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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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8 janvier 2007

Accent local

 

tentendspasouquoi

Limoges, derrière la gare des Bénédictins

 

J’ai été attiré par le titre de la page « sortir » du Popu d’hier, 7 janvier : « Un téléfilm à l’accent local ». Un article de Nicolas Yardin nous apprend qu’un téléfilm, réalisé par François Luciani, bientôt diffusé sur France 2, intitulé Les Camarades, vient d’être tourné en Haute-Vienne entre Saint-Léonard-de-Noblat et Limoges.

       L'invocation de l’accent local m’a rappelé une célèbre algarade publique entre Jean-Marc Siméonin et Arlette Téphany[1], laquelle prétendit que Limoges était une ville dont les habitants n’avaient pas d’accent, affirmation consternante, me semble-t-il, pour tout limougeaud de bonne foi, ou pour qui, comme moi, fréquente et enregistre des ponticauds et vilauds ayant connu leur ville avant et après la seconde guerre. D’ailleurs mes interlocuteurs m’ont plus d’une fois confié qu’il n’y a pas si longtemps encore, on disait aux jeunes qui affectaient l’accent « pointu » : « Tu as avalé la fumée du train de Paris »[2]. Pourtant j’ai moi-même entendu dire : « Nous n’avons pas d’accent à Limoges » et il est vrai que les jeunes générations n’en ont presque plus. Entendons nous bien, ils n’ont presque plus l’accent de leurs parents lié à langue occitane et ont ainsi quasiment réussi à intégrer un accent du nord de la Loire. Cela, du reste, étonne beaucoup l’albigeois que je suis, car dans le Sud-Ouest, sans nul doute l’accent s’est mieux transmis, même si l’érosion existe. Cette « perte » de « l’accent local » en une génération suppose, me semble-t-il, un immense effort de dénégation de sa propre identité linguistique au profit d’un mimétisme acharné de la capitale. Les téléfilms d’ailleurs ne doivent pas y être pour rien, tant il est vrai que les kyrielles de séries du terroir et des familles dont nous abreuvent les chaînes nationales se caractérisent par l’absence à peu près totale de vraisemblance en matière d’accent, quel que soit le coin de France où l’action est censée se dérouler. On entend du reste toujours les mêmes acteurs qui ont tous dû apprendre dans les mêmes écoles à parler comme il faut, c’est-à-dire conformément aux canons du bon goût de la capitale.

 

C’est pourquoi, j’ai d’abord pensé qu’un film soucieux d’accent local, qui plus est limougeaud, valait la peine qu’on s’y intéresse. Les Camarades, écrit N. Yardin, « évoque le destin d’une bande de copains (…) âgés de vingt ans à la Libération, qui ont en commun une solide amitié et la foi dans le communisme ». Voilà qui, en effet, caresse plutôt la conscience historique et idéologique limougeaude dans le sens du poil : sur la question, avec et autour de Guingouin, il y aurait de quoi faire, et diable, avec l’accent ! Mais voilà que le journaliste ajoute  que « François Luciani n’a pas manqué d’imagination, recréant notamment un quartier des bords de Seine de Paris… en plein Limoges, au pied de la cathédrale. Car si le tournage a eu lieu en Limousin, l’histoire est censée se dérouler en région parisienne ». Donc je n’avais rien compris : l’accent local est celui de Paris, même et surtout si l’on nous dit bien que parmi les 50 comédiens, les « régionaux » sont nombreux et que « plus de 700 figurants limousins » ont participé. Ah limousins ! Vous pouvez être fiers, à force de singer Paris, voilà que Paris vous reconnaît enfin selon votre mérite, voilà que la capitale vient à vous, et vous invite à jouer et figurer les bons gars d’Paris… pour traiter d’un sujet grave et important, qui vous tient à cœur ; une histoire d’amitiés communistes, beaucoup plus belle bien sûr que si elle se déroulait bêtement à Limoges. Et puis, l’accueil des équipes de tournage, c’est-à-dire la subvention du tournage (la région a apporté une aide totale de 240.000 euros dit le Popu) est un enrichissement considérable pour la région : « outre l’aspect culturel » (en effet, quels événements culturels majeurs que ces projections en avant-première, prévues ce mois-ci !) « les retombées économique sont importantes, explique Stéphane Cambou, président de la commission culture et sports au Conseil régional. Pour un euro versé, quatre euros sont redistribués dans l’économie locale ». Donc un peu de dépense, mais quels bénéfices, culturels et économiques !

 

Braves limougeauds ! Il est vrai que la société du spectacle n’a plus besoin des maçons de la Creuse, mais elle fait une grande consommation de figurants ; vous n’avez même plus besoin de monter à Paris, on vous recrute sur place ! Quel progrès dans la conquête de votre dignité culturelle et citoyenne !

 

Une ironie bien involontaire veut que le même jour, sur la même page un petit encart non signé annonce la parution du Dictionnaire français-limousin, de Michel Tintou. Tiens donc, ce pays sans accent, aurait-il une langue ? Et « toujours vivante » proclame le titre. Michel Tintou, nous est-il dit « a connu l’époque où le « parler limousin » était encore largement pratiqué tant à la campagne qu’à la ville », autrement dit justement l’époque mise en scène par le téléfilm de François Luciani. La langue d’oc, écrit Tintou en introduction de son ouvrage (passage cité dans l’encart), « reflète certainement l’aspect le plus important d’une identité capable de délivrer aux habitants du pays un antidote puissant de renaissance, face à l’uniformité déprimante, paralysante et inhumaine qui entend régenter le monde ». Certainement, il en va ainsi de l’uniformité déprimante d’une ville de figurants « sans accent »… Voilà comment la rencontre fortuite sur une même page de deux articles quelconques peut devenir parfois fort corrosive, sinon même explosive, et Dieu sait que l’on ne saurait soupçonner le moins du monde notre Popu vénérable, bien pensant et bien disant (à la mode de Paris), de l’avoir fait exprès.

JP Cavaillé

 

 


 [1] L’affaire est reportée par le menu dans Occitans ! automne 1990, p. 6.

[2] « L’existence de ce « parler régional » n’est pas contestable : une oreille extérieure la perçoit immédiatement… Une enquête récente a montré que les Limousins étaient conscients d’avoir un « accent », et, qui plus est, qu’ils en étaient fier », Gérard Gonfroy, « Le dialecte limousin », in C. Bonneton (éd.), Limousin, Clamecy, 1984, p. 184. Il serait intéressant de refaire aujourd’hui cette enquête.

 

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Commentaires
A
Je ne suis pas de Limoges, mais de Saint-Yrieix-la-Perche. Et ma mère d'Excideuil. De mes deux parents j'ai conservé la prononciation d' "année" : an née.<br /> <br /> Et cette prononciation me semble être un marqueur qui n'a pas encore disparu.<br /> <br /> Une anecdote : un ancien collègue m'a dit que pour passer l'agrégation de lettres il avait suivi des cours pour perdre son accent toulousain. Et ce fut efficace. Il est agrégé (il a fallu un peu le désagréger !) et n'a pas l'accent de Toulouse.
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S
Est il possible de contester l'apprentissage du<br /> français dans certaines classes.<br /> Habitant dans le sud est, une région particulièrement envahie, certain profs (parisiens,chtimis, etc...<br /> etc...etc....etc...) nouvellement arrivés obligent les enfants à prononcer les mots comme eux.<br /> Exemples de liaisons débiles comme "leur portage sur lar trait " (le reportage sur la retraite) ou" la blet court" (la belette court) ou encore "on offre des pluches aux enfants", ils ne font pas la différence entre masculin et féminin et à force d'éviter les E ils oublient aussi les R et les L ce qui donne par exemple" ya kat suc sula tab"...(il y quatre sucres <br /> sur la table)<br /> Entre la télé et les profs du nord l’accent soi disant standard devient comique :<br /> " j'mé kat heur pour fair kat kilomet".<br /> ou “applé’l met” (appellez le maître). <br /> Tout cela est il sérieux, ne serait il pas temps d'en parler..<br /> Qu'en pensez vous ?<br /> Merci
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J
je suis passionnée par les accents, j'étudie la linguistique et je souhaite faire un mémoire sur l'accent finistérien.. si quelqu'un à quoi que ce soit à me faire partager, n'hésitez pas!
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L
Très attachée à la belle langue limousine, j'ai un accent bien de "chez nous". Cela me vaut parfois, de la part de certains de mes collègues, grands lettrés de l'Education Nationale, un regard condescendant, voire méprisant. Je ne suis qu'une "paysane" qui ne peut, bien sûr, qu'être inculte. Mais je suis fière de parler et chanter encore la langue que m'ont transmis mes grands-parents. Un tout petit témoignage...
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O
Merci pour cet article concernant l'accent qui résume bien ce que je vis au quotidien dans le secteur culturel et artistique où j'évolue.<br /> J'étais pas plus tard qu'hier à un casting sur Marseille pour la série "Sous le soleil" de TF1. <br /> Deux rôles m'étaient proposés: le premier celui d'un avocat, le second celui d'un voisin des personnages principaux de la série et qui passe son temps à emmerder le monde. La facilité aurait voulu que je prenne le personnage du voisin chiant avec mon accent Languedocien que j'entretien et impose à chacune de mes performances d'acteur, . Et bien Non!!! J'avais décidé de faire l'avocat malgré les remontrances des resposables de l'audition qui me préferait dans le role de l'emmerdeur de service. Toujours la même discrimination quand il s'agit de distribuer des personnages hauts placés dans l'échelle sociale, par contrer les fadas, les poubelaires et les casses bombons, les productions parisiennes font appels aux bons méridionnaux...Enfin, je ne sais pas encore si je serai retenu, mais une chose est certaine c'est qu'ils se souviendront de moi.<br /> Oliviè <br /> Al cop que ven
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