piqué sur le blog de Toutoune !
Souverainisme et langues régionales
Le choix de Mélenchon de voter contre le rapport Alfonsi le 11 septembre dernier au Parlement européen (le seul député européen de gauche à l’avoir fait) a entraîné une salve de protestations dans les rangs de ceux de ses électeurs qui militent pour les langues minorés (voir la lettre ouverte du Réseau Langues et Cultures de France de Jacques Blin et surtout la réaction de René Merle). C’était bien la moindre des choses.
Mélenchon persiste et signe
L’intéressé a pris la peine de torcher à la va vite un texte de réponse pour justifier son vote (Encore une fois, la charte des langues régionales ; voir aussi l’explication de vote, où figure l’expression pour le moins équivoques d’« attachement aux langues et patois régionaux » [1]), sur ce ton exaspéré, suffisant et méprisant qu’on lui connaît si bien. Ce texte n’inspire ni sympathie ni respect, lorsqu’on est engagé comme je le suis pour la reconnaissance des langues minorées. Il est dans la pure ligne de tout ce que son auteur a dit et fait jusqu’ici, en s’opposant avec constance et acharnement depuis des décennies, au niveau national et européen, à toute avancée constitutionnelle et légale en faveur de ces langues, auxquelles il affirme pourtant haut et fort n’être pas hostile (voir par exemple son opposition farouche, en 2008 à l’inscription des langues régionales dans la Constitution, ici : Langues « régionales : le sursaut républicain !).
Ainsi, après avoir affirmé n’avoir rien contre, ne peut-il s’empêcher de retraiter, une fois de plus, des clichés indignes visant à dévaloriser à la fois sur les plans politiques, moral et linguistique ceux qui tentent de conserver un avenir à ces langues, comme ces militants bretons et autres qui, selon lui, défendent des standards artificiels forgés pendant la seconde guerre mondiale par des collabos (il résume en fait des déclarations précédentes ; voir par exemple, sur son blog, Il y a breton et breton). Exactement dans la même ligne, visant à ramener toute discussion sur les langues régionales au point Godwin (c’est-à-dire au plus bas du bas), il justifie son hostilité à la Charte européenne en soutenant qu’elle pue l’ethnicisme fachoïde à plein nez, répétant à l’envie qu’elle fut rédigée par des membres de la Fuev nostalgiques du nazisme. Or cela est littéralement est FAUX (la rédaction de la Charte fut un long processus où sont intervenus, à ces débuts, des membres de la Fuev, mais aussi bien, et plus, d’autres personnes et élus n’ayant rien à voir avec ce groupe). Il s’inscrit ainsi clairement, en reprenant leurs arguments, dans les rangs de ceux qui dénoncent dans la Charte un complot ethniciste (voir ici le post que j’ai consacré à cette question : La théorie du complot ethnique).
La Charte, toujours selon Mélenchon, est foncièrement communautariste, puisque, affirme-t-il, elle octroie des droits spécifiques à des groupes de citoyens. D’ailleurs, ajoute-t-il, qu’avons-nous besoin de la Charte, alors que la France possède un « cadre législatif très favorable » (sic !) aux langues régionales ? Je ne prendrai pas la peine de réfuter ici des clichés et lieux communs déjà démontés maintes fois, par moi et par d’autres. D’autant plus que la réfutation ponctuelle de ce texte ci est déjà faite, et magistralement, sur le site Réseau Langues et Cultures de France, par Philippe Martel et j’invite tout le monde à la lire (Jean-Luc Mélenchon et les langues régionales).
Tout au plus soulignerai-je ce qu’implique à mes yeux la rhétorique poisseuse de Mélenchon, à savoir qu’évidemment les langues régionales, telles qu’il fait semblant sinon de les aimer, du moins de les accepter, dans leurs variétés dialectales et subdialectales, parlées par des personnages âgées qui ne les transmettent plus, sont destinées à disparaître à très brève échéance. Ce qu’il ne supporte pas, c’est leur reconnaissance comme langues à part entière, conscientes d’elles-mêmes et de leur dignité culturelle et donc, évidemment – car il ne saurait en aller autrement – engagées dans des processus de standardisation hors desquels leur reconnaissance et leur transmission, dans les conditions actuelles, seraient impossibles. Mélenchon fait partie de tous ceux qui prétendent apprécier les langues régionales, voire les aimer de tout cœur, mais à condition qu’elles soient mortes ou moribondes ; c’est pourquoi le raccourci consistant à dire que ces gens leurs sont en vérité hostiles n’est pas une falsification (ce que dénonce Mélenchon), mais un éclaircissement : ils haïssent ces langues, c’est-à-dire leurs locuteurs, lorsque ceux-ci affirment leur identité linguistique, exigent leurs reconnaissances institutionnelles et travaillent à créer les conditions de leur transmission. Cette haine est, clairement, une haine politique, plus encore que culturelle (le fond de dédain et de mépris pour les culture populaires des militants populistes : un paradoxe intéressant, non ?).
Soutenir l’exception française ?
Mais en fait, ce que je veux faire ici, c’est relever quelques points dans les textes de certains des partisans déçus ou échaudés de Mélenchon qui me paraissent fragiliser leur position critique et en réalité les amène à concéder beaucoup, peut-être l’essentiel, mine de rien, à celui qui reste pour eux un leader dans lequel ils reconnaissent l’essentiel de leurs idées sociales et politiques.
D’abord je note, non sans agacement je l’avoue, qu’ils évitent d’insister sur la « large majorité » qui a voté le rapport du député corse, un texte sans nul doute important où, entre autres choses, un appel solennel est lancé aux Pays qui ne l’ont déjà fait de ratifier la Charte. Cela est en fait beaucoup plus qu’une large majorité, mais une quasi unanimité : 94 %, soit 645 élus, l’escouade française (Mélenchon, Hortefeux, Le Pen père et fille, Gollnisch, de Villiers, notre député de Tulle Jean-Pierre Audy et quelques autres) représentant la moitié des 26 voix contre. Cela mérite d’être souligné tout de même, non ? Il ne s’agit bien sûr pas d’une victoire écrasante des idées ethnicistes, ni des régionalismes anti-États nationaux, ni même des idées fédéralistes (il ne faut pas rêver) ! Il s’agit plutôt de la reconnaissance collective d’une urgence absolue devant la disparition annoncée de nombreuses langues « régionales et minoritaires » en Europe faute de politiques suffisamment volontaristes pour y remédier. La ratification de la Charte, pour les quelques pays de la communauté qui ne l’ont déjà fait, y est présentée plutôt comme un préalable à de plus ambitieuses politiques linguistiques en faveur de ces langues qui se meurent.
Or les textes du Front de Gauche, trahis par Mélenchon, parlent de manière équivoque et sibylline de « revisiter » la charte (en même temps que la constitution française) pour en permettre la signature. Pourquoi faudrait-il modifier et renégocier la charte et sur quels points ? Je n’ai pas de trouvé de textes clairs à ce sujet sur le site du Réseau ni d’ailleurs dans les autres productions du Front de Gauche.
Les seules prises de positions un tant soi peu développées que j’ai trouvées sur cette question sont les textes que René Merle a consacrés à la Charte sur son blog au fil des ans, pour la critiquer, à travers des arguments qui se rapprochent beaucoup de ceux de Mélenchon. Ainsi (billet intitulé Charte européenne des langues minoritaires) évoque-t-il les droits spécifiques que la charte reconnaîtrait à des communautés de locuteurs. C’est la lecture donnée par tous les opposants de la Charte et que ses défenseurs n’acceptent pas (le droit de parler une langue n’est pas un droit communautaire mais individuel, même s’il suppose évidemment l’existence d’une communauté de locuteur). La Charte, dit-il aussi, poursuivrait comme fin (il nomme cela une « stratégie ») « d’institutionnaliser des communautés linguistiques ethniques réellement existantes, comme en connaît par exemple l’Europe de l’Est » (l’Occitan et la charte). Et il trouve tout à fait « pertinent » l’argument selon lequel la charte porterait « atteinte à l’unité nationale » : « la stratégie européenne actuelle est de faire éclater les États-nations au profit de macro-régions féodales, immédiatement inscrites dans la stratégie néo-libérale ». Ces arguments sont ceux des souverainistes de droite et de gauche, le plus souvent hostiles à toute avancée en matière de reconnaissance des cultures et langues locales (je ne dit pas que c’est le cas de René Merle, certes pas, et justement, que fait-il donc dans cette galère idéologique ?). Je ne vais pas discuter ici ces arguments, mais l’idée même qu’il y aurait « une (c’est moi qui souligne) stratégie européenne », évidemment plus ou moins dissimulée, de promotion des régions contre les États nations au service d’une idéologie à la fois néolibérale et vétéroféodale, me paraît à la fois simpliste et confusionniste ; elle rejoint en tout cas les théories du complot ethniciste manœuvré à son tour (complot du complot) par le grand capital.
De sorte que, pour Merle au moins (ses amis du Réseau langues de France sont plus mesurés), c’est au niveau national et nulle part ailleurs que les langues régionales doivent être reconnues et promues, dans le cadre de l’État nation français, considéré comme absolument spécifique (cette absolue spécificité républicaine est sans cesse affirmée avec fierté et jamais démontrée : sommes nous réellement plus républicains et plus laïques que les autres ? En quoi consiste ce plus ?). Merle ne va-t-il pas d’ailleurs jusqu’à mettre en cause la légitimité du combat associatif (« la réalité française étant ce qu’elle est, ce sont les points de vue associatifs, lourds de sens ou vides de sens, qui comptent, s’ils savent devenir des lobbies efficaces »), qui ne répondrait guère aux aspirations de la population (par contre si bien servies par l’État !) ?
Ce type d’approche est pour moi représentatif d’une involution préoccupante, pour bien des raisons, mais d’abord (parlons stratégie), parce que dans le cadre de l’hypercentralisme franco-français (reconnu comme tel dans le monde entier sauf en France, où l’on se gargarise de simulacres de décentralisation), les cultures et langues régionales ont tout à perdre, c’est-à-dire le peu qu’il leur reste. Il faudrait quand même que les défenseurs des langues minorées en France prennent réellement conscience que la France, sur ce terrain, est considérée unanimement, partout en Europe et au-delà, comme le repoussoir par excellence (le dernier exemple que j’en ai trouvé est celui fourni par le bouquin du sarde Pepe Corongiu dont j’ai rendu compte dans mon dernier post).
Lorsque nous évoquons l’idée de renégocier le texte de la Charte, ou lorsque nous pensons pouvoir nous en sortir seuls en établissant une politique linguistique 100 % française, nous montrons simplement que nous sommes en décalage complet avec le monde européen et le monde global. Par contre, il est évident, puisqu’il est question de stratégie, que, pour faire avancer les choses en France, nous avons besoin de la pression et de l’aide européennes comme le montre suffisamment le vote du 11 septembre, d’ailleurs appuyé aussi, pour une fois (les choses bougent-elles ?), par une énorme majorité des députés européens français. Nous avons besoin d’avancées constitutionnelles et légales conséquentes sur la question des langues « régionales » et nous avons donc tout à gagner à imposer à nos interlocuteurs la comparaison de la situation de la France avec celles de nos voisins sur cette question.
Ces considérations m’amènent à contester aussi une phrase de Mélenchon avec laquelle, dans la critique qu’il lui adresse, René Merle se trouve d’accord. Mélenchon écrit dans son texte que « si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s'élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi ». « Je ne peux qu’être d'accord », écrit Merle, « ces langues ne sont pas directement en perte d'usage à cause de la loi, mais à cause de leur antique péjoration sociologique et de leur exclusion du champ de la survie, de la valorisation et de la promotion sociale ». Moi, par contre, je ne suis pas du tout d’accord, et pour une simple raison : la valorisation et la promotion sociale sont inséparables de la reconnaissance légale et symbolique par l’autorité politique légitime. Nous pouvons, nous devons faire l’hypothèse (il faut toujours se demander ce qui se serait passé si… cet exercice nous délivre du fatalisme : si les choses auraient pu tourner autrement, elles peuvent donc aussi changer !) que si nos langues avaient été présentes dans les médias et à l’école, si elles avaient bénéficié d’une valorisation publique, alors, les choses ne se seraient pas passées exactement de la même façon dans la société, ne serait-ce que parce que la question de la transmission se serait réellement posée, alors qu’elle a été réglée spontanément et unanimement par la négative dans l’absence totale de discussion et de reconnaissance, et du fait même de ce silence et de cette dénégation. Nous ne pouvons pas dire avec Mélenchon que si nos langues ne sont plus parlées, la république et la loi n’y sont pour rien ; c’est là (en ce qui concerne Mélenchon) se défausser à bon compte et je vois plutôt dans une phrase comme celle-ci la réitération d’une politique, tout à fait consciente et cynique, consistant à laisser mourir ce qui reste sans aucune intervention publique (c’est-à-dire en maintenant le statut quo de la chasse au patois) au motif que ce serait là ouvrir la boite de pandore des séparatismes et de l’ethnicisme.
Jean-Pierre Cavaillé
[1] « Comment s’attaquer à l’égalité républicaine en prétendant défendre les langues menacées. Ce rapport préconise la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires du conseil de l’Europe. D’inspiration clairement ethniciste, cette Charte a été reconnue contraire aux principes fondamentaux de la République Française et particulièrement à la laïcité par le Conseil constitutionnel. Elle prévoit en effet de donner aux groupes parlant telle ou telle langue régionale des droits particuliers dans l’espace public, en particulier dans le fonctionnement des services publics ou de la justice. Cela rompt l’égalité des citoyens et compromet le libre exercice de la citoyenneté. Si ce système peut en effet convenir aux minorités nationales en Europe, il constitue un détournement de l’attachement aux langues et patois régionaux dans une République une et indivisible comme la France. Une telle référence est inacceptable : revendiquer des droits particuliers à une catégorie de la population au nom des différences, est une atteinte à l’égalité républicaine. C’est pourquoi je vote contre. »