ethniques de France, langues identitaires, langues vernaculaires, langues de la République française[3], langues régionales et d’Outre-mer, langues régionales métropolitaines et d’Outre-mer »[4]. Je pourrais en ajouter moi-même quelques unes, comme langues coutumières, langues patrimoniales, langues autochtones (Coyos opte d’ailleurs pour « langues autochtones de France »), etc. Personne, à mon avis, ne peut soutenir, pour aucune de ces dénominations, une quelconque objectivité scientifique ou neutralité politique ; elles sont en effet toutes prises dans des controverses et des conflits dont elles sont proprement inséparables. Elles sont de puissant opérateurs, qui jouent un rôle déterminant non seulement dans les représentations que les locuteurs et les non-locuteurs se font des langues considérées, mais sur les façons dont les locuteurs sont traités et agissent eux-mêmes, par exemple pour transmettre ou non la langue etc., et sur les actions institutionnelles, associatives ou individuelles qui décident en fait de la vie ou de la mort d’une langue[5].

Évidemment ces dénominations n’ont aucune forme d’autonomie : elles se renvoient les unes aux autres et surtout elles sont relatives à d’autres dénominations, quant à elles d’ailleurs bien moins nombreuses, désignant ce à quoi on les oppose : le français comme langue officielle, langue nationale ou langue de la nation, langue de la République, et c’est à peu près tout (parfois on trouve encore aussi le syntagme délirant de « langue universelle » accolé au français). Par ailleurs, on les distingue, généralement à leur détriment, des langues « étrangères », spontanément pensées comme des langues nationales ou internationales (mais je note la récurrence d’un lapsus très révélateur, consistant à compter les langues historiques de France parmi les « langues étrangères »[6]). Le nombre même des dénominations de ces langues, par rapport aux qualifications du français qui paraissent d’une clarté et d’une distinction toute cartésienne (sauf la prétention à l’universalité qui est un déni de réalité immédiatement perceptible), trahit suffisamment une grande incertitude et un brouillage systématiquement entretenu sur leur statut et par là sur la légitimité des revendications qui les concernent[7]. L’analyse de ces dénominations, de leur diffusion et de leur usage dans les textes officiels, mais aussi dans ceux qui ne le sont pas, dans la presse, la littérature, etc., et dans les échanges oraux des locuteurs de ses langues et de ceux qui ne les parlent pas, intéresse sans nul doute le sociolinguiste qui travaille sur les représentations sociales des langues ; c’est aussi un biais possible pour envisager les difficultés considérables – il m’arrive de penser qu’elles sont proprement insurmontables – auxquelles est confrontée la revendication démocratique des droits linguistiques en France. On pourrait évidemment faire le même type d’analyse pour tout autre pays et se livrer à des études comparatives, mais le sujet de la discussion est aujourd’hui le cas de la France et l’on est confronté, indiscutablement, à une exception française, considérée par les uns comme une pure et simple malédiction et par d’autres au contraire comme salutaire et bénie. Quoi qu’il en soit, on constate bien un véritable consensus autour de cette exception, que nous permet d’appréhender les dénominations et leur discussion.

 

« Langues minoritaires » : notion irrecevable par la République

 Je prendrai comme point de départ, une remarque de Will Kymlicka, le théoricien canadien du multiculturalisme, défendu dans une perspective résolument libérale (au sens anglo-saxon du terme). Kymlicka écrit, de manière me semble-t-il d’ailleurs très optimiste, que le « principe d’une défense libérale possible des droits minoritaires » correspond « d’ores et déjà à la position dominante dans les débats anglo-américains ». Il est clair, ajoute-t-il, « que la tendance, dans les démocraties occidentales, est à la plus grande reconnaissance des droits minoritaires, soit sous la forme d’un multiculturalisme résultant de l’immigration, soit sous celle d’une autonomie gouvernementale pour les minorités nationales. De fait – je le cite encore –, je crois que l’on peut considérer que, désormais les partisans des droits minoritaires sont passés à l’offensive, tandis que les critiques se retrouvent sur la défensive ». Mais Kymlicka croit nécessaire d’ajouter une note de bas de page, qui dit ceci : « Si la France est évidemment une exception importante vis-à-vis de cette tendance, il n’en reste pas moins que quasiment toutes les démocraties occidentales se sont engagées dans la voie de la reconnaissance »[8].

 La revendication, au nom de la démocratie, de la reconnaissance et de la promotion des langues autres que le français en France relève évidemment pour Kymlicka de l’exigence de reconnaissance de ce qu’il nomme des « droits minoritaires », et cette revendication ne peut pas ne pas être confrontée à cette exception française (exception relative, s’il est vrai que dans un autre article Kymlicka associe la France et la Grèce[9], on pourrait aussi peut-être y associer la Turquie). Cette exception française est redoutable parce qu’elle interdit a priori toute négociation et même toute discussion politique et juridique en terme de « minorités », de quelque façon que ces minorités soient qualifiées : nationales, culturelles, linguistiques, ou autres ; a priori, parce que la théorie républicaine largement dominante et surtout telle qu’elle informe le droit public, exclut toute légitimité pour la France elle-même de l’usage de la notion de minorité, selon un raisonnement qui consiste à régler la question de fait par le droit : il ne saurait exister de minorités en France parce que l’indivisibilité et l’unité républicaine excluent par principe, c’est-à-dire in abstracto, qu’il puisse y en avoir.

 Je ne peux ici exposer les raisons théorique de cette exclusion de principe, sans doute inévitable du fait de la substitution de la souveraineté de la nation à la souveraineté du peuple et à l’identification, d’aucuns diraient la confusion, de la nation et de l’État[10]. Je me contenterai de citer Guy Carcassonne, constitutionnaliste fameux, dans son commentaire de 1998 à l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à propos de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966 sous l’égide de l’ONU, qui stipulait : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ». Voici le commentaire de Carcassonne : la France a refusé cet article « tant il est contraire à la tradition d’un peuple indivisible, dont tous les citoyens ont des droits strictement égaux. Toutes les nations n’ont pas la même histoire. Il faut donc à la fois se résigner à ce que certaines d’entre elles recherchent dans le droit des minorités la garantie d’une égalité réelle, et se réjouir que la France n’en ait pas besoin »[11]. La France n’a pas besoin du droit des minorités pour garantir une égalité réelle entre les citoyens, parce que le principe d’indivisibilité exclut a priori l’existence entre citoyens d'une relation entre majorité et minorité[12]. Il y a des minorités, mais ailleurs, il faut hélas s’y résigner, dans tous ces pays qui n’ont pas eu la chance d’avoir eu une histoire où l’égalité entre citoyens a été établie une fois pour toutes et dont le principe d’indivisibilité est le garant. Pour ma part j’ai bien du mal à m’en réjouir, parce que le paralogisme est évident, puisque l’on conclut à l’inexistence de fait des minorités, de quel type qu’elles soient, à partir de l’exclusion de la notion même de minorité. Ce raisonnement me fait penser à la preuve ontologique de l’existence de Dieu, qui conclut de l’existence de Dieu à partir de son essence ; de même ici il est de l’essence de la République d’exclure le phénomène minoritaire, donc il n’existe pas de minorités en France. Il ne saurait y avoir de minorités, mêmes considérés hors de toutes concurrence nationale potentielle (autrement dit si l’on s’accorde à récuser la dénomination conflictuelle de « minorités nationales »), et surtout pas de minorités linguistique, dès lors qu’il s’est établi une relation de consubstantialité entre la seule langue française et la République, désormais inscrite dans la constitution depuis 1992 (le français est « la langue de la République »[13]). A partir de là, les autres langues historiques ou d’immigration, territoriales ou non territoriales pratiquées en France ne sauraient être considérées comme « minoritaires » et ne le sont, à ma connaissance, dans aucun texte officiel (alors que le vocable de « minoritaire » s’y trouve abondamment utilisé dans la description et désignation de situation ailleurs dans le monde). Par contre les textes officiels internationaux où la notion apparaît sont nombreux, et je ne citerai que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dont le refus de ratification par la France est largement motivé par le rejet de la notion de minorité, au motif spécieux, contesté par beaucoup (y compris par Guy Carcassonne lui-même, pourtant d’un loyalisme idéologique exemplaire[14]), que la charte reconnaîtrait des droits collectifs aux locuteurs de ces langues, ce qui reviendrait par là même, à les constituer en groupe minoritaires. Carcassonne propose d’interpréter le mot « groupe » comme simple addition d’individus, afin de contourner cet obstacle qu’il considère comme majeur ; l’unicité du peuple et l’indivisibilité républicaine interdisant de considérer des groupes de citoyens comme sujets de droit (en tant que groupe). C’est là une exception française, reconnaît Guy Carcassonne, mais dont la France doit, selon lui, être fière[15].

 Dans ces conditions, l’usage même de langues minoritaires pour désigner les langues autres que le français, parlées sur le territoire français est à peu près inacceptable d’un point de vue constitutionnel et, de toute façon, forcément polémique. S’il n’est pas possible de les appeler « langues minoritaires », comment sont-elles alors désignées dans les textes officiels, et comment est-il acceptable de les nommer dans l’espace de discussion et de négociation publique ?

 

« Patois », combat gagné sur un front, perdu sur un autre

 Hé bien, elles sont désormais désignées majoritairement dans les textes et les discours par le syntagme « langues régionales ». Il s’agit d’une avancée considérable en matière de reconnaissance symbolique, mais sur un autre plan, cette expression marque une opposition très dommageable pour la démocratie culturelle avec « la » langue nationale, à laquelle la formule « langues de France » permet d’échapper, mais en déplaçant me semble-t-il la question (voir infra). Si la catégorisation « langues régionales » est selon moi un progrès, c’est d’abord parce qu’elle affiche la notion de « langue » et rend désormais impossible l’opposition traditionnelle entre d’un côté « la » langue nationale, unique langue historique de France et, de l’autre, des non langues, « idiomes locaux », « dialectes » et surtout « patois ». Il est bien clair en effet qu’aucune reconnaissance institutionnelle ne serait envisageable pour des « patois », étant donné l’extrême dégradation et dévalorisation qu’implique l’usage de ce vocable.

 Un seul exemple : on lit aujourd’hui à l’entrée Charte européenne des langues régionales et minoritaires de Wikipedia que, je cite, « les dialectes locaux, ou patois, sont exclus » de la Charte. En réalité le mot de « patois » ne figure pas dans la Charte, ni d’ailleurs le syntagme « dialectes locaux », mais cette interprétation sauvage, qui sera peut-être prochainement corrigée, est extrêmement significative de ce qui est là encore une exception française. On se souvient par exemple de ce fameux pré-rapport du député Jacques-Alain Bénisti en 2005 sur la prévention de la délinquance, qui désignait explicitement comme l’une des racines de la criminalité la mauvaise maîtrise du français dans les familles d’immigrés où les « pères » s’obstinent trop souvent à imposer au foyer « le patois du pays »[16]. Cette mention, qui avait en son temps beaucoup choqué (l’arabe dialectal, le bambara, le wolof, le chinois mandarin considérés comme vulgaires « patois du pays » !), a disparu du rapport définitif. Cela montre bien que l’on n’emploie plus guère le terme de « patois » que pour insulter les locuteurs et surtout les promoteurs de ces langues (je mets à part la désignation par les locuteurs eux-mêmes, qui possède une signification substantiellement différente, et fort complexe, que je ne peux analyser ici) ; « patois » a cessé d’être un terme politiquement correct (cela est enregistré par exemple dans Wikipedia à l’entrée Langues régionales et minoritaires de France : « patois, tend à être évité du fait de sa valeur souvent péjorative »).

 C’est là le résultat d’une très longue bataille, gagnée sur le plan institutionnel : même les pires ennemis de la reconnaissance de tout autre langue que le français sont en effet obligés de nommer désormais « langues », ce qu’ils nommaient naguère encore « patois » (au moins dans la vie publique, parce qu’en privé les mots restent, et ils continuent à parler de « patois » et de « patoisants », comme d’autres, ou parfois les mêmes, continuent à dire « nègres » ou « pédérastes »). Mais il s’agit à la fois d’une bataille sinon perdue, en tout cas très loin encore d’être gagnée, sur le terrain que j’estime premier et fondamental des locuteurs (qui, en de nombreuses régions, en particulier là où l’on parle occitan, continuent à se définir comme parlant le « patois »). Je me suis un peu intéressé à cette question (entre autres en examinant comment le terme de « patois » fonctionne, comment il est utilisé et pourquoi au XXe siècle dans la littérature, en histoire et dans le discours des linguistes[17]), mais je me contenterai ici de citer Robert Lafont, disparu l’année dernière, qui dès les années soixante-dix défendait une position ferme et rigoureuse dans laquelle je me reconnais parfaitement. Tout son propos repose là encore sur la question de l’exception française, à travers une citation d’André Martinet : « le terme de patois n’a guère d’équivalence hors du français, et ceci suggère que la situation linguistique que l’on constate en France n’a pas d’équivalent ailleurs » (Éléments de linguistique générale 5. 10). Or ce que Lafont constate dès 1976, c’est que le développement des études sur les « langues en contact » montre que la « situation patoisante » telle que la décrit Martinet est une situation « fort générale : on la retrouve à chaque fois qu’une linguistique dialectale se heurte à une forme standardisée, normalisée, connotée de supériorité culturelle, sociale, étatique, rendue plus économique par sa généralité face aux variations de la situation linguistique à l’état naturel ». Par contre, ce qui est « seulement français, c’est le terme de patois, emprunté au français par d’autres langues... ». Et Lafont explicite : « Le fait même de poser une situation comme exceptionnelle en prenant appui sur l’existence d’un signifiant exceptionnel, devrait en tout état de cause susciter quelque méfiance. Une opération manque ici, qui est l’élucidation même du signifiant : un outil de langage qui ne correspond à aucun « universel linguistique » (si tant est qu’il en existe), mais qui paraît lié à l’histoire spécifique d’une société, la société nationale française. Autrement dit, le linguiste ici décrit un type de comportement linguistique en correspondance avec la dénomination adoptée pour le signifier par la société qui use de ce comportement. Il se met au danger de construire une typologie scientifique d’après une typologie reçue de l’usage non scientifique, dont on peut craindre qu’elle soit tout simplement une idéologie »[18]. Je sais que certains linguistes français défendent aujourd’hui encore le maintien de la notion technique de patois, mais sans vouloir être polémique, je vois aussi qu’ils n’ont guère convaincu le monde non francophone à l’utiliser (comme le remarquait Lafont la sociolinguistique des contacts de langue, et en particulier la notion de diglossie permet d’en faire l’économie) et qu’ils sont devenus tout à fait minoritaires en France même.

 

Langues régionales : la question du territoire

 Cet abandon s’est très largement fait au profit du syntagme de « langues régionales » qui a acquis depuis peu une dignité constitutionnelle : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », art. 75-1.

 La dénomination « langues régionales » est bien sûr relative à celle de « langue nationale » et semble impliquer que ces langues sont territorialisées et que leur usage n’est vraiment légitime que dans une partie du territoire national où leur présence ancienne est attestée ; et en effet, elle paraît bien sûr exclure toutes les langues non régionalisées, non territorialisées, problème que les rédacteurs de la Charte ont bien senti et ont cru pouvoir résoudre en associant l’épithète « minoritaire » (qui a joué un rôle premier dans la genèse du texte[19]), à celui de « régional ». En outre, du point de vue de l’idéologie nationale déjà évoquée, cette conception territoriale semble impliquer l’existence géographique de minorités nationales en contradiction avec les principes d’unité, d’indivisibilité et d’égalité républicaines. Et en effet, les critiques, sur cette base, n’ont pas manqué, en particulier au moment des discussions de la Charte européenne, qui définit l’expression « langues régionales ou minoritaires », comme langues « pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État », mais aussi – on le l’a pas assez noté – comme langues « différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État », à l’exclusion des « dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’État et les langues des migrants »[20].

 Toujours dans son rapport de 1998, Guy Carcassonne écrit qu’il trouve « discutable », « la dénomination même de langues régionales et l’idée selon laquelle celles-ci seraient attachées à des aires géographiques précisément déterminées » (p. 5), car « cette conception, celle d’une localisation régionale d’une langue, est […] dangereuse en ceci qu’elle suggère qu’il y aurait une unité, bientôt une identité entre ces trois notions qui doivent demeurer distinctes, que sont un terroir, une langue et un peuple » (p. 5 et 6). Mais comme Jean-Baptiste Coyos le fait remarquer, Carcassonne recommande pourtant en conclusion, de considérer « comme langue régionale toute langue historiquement et géographiquement parlée par des Français sur le territoire national » et propose de n’enseigner ces langues « que sur le territoire où elles sont pratiquées »[21], ce qui d’ailleurs est éminemment discutable, mais montre que l’on ne se défait pas aussi facilement de l’existence factuelle d’espaces, de régions, de lieux géographique où les langues sont parlées. Pour Carcassonne pourtant, la régionalisation, la territorialisation des langues qui ne sont pas « la » langue nationale est dangereuse et illégitime, dangereuse parce que facteur virtuel de sécessionnisme (ce qui implique une vision géopolitique dans laquelle toute affirmation d’une identité linguistique locale est ferment de séparatisme politique, ou de crypto nationaliste, ce qui révèle avant toute chose une conception monolingue de la nation et de la nationalité, qui semble méconnaître les pratiques territoriales de plurilinguisme) et surtout la revendication régionaliste ou territoriale pour une langue est illégitime au motif que les langues dites « régionales » appartiennent au patrimoine national et non aux communautés qui les pratiquent. Je ferai d’ailleurs remarquer que cette distinction présentée comme essentielle dans l’idéologie linguistique républicaine est entièrement brouillée par la récente introduction dans la Constitution de la mention de l’appartenance des langues régionale au patrimoine de la France, mais dans le cadre dévolu à la décentralisation et aux communautés territoriales.

 Cette idée de l’appartenance de la langue non à la région où on la parle ni à ses locuteurs mais à la nation est aussi fortement affirmée par Bernard Cerquiglini dans son rapport de 1999 : « la langue, élément culturel, appartient au patrimoine national ; le corse n’est pas propriété de la région de Corse, mais de la Nation ». Ainsi, les locuteurs sont-ils dépossédés de leur langue, puisqu’on refuse de leur reconnaître qu’ils sont les sujets citoyens de la langue qu’ils parlent. D’autant plus que si la « Nation » (la majuscule est de rigueur) seule est maître et possesseur de la langue, elle peut choisir par ses dirigeants de n’apporter aucune protection ni tutelle à des langues en voie de disparition, quelles que soient les revendications de leurs locuteurs (dès lors qu’ils ne sont pas considérés comme ayant de quelconques droits en la matière). Or, il ne me semble guère exagéré de dire que c’est à peu près ce qui se passe actuellement.

 Comme Carcassonne encore, Cerquiglini critique fortement la territorialisation et la régionalisation dans la Charte européenne qui prévoit pourtant la reconnaissance de langues non territoriales (en laissant de côté explicitement celles des immigrations récentes). Cela le conduit à affirmer que « le vrai territoire d’une langue est le cerveau de ceux qui la parlent », dans le sillage de Guy Carcassonne qui, lui-même, avait écrit dans son rapport que « la seule véritable localisation d’une langue, c’est le cerveau »[22]. Jean-Baptiste Coyos remarque que cette position « semble occulter la dimension sociale et discursive fondamentale des langues. On ne parle pas seul, les langues ont une dimension géographique, historique, sociale, psychologique, etc. » et il ajoute : « si l’argument du nombre de locuteurs sur un territoire donné ne tient pas, on ne peut non plus l’appliquer à la France qui dans ce cas ne serait pas non plus le territoire de la langue française puisque celle-ci est parlée ailleurs qu’en France... »[23]. J’ajouterai seulement qu’en effet la langue ne réside pas seulement dans le cerveau des locuteurs, mais bien aussi et d’abord dans son actualisation par les échanges verbaux ou écrits. Il n’y a pas de langue sans une société de locuteurs. Cette société peut être et est le plus souvent plurielle, mais elle n’est pas, jamais, par la simple matérialité des corps qui parlent et qui écrivent, une société hors sol : elle est nécessairement située, localisée (cela peut évidemment être n’importe où et pas forcément dans la région où elle s’est maintenue historiquement, mais cette simple observation rend irréaliste et contradictoire la proposition du Carrefour Arnauld-Bernard à Toulouse de « nationalisation des langues de France » par le biais d’une radicale déterritorialisation de ces langues[24]). Sous cet angle là, du reste, il n’y a aucune différence de statut entre le français et les langues dites régionales ou locales, sinon que ces dernières sont infiniment moins parlées aujourd’hui que le français, et que la société des locuteurs se raréfie au point où beaucoup d’entre eux en sont en effet réduits à n’avoir d’autre lieu où vivre leur langue que dans leur cerveau, lorsqu’ils rêvent ou soliloquent.

 Bien sûr, localisation ne veut pas dire nécessairement, certes pas, régionalisation (je l’ai dit, le français n’est pas moins « local » que le basque par exemple) et le syntagme de langue régionale avec ce qu’il implique d’étroite localisation et d’extériorité à la nation (est langue régionale ce qui n’est pas et ne saurait être langue nationale) me semble très insatisfaisant. Coyos propose au terme de sa réflexion celui de « langues autochtones de France »[25], qui me paraît encore plus gênant, tout simplement parce que la relation entre les locuteurs des langues historiques de la France (je mets entre parenthèse ici les territoires d’outre-mer sur lesquels il faudrait s’arrêter bien sûr, en particulier en Guyanne, en Polynésie, en Nouvelle Calédonie, où il me semble tout à fait légitime de parler de « langues autochtones ») à leurs concitoyens qui, tout comme eux, parlent français (et bien sûr éventuellement d’autres langues), n’est pas du tout du même ordre que celle des peuples autochtones aux peuples qui les ont colonisés. La relation est d’un autre ordre et même en l’étendant au français (ce qui serait évidemment logique), la notion d’autochtonie me paraît tout à fait trompeuse, qui suggère l’existence de quelque chose comme des lieux naturels pour nos langues, ce qui est impossible à soutenir, par exemple lorsqu’on sait comment est né et s’est diffusé le français sur le territoire. On sait qu’il est historiquement faux d’en faire la langue autochtone de Île de France ; le temps n’est plus au mythe du francien[26]. Je crois qu’il faut éviter de cultiver des mythes similaires pour les autres langues historiques de France.

 

« Langues de France » ou langues du monde ?

 J’ai émis des réserves sur l’approche de Cerquiglini, mais il n’en demeure pas moins que sa proposition de parler de « langues de France » et de les recenser, qui a reçu une officialisation avec l’ajout à la Délégation Générale de la Langue Française de la mention « et des Langues de France » (DGLFLF) est extrêmement intéressante, parce qu’elle va au-delà des clivages entre langues territoriales et non-territoriales, pour s’ouvrir à la reconnaissance des langues sans État présentes sur le territoire français[27]. Cela va sans aucun doute dans le sens d’une réelle démocratie linguistique et culturelle.

 L’adoption de cette dénomination s’accompagne cependant d’au moins deux problèmes bien différents. Il me semble d’abord que cette reconnaissance est purement formelle, ou disons symbolique, même s’il existe une institution dotée des plus maigres subsides, si elle ne s’inscrit pas dans la constitution (qui ne reconnaît que des langues « régionales » et encore à titre « patrimonial », tout dépendant dès lors de ce que l’on entend par patrimoine, et de ce que l’on entend faire de ce patrimoine) ni dans la loi (même si la formule apparaît dans certains textes à valeur juridique, comme par exemple le décret définissant les tâches de la DGLFLF). L’autre problème est plus fondamental : les langues, on le sait, ne connaissent pas les frontières, l’occitan est présent en Val d’Aran en Espagne et dans les vallées alpines d’Italie, le catalan et le basque sont à cheval entre la France et l’Espagne, etc. Et l’on peut se demander légitimement si la bonne échelle pour la tutelle et la promotion démocratique des langues « régionales » ou (qu’on le veuille ou non) « minoritaires » ne serait pas plutôt, au moins idéalement, le cadre international de l’Europe d’une part, dans lequel les locuteurs pourraient être reconnus comme les sujets politiques de leurs propres langues, c’est-à-dire, bien sûr de leur propre plurilinguisme, ce qui est impossible dans le cadre et je dirai pour le coup dans le carcan national, et d’autre part dans le cadre de l’Unesco, où ces locuteurs pourraient apparaître non comme les possesseurs mais comme les dépositaires d’une part du patrimoine culturel immatériel mondial. Mais, en l’état actuel des choses, surtout concernant une quelconque reconnaissance de « droits » linguistique, cette perspective n’est qu’un vœux pieux et nous sommes condamnés à tenter de faire avancer les choses légalement au niveau national en tentant de ruser avec l’idéologie officielle, affectée par la dérive identitaire que l’on sait, ce qui implique que nous acceptions en effet de nous soumettre à son vocabulaire et à sa phraséologie, ne serait-ce que pour la modifier et tenter de la plier à nos revendications. C’est la dure loi d’airain des rapports sociaux inégalitaires où, dans la discussion publique, le plus puissant a le pouvoir d’imposer son vocabulaire (je suis très peu habermasien, comme vous voyez), et où le faible ne peut que ruser en tordant et retournant les mots du pouvoir, en travaillant sur la difficile frontière, dans le discours revendicatif, de l’acceptable et de l’inacceptable (une frontière bien différente de celle du licite et de l’illicite). Nous parlerons donc de « langues régionales » et plus volontiers de « langues de France » et non de langues « minoritaires, minorisées ou minorées »[28], tout comme des générations plus anciennes de militants avaient dû utiliser, de gré ou de force, le terme honni de « patois ». Cette contrainte nous est imposée, me semble-t-il, sur le terrain de la négociation, qui est nécessairement le terrain du compromis et de la compromission, par ailleurs, dans les autres formes d’expression et d’action, nous devons être capable de forger et de porter un vocabulaire et des concepts alternatifs.

 Comme cela est suffisamment explicite, ces réflexions sont conduites, de bout en bout, du point de vue d’un militant des droits linguistiques ; j’espère, néanmoins, qu’elles échappent au dogmatisme et ouvrent à la discussion.

Jean-Pierre Cavaillé

 


[1] Une version abrégée de ce texte a été présentée à la séance de séminaire d’ARTESS, organisé par Michèle Leclerc-Olive à l’EHESS « Multilinguisme et démocratie : le cas français », où sont également intervenus Véronique Bertile et Jean Sibille.

[2] Expression utilisée dans la loi Deixonne de 1951.

[3] Il existe ainsi un Institut supérieur des langues de la République française à Béziers.

[4] Jean-Baptiste Coyos, « nommer les langues, un enjeu. Le cas des langues dites « régionales » de France », Christos Clairie, Denis Costaouec, Jean-Baptiste Coyos (eds), Langues et cultures régionales de France, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 135.

[5] Une approche sociolinguistique très intéressante de la nomination des langues – aussi bien des noms qui servent à catégoriser les langues, dont on s’occupe seulement ici, que de ceux par lesquelles elles sont nommées individuellement – et plus généralement de toute forme de nomination (distingué de la dénomination, qui est le résultat de la nomination : je ne reprends pas ici cette distinction technique), me semble fournie par la praxématique inaugurée par R. Lafont dans les années 70 en réaction à l’approche structurale (voir surtout Le Travail et la langue, Paris, Flammarion, 1978). La notion de praxème, qui vise à se substituer à celle de signe au sens saussurien et pré-saussurien, présente l’intérêt majeur de considérer la production du sens comme inséparable des pratiques culturelles et sociales. Voir Paul Siblot : « Les rapports aux objets et les intérêts à leur égard étant multiples, et leur évolution normale, la polysémie est la règle. Les sens, capitalisés en langue comme autant de virtualités signifiantes, sont l’objet d’un réglage de sens qui sélectionne parmi ces potentialités pour n’en retenir qu’une en principe lors de l’actualisation discursive. Lors de cette praxis linguistique la référenciation établit une relation précisée avec le réel nommé et la pratique langagière contribue à enrichir, modifier, restreindre... les sens capitalisés en langue. […]Aux praxis manipulatives et sociales qui environnent et conditionnent la production praxémique de sens, on ne manquera pas d’ajouter la praxis linguistique. Nommer ce n’est pas seulement se situer à l’égard de l’objet, c’est aussi prendre position à l’égard d’autres dénominations du même objet, à travers lesquels des locuteurs prennent également position. C’est en conséquence se situer par rapport à eux. Là où une vision idéaliste fixe un « être », une essence, la problématique du praxème recherche une production de sens en acte », « Nomination et production de sens : le praxème » Langages, 1997, Vol. 31, n° 127, p. 38-55.

Henri Boyer exploite opportunément la notion de praxème à propos du terme « patois » : « Le praxème « patois » occupe une place stratégique dans l’histoire de la conscience et des pratiques linguistiques en France : il a été (et continue d’être, dans une certaine mesure seulement) le lieu d’élaboration central d’un processus d’assimilation linguistique conduisant une certain nombre de langues dominées socialement et culturellement (breton, basque, occitan, etc.) à tomber en désuétude au profit d’une langue dominante, en l’espèce le français. Ce processus, analysé par Robert Lafont du point de vue de la sociolinguistique renvoie donc à la construction d’un sujet linguistique et idéologique historiquement situé, et à un certain réglage du sens sur le marché social dont la production du praxème « patois » constitue un des lieux majeurs d’émergence », « Entre deux maux : les "patois" d’Agricol Perdiguier » in Questions sur les mots : analyses sociolinguistiques / H. Boyer, Ph. Gardy, J.-M. Marconot, P. Siblot, p. 9.

[6] Par exemple, Marine Le Pen, en janvier 2007, s’insurgeait contre le fait qu’en Bretagne des panneaux comme « autres directions » sont écrits « en langue étrangère » (le breton en l’occurrence…).

[7] En fait il est évident que l’unique façon de dépasser ces clivages, et toutes les formes de hiérarchisations de langues est de poser l’égalité universelle des droit linguistiques de tous les locuteurs du monde, comme l’a fait la Déclaration universelle des droits linguistiques, proclamée à Barcelone entre le 6 et le 8 juin 1996, à l’initiative du Comité de traductions et de droits linguistiques du PEN club international, avec l’appui de l’Unesco : « Un des efforts des rédacteurs a consisté à définir des droits linguistiques équitables, sans les subordonner au statut politique ou administratif du territoire auquel appartient la communauté linguistique, ou à des critères tels que le degré de codification ou le nombre de parlants, qui n’ont pas été considérés à effets de droit. C’est pourquoi la Déclaration proclame l’égalité des droits linguistiques, sans distinctions non-pertinentes entre langues officielles / non-officielles, nationales/ régionales / locales, majoritaires/ minoritaires, ou modernes / archaïques », p. 9. « art. 5 : La présente Déclaration part du principe que les droits de toutes les communautés linguistiques sont égaux et indépendants du statut juridique ou politique de leur langue en tant que langue officielle, régionale ou minoritaire ; les expressions « langue régionale » et « langue minoritaire » ne sont pas utilisées dans la présente déclaration car il y est fréquemment recouru pour restreindre les droits d’une communauté linguistique, même si la reconnaissance d’une langue comme langue minoritaire ou régionale peut parfois faciliter l’exercice de certains droits », p. 21. De la même façon que la question raciale ne se pose plus une fois établie l’égalité de droits des citoyens indépendamment de leur couleur de peau ou de leur origine ethnique, la question de la hiérarchie et des jeux d’oppositions différenciées des langues ne se posent plus, une fois posé le principe de l’égalité des droits des locuteurs. A la fois, on sait bien que la proclamation, l’acquisition des droits civiques, l’égalité formelle des citoyens devant la loi n’empêche nullement la perpétuation du racisme et des inégalités de fait que celui-cu entraîne. On est donc bien conscient que la proclamation formelle de droits linguistiques et même leurs reconnaissances juridiques effectives ne sauraient suffire à régler la question de l’inégalité des statuts symboliques des langues.

[8] Will Kymlicka, « Les droits des minorités et le multiculturalisme : l’évolution du débat anglo-américain », Commentaire, n° 1, 2000, p. 149. Il renvoie à son essai : Ethnopolitics in Post-Communist Eastern Europe, Ottawa, Forum Eastern Europe, 1998 ; repris in Can Liberal Pluralism be Exported ? Oxford University Press, 2001.

[9] « Amongst the Western democracies with national minorities only France and Greece have firmly rejected any notion of territorial autonomy for their historic minorities », « Federalism and secession », Ramón Máiz Suárez,Ferrán Requejo Coll, New-York, Frank Cass Publisher, Democracy, nationalism and multiculturalism, p. 112.

[10] Ronan Le Coadic, « Les « Minorités Nationales » : vers un retour du refoulé ? », Article paru dans Le Coadic, Ronan (dir.), Bretons, Indiens, Kabyles… des minorités nationales ?, Rennes, PUR, mars 2009.

[11] Sur le concept de « minorités » en droit international et la très délicate question de l’imposition d’une définition aux États (qui ont en fait dans les cadres internationaux existants les coudées franches pour décider de reconnaître s’il existe ou non des minorités chez eux et de les nommer), voir la mise au point de Marc Bossuyt (avec le cas belge en ligne de mire), « La définition du concept de « minorités » en droit international ».

[12] « Il n’existe pas de minorités en soi ; elles ne se définissent que structurellement. Ce sont des groupes mis en situation minoritaire par les rapports de force, et de droit, qui les soumettent à d’autres groupes au sein d’une société globale dont les intérêts sont pris en charge par un État qui opère la discrimination soit au moyen de statuts juridiques inégaux (politiques d’apartheid), soit grâce aux principes d’égalité civique (en privant de droits spécifiques des collectivités dont la situation sociale et économique est particulière, l’égalité civique peut créer ou perpétuer des inégalités de fait », Norbert Rouland, Aux confins du droit, Odile Jacob, Paris, 1991, p. 224. Voir également l’article d’Alain Fenet, « Essai sur la notion de minorité nationale », Publications de la faculté de droit et des sciences politiques et sociales d’Amiens, n° 7, PUF, 1977, p. 95-113.

[13] Voir l’intéressante remarque de l’historienne Mona Ozouf : « En 1992, quand les représentants du peuple avaient voté l’inscription du français dans la constitution, cet énoncé péremptoire : « la langue de la République est le français », m’avait paru ambigu. Doit-on comprendre que le français est la langue républicaine par excellence ? Pourquoi n’avoir pas, plus simplement, écrit que le français est la langue officielle de la République ? J’étais convaincue que l’idéologie n’était pas absente de la formulation », Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard, 2009, p. 255.

[14] Étude sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution, rapport au Premier ministre, 1998.

[15] « Le groupe, en l’occurrence celui des locuteurs d’une même langue, a-t-il une existence distincte de ceux qui le composent, qui l’autoriserait à se prévaloir de droits propres dont il serait le titulaire ? On sait que, traditionnellement et constitutionnellement, la France, au demeurant presque seule dans son cas, a toujours choisi de (se) l’interdire : elle se veut une, son peuple est un, sa loi fondamentale le proclame et le Conseil constitutionnel y veille » (p. 58). Voilà comment Guy Carcassonne propose de régler la difficulté posée par l’utilisation du mot groupe : « Le Gouvernement de la République déclare que le terme de « groupe », chaque fois qu’il apparaît dans la Charte, doit, pour être compatible avec l’article 1 de la Constitution, s’interpréter comme synonyme d’une addition d’individus, et non comme une entité distincte de ceux qui la composent, pouvant avoir une personnalité propre et jouir de droits dont elle serait titulaire. », p. 61

[16] Voir (entre beaucoup d’autres réactions), J.-P. Cavaillé, « Patois du pays », prévention de la délinquance et contrôle social ».

[17] « Patué d’écrivain » ; « Le patois des historiens » ; « Le patois des linguistes ».

[18] « Sur le procès de patoisement », Language in sociology, Louvain, Institut linguistique, 1976, p. 126 et 127. De cette analyse, Robert Lafont tirait les propositions conclusives suivantes :

« 1. Que les études de diglossie soient conduites en France comme ailleurs en faisant l’économie de toute intervention idéologique comme celle du concept de « patois »; la « situation patoisante » est à décrire en termes sociolinguistiques de langue dominante et de langue dominée ;

2. Que des études parallèles soient menées, dans le cadre d’une recherche sur la production des idéologies, sur les signifiants d’usage courant où la diglossie se nomme elle-même; il s’agit à la fois d’une étude lexicale et d’une analyse des textes diglossiques ;

3. Que l’étude soit entreprise des idéologies que la linguistique comme science transporte avec elle ; ce qui vaut pour les textes scientifiques antérieurs à l’ambition d’une sociolinguistique (nous ne sommes pas sûr qu’ils ne soient pas, souvent, bien idéologiques) » ibid., p. 133.

Voir également Philippe Gardy et Robert Lafont, « La diglossie comme conflit : l’exemple occitan », Langages, 1981, vol.  15, n°   61, p. 75-91 : le terme patois « sanctionne la situation de non-pouvoir dans laquelle se trouve une langue dominée (puisqu’il signale implicitement que la langue dominée ainsi désignée n’existe pas en tant que langue, socialement reconnue comme pouvant remplir toutes les fonctions dévolues à la langue dominante) ; cette dépossession s’accompagne d’une extrême différenciation territoriale, de telle sorte que la langue dominée, pour ainsi dire dévertébrée, n’a plus de position géographique, mais une simple position socio-culturelle : elle est un vernaculaire réservé à certaines situations, en un lieu donné généralement très réduit, en marge de la langue dominante, qui l’englobe et la dépasse de tous côtés », p. 83-84. Voir également plus récemment Henri Boyer, qui renvoie d’ailleurs aux textes qui viennent d’être cités, Langues en conflit : études sociolinguistiques, Paris, Éd. de l’Harmattan, 1991.

[19] Je tiens cette information de Jean Sybille, que je remercie.

[20] Voir http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/148.htm

[21] Jean-Baptiste Coyos, « Nnommer les langues… », art. cité.

[22] Je remercie Nadège Lechevrel de m’avoir signalé que l’approche écologique développée par E. Haugen permet de donner une autre dimension à ce débat sur le locus du langage et la question des liens entre langues et territoire («The ecology of language », The Linguistic reporter, 1971, p. 19-26). Elle m’a également signalé ce passage de Saussure, source première de Carcassonne et de bien d’autres : « la langue existe dans la collectivité sous la forme d’une somme d’empreintes déposées dans chaque cerveau, à peu près comme un dictionnaire dont tous les exemplaires, identiques, seraient répartis entre les individus », Saussure, Cours de linguistique générale, 1972, édition critique préparée par Tullio De Mauro, Paris, Payot, p. 38.

[23] Art. cité.

[24] « Proposition de nationalisation des langues / cultures de France ». Je constate qu’il s’agit cependant d’une déterritorialisation conçue sur le territoire français, à l’intérieur des frontières du pays. Comme quoi on n’échappe pas si facilement au territoire… et l’appel à la nation, en aucun ne saurait certes pas nous en préserver.

Le projet, tel qu’il est ébauché par Claude Sicre prévoit :

1. d’ « organiser une éducation pour tous les Français à toutes les langues/cultures indigènes de France. Ce qui renforcera la solidarité nationale. »

2. d’ « organiser, contre la « diversité culturelle » (chacun sa petite langue/culture dans son coin, dans sa « communauté »), l’aventure de la pluralité culturelle (émulation entre les œuvres) qui, libérant toutes les imaginations, mobilisera tous les Français dans l’invention d’un avenir commun ».

La première proposition, en particulier est complètement irréaliste, car évidemment, on ne saurait initier tous les Français aux dizaines de langues de France… S’il s’agit d’une simple présentation de cette diversité linguistique, par exemple en l’intégrant au cours d’histoire et de géographie, il s’agirait bien sûr d’une bonne initiative, mais qui laisse entière la question de l’apprentissage des langues elles-mêmes, impensable hors des bassins de locuteurs potentiels (qui ne se réduisent en effet pas aux régions).

[25] Art. cité. Voir également Jean Sibille, « Les langue autochtones de France Métropolitaine : pratiques et savoirs », à paraître (je le remercie de m’en avoir permis la lecture anticipée). La définition donné de langues autochtones, dans ce contexte, est la suivante : « langues parlées sur une partie du territoire national depuis plus longtemps que le français ».

[26] Voir notamment les travaux de Bernard Cerquiglini sur la question.

[27] « On entend par langues de France les langues régionales ou minoritaires parlées traditionnellement par des citoyens français sur le territoire de la République, et qui ne sont langue officielle d’aucun État », Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires

[28] Pour ma part, je préfère parler de « langues minorées », mettant ainsi en question leur condition de dégradation et de dévalorisation symbolique (par exemple à travers l’affirmation récurrente de leur absence de grammaire ou de littérature) en même temps que l’absence ou en tout cas l’extrême insuffisance de leur reconnaissance et promotion institutionnelle.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
C
N'entretenons-nous pas tous des chimères même quand on croit à des "réalités" conçues comme telles ?<br /> En quoi la Provence ou la France en tant que nation une et indivisible est-elle moins une chimère que l'Occitanie en tant que territoire où l'on parle la langue d'oc, car c'est bien de cela qu'il s'agit ?<br /> <br /> Quant aux jeux de rôle, voyez-vous, ayant connu moi-même ces univers chimériques, je vous assure qu'à moins d'être particulièrement instable, on sait encore très bien distinguer la réalité de la fiction.
Répondre
C
Je ne suis pas un partisan des "petits terroirs" et vous le savez bien... <br /> <br /> Je suis d'accord avec vous : l'Occitanie est magnifique mais c'est une utopie ou plus précisément une "micronation virtuelle", une sorte de jeu de rôle pour intellectuels. Est-ce que la réalité est si dure à vivre que vous vouliez inventer des chimères ?<br /> <br /> Evidemment on peut se dire "de partout" et d'ailleurs je me sens beaucoup plus européen ou latin que français ou provençal... comme quoi !
Répondre
C
L'Occitanie est au contraire une belle idée universaliste, mais pas d'un universalisme abstrait, qui permet de sortir la langue de sa confidentialité.<br /> Je comprends que l'idée puisse ne pas plaire aux partisans des petits terroirs.<br /> Mais après tout, pourquoi systématiquement opposer l'un à l'autre ? C'est bien parce-que j'ai grandi ici ou là que je peux me dire de partout.
Répondre
C
Langues et politique. Mistral ne voulait pas voir ces mots ensemble, ses successeurs ne peuvent parler durablement de l’un sans voir arriver l’autre. Dans un sens, c’est plutôt sain. En tous cas, cela le serait si la conversation ne tournait pas toujours autour de l’Occitanie, concept creux, forgé dans des temps heureusement révolus. J’ai des fois l’impression que ce sont les parisiens, té ! qui l’ont inventé pour nous ridiculiser. Une sorte de cheval de Troie : Allez-y, parlez de l’Occitanie, comme personne ne sait ce que c’est, vous serez ridicules ! L’Occitanie n’a jamais existé et n’existera jamais, cela a déjà été écrit dans votre blog de nombreuses fois. Le terme new-age d’occitan effraie plus qu’il ne rassemble. Que faut-il de plus pour que nous abandonions tous et l’un et l’autre ?
Répondre
G
J'ai relu mon dernier message, et me suis rendu compte que je vpous avais traité de "minables" sans prendre la peine d'expliquer que pour moi le mot n'est pas une insulte, il signifie "qui n'est pas à la hauteur des enjeux", tout simplement. Il va de soi qu'on peut m'appliquer l'adjectif, et je le reconnais volontiers: traiter de "minable" quelqu'un sans donner le sens du terme... c'est vraiment minable! Autant pour moi.<br /> Pour la réaction de Yan : je la comprends, et je sais bien qu'A. Arette est un ancien du FN. Est-il repenti? Oui et non: il a quitté le FN mais d'un autre côté il a soutenu (en échanges privés) des propos que moi je juge intolérables, et je le lui ai fait savoir. S'il était le chef de quoi que ce soit dans l'Alliance des Langues d'oc, il est évident que je prendrais la parole publiquement pour dénoncer le fait: pas de compromission à ce niveau de responsabilité. Mais pour le moment il n'est qu'un individu parmi tant d'autres, et comme je ne suis pas gascon je ne peux guère surveiller ses faits et gestes.<br /> Les Identitaires: j'ai dit qu'à leur sujet je me posais des questions, pas que je les approuvais! J'ai besoin d'analyses, pas de condamnations sans pièces. je n'étais pas aux manifs occitanistes de Béziers (et Carcassonne?), eux y étaient: vous êtes donc les mieux placés pour m'en parler. Je reste factuel. Mais avant de voir en eux les sauveurs de notre/nos langue(s), d'aise d'aise! comme on dit en Velay: on sait ce que valent les engagements politiques à ce niveau, avant des élections...<br /> Tout ce que vous me dites de votre vécu est bien sûr à prendre en considération et à respecter: je le fais très volontiers, supposant que mon vécu à moi, ici en Cévennes, dont j'ai parlé assez longuement, est tout aussi sérieux et respectable que le vôtre. J'ai écrit ici que je m'interdisais, non limousin, de juger votre travail en Limousin, et que le fait (qui me semble avéré) que l'occitanisme y triomphe ne me gêne pas le moins du monde: chacun son chemin et ses méthodes.<br /> Que ma volonté d'engager ici un dialogue difficile avec vous arrive à vous énerver ou vous décourager, je le comprends tout aussi parfaitement, et votre volonté de "briser là" me paraît saine, en l'état des choses.<br /> J'ai moi aussi l'intention d'arrêter cet échange, non pour "avoir le dernier mot", ce qui serait puéril, mais parce que je pense qu'on perdrait notre temps à vouloir prolonger le débat.<br /> Je terminerai par des faits: en 4 ans, j'ai publié, dans mes éditions POPULAIRES Aigo Vivo, plus de 60 livrets, ce qui doit dépasser les 2500 pages. Sans aucun argent ni public ni privé: rien que mes économies. Bilan : 6 livrets dans la collection "Polémiques", 3 contre l'occitanisme et 3 contre le Félibrige actuel: 10% du total consacrés à la polémique. Et les 90% restants?<br /> - publication de TEXTES, dans leur graphie originale surtout: en provençal rhodanien, marseillais, en vellave, en cévenol. Bientôt: un roman auvergnat<br /> - vocabulaires (vellave: collecte familiale; cévenol: la vigne, le temps qu'il fait)<br /> - conjugaison cévenole<br /> - index des textes parus dans des revues provençales, en particulier: relevé complet de tous les textes de l'Armana Prouvençau depuis 1855 jusqu'en 2004: le genre de travail qui devrait intéresser le spécialiste du Félibrige qu'est P. Martel<br /> - petit détail qui amusera ceux qui me trouvent "maurassien": je suis fier d'avoir regroupé et publié les ESCRI SOUCIAU de Clovis Hugues,premier député socialiste de Marseille, communard, journaliste emprisonné pour délit d'opinion... Bref, l'anti-Maurras rêvé!<br /> Et je vous demande si sur tout ce travail (j'excepte les 3 livrets de polémique) il y a quoi que ce soit qui puisse vous faire penser que je suis un fossoyeur de la langue occitane?<br /> Je vous remercie pour cet échange vif mais franc, je répète que je trouve sain d'échanger même sans aucun espoir de vir bouger les lignes, et je remercie Tavan pour le modèle de démocratie directe qu'offre son blog.<br /> En toutes : adiu-sias e gramecis !
Répondre
Publicité