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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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5 août 2006

Un voyage au pays des « dialetti » : le Salento et ses langues

Zimba

 

La famille Zimba vue par Egidio Marullo, tirée de Giuseppe Mighali, Zimba. Voci suoni ritmi di Aradeo, Kurumuny edizioni, 2004 (livre et très beau cd de collectage).

 


 

Un voyage au pays des« dialetti » : le Salento et ses langues

 

 

Ce texte a fait l'objet d'une traduction italienne d'Amedeo Messina, que je remercie beaucoup, sur le site de l'Istituto Linguistico Campano, consacré à la langue napolitaine et repris ici même.

 


Pour mieux comprendre  la situation des langues minorées en France, une approche comparatiste avec d’autres pays est bien sûr nécessaire. C’est à ce titre que je livre ces quelques petites observations faites dans le Salento (pointe du talon de la botte italienne) sur les langues qui y sont parlées et leurs statuts respectifs, lors de trois courts séjours, dont le dernier ce mois de juillet. Je précise que ma compétence dans le domaine est des plus limitées et mes informations extrêmement partielles : aussi j’attends beaucoup des réactions de la part de personnes plus informées que moi, et d’abord des intéressés, les salentini eux-mêmes.

Pour un français parlant et défendant une langue « régionale », la situation rencontrée en Italie en général et dans le Salento en particulier est en effet très stimulante intellectuellement : il y retrouve des choses qu’il connaît bien, qu’il ne connaît même que trop, et d’autres très étonnantes qui l’obligent à se poser des questions et lui donnent aussi envie d’en poser aux gens qu’il rencontre.

 

lingue et dialetti

Tout de suite une considération générale. En italien le mot et la notion de « patois » n’existent pas. On utilise plus communément le terme, beaucoup moins péjoratif, et même apparemment neutre, de « dialetto » (dialecte). Cela ne veut pas dire pour autant que l’on accorde une égale dignité entre la langue italienne, qui comme on le sait est une standardisation du dialecte toscan, et les autres « dialectes ». C’est tout le contraire : il existe la plus forte différenciation et hiérarchie entre ce que l’on appelle la « langue », l’italien, aujourd’hui parlé par presque tout le monde (mais depuis bien moins longtemps que ce n’est le cas en France) et les « dialectes » régionaux ou locaux, qui désignent aussi bien les parlers romans plus ou moins proches du toscan, que des langues qui en sont fort éloignées (occitan, frioulan, ladino, sarde, catalan), voire qui ne dérivent pas du latin (le grico par exemple, parlé dans quelques villages de la Calabre et du Salento : voir infra) et rien n’est plus fréquent de lire, même dans la littérature scientifique, que les « dialectes » ne sont pas des « langues », parce que ce dernier terme est strictement réservé à la langue standardisée et normalisée de l’État nation. Notons au passage que cette distinction est insoutenable d'un point de vue strictement linguistique, car cela revient à dire que l'on ne peut à proprement parler de langue sans une unification et homogénéisation par l'écriture sous le contrôle d'institutions nationales, ce qui est parfaitement absurde. Sa fonction idéologique, elle, apparaît nettement : donner un semblant de caution objective à l’imposition d’une seule langue à tous les citoyens. La mauvaise foi et la contorsion sémantique sont sur ce point illimitées, comme si la reconnaissance de l'existence d'autres langues que l'italien sur le territoire revenait de facto à mettre en cause l'unité nationale. Par exemple un critique et philologue comme Cesare Segre parle, pour le sarde et le frioulan, de « petits systèmes autonomes » comprenant eux-mêmes des dialectes, mais évite soigneusement le terme de langue[1]. Même les (piètres) idéologues de la Lega Nord continuent le plus souvent à parler de « dialecte ».


Enseigner les
« dialetti »

Comme en France, il a existé des projets d’éradication complète et définitive des « dialectes »[2], et l’école a lutté, et lutte encore – beaucoup plus qu’ici parce que les « dialetti » y sont encore très parlés –, contre les dialectes, en imposant la langue normalisée, sans aucun souci – mis à part quelques exceptions – de conservation du patrimoine vernaculaire. L’enseignement des « dialectes », lorsqu'ils sont justement considérés comme tels et non comme des langues à part entières, ne paraît d’ailleurs guère à l’ordre du jour. Sont enseignés tout au plus, selon des modalités et des méthodes très différentes et très inégales, dans le cadre des 15 %  du quota horaire accordés par le ministère de l'éducation aux initiatives pédagogiques (Decreto Ministeriale du 26 giugno 2000, n. 234), les idiomes qui ont réussi à s’imposer au moins partiellement comme « langues ». Pour cela, semble-t-il une double condition : un éloignement majeur par rapport au toscan et une menace rapide de disparition. Dans une Histoire de la langue italienne, publiée en 1994, Manlio Cortelazzo, écrit : « Dans une école férocement dialectophobe, comme l’est l’école italienne, qui feint d’ignorer – et non pas depuis dix ou cinquante ans, mais depuis des siècles – l’inévitable et quotidien échange dialectal entre le maître et l’élève, au moins aux débuts de leur dialogue ; qui accepte  à peine, et rarement, que le maître (mais non l’élève) puisse prononcer en passant quelques mots en dialecte avec la seule intention de proposer un noble équivalent italien ; qui est à ce point obsédée par la mauvaise herbe dialectale qu’elle en refuse absolument d’en admettre l’écriture par crainte de la légitimer ; dans cette école il n’est pas pensable que le vernaculaire puisse entrer d’une quelconque façon »[3].


Dignité des
« dialetti » 

L’école est d’autant plus réfractaire aux « dialectes » qu’ils restent, un peu partout en Italie, parlés, y compris par les enfants, même si tout le monde s’accorde pour déplorer le désintérêt des plus jeunes. S’il en est ainsi, c’est que souvent la transmission familiale et sociale directe continue à s’opérer. Cela est bien sûr très surprenant pour nous et l’on aurait me semble-t-il tout à fait tort de penser qu’il n’y a là, par rapport à la France, finalement, qu’un temps de retard d’une ou deux générations. Car, malgré son statut on ne peut plus subalterne, une grande réticence de le considérer comme une matière digne d’enseignement tant qu'il n'a pas acquis la dignité de « langue » à part entière, et s'il n'est pas perçu comme un outil possible pour les formes considérées comme les plus nobles d’expression, le « dialecte », en général, ne souffre pas de la réputation socialement et symboliquement infamante et dégradante que connaît chez nous le « patois ». Il me semble que généralement, on est assez fier de son dialecte, ou du moins que l’on n’en a pas honte, cependant l’on estime qu’il doit rester ce qu’il est : une langue de communication locale assez étendue, mais quasi strictement orale, même s’il existe une très riche littérature dialectale, mais qui se définit précisément comme telle, et donc accepte généralement de ne pas être une « littérature » au sens plein du terme et se résigne aussi à être locale sans viser l'universalité. Il y a une évidence de la présence du « dialecte » et de son importance dans l’affirmation d’une identité culturelle locale, qui fait plaisir quand on vient d’un pays où il reste honteux de « parler patois ». Par contre, la reconnaissance de sa dignité linguistique et culturelle à plein titre, comme potentiel créatif et pas seulement comme mémoire collective, reste très faible, malgré les travaux et les publications pionnières de Pasolini et de quelques autres[4]. Cela est très différent en France, au moins pour l’occitan, langue dont on sait bien – finalement – qu’elle est une langue lettrée et littéraire, au point du reste qu’un grand nombre de locuteurs, comme notre cher Fernand Mourguet (voir les comptes rendus de ses ouvrages sur ce blog), refusent de l’identifier à ce qu’ils parlent , c’est-à-dire aux « patois » du sud de la France et la considèrent comme un idiome artificiel et élitaire, quoi qu’il en soit de la continuité historique depuis l’époque médiévale.


Le
« dialetto » salentino

            Dans le Salento, région très peuplée, myriade de gros bourgs et de petites villes entourés de zones agricoles, le « dialecte » s’entend aujourd’hui encore partout et partage avec l’italien, l’espace de la vie courante. Le salentino est une langue douce et lumineuse, remarquable, entre autres choses, pour ses surprenantes rencontres avec le latin classique et la multiplicité des influences attestées par le lexique. Assez proche du sicilien par son système phonétique, il reste par contre plutôt éloigné des autres « dialectes » des Pouilles[5]. Cependant, sur la base d’autres langues romanes et en particulier du toscan, l’oreille s’y accoutume assez vite. Pour l’entendre, il suffit de s’asseoir devant un café (le terme de terrasse ne convient pas), d’aller au marché, de prendre l’autobus, etc… A vrai dire, tous ceux auxquels j’ai posé la question m’ont dit le parler. Même le très jeune serveur du café de Cursi, près de Maglie, le parle spontanément et apparemment parfaitement (ssempre cchiùi bellu quistu ientu). Aucune difficulté pour trouver dans les boutiques des gens qui acceptent de lire à haute voix un conte en vernaculaire au micro. On peut en outre facilement assister à des représentations de comédies dialectales, avec grand concours de spectateurs sur les places de village. Enfin le dialecte est porté aussi, indiscutablement, par l’énorme revival des musiques traditionnelles et en particulier de la pizzica, la tarentelle salentine, utilisée il n’y a pas si longtemps encore pour la cure des tarentulé(e)s. Il existe une discographie considérable, de collectage, surtout de création autour et à partir de la pizzica (où voisinent le meilleur et le pire, il faut bien le dire), et une bibliographie plus vaste encore sur la question du tarentulisme, en italien, qui contient également des témoignages et des textes de chansons en vernaculaire. On trouve aussi facilement des livres en salentino : recueils de contes, d’histoires drôles, de proverbes, de comédies… une littérature spécifique et limitée, le plus souvent strictement tournée sur le passé de la communauté, sans prétention de création et de renouvellement. On a, autrement dit, la forte impression qu’il n’y a pas de revendication du statut littéraire possible, aujourd’hui, pour le vernaculaire. Il est en outre peu écrit dans les journaux, pour autant que j’ai pu voir, absent à la radio et à la télévision… Par contre, il a trouvé le nouveau support du tee-shirt, mais jamais pour énoncer une quelconque revendication linguistique (par exemple, vu en vente à Gallipoli, ce beau proverbe : « La caddina face l’ou,/ e llu caddu li usca lu culu » : « La poule fait l’œuf,/ et c’est au coq que le cul brûle ». J’ai cherché en vain (il en existe peut-être) sur l’annuaire et sur internet des associations dont le « dialecte » serait la raison d’être, alors que fleurissent les initiatives pour la culture musicale et théâtrale populaire. Je me suis dit benoîtement que s’il n’avait pas besoin de défenseurs, le salentino se portait donc très bien ; mais c’est évidemment une manière très optimiste de considérer les choses.

nanni

Illustration de Maria Berto pour la couverture de l'ouvrage d'Alfredo Romano, Lu Nanni Orcu e altri racconti salentini (con testo a fronte), Nardo, Besa editrice, sd (2001 ?)
 

 

Le grico


        Mais le salentino n’est pas le seul « dialecte » parlé dans le Salento. On y entend aussi, dans une zone, qui après avoir été très étendue, s’est rétrécie comme une peau de chagrin, le grico (griko), langue hellénique, où certains voudraient voir les vestiges de la Grande Grèce et qui plus probablement date de l’époque byzantine[6]Pour autant que j’ai pu le constater, le grico, langue longtemps déconsidérée et autrefois jugée même inférieure au salentino, du fait de la condition sociale des locuteurs, menacée à la fois par l’italien et par le salentino lui-même qui gagne de village en village[7], bénéficie aujourd'hui d'une plus grande attention et considération, de sorte qu’une véritable conscience culturelle et linguistique s’est développée dans la zone, avec ce paradoxe bien connu de nous, que s’engager pour une langue, ce n’est pas nécessairement la parler. Ainsi quelques mesures ont-elles été prises comme l’apprentissage du grico dans les écoles. La qualité et l’efficacité de cet enseignement est un objet de controverse, sur lequel je ne saurais évidemment me prononcer (voir sur ce blog, La fable du grico fataliste et du sarde opiniâtre). J’ai seulement pu noter la qualité des publications scientifiques consacrées à la langue, que l’on trouve en librairie. Certains groupes musicaux de premier ordre, comme Ghetonìa, de Calimera (le village peut-être le plus actif dans la sauvegarde du patrimoine linguistique grico), que j’ai eu la chance d’entendre en concert, travaillent aussi à sa promotion. La situation du grico, de ce point de vue, ressemble plus à ce que nous connaissons dans l’hexagone, avec l’hostilité politique ambiante en moins (apparemment), mais aussi avec le lourd handicap de l’exiguïté du territoire concerné.

 

            J’espère en tout cas que ce petit laïus vous donnera envie d’y aller voir et entendre, d’autant que le Salento est tout aussi attractif pour ses paysages, ses richesses architecturales et muséographiques, sa cuisine, ses bains de mer, etc. etc. Il serait bien sûr aussi intéressant et, je pense, possible de développer les échanges musicaux, même si, il faut l’avouer, le petit tambourin occitan fait pâle figure devant son cousin des Pouilles. 

 

J.-P. Cavaillé


[1]Article du Corriere della Sera, du 1er janvier 2004, http://segnalazioni.blogspot.com/2004_01_11_segnalazioni_archive.html

[2] Voir le Comte Ferdinando dal Pozzo (Cte), Piano di un' associazione per tutta Italia, avente per oggetto la diffusione della pura lingua italiana, e la contemporanea soppressione de' dialetti che si parlano ne' varj paesi della penisola..., Paris, A. Cherbuliez, 1833. 

[3] « In una scuola ferocemente dialettofoba, come quella italiana, che finge di ignorare – e non da dieci o cinquant’anni, ma da secoli – il quotidiano e inevitabile scambio dialettale tra insegante e scolaro, almeno agli inizi del loro dialogo ; che accetta appena, e non frequentement, che il maestro (ma non  l’allievo) possa pronunciare di sfuggita qualche parola in dialetto nel solo intento di proporre il nobile equivalente italiano ; che è tanto ossessionata dalla malerba dialettale da non ammetterne assolutament la scrittura nel timore di legittimarla ; in questa scuola non è pensabile che il vernacolo possa in qualche modo entrare », Manlio Cortelazzo, I dialetti dal Cinquecento ad oggi : usi non letterari, Storia della lingua italiana. Volume terzo, Le altre lingue, a cura di Luca Seriani e Pietro Trifone, Torino, Einaudi, 1994, p. 556. 

[4] Cf. l’excellente présentation de Pascale Cacchio :

http://www.italialibri.net/dossier/pasolini/dialetti.html.

[5] Pour une présentation générale, en italien, voir :

http://www.otrantopoint.com/dialetto_salentino.html

et un article de Wikipedia :

http://it.wikipedia.org/wiki/Salentino 

[6]Voir sur cette question controversée :

http://us.geocities.com/enosi_griko/Articoli/Giornale_Gal_17.html 

On trouve un petit vocabulaire sur le site municipal de Castrignano dei Greci. 

A lire absolument, pour un contact direct avec la langue et une plongée dans la vie des grichi entre 1936 et 1945, Rocco Aprile, Il sole e il sale, Romanzo griko salentino, pp 318 - 16 euros, Libreria Icaro Editore, Lecce – via Liborio Romano, 23, www.libreriaicaro.it  

[7] Par exemple, je note que les quelques échanges présents sur le forum du site de Castrignano dei Greci sont en salentino.

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Commentaires
D
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Je tombe aujourd'hui par hasard sur votre article, car je suis actuellement en train d'entamer ma thèse de maîtrise universitaire sur la traduction de chants populaires salentins! Je vois que vous vous intéressez beaucoup à la question, et je me demandais si, parmi vos recherches, vous avez pu trouver des traductions en français de certaines tarantelles? Je n'ai pour l'instant rien trouvé :(<br /> <br /> Merci d'avance! :)
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M
Siáu un pauc estonat de çò qu'es dich dau rapòrt entre escòla en Italia e dialetto. Es verai que l'i a agut persecucion quora lo fascisme (ni per lo fach que Mussolini eu meteis parlava romanhòl en familha e parlava un italian que fasia rire los "intelectuaus"). Mas avans e après ? Franc Bronzat me ditz que l'i avia agut en Piamont de manuaus que fasian passar dau piamontés a l'italian (e es pas un pichon voiatge) dins lo periòde d'avans lo fascisme. Valria la pena de cercar de ne saber mai.
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