Chronique d’une mort annoncée
Donc voilà, plus aucune mention du Limousin dans la NGR (Nouvelle Grande Région). Le Limousin avalé d’une seule bouchée et digéré par la Nouvelle Aquitaine, sans aucune opposition ou quasi. Certes le nom, au moins localement, restera, car il est trop ancré dans les habitudes linguistiques et, oui, dans l’histoire des pays d’ici, pour disparaître de si tôt. Le président Alain Rousset l’a d’ailleurs déclaré : « Je crois que nous allons vivre le retour des petites provinces dans notre grande région ». Quelle étrange expression ! Ce qui était une région, à l’égal de l’Aquitaine, devient une « petite province »…. Qui dit province, en France, dit capitale, et Alain Rousset parle depuis sa petite capitale : Bordeaux. Il n’y a pas donc d’autre modèle dans ce foutu pays que celui de la capitale et de ses provinces que l’on peut ainsi répliquer à l’infini, comme les poupées russes : Paris et ses provinces ; dans la province aquitaine, Bordeaux et ses « petites provinces » ; dans celles-ci, Limoges (en toutes petites capitales !), et sa micro-province, etc. Quelle interprétation que l’on en fasse, sur un point le message du président (de région), est on ne peut plus clair : le lieu des décisions politiques régionales sera bien la capitale Bordeaux et le Limousin demeura, comme le Poitou ou la Charente, une « petite province ». Cela en dit long évidemment sur la conception officielle de la démocratie en ce pays, puisque seule une capitale peut être le lieu de décision légitime sur des provinces subalternes par nature (et par étymologie !). Ceux qui pensent, comme moi, que la démocratie est locale ou n’est pas, ont encore du pain sur la planche.
Je profite de l’occasion pour célébrer la mémoire de la revue bimensuelle de feu la Région Limousin, vous savez, avec son grand bandeau vert clair et le logo à la feuille de châtaigner. Vous la receviez pliée en deux, dans vos boites à lettres, souvent mêlée au reste de la publicité. Elle s’appelait – cela semble déjà si lointain – la Lettre du Limousin, bien soignée, fournie de 16 grandes pages. Certes, c’était surtout de la réclame, pour l’essentiel, de la pub pour le conseil régional bien sûr et ses conseillers (charité bien ordonnée…), avec plein d’articles lénifiants illustrés de grandes photos couleurs. Ces articles chantaient quelque soi-disant réussite économique, quelque mirifique réalisation technique, vantaient quelque grand projet essentiel (la « regrettée » LGV, etc.), ils mettaient en avant quelque jeune prodige de la gastronomie ou de l’entreprise limousine… Figurait aussi – vous en souvenez-vous ? – une double page grise d’une infinie tristesse où chacun des partis entonnait sa chanson aigrelette et laissait pendre sa petite langue de bois (pour les collectionneurs, profitez-en, tous les numéros depuis 2009 sont encore en ligne)
Y figurait aussi une chronique occitane d’un tiers de page, que nous assurions, Baptiste Chrétien et moi-même, à tour de rôle, depuis 2011, consacrée à toute sorte de sujets ayant trait à la culture et à la langue, qui nous tombaient sous la main et nous paraissaient d’actualité : publications, expositions, musiques… C’était, je m’en rends compte, l’une des seules rubriques culturelles de la revue, voire la seule, si l’on excepte quelques interviews et présentations de troupes ou d’artistes. Nous avions été sollicités pour tenir cette chronique, à laquelle nous nous astreignions évidemment de manière purement gracieuse. Nous étions certes contenus à la portion congrue ; il ne fallait pas exagérer, par exemple tenter d’étendre notre chronique à plus de la moitié de l’une des photos rutilantes qui ornaient les pages cossues d’auto-propagande régionale, ou pis encore il ne fallait pas chercher à y faire trop paraître… d’occitan (comme on le sait, l’occitan est acceptable, à condition d’être en français !).
Puis vint le n° 115 de novembre 2015, pour lequel, on n’oublia pas de nous rappeler, comme à chaque fois, l’échéance de remise de l’article. Il parut. Puis, plus rien. La revue, sans aucune annonce, avertissement ou remerciement de ses dévoués collaborateurs, il fallut se rendre à l’évidence, avait disparu corps et biens, avec tout le reste, au moment de l’élection des conseillers de la nouvelle région (une région – excusez-moi de me répéter – que les citoyens n’ont pas choisie, et qu'ils ont accepté de ne pas la choisir en votant quand même pour les conseillers). Mais, après tout, on pouvait imaginer le maintien d’un revue consacrée à la partie limousine de la NGR. J’ai bien tenté d’écrire à mon contact au journal, la personne qui nous rappelait à l’ordre si nous oubliions d'envoyer nos papiers, pour savoir ce qu'il en était, avoir des nouvelles, mais en vain. La revue était morte. On nous avait gentiment fait bosser gratuitement pendant cinq ans et balancé comme de la merde. Certes, tel devait être aussi le sort des journalistes qui y travaillaient et qui ont peut-être perdu leur salaire. Je n’en sais rien, puisqu’il n’existe aucune communication sur le sujet. En lieu et place, nous avons tous reçus, souvenez- vous, au mois d’avril, une feuille de choux similaire (mais réalisée à la va-vite sur du mauvais papier) intitulée Spécial nouvelle région, un truc incroyable de pure propagande stalinienne avec cinq pleines pages de portraits de conseillers, tous plus hideux les uns que les autres (je veux dire bien sûr, les portraits) et où Alain Rousset, sur 6 pleines pages – à tout seigneur tout honneur –, prenait la peine de répondre à douze questions, dont aucune d’ailleurs ne concernait la culture, celle-ci étant entièrement absente de ces 23 feuillets. Les bafouilles des partis à la pendante langue de bois, baignant dans un vert pisseux, y prenaient les deux pages qu’elles avaient déjà dans la Lettre, et je me suis dit qu’il y avait de fortes chances pour qu’il s’agisse du remplaçant éditorial en transition.
J’ai souvent dit combien la région Aquitaine, grâce à la présence du basque, s’était montrée plus décidée et créative en matière de promotion des langues régionales que le Limousin et qu’il ne pourrait pas nous arriver pire que ce que nous avions connu. Tout bien considéré, il se pourrait que je me sois trompé.
En tout cas, ici nous les aurons toutes avalées, toutes. Je dis nous en pensant aux acteurs impliqués dans la valorisation de l’occitan limousin, mais je ne veux pas parler pour les autres, qui peuvent très bien le faire eux-mêmes. Moi, en tout cas, pour ma part, je n’oublierai pas le sort fait à la Coordination Occitane du Limousin, la manière dont tous les élus, et la région même, l’a traitée par le mépris. Je n’oublierai pas la superbe et les promesses non-tenues par le président de région Jean-Paul Denanot, en particulier sur la réalisation d’une enquête sur ce que les Limousins souhaiteraient pour leur langue à l’agonie (voir ci-joint). Je n’oublierai pas l’incroyance arrogance et suffisance du conseiller Jean Daniel lorsqu’il reçut le 11 juin 2014, non la Coordination, mais quelques personnalités occitanistes triées sur le volet (pantalonnade à laquelle je regrette infiniment d’avoir participé). Je n’oublierai pas non plus la désinvolture insultante de Catherine Rolland (Direction du développement culturel) qui, malgré ses engagements, ne donna aucune espèce de suite à cette rencontre (voir le même article). Je n’oublierai pas comment, dans quel isolement, Estela Urroz, élue du Parti Occitan à la région, s’est battue pour réclamer la réunion du Conseil académiques des langues régionales au rectorat de Limoges, qui est pourtant de droit. Mais elle se battit néanmoins en pure perte. Je n’oublierai pas enfin le silence assourdissant qui semble avoir saisi depuis la plupart des militants et acteurs associatifs qui portaient envers et contre tout ce combat légitime pour la pluralité linguistique décidément si difficile à mener en France en général, et en Limousin en particulier, terre de la francophonie exclusive où la chasse aux patois n’a de fait jamais cessé.
Que reste-t-il aux Limousins, qui plus est depuis qu’ils ont appris qu’ils ne vivent plus en Occitanie, après l’OPA des Languedociens pour s’en assurer l’exclusivité ? On se le demande… Une chanson peut-être ?
Jean-Pierre Cavaillé
Non, Estela Parot-Urroz , figurait en 2010 au 2ème tour sur la liste Denanot, comme représentante du Partit Occitan. Merci de bien vouloir rectifier car cette étiquette est souvent passée sous silence, en particulier sur ce blog. L'existence d'un (petit) mouvement politique occitan ne semble pas rentrer dans les schémas de pensée de l'auteur... ni des "culturels" occitanistes limousins qui sont toujours restés dans le culturalisme poli et respectueux des élus (politique occitaniste = caca). Jean-Pierre Cavaillé reconnaît lui même, a posteriori, que c'était une impasse... mais il y a bien participé. Alors, redonnons aux autonomistes occitans la petite place qu'ils ont pû avoir à un moment dans la "région Limousin". Merci de rectifier.