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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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23 août 2007

La Gàrdia : un laboratoire calabrais pour l’occitan de demain

guardia

 Quiconque éprouve un quelconque intérêt pour l’occitan, se doit de faire, comme moi, le long voyage pour La Gàrdia (soit, en italien, Guardia Piemontese), au fond de l’Italie, en Calabre. Il en reviendra, j’en suis certain, d’une façon ou d’une autre, transformé. Ce village en effet, de trois cents habitants, seul îlot où s’est maintenu et a évolué l’occitan parlé par les communautés vaudoises installées en Calabre à partir du XIIIe siècle, malgré les persécutions absolument terrifiantes qu’elles eurent à subir au XVIe siècle, au moment de l’adhésion des vaudois à la Réforme, et qui se sont prolongées dans le temps par la contrainte religieuse, jusqu’à une date finalement récente. En 1561, sur décision des autorités religieuses et civiles, la population, dispersée dans plusieurs villages, fut massacrée et les survivants, contraints à la conversion, furent bouclés dans leurs villages et soumis à des peines et des vexations de toutes sortes. En particulier, les ordonnances destinées à détruire l’hérésie à la racine prévoyaient la prohibition des mariages entre ex-vaudois, l’obligation d’assister aux offices de manière quotidienne, l’interdiction de tout rassemblement de plus de six personnes, le port d’un habit jaune et la surveillance permanente dans leurs propres demeures, grâce à des lucarnes percées dans les portes et que les dominicains installés pour mener à terme l’entreprise, pouvaient ouvrir de l’extérieur afin de surveiller leur vie domestique. L’une de ces ordonnances stipulait que, du jour au lendemain, les habitants cesseraient de parler leur langue, au profit du seul « italien » local.


Guardia

Sandra M. L. Liebscher, La Porte du Sang et le Centro di cultura Giovan Luigi Pascale

La langue pourtant, au moins à La Gàrdia, a résisté. Transmise de génération en génération, elle est devenue aujourd’hui le vecteur majeur, pour la communauté, de la réappropriation de sa mémoire. Elle est aussi, pour étrange que cela puisse paraître (du moins de l’avis de certains), le biais par lequel ce village isolé de Calabre s’est ouvert au monde contemporain, à travers des contacts étroits avec les vallées alpines occitanophones (jumelage avec Val Pellice), le val d’Aràn et les zones occitanes de France. De manière très significative, sous l’impulsion de linguistes qui se sont très profondément investis dans le projet (Agostina Formica et Hans Peter Kunert), La Gàrdia, à l’opposé de tout repli patoisant, a opté pour la graphie classique, et c’est dans cette graphie que la langue est enseignée aux enfants, dans le cadre des 15 % horaires concédés en Italie aux initiatives pédagogiques, selon une méthode principalement immersive, largement soutenue, il faut le dire, par la transmission familiale, qui continue à fonctionner pour plus de la moitié des enfants[1]. Ainsi les enfants de Gàrdia possèdent-ils leur propre livre de classe, extrêmement complet (Giuseppe Creazzo, Agostina Formica et Hans Peter Kunert ‘O libre meu. Manuale didattico per l’insegnamento della lingua occitana nella scuola, 2001). Le village, nid d’aigle surplombant la mer à 500 mètres d’altitude, organise chaque année à la fin de l’été une semaine occitane. Cette année, le 26 août, sera projeté, en présence du réalisateur Giorgio Diritti, L’aura fai son vir (Il vento fa il suo giro), film en langue occitane tourné dans la Valle Maira, qui collectionne les prix et dont on parle beaucoup entre nous, mais que très peu ont vu, car, visiblement, il est très mal, voire pas distribué du tout. Notons aussi que la signalétique des rues est bilingue (gardiòlo / italien), comme l’est, et entièrement, la plaquette d’accueil d’une vingtaine de pages offerte aux touristes. On peut également s’y procurer facilement un cd mixte (texte/audio) réalisé par H. P. Kunert, contenant le vocabulaire de Gàrdia et divers ouvrages sur la langue et la civilisation gardiòle, édités par la commune avec l’aide de la Communauté Européenne[2].

_Guardia___Scorcio_centro_storico

Le jour où nous y sommes passés, ce mois d’août, très chaleureusement accueillis par Anna Visca, l’une des personnes les plus impliquées dans cette dynamique culturelle du village, un groupe de jeunes répétaient dans la salle de la mairie (et de manière autonome, sans être sous la férule des aînés), pour les fêtes proches, des chants et musiques traditionnelles, du village et de la koiné occitane ; ainsi avons-nous pu entendre, non sans une certaine émotion, une version gardiola du Se Canta. Anna Visca nous a fait visiter le village, à partir de la Pòrta dal Sang, par où coula dit-on le sang des vaudois la nuit du massacre, ses ruelles étroites où l’on voit encore de vieilles portes basses possédant l’infâme lucarne de surveillance, la Peire dal Garròc, que l'on dit apportée des Alpes par les premiers habitants, et le petit musée de la « civilisation paysanne », animé par la faconde bilingue – et poétique – du père d’Anna Visca, où figurent tous les objets et le mobilier des maisons du village, et le fameux costume féminin d’apparat, à la fois magnifique et outil de mortification du corps féminin (l’une des pièces se nomme d’ailleurs le penalh, pour rappeler la « peine » que ces anciens vaudois ont à expier pour l’éternité). Dans une petite maison non rénovée, nous avons en particulier été étonnés par l’absence de cheminée, la fumée des foyers et des fours s’échappant par les tuiles des toits reposant sur des poutres et des voliges noircies.

Ce ne fut donc qu’une toute première approche, très insuffisante, mais extraordinairement instructive : nous avons simplement vu la réalisation, dans une village de trois cents habitants, isolé sur un territoire par ailleurs prodigieusement intéressant d’un point de vue linguistique (présence de communautés albanophones, helléniques, du « dialecte » calabrais…) et culturel, de ce que des régions entières, avec tout le potentiel humain, toutes les forces vives que cela représente – le Limousin étant peut-être la plus mal lotie des régions occitanes – ne parviennent pas même, de ce côté-ci des Alpes, à imaginer.

 

J.-P. C.

Guardia


 

[1] 74,6 % de la population déclare parler le guardiolo sans difficulté (38 % estimant posséder une maîtrise complète de la langue), 71 % l’utilise spontanément comme instrument de communication habituelle. Parmi les plus jeunes cependant l’usage de la langue tombe à 54,5 %. P. Monteleone, « Per una identità di Guardia Piemontèse tra dati demografici, riscontri, memorie e territorio », in Guardia Piemontese. Le ragioni di una civiltà, a c. di A. Formica, Commune di Guardia Piemontese, 1999. Inutile de souligner que nous ne disposons qu’exceptionnellement de ce type de données, extrêmement importantes pour engager des politiques linguistiques efficaces.

 

[2] Cd : Vocabolario dell’occitano di Guardia Piemontese, Commune di Guardia Piemontese, 2004 ; Guardia Piemontese. Le ragioni di una civiltà, a c. di A. Formica, Commune di Guardia Piemontese, 1999 ; A. Formica, Quaderno didattico per l’insegnamento efficace delle lingue meno diffuse in Europa. L’occitano di Guardia Piemontese, 2001.

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Commentaires
J
Adiu v-autres,<br /> <br /> Ieu m'interesse aus differents dialectes occitans e aus comunitats isoladas (Gàrdia, Pigüe).<br /> <br /> Ieu querre quauqu'un a Gàrdia per aver 'na pita correspondença en occitan lemosin/gardiòl.<br /> <br /> Avetz quauques contactes a me balhar, quauquas personas a me conselhar ?<br /> <br /> Mercés d'avança.<br /> <br /> <br /> <br /> Jironi B.
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T
Bonjour :<br /> d'abord il y avait une grosse coquille dans le titre, que j'ai corrigée :<br /> ‘O libre meu. Manuale diddattico per l’insegnamento della lingua occitana nella scuola".<br /> En France, absolument impossible, en Italie sans doute plus facilement. Je pense que le plus simple est de contacter directement la mairie de la Gardia (Guardia Piemontese en italien) qui est l'éditeur du livre.<br /> Via Municipio, 1<br /> 87020 Guardia Piemontese<br /> Italie<br /> sindaco@comune.guardiapiemontese.cs.it
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E
Bonjour,<br /> Savez-vous comment on peut se procurer, en France, le livre dont vous parlez : Giuseppe Creazzo, Agostina Formica et Hans Peter Kunert ‘O libre meu. Manuale dittacio per l’insegnamento della lingua occitana nella scuola, 2001 ?<br /> Merci d'avance<br /> Elodie
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P
Aquò fai pensar a l'Algher/Alghero daus catalans , avem aqui un canton d'Occitania un pauc Oùtramarin.
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M
Encara sus la Gàrdia<br /> En demai dei publicacions en italian de Formica e Creazzo (Quaderno didactico... L'occitano di Guardia Piemontese, etc), e deis estudis de Kunert (qu'ensenha a Cosenza), siáu estat fòrça interessat per un libre que la comuna publiquèt, "O libre meu" (2001), un manuau per ensenhar l'occitan de la Gàrdia ais joves, oficialament, a l'escòla, qu'es fòrça ben fach) (Creazzo, Formica, Kunert) <br /> Avetz un exemple d'occitan normalizat dins lo CR dau prèmi polar : una mescla d'occitan de la Gàrdia e d'occitan aupenc (Ines Cavalcanti èra dins la jurada). Lo bessonatge ambé lei Aupencs es estat un ferment dei gròs.<br /> http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=290<br /> Viatz tanben sus lo siti oficiau de la comuna la referéncia a son occitanitat, e aquest an an mandat una delegacion gròssa, ambé lo cònsol, a la manif. de Bezièrs.<br /> coralament<br /> R.Merle
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