Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 617 584
Newsletter
24 octobre 2016

Occitanie : du projet occitan à la nouvelle "grande région"

occitanie_internet

 

L'appropriation d'un nom

Du nom de la nouvelle grande région, ex Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, je ne m’en suis pas mêlé (voir cependant ici, ma publication du texte de Sèrgi Granièr). Je refusais de disserter et de disputer moi aussi sur les noms de ces régions qui venaient d’être créées de manière absolument antidémocratique, sans aucune consultation citoyenne, sans aucun débat. Et j’ai bien dû constater que cela, en France, ne gênait personne ou presque, pas même, au moins dans les zones occitanes, les militants dits « régionalistes », tellement on a ici intégré que seul le pouvoir central d’État est légitime en matière de découpage et de gestion du territoire. Et l’on voudrait, en acceptant cela, en estimant de fait que cela est acceptable, obtenir la moindre reconnaissance effective d’une quelconque différence en matière de culture et de langue ? Dans ces conditions de mépris des règles démocratiques élémentaires, je trouvais pour ma part qu’une consultation sur le nom (dont on s’est du reste fort bien passé en d’autres régions, là aussi sans esclandre) était une humiliation supplémentaire. Là encore, il me faut bien constater un décalage complet par rapport à la grande majorité de mes concitoyens qui, d’ailleurs, s’en contrefoutent totalement, polarisés qu'ils sont par les grandes manoeuvres nationales, lorsqu'il leur reste encore un semblant d'intérêt pour les pantomines politiciennes. A preuve, d’ailleurs, leur peu d’engouement pour ladite consultation : 203 993 votants pour 4 121 310 inscrits sur les listes électorales, ce n’est quand même pas une mobilisation massive !

C’est Occitanie, donc, qui a été choisi par les votants, contre les préférences des partis et des élites régionales (Pyrénées-Méditerranée ou Languedoc-Pyrénées leur plaisait mieux). Ce n'est pas en effet sans grincements de dents que l'assemblée plénière des représentants de la nouvelle région entérinèrent le vote populaire (87 voix pour, 60 contre). Au lendemain de l'élection, la Dépêche tentait encore un sondage pour montrer l'insatisfaction engendrée par ce nom dans la population,  67 % se dirent pourtant "satisfaits" ! Car cela, il faut quand même le dire. Lorsque ce nom fut proposé et s’est imposé, ce fut un déchaînement de mépris : le « loby » des occitanistes avait encore frappé, il était parvenu à imposer un nom ringard et stupide, chacun sachant que l’Occitanie n’existe pas ! Tout cela je l’ai entendu de mes oreilles à Toulouse, en particulier à l’université où je travaille (les discours des profs y sont, en général, les plus parfaits reflets de l’idéologie étriquée de la meilleure bourgeoisie mondine) et n’avait rien à voir, ou si peu, avec toutes les bonnes raisons qui ont poussé grande part des occitanistes – et moi le premier – à critiquer ce choix. Par contre, ceux que j’ai rencontré et qui ont envoyé leur courrier ou se sont prononcés en ligne pour Occitanie, qui n’étaient pas des occitanistes, étaient le plus souvent membres de classes plus populaires (il faudrait en faire la sociologie précise : employés, petits fonctionnaires...) que les contempteurs du nom.

Ce choix, ils l’ont fait, si je puis dire, en toute bonne foi, et j’ajoute même par désir d’affirmer une identité en relation avec la langue – hé oui – qu’ils appellent désormais occitan, mais qu’ils identifient spontanément, pour la plupart, peu ou prou au languedocien. La présence de zones dialectales gasconnes ne semble pas avoir fait problème, ni question ; quant à la présence des Catalans, elle leur paraît tellement marginale sur la carte, qu’ils n’en ont tout simplement pas tenu compte ! Devant mes objections de bon petit soldat occitaniste (l’Occitanie est tellement plus large ! Quel déni d’existence pour tous les autres qui peuvent se dire Occitans ! etc.), un argument m’a saisi : jamais, me dit-on, les habitants des autres régions occitanes, si on les avait consulté, n’auraient choisi un tel nom. Or cela est sans doute vrai, et signifie que les gens (disons beaucoup de gens, en dehors des occitanistes proprement dits, il faudrait enquêter, mais je ne crois pas pour autant que ces gens, même dans la nouvelle région, soient majoritaires) ne se considèrent comme occitans… que dans la vieille province du Languedoc. En fait, le toponyme d’Occitanie, dans leur esprit, ne signifie guère plus que Languedoc ! De sorte que le choix d’Occitanie, ironiquement, récompense l’obstination des occitanistes languedociens à rappeler l’importance déterminante, contre l’idéologie du tout-français, de la langue d’oc pour l’identité culturelle de leur région mais, du même coup, il anéantit tous les efforts des mêmes pour faire passer l’idée que l’Occitanie est partout où la langue est (était !) parlée. Cette ouverture, qui avait permis à des acteurs et des locuteurs de tout l’espace d’oc de partager leurs spécificités linguistiques et culturelles, de revendiquer ensemble la reconnaissance de celles-ci et d’imaginer un avenir commun, est aujourd’hui, par l’élection de ce toponyme régional, remise radicalement en question. Il est sûr en tout cas que les militants qui ont joué la carte d’Occitanie pour la nouvelle région, arguant que c’était là une première étape vers une Occitanie réunifiée, ont contribué activement au démembrement de l’espace occitan et au sabordage du projet occitaniste. En posant le nom sur ce territoire restreint, on ne peut pas ne pas laisser prise, désormais, à l’opposition entre un usage légitime et un usage illégitime du mot Occitanie, entre de vrais et de faux Occitans, entre une langue vraiment occitane et des dialectes pseudo-occitans. Certes, on pourra, comme l’a fait wikipedia, distinguer l’Occitanie comme « région administrative » et l’Occitanie comme « région historique », il faudra trouver les mots, les arguments pour continuer à faire vivre l’idée d’une langue commune et diverse dans un espace englobant et non pas excédant la nouvelle grande région. Les noms eux-mêmes, toponymes et glossonymes, ne cessent bien sûr de changer de sens, et sont eux-mêmes appelés à tomber en désuétude, mais ils ne sont pas, comme on pourrait après tout le penser, de pures illusions verbales, car ils informent profondément les réalités humaines qu’ils désignent. Nous ne pouvons encore mesurer toutes les conséquences de cette appropriation du toponyme Occitanie par ceux que l’on appelait hier encore Languedociens, mais elles seront considérables et il faudra du temps, sans doute beaucoup de temps, pour clarifier les équivoques qu’elle ne peut pas ne pas créer dans l’usage des termes « Occitan », « Occitanie » et « langue occitane ».

Jean-Pierre Cavaillé

Publicité
Publicité
Commentaires
A
"Il est sûr en tout cas que les militants qui ont joué la carte d’Occitanie pour la nouvelle région, arguant que c’était là une première étape vers une Occitanie réunifiée, ont contribué activement au démembrement de l’espace occitan et au sabordage du projet occitaniste."<br /> <br /> <br /> <br /> Eh oui ! bien dit.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais tout le monde s'en fout ou presque. Occitanie est une marque de bouisinesse. Ça c'est sûr. <br /> <br /> J'ai eu bien de la peine à trouver des réactions à cette dénomination dans les autres régions où nos parents parlaient le patois ("occitan" est un anachronisme. Je n'ai jamais entendu dans les années 40, 50, 60 dire "occitan" pour "patois" chez les "native occitan speakers" comme on dit dans les colloques de qualité. Et le terme n'était en aucun cas péjoratif chez ceux qui n'avaient pas fait des études de linguistique.)<br /> <br /> <br /> <br /> Je pense qu'avec ce nom de région c'en est bien fini. Et comme les locuteurs natifs (est-ce ainsi qu'on cause ?) sont presque tous morts, on s'entendra au moins sur le terme "langue morte".<br /> <br /> <br /> <br /> Et espérons que ce blog que nous ne manquons pas de consulter, lui, sera toujours (là j'exagère !) bien vivant.<br /> <br /> <br /> <br /> Ah si le Limousin, l'Auvergne, la Gascogne, la Provence, etc. étaient à l'autre bout du monde, que de projets de recherche, que de thèses, que de demandes de crédits. Dire qu'on part en mission en Limousin, ça va faire rigoler dans le milieu universitaire.<br /> <br /> <br /> <br /> On vous parle de la mort de telle langue en Afrique, mais la mort de la langue qui fut parlée par des millions de nos parents, bof bof.<br /> <br /> <br /> <br /> Ne dîtes pas à ma mère ...je pars à "Family Village". Ben couillon !<br /> <br /> <br /> <br /> Bon Nadau
Répondre
L
Habitant de RARA (Région Auvergne-Rhône-Alpes, juste au dessus de PACA), j'ai suivi cette affaire d'Occitanie de loin. C'est bien entendu pour tous les régionalistes une fausse victoire (ou une vraie défaite) tant le choix des noms de région trahit le monstre bureaucratique grimé en clown marketing. On se console en pensant à l'écoeurant "Haut-de-France" et on attend le procès de la marque de savon l'Occitane.<br /> <br /> La frénésie de redécoupage qui s'est emparée des politiques et des ministères il y a deux ans montre surtout que le centralisme a franchi une nouvelle étape. Le monde étant entré dans l'ère prédite par Orwel, ou la vérité c'est le mensonge, l'emploi c'est plus de licenciements, etc... Le centralisme, lui, crée plus de bureaucratie pour réduire le poids de l'Etat. On recouvre le mille-feuilles d'un épais glacis et on pose dessus une petite cerise. Occitanie, donc.
Répondre
P
Totalement d'accord avec toi, aussi bien sur le fond que sur la forme <br /> <br /> -une "réforme" régionale imposée d'en haut sans qu'on comprenne vraiment pourquoi, sans concertation, ni au demeurant vraie réflexion sur les espaces concernés (on se borne a coller ensemble les départements et les régions comme des briques de Lego), et sans régler les grandes questions du pouvoir donné aux régions, et, surtout, des moyens qui leur sont donnés. Et on découvre maintenant les incohérences qui l'accompagnent : on touche aux régions mais pas aux académies, bonjour la réduction du mille-feuilles ; et où diable va-t-on fourrer les élus (salle des séances, bureaux des élus etc, puisque leur nombre n'a pas changé ?<br /> <br /> -Ce sont de vraies questions, à côté desquelles la question du nom est de fait secondaire : un os à ronger pour les gens qui aiment ronger les os. Et de fait, ça fait rigoler tous les autres (voir les commentaires sur Hauts de France, ou sur Austrasie quand il a été question de ,nommer ainsi la surréaliste région Champagne-Alsace Lorraine). Quant à Occitanie, un journaliste de France Inter l'a ainsi commentée : "ça sent bon la garrigue". Pour moi, au niveau de l'opinion nationale, la seule qui compte vraiment dans notre beau pays, c'est cuit : le mot évoque garrigue, ou Moyen Age façon châteaux cathares à visiter absolument. Ce que ne voient pas les gens qui se réjouissent du choix de ce nom, c'est que faute d'un long travail d'explication et de mise en perspective, il n'apporte rien à la prise en compte d'une langue et d'une culture spécifiques. Les gens peuvent savoir, au mieux, qu'Occitanie est le nom latin prétentiard de la province d'Ancien Régime Languedoc, ce qui ne nous rajeunit pas, mais idéologiquement n'est pas neutre. Comment pourraient-ils savoir que depuis la fin du XIXe le nom a été chargé d'un autre sens, qui n'est pas "historique" mais linguistique : l'espace de la langue d'oc dans sa totalité ?.<br /> <br /> -Bien sûr que ça va être dur de militer pour l'occitan en dehors de l'Occitanie : il faudra voir ce que seront les subventions accordées en Provence aux assocs "occitanistes", par exemple.<br /> <br /> -Et ce qu'on voit à l'oeuvre ici, c'est une contradiction fondamentale. Depuis plus de 150 ans félibres et occitanistes ont réclamé la décentralisation. On l'a eue (même si ce n'est pas pour leur faire plaisir que l'Etat central a déconcentré). Sauf que ce n'est pas une région Occitanie sur 32 départements qui a été créée, mais une constellation de vieux départements regroupés à la hussarde (ou à la maréchale puisque la première ébauche date de Vichy). Ces "régions" froidement administratives bureaucratiques et notabiliaires peuvent ressentir le besoin, si les notables en question sont capables de le comprendre, d'un affichage symbolique leur conférant une "identité". Et dans ce cas, il est clair que leur intérêt est de reprendre le concept de langue régionale à son sens le plus restrictif : la langue de ma région. On ne comprend pas autrement le fait que pour PACA et ses présidents successifs la notion de "provençal", complétée par "niçois" pour faire plaisir à la droite du 06, soit infiniment préférable à un "occitan" qu'il leur faudrait partager avec d'autres fromages notabiliaires situés outre-Rhône. Pour le conseil régional de la nouvelle région, s'approprier "Occitanie", puis, à terme "occitan", constitue de ce point de vue une perspective intéressante. la seule chose qui peut sauver l'idée d'un espace occitan des Alpes aux Pyrénées, c'est qu'ils ne le comprennent peut-être pas totalement.
Répondre
Publicité