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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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30 octobre 2019

Ceija Stojka : Nos âmes étaient malades

 

Ceija


Le texte suivant est tiré d’un entretien avec Ceija Stojka (voir ici le post précédent) en romanes (dialecte vlax / lovari, réalisé le 24 mai 1998 par le linguiste Mozes F. Heinschink pour radio Romano Centro (Vienne). Il a été saisi par ses soins, dans la graphie qu’il a contribué à élaborer, et je l’ai lu dans le journal en ligne du Romano Centro (n° 76, juin 2013). On peut également l’écouter en ligne (Phonogrammarchiv, site de l’ÖAW). Je le reprends ici pour l’accompagner d’une traduction en français. J.P. C.

                                                                                            Nos âmes étaient malades

Amari odjori sas nasvali

Sostar gelem angle? Anda kodo gelem angle, ke e gaže cipinas: „O Auschwitz chochamo si, e Gaskammern naj čačimo. Taj soste trajin inke, na, ketji manuša?!“ Taj kodo dukhalas man, ke pe muro vast si! Ka si muro cigno phral, ka si muro dad? Sa kothe mule! Muro dad andi Dachau mulas, muro cigno phral andi auschwitz. Muri mami paj dejaki rig taj muri mami paj dadeski rig, bute avere ženenca chutilde le khetane anda Burgenland taj anda Beči, taj igerde le varika karing o Litzmannstadt, de me gindij varika kathe ando vejš kerde ’g bari gedra, taj kothe šudine le ande taj šarade le. Fajma rakhena le ande duje, trin šele beršen, lenge kokala!

Taj i kenva anda kodo skirindem, ke či birinos aba kodo avri, hod ame chochavas, hod naj čačo. Taj o auschwitz, vi tu pinžares taj kon, kas interesirij kadi paramiča, kadi barnavo, atunči sako žanla, hod so si, taj čačimo si, na?! Taj kodo našti mukas, ande te sovel erekre, hod varikana pale te avel pre ame variso. De me gindij, me simas i maj cigni, so kotar avri avilas, taj so phurilas, so trajindas. So o Del das ma ’g dujto trajo. Trajindem, taj sas ma šavora, rom, taj muro nipo. De, te avilon varikon, te phenel variso: „Romale, si te keras variso, e gaže aven pre ame, chochaven pre ame.“ Vaj varisavo djes kado pale pa amaro šero avlas, či jeg či putrelas o muj, na. Taj phendem me mange: „Me si te skirij kado tele!“ Ke mure šavora – lenge šavora, na mure šavora, lenge šavorenge šavora, jo, te žanen vi kodola, so chalam ame kino, taj so sas. taj kodolenge skirindem me kado tele. Mure unukonge, unukonge unukura, jo, hod te žanen, hod so sas. Mišto-j, sas maj phure kathe, maj godjaver sar me, de či jeg či las i ceruza te skirij. Pala kodo cipinas pre ma, na, hod vo Bestseller –, na, kadej bušol i bari kenva, kana but žan, na. De me či kamos Bestseller, me feri ek cigni kenva skirindem. Hod te phenel variso, mure gindura.

Šoha či bisterdem kodo: Pala duje šonen rakhlam a kožaka krumpla, so sas trin Zentimeter lungo, taj du Millimeter bulho, sar bistro kodo! taj phenlas mindig muri dej, kana užaros krumpla: „Žanes inke, dade, kana rakhlam i krumpla ando Bergen-Belsen?“ mindig vorbinos mura dejasa, taj angla mure šavora me šoha či dem taga. Si kathe but rom, so šute po vast kaco Leukoplast, pe kado samo. Ke lažanas pe, hod te phenen, ke sas kado, vaj židovo sas, vaj rom sas, vaj asozial phenes leske. Ke meg či butjazin avri kadej, hod o Hitleri taj kodoleske manuša, leski fabrika, sakone manušes ando logeri šolas, kon či tecijas leske. Taj e rom či kamenas te vorbin penge šavorenca misto kodo, hod te na daran taj te na dukhal e šavorengo jilo. Oba me phendem: “Kado si te žanen! Ke i luma boldel pe, meg luma avla, taj e šavora si te žanen kado!” mure šavora barile opre kadalesa. Sar ame avri avilam, nasvale samas sa. O jilo sas dukhado, amaro šero, amari odjori sas nasvali. Taj atunči pe kodi luma ande štarvardeštajpanž si te avilon e themes – na romen akan’ vaj o cigno gažo – e themes si te avilon ketji godji, hod te den sar adjes so phenen, sitjaras, vorbinas, so trobuj. Kadaj manuša trobun sa opre sastjarde. Taj te na aven le panž vaj šov berš šavora, meg kadaj manušora so avri avile, kadaj semo so si, te avna le zor taj saste-veste taj asan taj si aba maj laše, dikhen, i luma naj nasul, troman, šavores saste-vestes t’anen andi luma. Pe kodi vrama, pe kodo cajto, o trajo žal, i luma šukar-i, e luludja karigodi aven avri. taj o szerelem, o kamimo naturbedingt si, na, andi luma si. De amare šavora – kodo ganz normal-i taj me gindij, sako manuš, kon ek semo birij te gindij, phenla kodo, hod kacave šavora überempfindlich si, lengo andruno jiloro izdral, rovel mindjar, ke lengo jilo, lengi odjori, vi kodolengi nasvali-j! Taj kodo nasvalimo ame dam ande le. I dar, mindig i dar, taj kodolasa barile e šavora. Taj anda kodo dikhen adjes inke, kana žan po drom, bolden pe, hatjares, bolden pe. Manuš feri boldel pe, kon daral!

Kana e manuš nasvale anda logeri aven taj lengo šero dukhal taj lengi odjori dukhal anda dad, andaj phen, anda phral, so inke kothe ašile, našti avel kacavo šavoro dukhado, saste-vesto pi luma! avel pi luma, dikhes sosko kinešo-j, šukar-i, barares les, kames les, čumidkeres les, grižis les. Barol, de kodi dar, so ande tu sas, ande les mukes ande, a čučasa ando perr.

aus: P. Cech et al., Fern von uns im Traum... märchen erzählungen und Lieder der Lovara, Drava 2001.

 

 

 

Pourquoi y suis-je allée la première ? J’y suis allée la première parce que des Gaže ont crié : « Auschwitz est un mensonge, il n’y avait pas de chambres à gaz. Pourquoi tant de ces gens sont encore vivants ? » Cela m’a fait mal parce que c’est [écrit] sur mon bras! Où est mon petit frère, où est mon père? Tout le monde est mort là-bas! Mon père est mort à Dachau, mon petit frère à Auschwitz. Ma grand-mère maternelle et ma grand-mère paternelle, ainsi que de nombreuses autres personnes du Burgenland, ont été arrêtés ensemble et emmenées quelque part vers Litzmannstadt. Je pense que quelque part dans la forêt, ils ont creusé une grande fosse, ils les ont abattus et recouverts de terre. Leurs ossements, on les retrouvera sans doute dans cent ou trois cent ans !

J’ai écrit ce livre parce que je ne pouvais pas supporter que l’on soutienne que nous mentions, que ce n’était pas vrai. Et Auschwitz – tu le sais bien aussi, et quiconque s’intéresse à cette histoire sombre saura de quoi il s’agit et que c’est la vérité, non ? Nous ne pouvons pas la laisser dormir pour toujours, car elle nous reviendra un jour dessus. Je pense que j’étais la plus jeune qui sois sortie de là, qui aie vieilli, qui aie vécu. Dieu m’a donné une seconde vie. J’ai vécu, j’ai eu des enfants, je me suis mariée, j’ai ma famille. Il n’y en a pas eu un seul pour dire : « Roms, nous devons faire quelque chose, les Gadjé viennent sur nous, ils répandent des mensonges sur nous ! » Si quelque chose comme ça nous arrivait encore, personne n’ouvrirait la bouche. Et je me suis dit : « Je dois écrire ça ! ». Pour que mes enfants - leurs enfants, pas mes enfants, les enfants de leurs enfants, oui ! Pour qu’ils sachent quelle agonie nous avons souffert et ce qui s’est passé. Et c’est pour ceux-là que je l’ai écrit. Pour mes petits-enfants, pour les petits-enfants de mes petits-enfants, pour qu’ils sachent donc ce qui s’est passé. Bien sûr, il y en avait de plus âgés, de plus intelligents que moi, mais pas un seul n’a pris la plume pour écrire. Puis ils ont crié sur moi : « Elle veut un best-seller »  c’est comme ça que s’appelle un gros livre qui s’est beaucoup vendu. Mais je ne voulais pas faire un best-seller, moi j’ai juste écrit un petit livre. Dire quelque chose, mes pensées.

ça, je ne l’ai jamais oublié : après deux mois, nous avons trouvé la pelure de pomme de terre, longue de trois centimètres et mince de deux millimètres. Comment pourrais-je oublier ça ! Quand je pelais des pommes de terre, ma mère disait toujours: « Tu te souviens, ma petite, quand nous avons trouvé la pomme de terre à Bergen-Belsen ?» J’en ai toujours parlé avec ma mère et je ne l’ai jamais caché à mes enfants. Il y a beaucoup de Roms qui ont collé un sparadrap sur leur bras pour le cacher. Parce qu’ils ont honte de se dire Juif, ou Rom, d’être traités d’asociaux. Parce que l’on ne s’est pas rendu compte que Hitler – et les siens, son usine – a enfermé dans les camps tous ceux qu’il n’aimait pas. Et les Roms ne voulaient pas en parler à leurs enfants, pour ne pas les effrayer et blesser leur cœur. Mais j’ai dit : « Ils doivent savoir ! Car le monde tournera aussi longtemps qu’il existera et les enfants doivent savoir ça ! » Mes enfants ont grandi avec ça. Quand nous sommes sortis [des camps], nous étions complètement malades. Le cœur était blessé, notre tête, notre âme étaient malades. À cette époque, en 1945, l’État – pas les Roms ou le simple gadjo, mais l’État – aurait dû être assez perspicace, comme il l’est aujourd’hui, pour nous permettre de mettre en lumière et surtout de dire ce qui devait l’être. Ces gens auraient tous dû recevoir des soins. Ils n’auraient dû avoir d’enfants qu’après cinq ou six ans, ce peu de personnes qui s’en étaient sorties, qui avaient survécus, jusqu’à ce qu’ils aient assez de force, qu’ils aient retrouvé une bonne santé, qu’ils puissent rire à nouveau, qu’ils se sentent mieux et qu’ils puissent voir que le monde n’est pas mauvais et oser mettre au monde des enfants en bonne santé. A cette époque, la vie suivait son cours : le monde est beau, les fleurs poussent partout. Et l’amour est dans le monde, cela est déjà réglé par la nature. Mais nos enfants, c’est tout à fait normal et je crois que chaque personne qui sait réfléchir peut dire aussi que ces enfants sont hypersensibles, leur être intérieur, leur cœur tremble, pleure à la moindre occasion. Et leurs coeurs aussi, leurs âmes sont malades. Et nous avons greffé cette maladie au dedans d’eux. La peur, toujours la peur, les enfants ont grandi avec elle. C’est pourquoi ils se retournent encore aujourd’hui et regardent quand ils marchent dans la rue, tu comprends, ils se retournent constamment. Seule une personne qui a peur se retourne !

Quand un homme est sorti malade des camps, que sa tête lui fait mal et que son âme souffre à cause du père, à cause de la soeur, à cause du frère qui est resté là-bas, il ne peut donner naissance qu’à un enfant blessé dans son âme. Il vient au monde, tu vois comme il est un amour, comme il est beau, tu l’élèves, tu l’aimes, tu l’embrasses, tu en prends soin. Il grandit, mais cette peur qui était en toi, tu la lui transmets avec le lait maternel.

 

 

 

 

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Commentaires
T
Oui, en effet, sans aucun doute. Et il faut savoir qu'en disant ses paroles Ceija pense très fort à son fils Jano, musicien très talentueux mort d'une over dose en 1979.<br /> <br /> On peut l'entendre jouer ici:<br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=XHb88wvAx4s<br /> <br /> Et surtout, on voit Jano sur cette vidéo aux couleurs passées:<br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=SIFJBlq66Zg<br /> <br /> Ce post lui est dédié
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U
"[...] cette peur qui était en toi, tu la lui transmets avec le lait maternel."<br /> <br /> <br /> <br /> Tout est terrible dans ce texte. Et cette dernière phrase me fait songer à un garçon juif né juste après la guerre. Un enfant des camps : ses parents sont des survivants rapprochés par cette histoire commune. Un garçon qui a traîné une fêlure béante jusqu'à son suicide.<br /> <br /> <br /> <br /> Et puis je songe aussi à ce nouveau pogrome, cette perpétuelle chasse aux Musulmans. Il n'est même plus question de religion mais de racisme. Un copain athée, avec un prénom, un nom et une gueule de maghrébin, qui ne dit même plus qu'il est athée, toujours en butte aux injonctions à se franciser, lui né à un jet de pierre du périphérique parisien !
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