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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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6 août 2015

Fables, contes et légendes piémontaises

a call in the night

Viginia Lee, A Call in the night

 

Fables, contes et légendes piémontaises

(pour accéder à la première version en occitan)

L’hiver dernier j’ai passé quelques jours à Turin. J’ai bien tendu l’oreille, mais je n’ai pas entendu parler piémontais. Il m’a semblé que c’était un peu comme de chercher à entendre de l’occitan dans les rues de Toulouse. La différence pourtant c’est que, là-bas, la langue y est beaucoup moins visible. J’ai découvert cependant une librairie, peu éloignée du musée du Saint-Suaire (lequel d’ailleurs, entre parenthèses, vaut la peine d’être visité pour sa muséographie pseudo-scientifique vintage), qui vendait des livres et des disques en piémontais. J’ai demandé les nouveautés en matière de livres et je fus sacrément déçu. Vraiment, le libraire ne m’offrait pas grand-chose à me mettre sous la dent, et en tout cas aucune création littéraire digne de ce nom. Peut-être la librairie n’était-elle pas bien achalandée, mais je ne crois pas, vu que sa vocation première était bien la diffusion de la culture piémontaise.

J’ai dû me contenter d’un recueil de proverbes de Michele Bonavero, d’ailleurs bien fait et très riche[1], et un autre de fables, contes et légendes (Camillo Brero et Barba Guido, Fàule, conte e legende dla tradission popolar piemontèisa, soagnà da Michele Bonavero, traduzione italiana a fronte, Torino, editrice Il Punto, 2012), un petit livre qui est en réalité, si j’ai bien compris, une réédition d’histoires publiées en 1974 et 1977 par les deux auteurs que sont Camillo Brero (Milo Bré) et Leonardo Guido Musso (barba Guido), bien connus dan le petit monde de la littérature piémontaise. Camillo Brero est l’auteur, entre autres, d’un dictionnaire, de livres sur la syntaxe et la grammaire du piémontais[2], de traductions bibliques et de recueils de poésie en piémontais, etc.

Le livre est présenté par Michel dij Bonavé (Michele Bonavero), l’auteur du recueil de proverbes que j’ai évoqué. Il est lui aussi un vieux de la vieille des études piémontaises. Il se cite lui-même, lorsqu’il introduisait l’édition de 1977. En ce temps là, où un peu partout en Europe on luttait ferme pour régénérer les langues et les cultures minoritaires, il avait en effet écrit (je traduis de l’italien) : « Le souffle d’une vie nouvelle est en train de se lever dans l’âme de nos gens et le Piémont récupère lentement son identité spirituelle. Les valeurs culturelles sont à nouveau à l’honneur et accueillies avec enthousiasme, dans l’exacte tonalité de la langue piémontaise à nouveau découverte et appréciée. Et si la conscience du piémontais comme langue conduit à réviser les fausses craintes nationalistes, les préjugés absurdes sur le dialecte, eux aussi, pèsent désormais moins lourd »[3]. Il est étonnant que Bonavero se contente de se citer lui-même entre guillemets sans prendre la peine de revenir sur la désillusion qui, un peu partout, suivit ces quelques années où tout semblait redevenir possible et sur le délicat problème constitué par le fait qu’en Italie, la retombée a débouché sur la récupération de la question des langues minorées par la Ligue Nord, parti xénophobe et anti-sud.

Enfin… Plus intéressant, Bonavero évoque la longue tradition de la fable versifiée en Piémont, depuis les Fàule moraj (Faulas moralas) d’Edoardo Ignazio Calvo (1773-1804), grand artiste du piémontais, un temps fervent jacobin, qui écrivit des fables magnifiques (on les trouve sur le site de liberliber) où domine la satire politique et sociale (l’ouvrage fut censuré immédiatement et son auteur recherché), qui servirent ensuite de modèle et de référence à d’autres[4]. Il cite aussi, dans un tout autre genre, l’œuvre fameuse de Nino Autelli, Pan d'coa. Leggende e racconti popolari piemontesi (1931, le pan d’coa est l’équivalent du « pain noir » de Clancier, le pain que mangeaient autrefois les paysans), en prose, mais d’une prose très poétique, œuvre profondément ancrée dans la culture piémontaise.

C’est plutôt cette voie que suivent ici les auteurs, surtout Camillo Brero, dans la première partie de l’ouvrage, avec des fables très belles pour la langue mais, à mon goût, trop moralisatrices et trop confites en dévotion, même si leur fond populaire reste intéressant, comme par exemple dans l’histoire du merle qui avale le venin qu’Érode avait versé dans le lait du petit Jésus (c’est depuis ce temps-là que le bec du merle est jaune !), ou l’appropriation piémontaise de la naissance du Christ, véritable crèche de Noël en prose, ou encore, plus attractif, la mise en scène du personnage du « setmin », c’est-à-dire du septième (naît à sept mois ou septième enfant), qui est traditionnellement chargé de pouvoirs contre les sorciers. Je ne veux pas enfin oublier la figure de Sainte Misère qui, parfois, peut porter chance (et fortune !) aux pauvres. Il faut lire aussi l’histoire de la création des Piémontais, qui raconte comment le bon Dieu, écœuré de voir que toutes « les races » humaines se cherchaient noise et se faisaient la guerre, créa les Piémontais, hommes avec la « testa sël còl », la tête sur le cou, faits pour travailler « pour eux et pour les autres » mais aussi… pour commander. Malheureusement, Dieu oublia de leur donner le bâton pour conduire et corriger les autres nations ! Conclusion : « Ël mal a l’é che coj che l’han la testa sle spale a l’han seguità a ten-e e mné ‘l baston sla schin-a dle ciole che a l’han la testa sël còl » : « Le problème est que ceux qui ont la tête sur les épaules ont continué à tenir le bâton et à en donner des coups sur le dos des pauvres bougres qui ont la tête sur le cou »… Chacun se console comme il peut…

Les contes de Guido Musso, dans la seconde partie du livre, sont à mon avis les plus beaux et les plus intéressants parce que directement issus de collectages et chaque fois est signalé le nom de la personne e sa variété de langue. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de contes moraux, mais nous allons plutôt à la rencontre du surnaturel et à la limite du conte fantastique, mais dans une culture qui reste profondément orale. J’en donnerai ici un exemple, traduit en français. Chacun pourra ainsi constater le cousinage de cette langue gallo-italique avec l’occitan, le franco-provençal et le français (sans parler de l’italien standard).

La graphie utilisée par les auteurs est aujourd’hui plus ou moins consensuelle. C’est celle qui fut mise au point par Pinin Pacòt (Giuseppe Pacotto) dans les années 1930. Elle est très régulière (beaucoup plus que notre occitan) mas pas si évidente que ça au premier abord parce qu’elle associe un fond de codification italienne à des emprunts aux codes du français (« eu » et « u » par exemple), de l’occitan (« o » pour le « u » italien ou le français « ou » [u] / « ò » pour la voyelle [o]) et enfin de l’allemand : ö per [ə]. Pour s’y retrouver, aller voir le wikipedia piémontais, ou le site Piemonteis.it.

 

La Ronza

 Na vòta a-i era ’n cartoné che a vivìa da le part ëd Carù, a l’avìa ’n gran bon caval e ’l surtiment ëd carton, tombarel, caëtta e trincabale e për sòn a l’era a l’autëssa ’d dé ’n bon servissi a coj che a l’avìo da manca’d sò travaj.

Na bela matin a l’era alvasse prest përchè a l’avìa da ’ndé a Faijan a fé na caria. Ciadlà ’l caval a l’avìa peui tacalo al carton e a l’era partì. Coma ch’a fasìa sempre a l’era setasse con le gambe a pendojon e a l’era viscasse la sigala e tranquil as fasìa la fumà matinera antramentre che ’l caval a ’ndasìa, ma tut ant un moment ël caval a l’era fërmasse, a bogiava pì. Alora chiel a l’avìa crijaje ’l comand d’andé, ma’ l caval gnente, sempre ferm. Calà giù a l’avìa ciapalo për la cavëssa për felo’ndé anans, ma gnente da fé, gnanca parèj a partìa nen. A cola mira lì a l’era montaje la flin-a : « A sì, it veusto nen andé anas con le bon-e ? Provoma con le grame ! » e ciapà ‘l foèt a l’avìa piantaje doe foëttà decise, ma la bestia a l’era pa merasse d’un centim ! A bogiava pròpi pì, a smijava ’ntampà !

Chiel a savìa pa pì còs disne, a l’era mai capitaje n’afé përparèj da quand a l’avìa torna ciapà la cavëssa e a l’avìa col caval lì. A l’avìa torna ciapà la cavëssa e la l’avìa provà a felo arculé, arculé a’rculava, ma anans a’ndasìa nen. Gnanca a parlene. Costa a l’era pròpi gaja ! A l’avìa beicà anans sla via për vëdde se për cas a fussa staje quàich bestia ch’a sbaruvava ’l caval, ma a l’avìa pas vist gnente, a-i era mach na ronza’d travers a la stra, un pòch pì anans.

Alora, vist ch’a-i era pas nen da fé, a l’avìa virà’l caval e a l’era artornà a ca ’ndoa a l’avìa peui contaje a la fomma lòn ch’a l’ara capitaje e chila a l’avìa dije : « Lassa fé da mi, it vëgaras che a rangio tut, vira pura la bestia ch’i andoma ».

Sò òm a l’avìa sotala, a l’avìa virà’l caval e chila a l’era’ndàita a pijesse’l mëssoirèt e a j’ero partì.

Rivà an sël pòst ël caval a l’era torna piantasse, chila a l’era calà dal carton e con ël mëssoirèt a l’avìa tajà la ronza, peui a l’avìa dije a l’òm : « Ora va pura ! », chiel a l’avìa comandà ’l caval che a l’era partì andasend a fé sò travaj ; chila a l’era tornà a ca, ma quand ch’a l’era rivà a l’avìa trovà la mare madòna con un brass tajà.

Contà da Lena Bòsio ’d Carù

La Ronce

Il était une fois un charretier qui vivait du côté de Carrù. Il avait un beau et bon cheval et un assortiment de charrette, tombereau, charreton et char, grâce à quoi il était en mesure de satisfaire ceux qui avaient recours à ses services.

Un beau matin il s’était levé de bonne heure parce qu’il devait aller faire un chargement à Farignano. Une fois le cheval harnaché, il l’avait attaché à la charrette et il était parti. Comme il le faisait toujours, il s’était assis les jambes pendantes, avait allumé son cigare et tranquillement prenait sa fumée du matin, pendant que le cheval allait son chemin, mais tout à coup le cheval s’était arrêté et ne bougeait plus. Il lui donna alors l’ordre d’aller, mais le cheval ne voulait rien entendre, pas un mouvement. Il était descendu et l’avait attrapé par le licol pour le faire avancer, mais rien à faire, cela non plus ne le faisait pas bouger. A ce point, il se mit en colère : « Ah oui, tu ne veux pas avancer par les bons procédés ? Essayons donc les mauvais ! » et prenant son fouet, il lui en avait flanqué deux coups bien ajustés, mais la bête ne s’était pas déplacée d’un centimètre ! Elle ne bougeait vraiment plus et semblait plantée là !

Lui, ne savait plus quoi penser, une chose pareille ne lui était jamais arrivée depuis qu’il avait ce cheval. Encore un coup, il avait pris le licol et essayé de le faire reculer ; pour reculer, il reculait, mais il n’allait pas de l’avant. Il ne fallait pas y songer. C’était quelque chose de fort ! Il avait regardé au devant de la route pour voir si par hasard il n’y avait pas quelque bête qui effrayait le cheval, mais il n’avait rien vu, mis à part une ronce qui traversait la route, un peu plus loin.

Alors, vu qu’il n’y avait rien à faire, il avait tourné le cheval et s’en était revenu chez lui, où il avait raconté à sa femme ce qui s’était passé et elle lui avait dit : « Laisse-moi faire, tu verras que je règlerai tout ça, tourne donc la bête, nous y allons ».

Son mari l’avait écouté, avait tourné le cheval, elle était allé prendre sa faucille et ils étaient partis.

Arrivés sur place le cheval avait à nouveau pilé, la femme était descendue de la charrette et avec la faucille avait taillé la ronce, puis elle avait dit à l’homme : « Maintenant, tu peux y aller ! », il donna l’ordre au cheval qui était parti faire son travail ; elle s’en était retournée à la maison, mais quand elle arriva, elle avait trouvé sa belle-mère avec un bras taillé.

Raconté par Lena Bosio de Carù (province de Coni)



[1] Michele Bonavero, Proverbi Piemontesi. Il Fascino della Sagezza Popolare, Torino, editrice Il Punto, 2011.

[2] Sintassi dla lenga piemontèisa, Torino, Piemont/Europa, 1994.

[3] « Un soffio di vita nuova sta lievitando nell’anima della nostra gente ed il Piemonte sta ritrovando lentamente la sua entità spirituale. I valori culturali vengono riproposti e sono accolti con entusiasmo nella esatta tonalità della lingua piemontese riscoperta e riapprezzata. E se la coscienza del piemontese-lingua sta ridimensionando i falsi timori nazionalistici, vengono meno, anche, i preconcetti assurdi sul dialetto… »

[4] Giusep Arnàud, 16 fàule moraj ; Vissent-Andrea Peyron, Fàule Piemontèise poétiche, crìtiche, leterarie e moraj, etc.

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Commentaires
R
Totjorn agradiu de legir de piemontés (lenga mairala d'un de mei paigrands, e que mon paire parlava). Ieu, aguèri sovent l'escasença de l'ausir parlar, quand èri pichòt, parallèlament à l'occitan dei Valadas e à-n-aqueu de Niça.
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