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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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19 mai 2012

Rai, la télévision nationale italienne : pour en finir avec les « dialectes »

cogorda


Rai, la télévision nationale italienne : pour en finir avec les « dialectes » 


World Cogordas 2012 : « eh ?! »

            Le 28 mars dernier, à Toulouse, le « prix planétaire, World Cogordas », lors de la cérémonie officielle Cogordas Awards, a été remis à la Rai, la radiotélévision nationale italienne, pour « la série de spots publicitaires Fratelli d’Italia, diffusée à l’occasion de la fête nationale célébrant les 150 ans de l’unité du pays, peu valorisante pour les dialectes italiens et leurs locuteurs ». La cérémonie Cogordas Awards, organisée par Laurent Labadie et le collectif Detz, récompense « les prises de parole les plus méprisantes à l’égard des langues régionales et minorisées » et dieu sait qu’il n’en manque pas ! D’ailleurs accepter de parler des « dialectes italiens » (voir entre autres la mise au point d’Amedeo Messina, ici même à ce sujet), c’est-à-dire accepter d’utiliser le vocabulaire de la Rai (son usage de « dialetto » est assez proche de celui, ici, de « patois ») pour dénoncer son entreprise de dénigrement linguistique, fait du collectif Detz un lauréat potentiel. Du reste, la moindre des choses aurait été, il me semble, d’associer au palmarès le nom du réalisateur des spots, Alessandro D’Alatri, bien connu en Italie. Mais décidément Toulouse est très loin de Rome.

            C’est pour moi l’occasion de revenir sur l’épisode dont je n’avais pas rendu compte en son temps, des spots publicitaires de la Rai du déjà lointain décembre 2010, destinés à engager les citoyens italiens récalcitrants à payer leur redevance tout en célébrant le 150e anniversaire de la réunification. Ces spots, comme vous pouvez le constater (on les trouve encore en ligne mais plutôt comme témoignage à charge), sont en effet parfaitement abjects : des locuteurs de « dialetti », entendu par là tout ce qui est parlé en Italie en dehors de la langue standard, s’expriment dans leur langue maternelle en divers épisodes de leur vie et suscitent de la part de leurs interlocuteurs l’incompréhension la plus totale, qui se manifeste par un « eh ?! » tonitruant, c’est-à-dire un « Quoi ?! » sans appel. Ainsi parlent tour à tour une voyante toscane qui lit dans les cartes, une gendarmette frioulane qui sermonne un automobiliste, un prêtre lombard qui marie un couple, un entraîneur napolitain qui harangue son équipe, un footballeur sarde, un client de Viterbe, un maçon de Lucanie, un voleur de Bari, un professeur du Salento… pas moins de 15 « dialectes » sont ainsi mobilisés, générant chaque fois la même réaction de stupeur courroucée et, d’ailleurs, tout à fais incivile : « eh ?! ».

            Apparaît alors, à la fin de chacun de ces spots, le sigle de la Rai et une voix qui dévide la même petite phrase : « Si les Italiens étaient les mêmes qu’il y a 150 ans, ils communiqueraient probablement ainsi… ». Phrase ironique, puisque la communication, justement, n’a pas lieu ! Le message se conclut par ces mots : « Depuis, nous avons fait beaucoup de chemin, et la Rai a toujours été avec nous ».

 

La Rai, Jules Ferry de l’Italie

            En Italie en effet, il est courant d’entendre que c’est la radio et surtout la télévision et non l’école qui ont le plus fait pour la diffusion de l’italien standard et en même temps pour l’effacement progressif des « dialectes ». Par exemple, il y a quelques années, celui qui était alors le président de l’Academia della Crusca, Francesco Sabatini, dont j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer à la fois les positions rétrogrades (Dialectophones, femmes et nègres, même combat !), en même temps que ses vues intéressantes sur l’histoire des langues (L’histoire au secours du plurilinguisme), avait déclaré à Mike Bongiorno un mythique animateur des premiers temps de la télévision : « Vous avez enseigné l’italien aux Italiens ». C’est déjà ce que s’employait à montrer dans sa Storia linguistica dell’Italia unita (Histoire linguistique del’Italie unie) dès 1963, du linguiste et homme politique, Tullio De Mauro. C’est ce motif récurrent, signalé dans un excellent article par Franciscu Sedda, qui inclut l’idée que les « dialectes » sont des stigmates de l’ignorance et des obstacles à la communication, qu’avait donc décidé d’exploiter, en toute candeur, droite dans sa botte, la télévision nationale pour engager les téléspectateurs à payer la redevance.

            Ce motif, malgré l’existence d’une loi de tutelle des « minorités linguistiques historiques » (la fameuse 482/99) et de lois régionales (donc une situation législative beaucoup plus favorable qu’en France, au moins sur le papier), est d’ailleurs tellement ancré dans la culture officielle, tellement largement défendu par les élites (voir par exemple, ici, Enseignement des « dialectes » italiens : le test de la Lega Nord) que je me serais attendu à ce que les spots Rai passassent plus ou moins inaperçus.

            Or, alors qu’ils n’étaient encore visibles qu’en avant-première sur le web, avant même donc d’être diffusés sur les chaînes, les spots ont entraîné en quelques jours une avalanche de protestations.

 MikeBongiorno

Mike Bongiorno et Totò, Lascia o raddoppia? (Quitte ou double ?) 1956


Fourches Caudines

            Tout serait parti de l’association Forche Caudine [Fourches Caudines], qui rassemble des journalistes « expatriés » de la région de Molise à Rome et ailleurs en Italie et de par le monde, selon un article du Corriere della Sera du 13 décembre, lui-même exploité par  le journal Forche Caudine. Selon cet article, Forche Caudine fit entendre de vives protestations en ligne, et sur le journal la Repubblica (le même 13 décembre), contre la « diabolisation des dialectes » : « Les dialectes, même s’ils sont aujourd’hui moins utilisés, représentent une pierre angulaire de notre patrimoine culturel immatériel. Les diaboliser équivaut à la répudiation de la tradition et ainsi, paradoxalement, à l’idée même de l’Italie comme fruit de l’unité d’identité diverses  […] notre action n’est en rien animée par la nostalgie pour l’Italie des dialectes, mais une réflexion sur le fait que L’Italie elle-même est le fruit de l’union des diversités et qu’elle ne peut donc effacer ou répudier les valeurs à la base de la culture immatérielle, des relations humaines et du vivre ensemble. Outrepasser les dialectes signifie oublier les auteurs les plus importants de la littérature italienne, ainsi que les musiciens et les acteurs de théâtre ».

            Déclaration typique, mille fois répétée, où la valeur des dialectes est affirmée d’un point de vue strictement patrimonial : il n’y aurait aucun sens à enseigner les dialectes et à chercher à leur donner un futur (cela serait pure « nostalgie »), mais il faut les célébrer comme le sol nourricier de la culture et du savoir vivre italiens, voire même comme le creuset de l’unité italienne à partir de ses identités plurielles (c’est par exemple la position de Dario Fo, exprimée en de nombreux articles et entretiens, où il prend toujours violemment partie à ce sujet contre la Lega Nord. Voir ici, outre l’article déjà cité, Dario Fo : langue italienne, dialetti et grammelot).

 

L’incontournable Lega Nord

            La Lega Nord a participé, et dès le début à la protestation, mais pour une fois,  elle ne semble pas avoir réussi à la monopoliser, ce qui est une bonne nouvelle. Dès les 13 et 14 décembre, on trouve en ligne des déclarations enflammées contre les spots de Roberto Ciambetti, président du groupe des conseillers régionaux « léghistes » de la Vénétie. Selon lui (j’exploite un article paru sur le site L’Altra Campana, qui réunit des catholiques de la Ligue Nord), les spots de la Rai « insultent les valeurs du régionalisme, de ce régionalisme auquel croyaient les pères fondateurs eux-mêmes et qui est réaffirmé comme l’un des traits majeurs du projet fédéral, où chaque peuple, chaque culture locale, chaque identité trouve son rôle légitime » Le même Ciambetti se remémore avec une nostalgie affectée, l’époque où la Rai faisait une place aux dialectes avec le napolitain des De Filippo, Eduardo et Peppino, avec le génois de Govi, le vénitien de Goldoni, et où surtout les présentateurs ne parlaient pas encore avec « un accent et une grammaire romaine toujours plus fortes ». Rome, rappelons-le, lieu du pouvoir central, siège du gouvernement et de la Rai, est l’ennemie absolue de la Ligue Nord, et l’un des leitmotivs de celle-ci est la dénonciation de l’abâtardissement de la langue italienne en bouche romaine. Ciambetti termine sa philippique en exigeant la non diffusion à la télévision des spots et en appelant au boycott de la redevance, ce qui d’ailleurs, lorsqu’on appartient à un parti de gouvernement (n’oublions pas que tel était le cas de la Lega jusqu’à la dernière chute de Berlusconi), laisse tout de même perplexe.

          Le 15 décembre, Jari Colla, conseiller de la Lega à la région Lombardie s'est fendu d'un communiqué de presse en "dialecte milanais" dénonçant le mépris de la Rai pour les langues et les "traditions" locales (voir la page facebook du bonhomme).

            A même moment Gioann March Pòlli, journaliste travaillant pour la Padania (quotidien de la Lega Nord), et qui tient un blog nommé Lingue e Dialetti, explique dans un article publié sur un site leghiste, comment du groupe facebook en soutien à son blog est né le groupe facebook « Contro gli spot Rai sui "dialetti": vergogna, sono lingue vive! » (« Contre les spots Rai sur les « dialectes » : une honte, ce sont des langues vivantes ! »). Déjà le groupe comptait en très peu de jours 1000 membres regroupant des militants des droits des langues minoritaires de tous les coins d’Italie (et même quelques uns d’au-delà), et affirmant ainsi son entière indépendance vis-à-vis de la Ligue.

            Ce sont bien aujourd’hui 3.200 membres qui sont inscrits. Ce groupe facebook est très intéressant à tous points de vue (même, si bien sûr on y trouve comme toujours des interventions de qualités bien différentes, et parfois idéologiquement assez pénibles), et d’abord parce que les langues y sont vraiment présentes, l’intercompréhension de tous ces idiomes dérivés du latin s’avérant à l’écrit quasiment spontanée. C’est là sans aucun doute un laboratoire pour une fédération des énergies et des initiatives partout en Italie.

            On sera peut-être choqué en France de ces contacts, de fait, avec une parti,  la Ligue Nord, que l’on peut estimer à juste tire infréquentable du fait, en particulier, de sa xénophobie affichée. Mais sur la question des langues historiques d’Italie, il faut bien comprendre que cette formation politique est devenue incontournable et que s’engager dans cette lutte, en Italie du nord, mais aussi partout ailleurs sur le territoire (au moins dès lors que l’on veut se faire entendre au-delà des instances les plus locales), conduit nécessairement à rencontrer la Ligue, déjà présente sur ce terrain linguistique, largement abandonné par tous les autres partis. Les militants italiens n’ont sur ce point pas le choix ; à leur place nous ne l’aurions pas plus.

            Voici, par exemple, ce qu’écrit un internaute qui signe Avatar linguasarda : « On a insinué qu’il s’agissait d’un coup monté par la Lega. Mais les choses sont bien différentes : La Lega a été le seul parti qui a protesté et leurs voix ont fait du bruit parce que les autres partis non pas dit un mot sur la question. Quand on pense qu’il fut un temps où les dialectes et les langues régionales étaient l’un des points forts des mouvements de gauche ! Peut-être qu’aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Les temps ont changé ».

 

« Ne mélangez pas les torchons et les serviettes ! »

            Parmi les « dialectes » ridiculisés par la Rai, figuraient une variété de sarde et du frioulan, c’est-à-dire deux parlers reconnus comme « langues » à part entière par la loi 482.  Cette séparation, désormais inscrite dans la loi, entre ce qui serait de vulgaires dialectes et les langues à part entière est extrêmement dommageable, qui introduit une division vraiment délétère entre les régions et les militants. De nombreux Sardes et des Frioulans sont ainsi montés au créneau, et ont exprimés leur colère : alors que la Rai, télévision de service public, se devrait d’assurer des émissions dans les langues minoritaires d’Italie (ce qu’elle ne fait nulle part, les quelques émissions de télévision dans ces langues sont des initiatives politiques – TelePadania, de la Lega –, associatives ou privées : la sicilienne Stupor Mundi, et dans les Pouilles Tg Nuèstre) elle les stigmatise toutes comme « dialectes », contrevenant ainsi à la lettre et à l’esprit de la loi. Parfois, trop souvent, leur réaction se limite hélas à s’indigner de ce que la Rai a osé traiter leurs belles langues reconnues par la loi comme de vulgaires dialectes (voir par exemple, l’article du sarde Diego Corraine ). Au moins, une partie de cette littérature est-elle composée en frioulan et surtout en sarde, comme c’est justement le cas de l’article de Diegu Corràine, ou de ceux d’Ivo Murgia ou de Gianfranco Pintore, sur la même question.

 

L’avis du « dialectologue »

            Parmi les réactions argumentées, quelques unes méritent d’être évoquées. On lisait dans le Corriere della Sera du 13 décembre l’avis de Tullio Telmon, l’un des auteurs des Fondamenti di dialettologia italiana (Fondements de dialectologie italienne), ouvrage souvent présenté comme la référence en la matière.  « Derrière ces spots, il semble y avoir une fausse idée : à savoir que pour apprendre l’italien, il serait nécessaire d’effacer toute trace des dialectes appris précédemment. C’est en fait le contraire qui est vrai : plus on connaît de codes linguistiques plus il devient facile d’en apprendre de nouveaux ».

            Dans un texte paru sur le bulletin de la Società di Linguistica Italiana (n° 29, 2010, 2), Telmon, qui est le président de cette société savante, tient à préciser que ces mots ne sont que la conclusion de tout ce qu’il avait raconté au journaliste par téléphone et dont il informe ses sociétaires. Son analyse se concentre sur le fait que les spots construisent une situation linguistique qui n’a jamais existé : « dans l’Italie ‘dialectophone’ d’il y a 150 ans, l’italien (dans les formes et les variétés les plus diverses) a toujours constitué un pole d’une plus ou moins explicite diglossie ou, selon les cas, d’un bilinguisme plus ou moins complet. […] Il y a 150 ans aussi les interactions linguistiques entre des locuteurs appartenant à des variétés dialectales différentes comportaient sans doute des efforts de rapprochement et de facilitation réciproque entre interlocuteurs : il est permis de penser qu’ils avaient lieu dans quelque forme d’italien fortement dialectalisé ou, dans la pire des hypothèses [sic !], en quelque forme de dialecte fortement italianisé ». Pour exemplifier ce qu’il veut dire, l’auteur renvoie aux formes d’expression que l’on trouve dans certains films néoréalistes (Soliti Ignoti, etc.). De toute façon, « dans les situations où la communicabilité est l’objectif premier, il existe un certain degré d’intercompréhensibilité même entre des codes linguistiques fortement différenciés ». En fait, « la tricherie des spots consiste dans le fait qu’ils sont construits exprès » pour que les phrases en « dialecte », prononcées à grande vitesse, soient incompréhensibles, y compris souvent pour qui connaît le dialecte en question. A la fin, Telmon, faisant l’éloge du bilinguisme (fût-ce sous la forme de la diglossie), renvoie dos à dos les dialectophobes et les « faux » dialectophiles qui défendraient comme les premiers, selon lui, le monolinguisme, lequel n’est jamais qu’un appauvrissement.

            On remarque que le vocabulaire de Telmon, dans cette note, semble ignorer tout terme alternatif à celui de « dialecte » (dialectologie oblige !), alors que le linguiste écrit dans l’ouvrage cité ci-dessus que « les conditions effectives d’usage », et non certes la nature de l’idiome en question, sont en fait les seuls critères qui permettent de distinguer une langue d’un dialecte. Mais il faut croire que l’obstination à employer uniquement le terme (y compris pour ce que la loi reconnaît comme langue) est justifiée par le souci du maintien de ces conditions, marquées par la plus forte diglossie, c’est-à-dire la plus grande disparité fonctionnelle et symbolique (d’où la référence agacée – et fausse – aux pseudo-dialectophiles nostalgiques du monolinguisme dialectal), c'est-à-dire du maintien, de fait, d'un statu quo idéologique de dévalorisation des cultures dialectales.

 

La voix des vaincus

            Franco Brevini est historien de la littérature, critique littéraire, écrivain et journaliste. Il a publié une série de volumes sur la « poésie dialectale » (Poeti dialettali del Novecento, Einaudi, 1987 ;  Le parole perdute. Dialetti e poesia nel nostro secolo, Einaudi, 1990 ; La poesia in dialetto. Storia e testi dalle origini al Novecento, 3 vol.,  Mondadori, 1999). Son point de vue sur l’histoire linguistique et sociale italienne, appréhendée depuis les vaincus et les minus habens, est très différente. Il écrit en effet dans le même numéro du Corriere della Sera du 13 décembre 2010 : « Il y a quelque chose de grossier et de simpliste dans les spots de la Rai pour l’Unité d’Italie. L’idée qui est mise en avant est celle d’un pays babélien où il n’y a pas moyen de se comprendre. Puis par bonheur arrive l’unification nationale, qui, comme une Pentecôte, permet à tous de se comprendre […]  Mais cette toscanisation a produit la délégitimation des mondes et des cultures que tout dialectophone emportait avec lui dans sa propre langue. Cela a signifié l’effacement de visions de la vie, d’imaginaires, de résonnances intérieures, de sentiments, en somme de tout ce que chaque locuteur associait au code maternel. Cela a été une catastrophe pure et simple, qui avait indubitablement une fonction pratique. Mais que, aujourd'hui, les grands penseurs de la Rai nous la vendent comme un progrès, laisse perplexe ». Les spots se limitent à « insinuer chez les gens que le dialecte et tout ce qui lui est attaché est subculture, sous-histoire. Et qu’il faut s’en débarrasser pour entrer dans l’histoire ».

       Francescu Sedda, qui enseigne la sémiotique, connu pour son engagement indépendantiste en Sardaigne, a lui aussi écrit un texte remarquable, en italien, qui va bien au-delà de la simple indignation. Je me propose d’ailleurs de le traduire prochainement. Dans l’entreprise de la Rai, qu’il met en parallèle avec des propos stéréotypiques et en fait ridicules de Benigni a San Remo sur le dialecte,  il dénonce l’exaltation acritique du monolinguisme et l’opposition entre dialecte et langue, « comme s’il s’agissait de deux univers ontologiquement distincts ». Il fait remarquer que les spots s’annulent en fait eux-mêmes puisque les protagonistes se montrent capables de passer du dialecte à l’italien, autrement dit, démontrent leur capacité plurilingue, alors qu’on a voulu les faire passer pour de pauvres gens complètement démunis qui ne savent pas quand et avec qui « utiliser telle variété et tel registre ». Cela est évidemment absurde et ne correspond à aucune pratique délibérée nulle-part dans le monde, lorsqu’on s’adresse par erreur à un interlocuteur dans une langue qu’il ne connaît pas.

 

Le repentir de la Rai

            Devant cette avalanche de critique, la Rai et le réalisateur des spots, Alessandro D’Alatri (qui navigue entre publicité et films d’auteur) réagirent d’abord par le mépris (Corriere della Sera, 13, 12, 2010) : « Injurier ceux qui parlent le dialecte ! Mais on veut rire ! Je voulais célébrer par le sourire ce qui est sous les yeux de tous : l’italien nous a uni, des dialectes nous avons conservé peut-être les cadences et les accents mais perdu une grande partie des mots ». D'Alatri ajouta que les acteurs des spots ont dû s’informer auprès des plus anciens pour prononcer correctement leur texte. On connaît ici ce type de constat de décès (plus personne ne parle patois), sauf que soutenir la chose en Italie, où chacun peut entendre – s’il le veut – l’une ou l’autre de ces langues historiques de la péninsule, c’est simplement ridicule (cela n’empêche pas cependant qu’en effet en certaines régions elles sont fort mal en point). « Dans cette affaire, conclut D’Alatri, il y a simplement quelqu’un qui cherche à se faire de la publicité avec une publicité. Quelle tristesse ! ». Comme l’a fait remarquer un internaute sarde (Avatar Linguasarda), le réalisateur a évidemment raison  : « faire de la publicité signifie d’abord rendre publique une opinion et une vision de la vie, et n’a donc pas nécessairement une acception négative ».

            Au bout de quelques jours cependant, la Rai finit par renoncer à ses spots, cédant ainsi à une pression émanant très largement d’internet et des « réseaux sociaux ». Plus même, pour apaiser les consciences, elle réalisa à la va vite un spot avec les mêmes acteurs jouant les mêmes personnages qui, cette fois, souhaitent joyeux Noël aux téléspectateurs dans toutes leurs langues. Une voix off, à la fin affirme que, « dans l’Italie des identités et des cultures régionales, il existe de nombreuses manières d’adresser ses vœux ». Cette victoire est à souligner, car elle est sans doute la première du genre en Italie. Prenons-en de la graine !

Jean-Pierre Cavaillé

PS] Voir également l’analyse de Sabira Kakouch Le droit linguistique dialectal est-il en péril ? sur le très intéressant blog : La sociolinguistique et l'Italie.

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