Randonnée garantie sans patois
Fête de la batteuse à Saint-Symphorien (15 aôut)
Randonnée garantie sans patois
Dimanche dernier 5 septembre, le Conseil Général de la Haute-Vienne organisait au lac de Saint-Pardoux (Sent Perdos), sur le site de Santrop (Santran), sa 7e édition de Randonnez-Vous, une manifestation destinée aux adeptes de la marche à pied, offrant le choix entre quatre parcours de 9 à 33 km dans les campagnes des alentours. Il s’agissait d’un événement considérable qui, nous dit la presse, a rassemblé 3200 personnes. Habitant dans les parages, j’ai pu constater par moi-même le succès de l’opération ; il faut dire que l’organisation était impeccable et les parcours très attractifs, le long du lac, de villages en sous-bois… évitant consciencieusement de passer trop près des sites d’extraction d’uranium abandonnés par la Cogema. Le collectif Sous-nous pieds s’était d’ailleurs manifesté durant la journée, rappelant l’attention sur l’absence de toute forme de résultat, 3 ans après le curage du lac mené tambour-battant à grand renfort de propagande (voir le blog Vert chez moi, qui présente la vidéo du sujet présenté à ce sujet par FR3 Limousin).
Cette année, la plus longue boucle passait par Saint-Symphorien (Sent Aforian) et la chapelle votive de Saint-Martin (Sent Martin), où se trouve l’une des « bonnes fontaines » du Limousin. Il s’agit d’une zone particulièrement intéressante, où la langue est encore exceptionnellement vive. Nous y conduisons d’ailleurs en ce moment une campagne de collectage.
La documentation distribuée aux promeneurs par l’organisation contenait exclusivement des informations pratiques. Il va sans dire qu’elle ne disait rien ni de la contamination des eaux, ni de la langue si bien parlée dans le secteur (j’explique ailleurs pourquoi il est intéressant de rapprocher ces deux sujets tabous, voir sur ce blog Déchets nucléaires et déchets de langue), mais elle ne donnait pas plus d’indications sur les remarquables sites bâtis et naturels traversés par les randonneurs. Comme si aucune espèce d’interférence ne devait avoir lieu entre la promenade, envisagée comme une pure manifestation récréative et sportive, et l’environnement humain, naturel et patrimonial. Ce divorce est en soi un sujet légitime d’étonnement, car il me semble justement que les promeneurs auraient le temps et sans doute l’envie de découvrir tout cela, si on les y incitait à le faire. Pourquoi ne serait-il en effet pas possible d’associer randonnée et découverte culturelle du territoire ?
J’ai justement à ce sujet une historiette édifiante à rapporter, que je tiens directement des intéressés. Jean-François Vignaud, animateur et enseignant employé par l’Institut d’Études Occitanes qui, entre autres cordes à son arc, est conteur émérite en occitan et en français, fut contacté fin juin par le service de communication du Conseil Général (et non pas d’ailleurs par le service culturel, détail intéressant par rapport à ce que j’ai remarqué précédemment). On lui demanda s’il accepterait de conter sur le site de Santrop, à l’occasion de la manifestation du 5 septembre. En effet, quelques animations et spectacles égayent le repos bien mérité des randonneurs après leur retour au cours de l’après-midi. Jean-François accepta bien sûr la proposition avec joie, mais on le rappela pour lui demander s’il comptait conter en français ou en occitan ; il répondit qu’il associait les deux langues, jouant plus de l’une ou l’autre selon ses publics. En l’occurrence, il y avait fort à parier que de nombreux randonneurs des pays limousins apprécieraient d’entendre une langue qu’ils sont nombreux encore à comprendre, sinon à parler, qui plus est soutenue par un ample apport de français. Jean-François, je peux en témoigner, maîtrise parfaitement la formule, appliquée avec succès à Coquelicontes, manifestation destinée à tous les publics. Le service de communication du Conseil Général insista alors pour qu’il ne parlât aux randonneurs que dans la seule langue de Molière, ce dont il refusa le principe, n’y ayant aucune raison de faire appel à un Institut d’Études Occitanes pour ne parler que le français. L’employée promit de transmettre à qui de droit… C’est ainsi qu’on le rappela une dernière fois le lendemain, pour lui signifier en ces termes que son intervention était décommandée : « Nous avons considéré que des contes en occitan n’étaient pas trop adapté au public familial qu’il y aura au cours de cette journée ». Voulait-on ainsi dire que des contes en occitan, cela pouvait, à la limite, aller pour des personnes très âgées, mais pas pour les pères et mères de familles ? L’occitan, comme la pornographie ou la violence est-il considéré par le Conseil Général comme susceptible de choquer le « public familial » ? Que les familles, en tout cas, randonnent en paix, car le Conseil Général sait ce qui est bon pour elles et ce qui ne l’est pas…
C’est ainsi qu’il n’y eut pas de contes en occitan ce 5 septembre à Santrop… Jean-François Vignaud fut remplacé par Angélique Pennetier, pour un « cocktail de contes » tout en français… Je n’ai pas assisté à cette animation, mais j’ai vu sur internet que cette conteuse est spécialisée dans les contes tziganes et qu’elle a présenté entre autres un conte musical intitulé la Loba et qu'elle se produira le 22 octobre prochain à Lubersac, dans le cadre du festival Contar e dançar (aucun contre en occitan de prévu dans cette manifestation non plus, malgré le titre...) avec un nouveau spectacle musical, Zalanko, conte rrom de Roumanie… Par les temps qui courent de chasse aux Rroms, ce choix est, à mes yeux, tout à fait sympathique. J’ai regardé une vidéo présentant La Loba: la conteuse est pleine de dynamisme et l’histoire est belle, mais en effet, le Conseil général n’avait pas à se faire le moindre souci concernant la pureté linguistique et bien sûr francophone : le nom même de « loba » (la louve en espagnol) est prononcé avec cet impeccable accent pointu que désormais l’on aime tant en Limousin.
Le prospectus distribué aux marcheurs annonçait aussi un groupe de percussionnistes et de chanteurs congolais : Biemb’art. Le site officiel de la troupe, fondée par le chorégraphe congolais Martial Roland Youlou annonce que l’objectif de Biemb’art « est de promouvoir la culture africaine en passant par la musique, le chant, le conte – théâtre et les danses traditionnelles congolaises et d’Afrique en général ». Le propos est vague, et le dossier de presse accessible en ligne est, m’a-t-il semblé, un peu trop chargé de phrases toutes faites sur la musique, la danse et la culture africaine. En tout cas, il est probable que les spectateurs, ce dimanche après midi, ont pu entendre des mots en quelques langues africaines (non autrement spécifiées sur le site du groupe, et évidemment non mentionnées sur le prospectus du Conseil général) : le site de Biemb’art évoque la présence d’artistes congolais, mais aussi ivoiriens, burkinabés, etc. ce qui, nous l’espérons, ne semblent point avoir gênés les exigences francophones du service de communication du Conseil Général de la Haute-Vienne.
Quelle que soit la politique culturelle derrière cette programmation – je crains d’ailleurs qu’il n’y en ait guère – est elle tout à fait représentative de la réalité de la culture populaire contemporaine, résolument internationale et métissée. Il semble en tout cas que les institutions locales ne se laissent absolument pas impressionner par les gesticulations xénophobes, voire racistes, de notre gouvernement et, pour ma part, je m’en réjouis. Mais alors pourquoi ? Pourquoi, les rythmes africains, pourquoi les contes tsiganes et pourquoi pas, surtout pas l’occitan limousin ? Avouons que cette haine de soi à de quoi surprendre. Elle ne paraît en tout cas pas saine, pas saine du tout, parce que lorsqu’on refuse d’accepter sa propre différence, la question est évidemment de savoir comment l’on reçoit et perçoit les différences qui viennent d’ailleurs et que l’on valorise, justement, parce qu’elles viennent d’ailleurs, mais alors : pour nous apporter quoi ?
D’ailleurs, l’ailleurs est lui-même bien problématique, et il y a bien des façons de l’entendre. Car l’Afrique est de fait aussi ici, avec tous les immigrés présents en France, comme la France et le français (mais dans un tout autre type de relation) sont (du moins étaient) omniprésents en Afrique de l’Ouest, et ce n’est bien sûr pas un hasard si les artistes de Biemb’art proviennent tous d’ex-colonies francophones… Je sais bien aussi que la culture rrom, qu’on le veuille ou non, n’est pas étrangère, qui est là présente sur nos territoires depuis des siècles. Mais, en tant que culture désormais autochtone, elle était, et elle reste largement invisible, sauf aux périodes récurrentes où les Rroms, sous des noms divers, servent comme aujourd’hui de boucs expiatoires, et surtout elle était et reste considérée unanimement, fût-ce faussement, comme étrangère. C’est aussi cela qui est gênant dans la valorisation de la culture rrom, à travers la musique, les films et les contes : elle est mise en avant pour ce qu’elle n’est pas, pour son exotisme, son pseudo-nomadisme et sa pseudo-étrangeté, alors que depuis plus de quatre siècles, par exemple, les mêmes familles vivent en Limousin, sans jamais avoir reçu la moindre reconnaissance publique d’appartenance culturelle et de citoyenneté.
La culture limousine limousinante (je ne serais d'ailleurs guère étonné de trouver quelque vieux caraque limousinant), elle, n’a pas à souffrir d’un semblable malentendu, parce qu’elle n’est pas valorisée du tout ! Elle est même, et depuis longtemps, déclarée ne plus exister, morte et enterrée de longue date… En bien des lieux, et Saint-Symphorien en est un parfait exemple, il suffit pourtant d’entrer dans les maisons, d’assister à des rencontres de voisinages pour constater que la langue reste bien vivante. Les promeneurs de dimanche dernier, pourtant, n’en auront probablement rien su ni rien vu, même s’ils sont passés, je peux l’assurer, devant des maisons où l’on vous répondra avec un immense plaisir en « patois », si vous dites le premier mot, et où le « chabatz d’entrar » est toujours prêt à vous accueillir. L’invisibilité, plus encore que pour les Rroms, quand on détourne les projecteurs et qu’on leur fout la paix, est devenu à peu près totale. Et c’est bien cela que montre cette petite histoire du refus du Conseil Général d’engager un conteur pratiquant la langue du lieu même où se sont déroulées les quatre randonnées, la langue qui pourrait, qui devrait pourtant être audible, entre Sent Perdos et Sent Aforian.
Jean-Pierre Cavaillé
Jean-François Vignaud relate sa mésaventure dans l'émission de trad.oc sur Kaolin FM.
Chapelle de Saint-Martin, 9 mai 2010