Jeunes filles Yanomami photographie instantanée de Raymond Depardon
« Qui va nommer les choses ? » Depardon : Donner la parole
Je suis allé voir, à la Fondation Cartier à Paris, dans le cadre de l’exposition Terre natale, ailleurs commence ici (21 nov. 2008-15 mars 2009, le film de Raymond Depardon Donner la parole (Balhar la paraula), ou comme le dit la traduction anglaise, que je préfère, Hear them speak (Escotatz los parlar).
C’est une œuvre belle et terrible sur ce que veut dire appartenir à travers sa langue à un lieu, ou par le lieu à une langue, quand on a la mort aux trousses, et dans une situation où la parole est le seul viatique, le seul secours et la seule arme. Depardon donne à entendre cette parole, en plaçant devant lui et devant nous les gens qu’il filme, à l’occasion de ses voyages en Amérique du Sud, en Afrique et… en France, face à face devant la caméra, là où ils vivent. Ils parlent évidemment leurs langues natives, une évidence qui n'en est pas une dans l’univers du documentaire et du reportage. Leur voix n’est pas recouverte par celle d’un traducteur : un simple sous-titrage permet de suivre leurs paroles. Tous disent leur attachement à ce qu’ils sont, à ce qu’ils parlent et au lieu où ils vivent, alors que ce lieu, cette langue et tout ce qui les constituent sont devenus, pour eux-mêmes, une malédiction. Ils font en effet tous partie de groupes menacés à plus ou moins brève échéance d’extinction, de disparition, et même, peut-on dire, sans que la parole ne soit trop forte, d’extermination. Ce qu’ils voient et ce qu’ils vivent, c’est la mort de leur langue et de leur culture, la dévastation des lieux, la misère, la maladie et les persécutions mêmes pour certains d’entre eux. Beaucoup doivent affronter leur propre mort, individuelle, comme la mort même de tout ce dont ils ont la conscience aiguë d’être les dépositaires : langue, mémoire, savoirs faire, modes de vie... Car ils savent qu’ils vont emporter avec eux leurs mondes dans la mort. Or, il ne s’agit jamais, comme on voudrait si souvent nous le faire croire, de sociétés qui disparaîtraient d’elles-mêmes, victimes de leur obsolescence, mourant doucement de leur belle mort, mais bien de groupes humains dominés et anéantis, victimes de conflits de tous ordres, économiques, politiques, culturels, dans lesquels ils se trouvent, objectivement, à la place des perdants, à la place de ceux qui n’ont rien à gagner, mais seulement à perdre, perdre ce qu’ils ont, ce qu’ils sont et les mots pour le dire. C’est cette perte qu’ils disent, mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, le refus de la résignation, le défi relevé, à travers la caméra, yeux dans les yeux, dans l’affirmation de ce qu’il sont, en leur propre langue. Car, comme le dit Depardon, « Ils sont en colère. Tout comme les paysans de La Vie Moderne. Derrière cette colère, il y a du désespoir, du tragique. De la résistance aussi. Prenez les Yanomamis. Mais en réalité cette sagesse cache un volcan. Ça fait longtemps qu’ils sont politisés » (entretien pour le Monde2 n° 249, 22 nov. 2008)
Occitans et Bretons entre Afars et Guaranis
Parmi eux, entre eux, entre Afars et Guaranis, figurent un occitan du Pont-de-Montvert et une bretonne de l’île de Sein. Ainsi pour la première fois, au moins en France, un film fait entendre l’occitan et le breton en les hissant à la hauteur des langues des peuples autochtones. Je dis bien, sans ironie, en les hissant, en les élevant, car dans les représentations, dans les discours audibles, ceux des médias et les discours officiels, ne sont précieuses et dignes d’intérêt, voire objets de fascination et d’enthousiasme, que les cultures et les langues des peuples premiers (ce n’est pas le lieu de discuter ici la formule). On se souvient de l’engagement de Chirac pour la culture et la langue Inuits… Pour les bouseux qui patoisent encore aux quatre coins de France, un infini mépris… J’ai parlé de représentations et de discours, parce que la réalité que nous donne à voir Depardon, est tout autre : le massacre, sinon physique (encore que…), du moins social (car il s’agit bien de la destruction de sociétés entières) et certainement culturel continue partout de plus belle. Quant à la passion chiraquienne pour les peuples premiers, qui nous vaut le musée du Quai Branly, elle n’est tout de même pas allée jusqu’à, favoriser l’enseignement des langues indigènes de Guyane (voir à ce sujet les dossiers récents de la Setmana sur l'arawak et le palikur, n° 694, du 25 au 31 déc. 2008 et n° 699, du 29 javier au 2 février 2009), pour prendre un exemple qui s’impose en visionnant le film de Depardon. Quoi qu’il en soit, nous sommes infiniment redevables à Depardon qui, au moins pour les happy few fréquentant la Fondation Cartier (j’y reviendrai en conclusion), placent nos langues et nos cultures à la même hauteur, ni plus ni moins, que celles des Afars et des Yanomamis. Et ça marche ! J’en veux pour preuve le dossier du Monde2 dithyrambique, alors que jamais le grand journal du soir n’a montré la moindre sympathie ni le moindre intérêt pour nos revendications linguistiques. Cela est-il le signe d’un changement ? On est loin du compte, lorsqu’on lit par exemple, sur Artscape, Panorama de l’actualité culturelle à Paris, que l’on entend dans ce film un « paysan occitan parlant le patois »… Certes, le paysan en question, Raymond Privat, dit lui aussi « patois » (patés), mais il se trouve que « son » patois (on m’excusera de répéter les choses qui doivent être répétées) n’est pas « le » patois, partout le même et partout différent, toujours inaudible et bredouillant, mais de l’occitan, sous une variante dialectale languedocienne.
Hear them speak / Écoutez les parler
Une partie importante des mots prononcés au cours du film est reprise dans un petit livre en vente à la fondation[1]. Il contient aussi quelques visages et quelques voix transcrites, absentes du film. L’ouvrage propose une mise en page et en image à l’imitation d’un cahier de voyage à petits carreaux avec des liserés rouges pour marquer les marges et présente ainsi un petit côté propret et gentillet en complet décalage avec ce qui s’y trouve consigné : propos et photographies. instantannées. Le travail de transcription des langues originales , à l’encre rouge, semble soigné (il est en tout cas à peu près convenable pour l’occitan). Il est accompagné d’une traduction en français et d’une version anglaise. A sa lecture, pour qui a vu le film, la musique des mots et les images reviennent en force… J’en donne ici quelques extraits, pour montrer la portée de ce qui est dit et donner une idée du déroulement du film. J’essaie aussi de restituer une partie au moins de la mosaïque des langues… Sur celles-ci, on trouvera des indications plus ou moins approfondies sur la version anglaise de Wikipedia.
Raúl Edén Ulloa, Kawésqar, phtographie instantannée de Raymond Depardon
Il y d’abord, à l’écran, cette femme Kawésqar de Puerto Eden à Welligton Island au Chili, Gabriela Paterito, qui évoque la vie indienne des nomades de la mer :
Kuo kar kawésquar-s askét ak’ uás jeksólok jehánar k’ejeqánar awóqa k’enák hójok jemmá ku kark jeák-s kuotóksor ka kuteké laálte káwes álæs čas k’éjes kius asáqe ka kuteké awélqe akiói kuteké fája akiói –s alahák er atál hójok kuos.
Nos ancêtres kawésqar campaient sur cette île et entraient en contact avec les Blancs avec qui ils troquaient des peaux de loutre contre des vivres, des vêtements et des allumettes.
Apáika aqasekté jerfesektélær hójok wæs táu terrék ka kuteké málte pána karlájer-s kuosá čkéja eikókče ka kuteké kajésqa jeké jetesekué kčepčé ku jet’ás jeféjes jenák kuosá čečáu jet’áqas jefé-aqás kuósos k’exás aqájeks.
On chassait beaucoup de loups et on attrapait beaucoup d’oiseaux, ce qui nous rendait heureux. On les rassemblait et les mangeait et quand on avait terminé, on embarquait de nouveau sur nos canots.
Désormais il ne reste plus que dix Kawésqar. Elle est la dernière femme….
Kuos ja ak’uás k’uát kerrá sekué kuos jehánar k’ejéqas ka kuteké æs jehánar-s kok pasó ak’uás kerrá kuos afsenák ka kuteké asenák kiarnak ačé sekué kéjer ?
Que se passera-t-il quand les Kawésqar mourront tous ? Et quand je mourrai ? Qui va parler, qui va converser et qui va nommer les choses ?
Chipaya photographie instantannée de Raymond Depardon
Beaucoup plus au nord, sur le haut plateau salé des Andes Boliviennes, à Salar de Uyuni, Justine Condori de Mamni :
Tï Chipay wathkiś qamuź, weth warhaź tik Tïźta tî wathanaka kalamina khissiź.
Je vis dans ce village de Chipaya ; c’est mon village. Mais ce village est devenu une pure calamité.
Anaź ćhul trawaju źelhź wethnaka wathakh hasta.
Uywalla ichśku hasta niźta sufrimintu quamśkaśuź werhnakh.
Il n’y a pas de travail dans notre village.
En faisant paître nos troupeaux nous devons vivre et ne plus souffrir.
Le dénuement, la misère de ces indiens d’Amérique du Sud saute aux yeux, mais leur conscience linguistique est intacte. S’ils ne séparent pas la situation économique, la relégation économique et sociale et la question linguistique et culturelle, c’est qu’en effet elles ne sont pas séparables.
Anaź ti taqu xaqsikinami źelhź. Wethnaka propio taquźtiki.
Cette langue n’existe nulle part ailleurs. Cette langue nous est propre.
Chpay wathkiś tiźta werhnak kuthchi źelućha, ira.
Dans le village de Chipaya, nous sommes habillés par la colère.
Les Mapuche du Chili sont engagés dans un dur et difficile mouvement de lutte[2]. Depardon filme Sofia Caniulaf, dont le mari est emprisonné et qui élève seule ses deux enfants en travaillant la terre. Durant l’entretien elle est saisi par les pleurs sous le regard inquiet de ses enfants. Depardon ne détourne pas la caméra, n’écourte pas, nous donne aussi à voir cela. Dans le livre, on lit en outre cette très belle déclaration d’un homme (de sa famille ?) Elio Caniulaf :
Feimu ta yeniefiyñ petu ta inchiñ ñi kimun, kimun zugun ta tfa femechi feley. Feimu re melituvnmu ta ye niegiñmu ta inchiñmu.
Pour l’instant la sagesse n’a pas disparu, ni le savoir, ni notre culture mapuche, ni notre langue (le mapudungún), ni nos coutumes. Tout est vivant, présent, et nous portons cela comme notre héritage.
En fait ce qui frappe au long de ces déclarations, par lesquelles les gens qu’il rencontre s’approprie le dispositif cinématographique comme porte voix, est la dimension politique d’affirmation de soi. Soit encore les propos de Santa Pará, une Guarani[3] :
Aerã ãy pa aera mi vy oatapa. Jurua guary oguera pa ore yvy rã. Aeguy dapio rã. Aegy dapoovei rootema riv avá.
Aeguy juruá guery renta oruptiyma orembojerema juruá guery ae rã po oreguery doroiko qua a porã vei ma ae rami vy koo juruá guery re ojerovia orpytyvó avá orevype yvy mboae ju ojery avá.
Aujourd’hui on manque de tout. Les Blancs ont pris la terre. Nous n’avons plus la forêt pour être libres.
Les villes sont en train de nous encercler. Elles sont déjà autour de nos villages. Nous ne savons plus comment fuir. Nous essayons de faire confiance aux Blancs pour qu’ils nous aident à trouver une autre terre avec une forêt, avec de l’eau.
Un autre Guarani, William Werá Mirim, renchérit :
Vyma anhente nami oreguery roiko axy aé py roiko axy vaipa. Vy ma orerekoi roiko axy a rami ve ore reko aé guei ae rogueraa. Ore ay vu py ore ay vu nhande py ore ay vu.
É roguereko mboraí roguereko rojerokya roguereko peixa nhanderu re rojevia á roguereko aé vae roguereko.
Yvy runxaí py oreguaí vaé ri…
Aujourd’hui, nous souffrons énormément, mais nous n’oublions pas qui nous sommes.
Nous parlons toujours notre langue, le guarani.
Nous conservons nos musiques, nos danses, nos chants et également notre religion.
Notre petite terre.
Les Yanomami aussi, au cœur de la forêt amazonienne, décimés par les maladies, abandonnés par les « esprits »comme le dit l’un d’eux, menacés par les faiseurs de route et les chercheurs d’or, sont habités et "habillés" par la colère [4] :
Awei, kaho napë wamakini wamare hirii. Wamare yai taimi makii, wamare hirii puo.
Vous les Blancs, écoutez-nous. Vous ne nous connaissez vraiment pas, mais écoutez-nous quand même.
Le chamane Lourival réclame de l’aide, en s’appuyant sur un art magique de la parole et veut croire à une écoute possible.
“Kama pë në rëamu,” ku no mai, himi wama kiki yai hiramai, wamare payeriprai, ware payeriprarii tëhë kami ya nomakema makii hwei ipa wama thë pë taprai huo.
Ne dites pas : « Ils se soigneront seuls » Apportez-nous des médicaments, aidez-nous. Moi, je suis presque mort, mais vous prendrez soin de ceux qui resteront après moi.
Ya thë ã hiririni kami yani ya thë ã utupi hiririni ya thë ã kohipimai, kaho wamakiha ya thë ã kohipimai pihio yaro.
En écoutant ces mots, en entendant l’écho de ces paroles, je les rends fortes à mon tour et je veux qu’elles le soient aussi pour vous.
Oui, vous nous avez rencontrés, alors consolidez ces paroles en vous ! Proférez-les à votre tour avec force.
Raymond Privat photographié par Raymond Depardon
Un besoin
Contrairement à ce que fait Depardon – et une fois encore, il a eu raison de procéder ainsi –, je traiterai nos « indiens » à part, parce que ce que je peux en dire est différent, parce qu’il sont bien sûr aussi dans une situation à bien des égards (mais non certes tous) complètement différente. Ils bénéficient, à leur modeste niveau, du bien être économique de notre pays et évidemment, à condition de parler français, ils sont, eux, des citoyens à part entière ayant formellement les mêmes droits. que les autres Mais la condition est drastique, et c’est contre la citoyenneté monolingue imposée, en l’absence de réels droits linguistiques, qu’ils ont conservé leurs langues natives. Les gens que Depardon a sollicités, en Bretagne et en Occitanie, ne sont pas des militants, pourtant c’est bien cette situation de non droit qu’ils décrivent, en ce remémorant d’abord ce moment fondateur de leur expérience de la diglossie douloureuse qu’est la répression scolaire. Jean-Pierre Spinec, par exemple, de l’Île de Sein dont on lit ces mots dans le livre :
Bet er skol er gêr-mañ, a oa difennet ouzhomp prechañ brezhoneg, zoken e-pas ma vezemp er rekreasin e veze lavaret deomp nompas prechañ brezhoneg hag alies e vezemp puniset abalamour d’an dra-se.
J’ai été à l’école ici ; il nous était interdit de parler breton. Pendant la récréation on nous défendait de parler breton, et souvent on nous punissait pour ça.
Raymond Privat, de Pont-de-Montvert, figure fétiche des Profils Paysans et de la Vie Moderne, rappelle une expérience similaire :
A parlar realament francés, non ai pas après que quora anèri a l’escòla a cinc ans, la mèstra qu’èra una persona de l’anciana nos aviá pas… puèi quora ne venguèt una autra mèstra, un pauc de temps apuèi, quora nos entendiá parlar a la recreacion, entre nosautres tanben parlavem patés e quela « domaisèla » nos rapelava a l’òrdre.
Je n’ai appris à parler réellement le français qu’à cinq ans, quand je suis allé à l’école. La maîtresse, qui était une personne à l’ancienne ne nous avais pas…[5] Puis est arrivée une nouvelle maîtresse qui, quand elle nous entendait parler à la récréation, nous rappelait à l’ordre.
Privat ajoute un plaidoyer pour ce qu’il appelle bien « une langue » :
Es una lenga que « bien sûr » aquò es un pauc nòstra vida, nòstras racinas.
Dins lo païs, tota la nòstra region aicí parla coma aquò, aquò es pas la question ni de politica, ni de drecha, ni de gaucha, aquò es « presque » un besonh.
Cette langue, c’est bien sûr un peu notre vie, nos racines. Ici, dans notre pays, dans toute notre région, on parle comme ça, ce n’est pas une question de politique, ni de droite, ni de gauche, c’est presque un besoin.
Notons bien que ce « pas de politique » renvoie à la partition traditionnelle entre gauche et droite qui, en matière de langue, n’entre pas en compte, de fait ; si tel était le cas, nous le saurions depuis longtemps. La toute rouge et rose Haute-Vienne en donne parfaitement l’exemple. Au sens de la gauche et de la droite, de fait, historiquement, dans le courant d’une vie d’agriculteur au Pont-de-Montvert, la question linguistique n’est ni de droite, ni de gauche, et donc, en ce sens, n’est pas « politique », au sens où sa politisation n’est pas audible dans les débats. Cela ne signifie pas, évidemment, sans vouloir faire dire à Raymond ce qu’il ne dit pas, que la mort de la langue n’est pas une question politique.
Enfin, il me faut citer la phrase de l’entretien, dont la proposition entre guillemets est mise en avant partout, et à mon avis, mal interprétée, du fait de sa belle ambiguïté :
« Aimi pas lo monde que parlan francés », res[s]egariái pas de díser aquò mas enfin, reconeissi qu’es vertat aquò.
Mais de là à dire : « Je n’aime pas les gens qui parlent français », je ne risquerais pas de dire ça [je ne le rabacherais pas], mais enfin, je reconnais que c’est vrai.
Ainsi Raymond, atteindrait-il, finalement, mine de rien, le comble de l’incorrection politique, en déclarant que tous comptes faits, oui, voilà, il n’aime pas les gens qui parlent français ? En fait, lui même, bien sûr parle français, et ce n’est pas de cette façon, à l’audition (et non à la lecture, mais il s’agit bien d’une déclaration orale !), que je comprends cette phrase. Il me semble que Raymond dit, simplement, que ce qu’il reconnaît être vrai, c’est qu’il ne risquerait pas de dire [qu'il ne rabacherait pas, voir les commentaires ci-dessous] qu’il n’aime pas les gens qui parlent français, ce qui évidemment prend un tout autre sens. Mais, je n’y mettrai pas ma main à couper : il faudrait que l’autre Raymond, celui qui filme, le lui demande…
Pas de Cartier pour les pauvres !
Pour finir, il faut bien dire quelque chose du cadre, du lieu où se filme est donné à voir et de la fondation qui sans doute l’a financé. Le verra-t-on du reste ailleurs ? Et si oui, où ? et quand ? Devant le très luxueux immeuble de verre de la fondation Cartier du boulevard Raspail, j’éprouvai d’abord un certain malaise, en voyant s’étaler devant moi la photo de Raymond Privat sur quatre mètres de hauteur. Cette mise en gloire du paysan dans son champ me paru vraiment disproportionnée, extravagante et tape à l’oeil. J’ai tout de suite pensé que si l’on peut faire ainsi d’un paysan des Cévennes une icône, c’est que le métier de paysan lui-même était vraiment terriblement menacé. Ensuite, je n’ai bien sûr pas pu ne pas me dire que l’industrie du luxe qui finance la fondation, se nourrit aussi, évidemment, des exactions des chercheurs d’or, sinon en Amazonie, de toute façon ailleurs dans le monde, et représente en tout cas, non seulement au niveau matériel, mais aussi symbolique, les forces qui conduisent les sociétés dites traditionnelles à l’anéantissement. Enfin, je me suis demandé ce que ce film, dans ces conditions, pour ce public très choisi, voulait dire. Je suis certain que beaucoup ont partagé la révolte de ceux qui leur parlaient, face à face, sur l’écran. Cependant, le cadre de l’exposition, me semble-t-il, rendait une autre réception possible, où le dernier souffle des peuples « premiers » – occitans et bretons compris – ne servait qu’à créer un simple, un misérable frisson esthétique dénué de toute portée morale et politique. Et là, tout à coup, j’ai eu très froid.
Jean-Pierre Cavaillé
[1] Raymond Depardon, Donner la parole, Fondation Cartier, STEIDL, 2009
[2] Voir le rapport très complet de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ; le site genevois de la Tribune des droits humains, et l’article de D. Namuneura Serrano, « Priorité au combat politique », paru dans le Courrier International, Fiers d’être indiens, Hors Série, juin-juillet 2007.
[3] Sur les luttes des Guarani, voir le site de Survival.
[4] Sur les luttes des Yanomami, voir par exemple le site Terra Brasilis.
[5] Je change la traduction du livre, qui explicite ici le sous-entendu.
Aimariai plan de saupre çò que de monde tant rics e ensenhats , que mantuns còps tenon lo mejan de comandar los òmes e los eveniments , venon cercar dins aquela mòstra?
Lor cal Depardon per comprendre? Lo luòc ufanos de la fondacion Cartier?
Lo Monde se revèlha enfin. Vertat que mantuns còps me pensèri que lo jorn que los politics e los poderos , començaran de se trachar de nosautres , e de las lengas "regionalas", aquò's serà que serem arenduts. Bastir un musèu pels pòbles primièrs qu'es jà de senhar lor mòrt ? Se bastisson de musèus pel monde vivent?
Vertat tanben çò que dison sus l'estacament a la tèrra, al ròdol. Me soveni de l'arrancament quand partiguèri per trabalhar a Paris, comprenguèri sul pic , que tot èra cambiat e que ren tornaria coma avant.
Per contre quand Raymond ditz o "ressegariai" pas, per ièu, que vòl pas o "tornar dire", ressegar , per que deguèt d'o dire un còp, qu'aimava pas lo monde que parlava françès . Probable que parlava dels vesins d'en primièr, puèi dels païses, amai dels franchimands percebuts, coma quitament estrangièrs elses .
De segur que los aujòls se mesfisavan fòrça, de los que parlavan pas "patès" .
Mas benlèu que m'engani...