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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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24 février 2017

Le code civil contre les discriminations linguistiques ?

Joe

Dubuffet, Joe Bouquet au lit

Les dicriminations linguistiques sanctionnées par le code civil ?
Suivi de :
 L’éloge empoisonné des langues "régionales" par Robert Redeker

Dans le prolongement de l’ouvrage de Philippe Blanchet, décrivant et dénonçant les multiples discriminations linguistiques auxquelles nous sommes confrontés, particulièrement en France (voir l'article que lui ai consacré ici), il me semble important de diffuser une information qui n’a guère fait parler d’elle. J’étais du moins pour ma part passé complètement à côté. Il s’agit de l’introduction dans le code pénal, par la loi du 18 novembre 2016 dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle », d’une mention sanctionnant les discriminations basées sur la ou les langues parlées par les personnes. Mais cette mention est tellement timide et peu claire que je ne vois pas bien comment elle pourrait changer quoi que ce soit à la situation présente ; aussi suis-je bien plus pessimiste que Blanchet qui parle sur son blog de « discrète révolution ».

Voici le texte de l’article 226 modifié par la loi : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. » (mes italiques)

Je renvoie ici, pour l’exégèse, au post de Blanchet qui donne trois interprétations possibles et divergentes de cette formulation bizarre, puisqu’elle envisage une simple « capacité » comme motif de discrimination (à l’embauche, etc.) : soit il s’agit de la capacité à parler en plus du français une autre langue que le français qui est discriminée, soit l’incapacité en fait à parler autre chose que le français (cette interprétation est à la lettre possible, même si elle est peu probable), soit enfin, je cite Blanchet, « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu’elles peuvent s’exprimer ou sont supposées pouvoir s’exprimer ou s’expriment effectivement dans une autre langue que le français mais pas en français ». Blanchet affirme que les juristes qu’il a consultés penchent pour cette dernière interprétation.

Mais on imagine aisément les objections que le texte lui-même permettra de faire aux personnes qui saisiraient la loi pour discrimination au motif qu’elles ne parlent pas ou pas bien le français. On pourra toujours leur répondre, me semble-t-il, en se rabattant sur la première lecture possible pointée par Blanchet que si on ne les a pas embauchées, si on ne les a pas servies, etc. ce n’est pas parce qu’elles parlent d’autres langues, mais parce que l’on a jugé qu’elles ne parlaient pas bien, pas suffisamment le français – argument que l’on peut avancer en fait pour n’importe quel boulot concernant la discrimination majeure à l’embauche – la loi ne disant rien de bien clair à ce sujet. J’irai même plus loin, le texte a manifestement été conçu de manière à permettre de telles échappatoires, tout en permettant de sanctionner les discriminations les plus grossières, celles reposant sur le rejet de la possession d’une langue autre en plus du français et qui, éventuellement, a des effets sur le français parlé (l’accent en particulier) : « Pas d’employé dans mon entreprise parlant arabe ! », ou « avec un accent arabe ». Encore que, comme le souligne justement Blanchet, la loi ne prend nullement en compte de manière explicite ce qui fait l’ordinaire des discriminations linguistiques : les accents, les façons de parler, tout ce qui dénote une appartenance sociale ou une « origine » locale, régionale ou étrangère.

Bref, ce texte allusif ne changera-t-il sans doute pas grand-chose à la situation présente, tout au plus ouvre-t-il une brèche, une fissure dans la religion de la langue française une, unique et indivisible.

J’en veux pour preuve certaines réactions virulentes, sur la base de l’antienne bien connu « on est en France, on parle français » (sur ce principe de la foi républicaine, voir ici-même). C’est « un message de défaite adressé par la représentation nationale aux locuteurs des langues étrangères. Ne faites pas l’effort ! Elle donne raison aux rappeurs: vous pouvez ni...r la France, elle vous dira merci ». Ces mots sont tirés d’un entretien haut en couleur de Robert Redeker sur le site FigaroVox, condensé poussé à la limite du ridicule de tous les poncifs déclinistes. Limite, en effet, et même un peu au-delà, car Redeker y fait un éloge vibrant de l’art social et politique de la discrimination : « Notre pays est pris depuis une décennie d’une folie anti-discriminatoire ravageuse. […] Sans discriminations aucune société ni aucun corps politique ne peuvent se constituer ». Ainsi Redeker s’en prend-il carrément au principe d’égalité, dont il affirme que son application est le retour à l’état de nature théorisé par Hobbes, caractérisé comme on le sait par la guerre de tous contre tous : « l’égalité parfaite est la source des guerres civiles, des plus violents déchirements. Plus on va vers l’égalité, plus on va vers la guerre ». C’est sûr, regardons autour de nous: les tensions sociales, les conflits naissent de trop d’égalités entre les êtres humaines, alors que les inégalités sont garantes de la paix sociale ! Poursuivons : « L'égalité de toutes les langues transformerait notre pays en un état de nature linguistique ». Selon cette logique (?) imparable, la mise en cause de la hiérarchisation et des discriminations, linguistiques et autres, nous conduisent tout droit à la guerre civile ! Il y a de quoi rire, surtout dans cet usage ébouriffant de Hobbes qui, en fait, dit dans son Leviathan à peu près le contraire, car c’est en l’absence du pacte social, avant le transfert de la force égale des individus au souverain et bien sûr en l'absence de lois, à l’état de nature donc, que règne pour le philosophe anglais la guerre de tous contre tous, et certes pas, même si Hobbes n'est guère égalitariste, dans une situation d’égalité des citoyens devant la loi et sous la contrainte de la loi. Evidemment, Hobbbes, qui n'est pas nigaud, distingue l'état de droit, quel que soit le régime politique, de l'état de nature ! Mais l’éloge des discriminations mérite bien un petit (gros) contresens philosophique !

Quel farceur, ce Redeker ! Ne dit-il pas aussi, au même endroit, que « certaines autorités du Ministère de l'Éducation nationale » ont fait savoir que, désormais, « les règles de grammaire sont négociables avec les élèves » ? (je ne sais d’où vient cette belle rumeur, mais elle est digne de quelques autres, comme l’enseignement de l’homosexualité via la théorie du genre, les trains de Roms pour les villes de gauche et les lâchés de vipères par les écologistes). Redeker poursuit sa diatribe par la dénonciation des effets délétères des juridictions antidiscriminatoires, dont l’adjonction de la mention sur les langues lui paraît être la cerise sur le gâteau : « Le chemin indiqué par cette disposition anti-discrimination […] est celui de la disparition de la norme, de la dénormalisation de la société », ceci « pour lui substituer le conformisme du marginal, du différent, de l'anormal, l’égalité de toutes les différences. Ou plutôt : pour lui substituer la tyrannie du marginal, du minoritaire, du différent, de l'anormal ». Quand on connaît un peu Redeker (ceci est donc un argument ad hominen), qu’on l’a vu ou entendu (surtout sur France Culture à l’invitation du très amène Alain Finkielkraut), comment ne pas craindre qu’en stigmatisant ainsi le marginal et le minoritaire, il n’en vienne à se haïr lui-même ? Passons… et revenons au cœur de sa philippique contre l’ajout de cette petite proposition timide : derrière tout cela, œuvre, manœuvre une gauche tout à la fois égalitariste et communautariste : « La gauche mène une politique des identités minoritaires. Toutes les identités sont valorisées, sauf une seule, l’identité française, ou l’identité nationale ». Pour ma part c'est à peu près le contraire que je constate, à savoir que même lorsqu'elles affectent de valoriser les identités minoritaires, la gauche et l'extrême-gauche françaises ne font généralement rien d'autre que de se donner des raisons plus fortes encore d'affirmer une identité nationale aux ridicules prétentions universelles.

On comprend, dans ce climat de droite nationale vent debout, que l’intervieweur, Alexis Feertchak, s’inquiète de ce que cette loi risque de protéger (pourtant je ne vois guère comment) « tant les langues régionales que les langues étrangères. N'est-ce pas dangereux pour le français, consacré par la Constitution en son article 2 comme langue officielle de la République française ? » La réponse de Redeker n’est pas celle qu’attendait son questionneur, car elle consiste à opposer les langues autochtones, qu’il faut dit-il défendre, aux langues étrangères, à bannir. Voici l’argumentaire, que je rapporte en entier, ne fût-ce que parce qu’elle rendra peut-être son auteur plus sympathique à quelques uns au moins des lecteurs de ce blog :

« Il faut faire un sort différent aux langues régionales et aux langues étrangères. Ces langues (abusivement appelées « régionales ») ne sont pas des langues étrangères. Les langues régionales font partie du patrimoine spirituel et littéraire de notre pays, elles ont droit au titre de « langues de la nation française ». Les langues régionales font partie du patrimoine spirituel et littéraire de notre pays, elles ont droit au titre de « langues de la nation française ». À Verdun, on mourait pour la France en langue d’oc, en breton, et en corse. Un groupe vocal corse, Arapà, mettra en vente ces jours-ci, dans la langue de leur île, un magnifique CD d'hommage aux poilus de la guerre de 14: « In Memoriam 1914-1918 ». Le français est la langue nationale de tous les citoyens, mais le gascon, par exemple, est la langue nationale (c'est-à-dire: qui appartient de façon indivisible à la nation française) des habitants du Gers et des Landes en plus du français. L'écrivain Joë Bousquet a dit que l’occitan (en fait l'ensemble des parlers d'oc, du limousin au provençal) du XIIIe est le tournant de la langue française. On ne saurait mieux affirmer la solidarité de ces deux langues, si différentes pourtant. Il n'y a pas concurrence entre les langues régionales et le français. Ces langues sont les langues autochtones du sol de France et de son peuple, elles sont aussi intimement liées à notre nation que nos paysages. Elles sont les langues de ceux qui ont fait notre pays. C’est pourquoi il faut les protéger et les revitaliser. Il ne faut pas oublier non plus que l’histoire de France ne commence pas en 1792 ! Qu'elle ne se réduit pas à la République. Que personne ne sait quel type de régime viendra après la République et la démocratie. La France est une entité plus grande dans le temps que la République. Il vaut mieux énoncer les choses ainsi : le français est la langue du régime républicain, mais pas la seule langue nationale de la France. »

Je ne me risquerai pas à interpréter cet horizon post-républicain et post-démocratique (deux choses d’ailleurs totalement différentes) visé par Redeker. Énoncé comme il l’est, en tout cas, cet éloge vibrant des langues régionales comme langues « nationales »… locales, rappelle la promotion des petites patries en des temps de nationalisme français exacerbé, si ce n’est qu’il faut  quand même expliquer comment une langue, justement, peut-être considérée comme « nationale », au sens de la nation française, mais seulement pour la région où elle est parlée. Cela semble un peu compliqué, mais en la matière, en effet, les discours paradoxaux ne manquent pas. Il faut au moins préciser une chose : Arapà n’exalte certes pas le sacrifice national des soldats, corses et autres, morts dans les tranchées. Je lis en effet sur la pochette : « L’album d’Arapà s’inscrit dans la dénonciation de cet absurde jeu de pouvoir criminel à l’origine de ce drame ». Comme on peut le voir, nous sommes ici au plus loin de l’exhaussement de l’identité nationale tant souhaité par Redeker.

Je ne m’arrête pas non plus sur l’association difficile de la langue gasconne, apparemment reconnue comme langue (nationale) à part entière et de l’occitan « ensemble des parlers d’oc », du limousin au provençal et forcément donc en passant par le gascon ! Soulignons la référence à Joë Bousquet, le poète occitanophile, mais d’expression francophone, grand blessé de 14 gisant toute une vie au n° 53 de la rue de Verdun à Carcassonne. Je ne sais trop à quel texte de Bousquet Redeker fait ici référence, où il aurait écrit que l’occitan du XIIIe siècle (celui des troubadours donc) est le « tournant » (mais en quel sens ?) du français. Il ne s’agit pas en tout cas du texte paru dans le fameux numéro de Les Cahiers du Sud en 1943 sur Le Génie d’oc et l’homme méditerranéen. Peut-être, plutôt, confond-il avec un texte de René Nelli, l’ami carcassonnais de Bousquet, auteur de nombreux ouvrages sur la culture occitane du XIIIe siècle ? En tout cas l’esprit de Bousquet et de Nelli, et de leurs nombreux amis et disciples parmi les occitanistes (je sors d’un colloque sur Daniel Fabre), en matière linguistique, culturelle et idéologique, était au plus loin du nationalisme décliniste de Redeker, avec cette opposition très suspecte[1] entre les langues autochtones, langues du sol à défendre (mais il se garde bien de dire comment…), alliées du français (pourquoi ? comment ?), et les langues des migrants, irréductiblement « étrangères », concurrentes déloyales des langues de la terre de France.

Jean-Pierre Cavaillé



[1] Il faut évidemment distinguer les langues historiques, ou si l’on veut autochtones, des langues apportées plus ou moins récemment avec eux par les migrants, mais il est absurde de les opposer. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier (comme on le fait presque toujours) les langues non territorialisées issues des grandes diasporas (yddish, dialectes de la langue romani, etc.).

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Commentaires
H
"Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement [...] de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français,"<br /> <br /> <br /> <br /> Je pense que la formulation n'est ni "ambigüe" ou "surprenante" (Blanchet), ni "timide" ou "peu claire", et qu'elle dit exactement ce qu'elle veut dire, à savoir : on ne peut pas discriminer quelqu'un sur le fait qu'il a la "capacité" de parler l'arabe ou le suédois (en plus du français) — mais on peut toujours lui interdire de parler l'arabe ou le suédois et l'obliger à parler français !!!<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a quelques jours de cela, des militants bretons qui étaient devant un tribunal pour avoir bloqué un train lors des manifestations contre la Loi-Travail ont demandé à pouvoir s'exprimer en breton et à bénéficier d'un interprête, cela leur a été refusé.<br /> <br /> <br /> <br /> On leur a interdit de parler breton et on leur a imposé de parler français. <br /> <br /> <br /> <br /> Un employeur ne peut pas afficher :<br /> <br /> « Pas d’employé dans mon entreprise parlant arabe ! »<br /> <br /> <br /> <br /> mais il peut afficher :<br /> <br /> "Interdit de parler arabe !"<br /> <br /> <br /> <br /> !!!
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P
Vos senhali aqueste article recent e deplorable article dins sa repeticion del mot "patois" http://www.lepopulaire.fr/dorat/education/patrimoine/2017/03/19/le-patois-limousin-une-langue-enfin-prise-au-serieux_12328063.html<br /> <br /> <br /> <br /> Ai escrit a la jornalista aline.combrouze@centrefrance.com : "Il est navrant que votre interview ne fasse que répéter le mot très connoté, et que les locuteurs emploient par effet de l'idéologie jadis dominante, PATOIS. Vous ne faites que rabâcher la doxa française jacobine et linguicide... C'est un terme non-scientifique, chargé de connotations et de folkorisme. On a affaire à une langue, aussi complète que n'importe quelle, qui est à l'état naturel: orale, uniquement, et ce depuis des siècles. Potentiellement égale à toutes les autres. Pour information les subdivisions d'une même langue, sont appelées Dialecte, et les subdivisions des dialectes sont des Parlers. Respect et dignité, c'est tout ce qu'il faut, choses qui permettront éventuellement de raviver l'intérêt des habitants pour leur langue.<br /> <br /> De plus, citer comme preuve du caractère mixte du Marchois 'chantar' est faux, car tout le nord-occitan (Limousin, auvergnat et vivaro-alpin) a Chantar...<br /> <br /> <br /> <br /> Aimons nos langues, traitons les avec respect, comme des sujets sérieux, scientifiques et humains. Mercé plan<br /> <br /> <br /> <br /> XX<br /> <br /> Professeur de catalan et co-auteur du Dictionnaire occitan provençal - catalan"<br /> <br /> <br /> <br /> La jornalista me ditz que ven pas d'ela, d''acòrd mas lo títol si. Li respondi: C'est vous qui signez le titre, n'est-ce pas? De plus le terme "patois limousin" fait penser qu'il s'agit de l'occitan dans son dialecte limousin, or il s'agit d'un parler intermédiaire, donc différent. "L'autre LANGUE limousine" ou "La langue mixte limousine" (car entre oc et oil). Vous faites comme si vous n'aviez pas la responsabilité de votre écrit. C'est vraiment lamentable, meme le contenu des propos de M. Quint est réprouvable. C'est pour cela que dans la linguistique européenne, la plupart des français ne font pas référence."
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