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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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21 décembre 2019

Les Macariennes, polémique Janséniste en occitan

63-88-114-5578

Antijésuitisme gascon

 

A propos de : Les Macariennes. Poème en vers gascons, trad. Française de Bernard Manciet. Texte établi et présenté par Guy Latry, Les éditions de l’Entre-deux-mers / CLEM, 2019.

 

« Macariennes » n’est pas une injure ni un mot leste (rien à voir avec « macarel »!). C'est le nom des habitantes de Saint-Macaire. Nombre de Macariennes étaient recardeyres / recardièras (marchandes) et descendaient la Garonne en bateau pour vendre aux halles de Bordeaux et déjà sur le bateau lui-même à en croire ce long poème gascon (plus de 1500 vers) en octosyllabes, de 1763, qui leur donne la parole, ou plutôt fait semblant de la leur donner (Requeste de les recardeyres de Semmacari à Messius dou Parlamen, en fabou dous Jûistes). Il vient d’être republié dans une très belle édition par Guy Latry avec une traduction – en décasyllabes rimés s’ils vous plaît – de Bernard Manciet à ce jour inédite.

En sa version originale l’ouvrage porte en couverture comme lieu d’édition « à Nankin, chez Roman Makarony à l’enseigne de la Vérité ». Par ces seules références sous son titre les contemporains un tant soit peu lettrés comprenaient qu’il s’agissait d’un pamphlet antijésuite et hostile aux soutiens ultramontains des bons pères, bref un pamphlet philo-janséniste stigmatisant les pratiques des Jésuites en Chine (c’est la querelle dite des rites qui les accusaient en Chine d’avoir cédé à des rites idolâtres pour y couler un ersatz de christianisme), mais surtout en Europe et en France, dans le contexte d’une montée en puissance de leur mise en accusation politique. Celle-ci venait de conduire à la suppression par le Parlement de Bordeaux de leur institution à Saint-Macaire. Cette condamnation s’inscrivait dans le mouvement d’une attaque générale, au niveau européen, la Compagnie était de toutes les malversations financières, de déviances théologiques et morales et surtout de tous les maux politiques, en particulier celui de leur capacité à soutenir et perpétrer des assassinats de monarques, en France et ailleurs. Ces accusations allaient conduire à leur expulsion de France, en 1764 et à la dissolution de la compagnie en 1773 par Clément XIV.

Nos Macariennes, elles, clament leur amour et soutien inconditionnel des bons pères dans leur requête au parlement. Mais il s’agit en fait, sous le couvert de l’apologie et de l’éloge, d’une satire qui accable les Jésuite par l’ironie, sur le modèle éprouvé des Provinciales de Pascal. C’est pour une part ce qui rend cette longue pièce très drôle et agréable à lire, dans un gascon très tenu (de la vallée de Garonne, celui de Saint-Macaire justement), même si la graphie porte de nombreux indices de francisation1.

Les recardeyres ont beau se présenter comme de pauvres ignorantes, tout comme leurs maris (« n’an pas estudiat »!) qui, dans un second temps et contre elles, interviennent pour remercier le Parlement (il s’excusent d’ailleurs de parler gascon, mais c’est qu’ils ne savent pas faire autrement !2), ce texte est un divertissement lettré en même temps qu’un pamphlet janséniste. Il exploite en effet de multiples références (historiques, théologiques, etc.) qui passent loin au-dessus des têtes macariennes. Les Macariennes, qui traitent de « mansénistes » (jansénistes) tous les ennemis des Jésuites, avouent elles-mêmes que les tenants et aboutissants de ces querelles leur échappent. Et ce n’est pas pour elles, certes, que l’auteur (peut-être tel Girardeau, curé des environs) ajoute des notes en bas de page en français, produisant des références bibliographiques et explicitant les enjeux. Le terme même de « macariennes » est d’ailleurs une allusion à l’histoire de l’Église et aux textes de Saint-Augustin (saint patron des Jansénistes!). Macariens étaient en effet le nom que les Donatistes – branche dissidente du christianisme – donnaient aux catholiques, du nom de Macaire, le consul que l’empereur Constant avait envoyé pour persécuter ces prétendus hérétiques en l’an 348.

L’auteur acclimate à Bordeaux et en occitan un modèle éprouvé en français depuis le début du XVIIe siècle : celui des pamphlets en prose et en vers faisant intervenir les harengères des halles de Paris (par exemple la Réjouissance des harengères et poissonnières des Halles, sur les discours de ce temps (1614), puis pendant la Fronde la Micarême des harengères, ou leur Entretien sur les affaires de lÉtat (1649). C’est sans doute l’exploitation qui est faite en certaines de ces pièces de la langue des harengères (qui suffirait à elle seule à démolir le mythe du francien) qui a inspiré à l’auteur le passage à l’occitan. Soit cet exemple, tiré d’une mazarinade : « je somme bian affligé de ce malheur ; j’en auron raison, ou je mouron dans la peine […] si je faison bien tretoute noute devoir, je vailleron chacune un grand coup de coustiau dans la bedaine de celuy qui a fait la mechanceté... » (Le caquet des marchandes poissonnières et harengères des Halles, sur la maladie du duc de Beaufort, soupçonné de poison, 1649). On le voit, il y faudrait presque une traduction, et il semble en effet que les harengères parlaient bien plus ou moins de la sorte. Mais surtout, on trouve au XVIIIe siècle diverses « requêtes » de harengères, dont, pendant la régence, en style poissard, une Requête présentée par les harengères de la Halle de Paris à Mr le duc d’Orléans. Nos recardeyres sont donc l’équivalent bordelais des harengères et leur requête, comme de droit, s’adresse au parlement de Bordeaux.

 

Sur le sens du texte, aucune équivoque n’est possible, car une citation en exergue de Saint-Paul – misogyne cela va de soi – annonce d’emblée la couleur : « fuyez […] ceux qui qui s’introduisent dans les maisons, et qui traînent après eux comme captives des femmes chargées de péchés et possédées de diverses passions. ». Voici donc les Jésuites et leurs admiratrices captives et peccamineuses qui réclament en faveur de leurs maîtres spirituels. Mais, il faut avertir le lecteur : jansénisme oblige, on ne trouvera dans le texte rien de scabreux ou du moins d’obscène, voire d’indécent ; les Macariennes, par leurs propres mots, sont moquées, mais non trop accablées ce qui, somme toute, rend le texte enjoué, presque bonhomme, même si le discours complotiste antijésuite s’y déploie sans retenue. D’ailleurs, au passage, cette pièce montre, en acte, comme tant d’autres textes hostiles à la Compagnie produits à l’époque (les Jansénistes n’étaient certes pas leurs seuls ennemis), que le complotisme d’aujourd’hui n’a rien inventé : on prêtait aux Jésuites le projet de manipuler et contrôler en secret tous les États du monde et tous les attentats contre des souverains leurs étaient attribués3.

Ah les Jésuites, disent nos Macariennes, quels prêcheurs ! Et quel ennui, le curé, à côté d’eux ! « Dan soun Pater, dan soun Abé, / Coume es den noste Catechisme ;/ Lou Prone, toutjoun , même rime ;/ A force d’auzi même toun,/ Fau bien droumi den soun Sarmoun […] Més louJûistes :ma foy gare / Acos un aute tintamare,/ Batten des Mans, crachen Latin/ […] / Aco coumence, aco defile:/ Nous aus nentenden pas aco,/ Més ni perden rés per aco  » (« Avec son Pater, avec son Avé,/ comme il en va dans notre catéchisme ;/ Le prône, toujours même rime ;/ A force d’entendre le même ton,/ on ne peut s’empêcher de dormir dans son Sermon/ […] / mais les Jésuites, ma foi gare / c’est une autre tintamarre,/ Ils battent des mains, crachent latin/ […] / ça commence, ça défile:/ Nous autres n’entendons rien à ces choses là,/ Mais nous ne perdons rien pour cela »4).

Et puis, ils savent y faire avec les dames, le confessionnal avec eux est un vrai plaisir ! « D’ambets : den lur counfessiounau/ Troben remedes à tout mau./ Soun cousoulans, pouin rebutayres. » (« Avec eux, dans leur confessionnal / Nous trouvons remède à tout mal./ Ils sont consolants, ne nous rebutent pas »). Leur morale est accommodante et le salut de facile accès : « Dou Ceu facile, hezen l’entrade,/ Acos doun, soque nous agrade./ Nous aus ne poden pas juna, / Nous permetten de dejuna./ En benden noste marchandise,/ Disen toujoun cauque soutise,/ Sur l’aigue, atau, den lou batteu,/ Quan benen ou ban à Bourdeu:/ Nous demanden, ces per malice ;/ Disen noun. Ets… Diu bous benisse » (« Du Ciel, facile ils font l’entrée,/ c’est ça qui nous plaît./ Nous ne pouvons jeûner,/ Ils nous permettent de déjeuner,/ En vendant notre marchandise,/ Nous disons toujours quelque sottise,/ Sur l’eau, comme ça, dans le bateau,/ Quand on vient aux bancs à Bordeaux:/ Ils nous demandent, si c’est par malice ;/ Nous disons, non. Eux : Dieu vous bénisse »). Leur enseignement religieux est rassurant, puisque le salut est affaire de volonté : « La porte dou Ceu es barrade, / S’oubris d’une boune poussade/ [...]/ Ayde te doun, Dius l’aydera » (« la porte du Ciel est fermée,/ Elle s’ouvre d’une bonne poussée/ [...] / Aide-toi donc, Dieu t’aidera »), mais une note précise que cette « expression gasconne » est « demi pélagienne » (c’est-à-dire donne trop à la volonté humaine et insuffisamment à la grâce de Dieu) !
Quand les bons pères s’en reviennent de Rome, ils ramènent à leurs dévotes de petits cadeaux : des « passecouleres » (savoureuse adaptation gasconne de « scapulaires »), des agnus, chapelets, médailles prétendument « bénits » par le Pape, « auxquels ils attribuent une grande vertu » précise une note : superstitions dévotieuses qui choquent la rigueur janséniste (ils avaient pourtant eux-mêmes leur miracle de Sainte-Épine et surtout leurs convulsionnaires !).
Mais il y a bien plus grave et, dans leur insondable naïveté, nos marchandes dévoilent la vraie nature des Jésuites : ils sont passés maîtres en escroquerie, mensonge et dissimulation. C’est là une vieille vulgate de l’antijésuitisme. N’ont-ils pas promu l’usage des équivoques et des restrictions mentales ? Leur réputation est telle à ce propos qu’il suffit aux Macariennes de dire « Aumen surtout que soun cinceres » (« Au moins surtout qu’ils sont sincères »), pour faire rire le lecteur et ouvrir grand la porte à la dénonciation – sous couvert d’éloge – à la théorie du complot général de cette armée de caméléons capables de prendre toutes les couleurs en tous les pays : « Lur pâys natal es pertout / Soun Chinoûas qu’an soun à la chine,/ An la chinture mandarine ;/ A Lisboune soun Pourtugués ;/ E doun en France boun Francés: / Soun touts à touts, coume l’Apostre » (« Leur pays natal est partout/ Ils sont Chinois quand ils sont en la Chine,/ ils portent la ceinture mandarine5 ; / A Lisbonne ils sont Portugais, / E donc en France bons Français: / Ils sont tout à tous, comme l’apôtre [Paul, I Corinthiens, IX, 10]).
Bref, les fameux bandits Mandrin et Cartouche, à côté d’eux, étaient des enfants de chœur ! « E que Mandrin n’ere qu’un sot, / Cartouche un bray idiot ; / saûen estat à lur escole / N’auren pas heyt la cabriole » (« Mandrin n’était qu’un sot, Cartouche, un vrai idiot ;/ S’ils avaient été à leur école/ Ils n’auraient pas fait la cabriole » [ils n’auraient pas été exécutés]). Mais surtout ces effrontées de recardieyres, de manière assez peu vraisemblable, soutiennent le tyrannicide en défense de leurs mentors : les Jésuites seraient-ils « les premiers, à apprendre à tuer les rois ? » (« Lous Jûistes soun doun lous permeys,/ Qu’an aprés à tua lous Reys ? ») ; « A Lisboune, Malagrida / Di que lous Reys poden tua/ Chen peccat heze. Ces un crime ? » (« A Lisbonne Malagrida / Dit que nous pouvons tuer les rois / sans commettre de péchés. Est-ce un crime? »). Deux ans auparavant, le jésuite Gabriel Malagrida avait été exécuté pour ce que l’on appellerait aujourd’hui un crime d’opinion. Il ne manque pas non plus d’allusions dans le poème et dans les notes à la condamnation à mort toute récente (1762) de Jacques Ringuet a Paris pour des propos régicides ni à celle par contumace, pour de plus faibles raisons encore, de Jacques Dambrin à Brest, la même année.
Lorsque interviennent ensuite, dans une deuxième partie, les époux matelots de ces dames, c’est pour les contredire en tous points et remercier le parlement pour sa décision (Remerciemen dou Matelots de Semmacari, a Messius dou Parlement). Mais du coup, il ne font surtout qu’enfoncer le clou sur les mêmes sujets avec plus de références et de détails : c’est, disent-ils, qu’ils bénéficient des lectures de leur syndic ! (« Noste Sendic es boun liseur »). Il leur rapporte des lectures terribles comme ce livre où on lit d’immondes obscénités sur la mère de Dieu et une note renvoie aux Assertions, toute nouvelle compilation antijésuite de textes jésuites soi-disant scandaleux (Extraits des assertions soutenues et enseignées par les soi-disant Jésuites, vérifies et collationnés par les commissaires du Parlement, vol. 1, 1762). Cet ouvrage contenait entre autres un extrait d’un livre de Jean-François Pomey, qui promettait au croyant qu’il pourrait voir au paradis, de ses yeux de chair, « le corps adorable de la Vierge Marie », doctrine du reste tout à fait orthodoxe. D’ailleurs quoi que disent les Jésuites, il est toujours légitime d’affirmer qu’ils pensent et laissent entendre le contraire de ce qu'ils disent ! Ainsi de leur proclamée loyauté politique : « Bous diran prou, que soun soumis:/ Dempuy que soun, ec an proumis ;/ Car ets, lou même joun abjurent,/ Se retractent, e se parjurent./ Acos aquy de l’Institut / Lou bray mistere dou salut » (« Ils vous diront bien qu’ils sont soumis:/ Depuis qu’ils existent et ils ont promis ;/ Car eux, le même jour abjurent, / Se rétractent et se parjurent. / Voici de l’Institut / Le vrai mystère du salut »). On voit au passage comment, dans les moments « techniques », si l’on peut dire, de la polémique (abjuration, rétractation, parjure…), le français s’imposent presque naturellement.
Bref, nos matelots un peu trop savants disent-ils pis que pendre des bon pères : « Lur parla doux, en fine mouches, / Col toursut, en sentes mitouches, / Diren qu’an l’ame den lou Ceu, / Qu’an a darauba l’an beleu. » (« Leur parler doux, en fines mouches, / Le col tort, en saintes-nitouches, / Ils paraissent avoir l’âme dans le Ciel / Quand ils l’ont plutôt à voler »). Et il ne manque pas non plus de références à la situation de la maison de Saint-Macaire qui vient d’être fermée : on y apprend par exemple que les « dévotes » des pères, nos Macariennes, donc, s’en prirent violemment (il dut se réfugier à Langon) à « celui qui cria à Saint-Macaire l’Arrêt du Parlement de Bordeaux contre les Jésuites ». Une autre notre dénonce le fait que tous les Jésuites, malgré leur expulsion, ne sont pas partis : « Il y a actuellement à Saint-Macaire un frère jésuite, Banitous, qui est le maître des Archives, de la Sacristie et de la maison ; il y reçoit à manger et à coucher tous les Jésuites qui passent et qui échappent à la Justice ». Derrière ce nom de Banitous, vaniteux en gascon, qui exprime en français le sort souhaité pour les pères (Banitous = tous bannis !) se tient, nous apprend l’introduction, un père Beneytou. En lisant l’ouvrage de Gérard Aubin, on apprend d’ailleurs à son sujet un détail fort intéressant : chargé de percevoir les droit féodaux du prieuré de Saint-Sauveur à Saint-Macaire, cet ex-jésuite fit son travail avec tant de zèle que plusieurs parlementaires bordelais, après avoir avoir condamné les Jésuites, firent appel aux talents de ce Beneytou dans leurs propres affaires6.
Les passages les plus drôles sans doute à l’époque – un peu moins aujourd’hui – de cette deuxième partie, sont ceux où les Macariens disent tout le mal que les Jésuites font à leurs femmes : « Nostes hemnes (les bounes sottes) / Les baquy toutes lurs debotes ; / […]/ Lou precha les ren men douciles. / Quan d’aqui tournen à l’Oustau,/ Un bray sabat, e tout ba mau. » (« Nos femmes (les bonnes sottes) / Les voici toutes leurs dévotes ;/ […] / Le prêche les rend moins dociles. / Quand d’ici elle retournent à la maison, / c’est un vrai sabat, et tout va mal ») ; « Quan sorten dou counfessiounau,/ De deboutioun an bien les marques,/ Birent lous ueuils coume les carpes, / De simagrées tan que fau,/ Més disets rés, que lur sap mau,/ (Soûen que n’en vau pa la pene) / Coume la hemne se demene : / Deden l’Oustau, quau carrillon ! » (« Quand elles sortent du confessionnal, / Elles ont bien des marques de dévotions, / Tournent les yeux comme les carpes, / Des simagrées tant que vous voulez / Mais ne dites rien qui ne leur plaise, / (Souvent ça n’en vaut pas la peine) / Comme la femme se démène : / A la maison, quel carillon ! »). Sainte à l’église, diable à la maison est un vieux lieu commun misogyne, mais il est largement exploité dans la littérature antijésuite pour dénoncer les excès de pratiques dévotionnelles qui éloignent les femmes de leurs devoirs domestiques.
Guy Latry dit dans son introduction qu’il y va dans ce texte de la domination masculine et de l’émancipation des femmes « à l’insu dans doute du rédacteur janséniste du libelle ». Je ne sais pas si l’on peut parler d’émancipation, mais en tout cas des réalités sociales apparaissent dans la satire, sur lesquelles certes le rimeur janséniste ne cherchait pas à attirer l’attention. Ainsi dans le passage suivant qui jette une lumière sur le quotidien de ces Macariennes qui prennent le bateau pour Bordeaux, alors que la seule intention de l’auteur est de se moquer d’elles : « Més cauque cop une pensade / D’une hemne, es si bien tirade / Que la de l’ome ; e per ma foy / N’an qu’un cap, més n’es pas de boy. / Bous diran doun tout en councience, / Nous aus ne soun pa gens de cience, / Més lou boun sens es de per tout, / E lous savens ne l’an pas tout. / Den lou bateu, quan soun a masse, / Cadune y ten aqui sa place,/ L’on y resoune, l’on s’apren, / Dous Moussus s’y troben soûen / Qu’an legit, qu’an courrut lou mounde,/ Parlen à toutes à la rounde,/ A l’une asso, l’aute cecy,/ S’an un marit, s’es louin d’acy ;/ E puy aprés cauque nouere/ De tems en tems cauque chimere » (« Mais parfois une pensée / D’une femme est aussi bien tirée / Que celle de l’homme, et par ma foi / Nous n’avons qu’une tête, mais elle n’est pas de bois. / Nous vous dirons donc tout en conscience, / Nous autres ne sommes pas gens de science, / Mais le bon sens est partout, / Et les savants ne l’ont pas tout. / Dans le bateau, quand sommes ensemble, / Chacune y tient ici sa place, / L’on y raisonne, l’on sy apprend, / Des Messieurs s’y trouvent souvent / Qui ont lu, qui ont couru le monde / ils parlent à toutes à la ronde / A l’une disent ceci, à l’autre cela / Si elles ont un mari, s’il est loin d’ici,/ Et puis après quelque nouvelle, de temps en temps quelque chimère »). On s’y croirait, sur ce bateau, avec ces ricardeyres entreprises par des messieurs qui ont lu et voyagé… Et il va de soi que cet aperçu de sociabilité ordinaire est porté et amené par l’usage de la langue vernaculaire.
Je m’aperçois que je n’ai guère parlé de la traduction du grand Manciet. Il est toujours mieux, au demeurant, de traduire les vers par des vers. Mais là, en l’occurrence, Manciet s’est imposé de lourdes contraintes (pieds et rimes) qui l’ont souvent écarté de la lettre du texte. Or un texte de ce type, aussi éloigné de nous dans le temps et par l’esprit, a besoin d’être rendu le plus littéralement possible, et toutes les informations possibles sur le contexte sont les bienvenues. C’est pourquoi du reste je me suis permis d’apporter ces quelques précisions que j’avais à ma disposition et qui complètent, je crois, toutes celles que donnent Guy Latry dans son introduction.
Jean-Pierre Cavaillé

1 Ceux-ci sont supprimés par l’autre édition, toujours disponible : abbé Girardeau, Las macarienas. Requèsta de la recardièras de Sent Macari a Messiurs deu Parlament en favor deus Juïstas, éd. Grosclaude, Per Noste, 2002. Il va de soi que ce choix transforme considérablement le texte, car l’auteur joue aussi avec le français (surtout dans les rimes) dans le texte gascon lui-même ; le système diglossique permet d’exploiter en fait les ressources du bilinguïsme.

2 « Messius, excusats lou lengatge, / Lou Francés seré bien millou ; / Mes nous aus, n’en saben pa prou ».

3 La biblio serait trop énorme sur la question. Je me contente de renvoyer ici à la série en deux épisodes de Roman Bornstein et Thomas Dutter sur France Culture.

4Je donne une traduction littérale des passages cités, car Manciet, du fait des contraintes qu’il se fixe, s’éloigne souvent de la lettre du texte.

5 Allusion à la querelle des rites, et plus particulièrement au fait que certains Jésuites arboraient des éléments du costume des mandarins.
6 Gérard Aubin, La seigneurie en Bordelais au XVIIIe siècle d'après la pratique notariale: 1715-1789, Université de Rouen, 1989, p. 251.

 

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Commentaires
F
recardeyras, "adapté" en recardièras : vous ne pouvez mieux montrer le mépris social qui est le vôte
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L
Plus c'est gros ..Effectivement, c'est dans le titre, mais ça ne laisse pas d'être intrigant.<br /> <br /> Au fait, si c'était vraiment des recardeyres, elles n'auraient pas de banc ! Mais je continue de juger impossible que "ou ban" dans "benen ou ban" puisse vouloir dire "au banc".<br /> <br /> Il y a certes des "requestes des harengères", et tu es mieux placé que moi pour le savoir; mais y a-t-il en français un exemple de ce diptyque masculin/féminin qui fait tout le sel de ce texte ?
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T
très brièvement,<br /> <br /> merci pour cette lecture<br /> <br /> Recadeyres : le mot est dans le titre !<br /> <br /> "banc " ou "bancs" pour marché se trouve un peu partout (par exemple à Limoges) et je pense que c'est le cas ici sans avoir cherché plus avant (ce qu'il me faut faire!).<br /> <br /> la référence aux harengères est évidente (du moment qu'il existe tant de "requestes des harengères" qui sont aussi des pamphlets. Mais les harengères ne sont pas toujours (ni souvent), dans ce type de texte, des poissardes (même si elles vendent du poisson!) au sens du style poissard.<br /> <br /> bona annada a tu tanben,<br /> <br /> Joan Pèire
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L
Jean-Pierre,<br /> <br /> Merci pour ce beau compte rendu et tes précisions bien intéressantes :<br /> <br /> - sur le terme "macariens" (qui, si j'ai bien compris, désigne les bons catholiques!);<br /> <br /> - sur le père Beneytou : je vais de ce pas consulter aux AD33 les documents croquignolets exhumés par Gérard Aubin.<br /> <br /> Sur le fond, je m'attendais à un reproche d'anachronisme (péché mortel aux yeux de l'historien, non ?) pour ma lecture un peu trop "Metoo". Mais, à la relecture, sous le discours antijésuite, il y a bien une parole féminine et une protestation non ridiculisée contre certaines formes de la domination masculine qui parviennent jusqu'à nous. Au fond, est-ce que l'auteur ne laisse pas entendre que si les hommes se comportaient mieux avec leurs femmes, elles n'auraient plus besoin des Jésuites ?<br /> <br /> Sur le "modèle français" (les harengères) : au vu du texte, il m'a paru tout à fait déplacé de le qualifier de "poissard" (tu le reconnais toi-même). Il faudrait peut-être sortir de temps en temps de l'idée que les auteurs occitans de l'époque ne pouvaient qu'"acclimater en occitan un modèle éprouvé en français" (d'ailleurs, y a-t-il, en français, un équivalent à ce dialogue indirect?) ne peut-on les créditer de temps en temps de quelque créativité ?<br /> <br /> Par ailleurs, nos Macariennes ne sont pas des recardeyres (mot qui, sauf erreur, n'apparaît pas dans le texte). Les recardeyres étaient, à Bordeaux, des marchandes de seconde main qui, à la fin du marché, rachetaient à bas prix les marchandises invendues qu'elles allaient revendre au coin des rues. Elles faisaient du coup l'objet de méfiance et de mépris de la part des maraîchères. Leur condition "basse" en fait, elles, des héroïnes de dialogues "poissards" , chez Mèste Verdié and Co.<br /> <br /> <br /> <br /> Quelques broutilles :<br /> <br /> - Giraudeau fut (brièvement) curé du Pian, non de Saint-Macaire (c'est à côté, les jésuites y avaient des vignes !<br /> <br /> - Je ne pense pas qu'on puisse traduire<br /> <br /> Quan benen au ban à Bourdèu<br /> <br /> par :<br /> <br /> "Quand on vient au bancs (?) à Bordeaux".<br /> <br /> Il s'agit simplement de la doublette anar e véner ("aller et venir -"quand nous allons ou revenons"- c'est une 1ère personne du pluriel)<br /> <br /> -L'autre édition", celle de Per Noste (2002) n'est en fait qu'une demi-édition, puisque la seconde partie - masculine- est passée à la trappe.<br /> <br /> <br /> <br /> En te remerciant à nouveau (c'est bon d'avoir de temps en temps en vrai lecteur !)<br /> <br /> E bona anada<br /> <br /> plan granada<br /> <br /> de dehèt d'autas acompanhada.<br /> <br /> Guy Latry
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