Jean des Pierres / Joan dei Peiras
Voici le compte rendu par Baptiste Chrétien (dit Tiston) de la soirée Roger Pasturel et Renat Sette à Glanges, que j'ai ratée et qui méritait pourtant le déplacement.
J.-P. C.
Jean des Pierres / Joan
dei Peiras
Dans le cadre du festival
Coquelicontes 2007, festival de contes qui se déroule en Limousin sur une
dizaine de jours et en plusieurs endroits de la région, est venu à nous cette
année un beau spectacle de 1h10 environ qui mérite que l’on en parle. Roger
Pasturel, conteur de près de 70 ans, natif de Vaurias dans le Vaucluse où il
réside toujours, dit le conte. Renat Sette, chanteur de tradition originaire du
pays niçois mais dont le répertoire s’étend à toute la Provence et même au
Piémont, chante le conte.
Pasturel et Sette donnaient
cinq représentations de leur spectacle à
l’occasion de Coquelicontes. Je suis allé à celle de Glanges, petite commune au
sud de Limoges. Certains auraient dit qu’il y avait peu de monde, je dirais
qu’il y avait suffisamment de monde, une quarantaine de personnes peut-être, ce
qui a suffi à remplir aux 3/4 la salle, car à Glanges, comme dans beaucoup de
villages limousins, on y vient, on fait l’effort d’y venir, on n’y passe pas
par hasard. Dans l’assistance il y avait des occitanistes, ou disons des artistes
occitans, comme Jan dau Melhau ou encore Monica Sarrasin. Il y avait aussi
quelques personnes qui avaient fait le déplacement depuis Limoges ou ailleurs
comme moi et surtout, en majorité, les gens du village et alentours. A l’entrée
Renat Sette salue les gens qui arrivent, tout sourire.
Le spectacle est gratuit.
D’ailleurs, parlons-en du spectacle. Il s’agit de Jean des Pierres ou Joan dei
Peiras en provençal. C’est en fait l’adaptation à la Haute-Provence d’un
conte que Pierre-Jacques Hélias (Per-Jakez
Helias) a recueilli en breton il y a plus de cinquante ans et réécrit dans L’homme qui parlait aux pierres.
L’adaptation est signée Jean-Yves Royer.
Sur la scène un fond noir, une
petite table, deux chaises autour de celle-ci, et dessus une bouteille de rouge
et deux verres vides. La lumière est tamisée, genre bistrot à l’ancienne.
Roger Pasturel rentre en scène,
s’approche de la table, la pointe du doigt, regarde le public d’un air sévère
et lance : « Aquò es mon beure
aqui ? » (c’est ma boisson ça ici ?). Puis il s’énerve que
nous ayons pu nous imaginer une seconde qu’il oserait s’asseoir à cette place
qu’il désigne….car cette place, cette chaise, est sacrée. Nous sommes au
bistrot de la place du Bourguet à Forcalquier, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Et cette chaise que nous montre Pasturel, maintenant assis sur la chaise d’en
face, elle a toujours été réservée aux ‘phénomènes’, aux légendes, aux sages,
comme il y en a dans chaque village ou bourg. C’est la place de ceux qui ont
marqué leur temps, ceux que l’on écoutait, dotés d’un savoir-faire particulier ou d’une façon de
dire les choses et de les sentir qui imposaient le respect de tous les
villageois. Voici donc que Pasturel commence à nous décrire, en français, en
occitan et en francitan, quelques-uns de ces personnages hors du commun. Il
nous parle par exemple de Giuseppe le maçon, dont le grand-père était arrivé
d’Italie portant sur son dos une lausa[1] de marbre de trois quintaux. Il nous raconte aussi un vieux du village,
Amadieu, qui avait inculqué aux copains du bistrot la théorie du cause à effet,
ou plutôt de la coïncidence pas si fortuite que ça. Par exemple le jour où la
source du vieux s’était tarie pour la toute première fois, on annonçait au même
moment dans le poste une grande vague de sécheresse et de famines en Afrique.
Un autre jour, alors que le vieux libérait ses oiseaux appelants[2], au
moment où son dernier pinçon s’est envolé pour gagner la liberté, on annonçait au
transistor la libération de Nelson Mandela. Pasturel nous raconte aussi celui
qui descendait parfois de sa montagne, les jours de grand vent, alors qu’il
entendait son toit crier, grincer. Il descendait au bistrot, s’asseyait à la
fameuse place, sur cette fameuse chaise, et annonçait qu’il allait se produire
un grand malheur. L’homme est descendu en 1914, en 1939…
Entre ces magnifiques
portraits, Renat Sette sort d’un coin de la scène où il reste debout et vient
chanter a capella en provençal des petites chansons. Ces chants, écrits sur des
airs traditionnels du répertoire occitan, reprennent les paroles du conteur,
les remanient, les résument, les condensent.
Puis vint pour nous le moment
d’entendre l’histoire de la légende des légendes de Forcalquier : Joan dei
Peiras, le modeste berger qui avait un don : celui de parler aux pierres,
de les entendre, de dialoguer avec elles. Ce qui en fit le meilleur monteur de
murets et de restanques[3] de la
région. Joan avait en effet ce don d’entendre le chant des pierres quand le
vent les caresse ou s’engouffre entre elles. Joan savait aussi entendre leurs
cris, sentir leur douleur quand elles sont mal disposées, mal taillées, mal
manipulées.
Pendant le portrait de Joan dei
Peiras, qui occupe deux bons tiers du spectacle, les interventions de Renat
Sette se font plus fréquentes. Toujours sur ce principe de résumer, reformuler
en chanson (et en occitan) les dires de Pasturel sur des mélodies
traditionnelles (l’un des derniers chants est par exemple adapté à l’air de Lo
boièr), Sette marque le rythme en frappant ses mains de différentes manières,
en tapant du pied, en choquant deux cailloux l’un contre l’autre ou encore en percutant une grosse pierre avec un marteau et
un burin. Il faut savoir que Renat Sette, avant d’être chanteur, est maçon et
tailleur de pierres, passionné par le patrimoine bâti et les techniques de
construction. Sette est très discret, souvent dans un coin de la scène quand le
conteur parle, mais quand il se met à vue de tout le public et commence à
chanter, il occupe l’espace d’une manière impressionnante, ou disons plutôt que
c’est sa voix, son chant, qui remplit tout l’espace, captive, capte l’attention
de chacun et surtout semble ne laisser aucun espace libre dans la salle de
spectacle, semble vous encercler, vous capturer, vous écraser. C’est une
merveilleuse sensation que peu de chanteurs savent procurer et que, selon moi,
seul le chant a capella en milieu clos peut faire naître.
L’histoire de Joan je ne vous
la raconterai pas ici dans le détail, je vous laisse l’immense bonheur de
l’entendre à l’occasion. Simplement pour ceux qui ont lu le conte de Helias, je
leur signale que l’adaptation de Royer offre une fin différente… De plus
parfois ici l’on déborde, on fait référence par la métaphore aux guerres du
Moyen-Orient, en nous parlant par exemple, sans le citer, de ce pays où des
hommes rendus fous par leurs croyances ont détruit de superbes et séculaires
statues[4].
Il s’agit en tout cas d’un
magnifique spectacle, d’une sublime histoire bretonne merveilleusement adaptée
à la Haute-Provence et que l’on pourrait très facilement transposer au Limousin
ou aux Cévennes, à différentes régions de bocage où les murets de pierres
tiennent, ou tenaient, une place prépondérante dans le paysage et où les
paysans possédaient des savoirs rares, des valeurs précieuses, une langue
ancrée dans la terre, en un mot un biais
de viure[5]
qui en faisait des personnages souvent passionnants et hautement poétiques.
Par ailleurs la façon de donner
vie aux pierres, de leur prêter des sentiments, de les humaniser que nous livre
ce conte m’a fait beaucoup penser à Marcela Delpastre, elle qui a tant écrit de
poèmes magnifiques sur les pierres, sur leurs cris, sur leur sang, sur leurs
joies et leurs douleurs…
Au début du spectacle Renat
Sette prévenait l’assistance: « Les chansons et certains passages du
texte sont en provençal, c’est de l’occitan comme chez vous mais c’est un peu
différent, mais je pense que vous comprendrez sans trop de difficulté. Pour
ceux qui ne parlent pas occitan du tout, ce n’est pas grave, les chants
reprennent grosso modo le conte que va dire Roger, et le plus important c’est
la musique du chant, pas les paroles. ». Pendant le pot qui clôturait de façon
très conviviale la soirée, j’ai été amusé en tendant l’oreille d’entendre des
réactions très diverses par rapport au parler du chanteur provençal :
« c’est pas du tout comme chez nous, j’ai pas bien compris… » ou
« c’est pas exactement le même patois que nous mais j’ai bien tout
compris, à part quelques mots » ou « moi je ne parle pas patois mais
quand j’étais petit je le comprenais bien, ce qui fait que j’ai compris
quelques mots… » ou encore «j’ai réappris l’occitan que j’avais oublié, ce
qui fait que maintenant je sais que c’est la même langue que vous, donc je
tends l’oreille et j’arrive à bien vous comprendre… ». ça vaudrait le coup d’enregistrer tout ça et de
faire une étude. Tant de perceptions différentes, ceux qui font l’effort de
compréhension, ceux qui le font moins, ce qui sentent une proximité entre leur
parler et le provençal mais ne comprennent pas, ceux qui appuient sur le fait
que c’est très différent, que c’est pas le même patois, mais qui comprennent
parfaitement…
Renat Sette joue ce spectacle
accompagné de différents conteurs: Roger Pasturel, Eric Leconte, Jean Marotta
ou d’autres encore. Ce spectacle semble beaucoup voyager, s’il passe près de
chez vous, ne le ratez pas !
Pour connaître l’agenda de
Renat Sette, allez sur son site : http://rene.sette.mageos.com/
Baptiste Chrétien
René des Pierres
Sette chanteur et maçon
[1] dalle de pierre, en occitan.
[2] Appelants : oiseaux apprivoisés
dont on se sert à la chasse pour attirer les gibiers de la même espèce.
[3] Restanque (en provençal restanca) : mur de retenue en pierres sèches construit
dans le lit d'un torrent intermittent pour provoquer un atterrissement en amont
(tout en laissant passer l'eau) et créer ainsi une terrasse de culture.
[4] Le texte fait ici référence à la
destruction par les islamistes talibans en 2001 de deux célèbres statues de Bouddha (dont
l’une mesurait 55 mètres) dans la province de la Bâmiyân en Afghanistan.
[5] Expression occitane pour dire la manière
de vivre, d’être, de faire et de penser.