Enfin une politique linguistique en limousin ?
dessin de J.-M. Simeonin
Enfin une politique linguistique en limousin ?
Le dernier numéro de la feuille périodique du conseil régional, La Lettre du Limousin n° 73 présente une double page consacrée à l’occitan limousin : « Limousin, terre occitane et après ? » La première chose qui frappe la vue est un encart coloré où est signalé triomphalement en grosses lettres que, chaque année, 100 000 euros sont consacrés par la Région « au soutien de la culture occitane ». Soit. Il faut reconnaître que la Région est l’un des seuls soutiens conséquents et fidèles des initiatives associatives en faveur de l’occitan, mais tout de même, il aurait fallu un peu expliquer comment cette somme est distribuée et dans quels objectifs ; ce qui du reste, aurait permis de faire apparaître des partenaires importants dont les noms ne sont pas même mentionnés (Calandreta notamment). Pour ceux qui trouveraient ce budget excessif, rappelons que le budget total des francophonies de Limoges était en 2003 (je n’ai pas trouvé de chiffrage plus récent) de 1 500 000 euros
Par ailleurs, le dossier est essentiellement constitué de courtes (beaucoup trop courtes) interventions, de quelques élus (en bien petit nombre) et d’acteurs culturels impliqués dans le combat de la transmission et de la promotion de la langue. Ainsi, pour une fois au moins, la voix de ces derniers se fait entendre : les limousins, dit Jan Dau Melhau, « sont les victimes d’un colonialisme intérieur qui les porte au dénigrement de ce qu’ils sont, à la négation de leur identité occitane, les incite à la passivité face à la domination culturelle du français ». L’écrivain, conteur, chanteur, musicien, éditeur ajoute que nous ne pourrons sans « volontarisme politique [...] sauver [...] une langue qui a reculé depuis trente ans ». Dominique Decomps présidente du CREO (Centre régional d’enseignement de l’occitan), déplore la situation extrêmement défavorable pour l’enseignement de la langue (lire son intervention lors des Assises de l’occitan en Limousin, le 25 mars 2006, auquel aucun représentant de l’académie n’avait daigné assister) : « le développement de l’enseignement de la langue dans les écoles du Limousin est en partie bloqué... par des limousins de milieux occitanophones, qui, parce qu’ils ont le sentiment d’avoir « réussi » socialement, ne veulent plus entendre parler de ce qu’ils voient uniquement comme le patois de leurs grands-mères ! » L’analyse est juste : les ennemis les plus farouches de l’enseignement de la langue et plus généralement de sa transmission (et Dieu sait qu’il n’en manque pas en Limousin !), parmi les élus et dans les administrations, sont bien souvent des gens qui ont été en contact avec la langue et qui se sont construits, socialement et psychologiquement, contre elle. Car, que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit bien sûr pas d’opposer un occitan lettré au patois des grands-mères, mais de considérer ce « patois » là comme une langue à part entière, associée à une culture et à une civilisation, auxquelles appartiennent en effet aussi des oeuvres littéraires de première importance obstinément méconnues. Le volontarisme politique est essentiel, mais il est clairement inséparable d’une revalorisation par les Limousins eux-mêmes de leur propre langue (c’est pourquoi d’ailleurs il est si important de parler d’occitan limousin et non d’occitan tout court) et de leur propre culture ; l’un et l’autre se soutenant mutuellement, mais nous sommes encore très très loin d’une telle dynamique. Le nombre très restreint d’élus limousins ayant appelé à la manifestation de Béziers du 17 mars dernier, dont les revendications étaient pourtant strictement culturelles, est très significatif de ce passif et de cette passivité.
C’est pourquoi, Jean-Marie Caunet, directeur de l’Institut d’Etudes Occitanes du Limousin a raison d’envisager une telle dynamique à l’échelle interrégionale, où elle est une réalité, fort modeste encore, mais indéniable : « L’occitan peut se développer à nouveau parce qu’il a atteint la masse critique nécessaire pour sortir d’une torpeur relative. Dans ce contexte, tous les conseils régionaux d’Occitanie ont une responsabilité historique face à cette langue et à cette culture. Cette responsabilité doit s’exercer vis-à-vis des générations qui viennent. Elles nous poseront des questions sur ce qu’on a fait de leur environnement naturel et de leur écologie culturelle et linguistique. Voilà pourquoi nous souhaitons que le Limousin s’intègre à 100 % dans une démarche interrégionale en faveur de la langue occitane... »
Mais il est très significatif et très inquiétant qu’il ne soit pas relayé par les acteurs politiques qui n’envisagent guère que le seul développement de l’enseignement, et comprennent par là principalement une meilleure prise en charge de celui-ci au sein de l’Éducation Nationale. Ainsi ne peut-on certes reprocher à Henri Bassaler, pourtant conseiller régional délégué à la valorisation de la culture occitane, de se montrer d’un enthousiasme excessif. Il rappelle que nous sommes « dans un contexte de pénurie budgétaire du fait de l’État » et ne fait d’autre proposition concrète que le renouvellement de la demande à la rectrice d’académie de constituer le Conseil académique des langues régionales qui, faut-il le rappeler, ne s’est jamais réuni en Limousin, ce qui est un déni flagrant de légalité. On voit difficilement comment on pourrait faire de plus timides propositions. Quant à Michel Delagranne, président du CESR (Conseil économique et social régional), il se contente de rappeler que le code de l’éducation « prévoit qu’un enseignement de langues et de cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage ». ce faisant il utilise d’ailleurs les termes exprès dudit code. Et comme il est bien parlé de « possibilité », personne n’est obligé à rien, et d’autant moins qu’il suffit de dire qu’une langue n’est pas ou n’est plus en usage (comme certains ne manquent pas de l’affirmer) pour rendre inutile toute forme de convention (voir ce qui se passe en Île-de-France). C’est dire tout l’enthousiasme et la foi en l’avenir que peut susciter la lecture de ces propos, où le souci majeur semble bien de rappeler qu’il ne s’agira en aucun cas de « remettre en cause l’unité linguistique nationale ». De ce côté nous sommes parfaitement rassurés !
De plus ces deux grandes pages présentent une caractéristique tellement évidente, qu’elle pourrait passer inaperçue. Elles sont entièrement rédigées en français et ne contiennent donc pas la moindre ligne en limousin. Cela, à mon avis, est tout à fait symptomatique et préoccupant. Les habitués de La Lettre du Limousin auront pourtant remarqué un modeste, très modeste, trop modeste effort pour mettre dans ses derniers numéros quelques petites lignes en limousin, intégralement traduites en français. Cette fois, on a sans doute jugé, que de l’occitan il n’était déjà que trop question... Bien sûr, concernant cette initiative, de donner quelques bribes de langue, on pourra considérer qu’elle est en tout cas un « progrès » par rapport au reste de la presse limousine qui, à ma connaissance, ne publie plus rien et depuis belle lurette en limousin… Au moins, dira-t-on, fait on l’effort d’assurer une présence symbolique de la langue... Symbolique est le mot, mais lorsque l’on se résout à ce qu’une langue ne soit plus qu’un symbole, c’est que l’on en accepte la mort. Une langue vivante sert à la communication et à la création, elle ne saurait se résoudre à devenir une icône culturelle sans accepter sa propre mort.
J.-P. Cavaillé