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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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8 décembre 2006

Les mots migrateurs et le français sédentaire

valise

 

Du 10 au 20 mars 2007 aura lieu, partout en France et dans le monde de la grande francophonie la Semaine de la langue française, organisée par le Ministère de la culture et de la communication. François Erlenbach, directeur de la DRAC du Limousin, dans sa lettre circulaire aux associations et partenaires, présente ainsi la manifestation : elle « est une invitation à célébrer notre langue, lien social par excellence, outil de l’expression personnelle et de l’accès à la citoyenneté et à la culture ». Célébrer la langue, notre langue… l’expression revient sans cesse dans la littérature officielle : le juste rapport à la langue française, à l’occasion des manifestations qui visent à la promouvoir, est celui de la « célébration ». Pour mériter une telle solennité, il faut qu’elle ait quelque chose de sacré. Et en effet, il y a quelque chose de divin en elle, s’il est vrai qu’elle est le « lien social », qu’elle permet l’expression de l’individu, et surtout, surtout, « l’accès à la citoyenneté » et à la culture. Mais en quoi toutes ces merveilles seraient-elles la prérogative de la langue française ? C’est le langage, « le logos » comme tel, qui fait de nous des animaux politiques (Aristote), des animaux citoyens et cultivés, et comme tel le langage se décline dans toutes les langues du monde, et l’on ne voit pas en quoi le « français » aurait sur ce plan une quelconque prérogative, une quelconque supériorité ou même spécificité. On nous dira que ce prêchi-prêcha laïque, cette langue de bois des administrations culturelles ne sont pas vraiment destinés à être pris au pied de la lettre ou analysée de près… D’ailleurs François Erlenbach ne fait que reprendre lui-même les formules toutes faites de son ministre de tutelle, qui explique que la Semaine de la langue française a « pour ambition de montrer [le] rôle [de celle-ci] dans la vie sociale, comme outil de l’expression personnelle et de l’accès à la citoyenneté et à la culture » [1]. La présentation officielle de l’édition 2006 disait déjà la même chose : « Le français, langue de tous, langue pour tous. Comme facteur de cohésion sociale et de lutte contre l’exclusion, comme moyen d’expression personnelle aussi bien qu’instrument de communication, le français se donne à entendre dans le concert des langues » [2] On peut observer, au passage qu’en peu de temps, le syntagme « lutte contre l’exclusion » a cessé d’être à la mode et n’est plus de mise cette année. Là encore la formulation, si on voulait s’y arrêter, nous conduirait à bien des questions : le français est la langue de tous et pour tous, c’est-à-dire, une langue démocratique par essence ; ce qui voudrait dire que d’autres, dans le « concert » feraient des couacs ? Ne seraient pas, ou moins égalitaires et démocratiques ? Mais alors parle-t-on vraiment des langues, ou de la politique que l’on fait avec ? Parle-t-on vraiment du français, qui fondamentalement, dans ses fonctions fondamentales, est une langue comme les autres (ses différences, ses spécificités sont ailleurs), ou fait-on plutôt de la propagande avec ? Y va-t-il de la place du français dans le concert des langues ou bien de la France dans le concert des nations ? La langue de bois des politiques et des administrateurs est une excellente matière pour réfléchir sur la manière dont travaillent les idéologies, par la répétition, les glissements sémantiques, les ambiguïtés, les représentations toutes faites susceptibles d’entraîner le consensus le plus large ou du moins de passer sans accrocs sans un discours d’introduction. Parmi ces lieux communs, sacrés chez nous, souvent risibles ailleurs, figure l’affirmation d’un lien intrinsèque, sacré et donc digne d’être célébré, entre la langue française et la citoyenneté moderne, les droits de l’homme, la démocratie, le progrès, etc.

Ces représentations, il est vrai, évoluent en se répétant. Et, même si elles se répètent plus qu’elles n’évoluent, il ne faut pas tout à fait désespérer. Soit le thème choisi cette année pour les « dix mots » rituels qui constituent, comme chaque année, le programme ouvert de la manifestation : « Les mots migrateurs ». Un joli petit dépliant les présente, dûment accompagnés de leur logo respectif : Abricot, amour, bachi-bouzouk, bijou, bizarre, chic, clown, mètre, passe-partout, valser… Des mots que nous utilisons tous les jours viennent d’ailleurs, et en retour migrent parfois en d’autres langues. Une sorte de petit quiz nous apprend quelques rudiments concernant leurs origines et leur histoire. Par cette courte liste le français apparaît comme une langue plus accueillante qu’on ne le croit s’il est vrai que l’on y trouve des mots issus de l’arabe, de l’allemand, de l’italien, du turc, de l’anglais, etc. que personne ne songerait à proscrire. La question, on le sent en filigrane, avec tous ces mots sans papiers et pourtant si bien intégrés, n’est pas seulement linguistique, mais aussi politique… Plus encore, et l’on sent là l’action bénéfique de l’esprit DGLFLF (Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France), deux de ces mots sont explicitement présentés comme issus de « langues de France » : « bijou » qui vient du breton et « amour » issu de l’occitan médiéval. Certes on peut s’arrêter sur la formulation, de ce qui correspond à la deuxième question du quiz : « Dès le Moyen Âge, le français a emprunté aux langues parlées sur son territoire. Trouver les deux mots qui viennent d’une langue de France autre que le français ». Je souligne le possessif, qui implique forcément que dès l’époque médiévale le territoire du français, de la langue française, comprend déjà ce que l'on appelle aujourd'hui la Bretagne et l’Occitanie, ce qui est une façon curieuse et en tout cas tout à fait erronée de présenter les choses. D’autant plus que lorsque l’occitan et le breton ont donné respectivement « amor » et « bizoù » au français, ils ne pouvaient être des langues de France, puisque les territoires où elles étaient parlées ne relevaient pas de la couronne française. Voilà comment, subrepticement, la falsification de l’histoire politique des langues se poursuit dans l’effort même de réhabilitation des langues minorisées. On aurait pu aussi signaler que les deux mots n’ont pas changés depuis en ces deux langues, qu’en un tel contexte d’ailleurs on a bien du mal à dire « nôtres » sans ambiguïté, puisque « notre » langue on l’a vu, c’est toujours déjà et d’abord le français. Il y aurait autant de précisions et correctifs à apporter, sans doute, pour leurs huit autres compagnons, qu’un petit questionnaire de rien du tout ne saurait donner, mais enfin, tout de même…
Mais enfin, là encore, à bien y réfléchir, on ne sort pas du monolinguisme le plus étroit. En effet si les origines de ces mots sont bien signalées, ils ne sont à aucun moment donnés dans leur graphie et sous leur forme première (bizzarro, waltz, bizoù, etc.) : point de présence directe donc de ces autres langues qui ont donné leurs vocables et que le français bien sûr a transformé pour la plupart afin de les intégrer. Mais justement, c’est de cela qu’il s’agit : d’une politique linguistique d’intégration ; on accepte les étrangers, mais à conditions qu’ils « s’intègrent », c’est-à-dire qu’ils perdent autant que possible leurs identités et caractéristiques premières pour se fondre dans une culture et une langue républicaine sacralisée, et à ce titre une, unique et universelle. Et ce petit prospectus, finalement, est très significatif ; délibérément ou non, il est porteur d’un message politique en matière de cultures et de langues. Il n’y a de place pour les autres langues que naturalisées dans le français, il n’y a de place pour l’étranger que fondu, absorbé dans le monolinguisme.

coeur

Cela est certes aux antipodes de l’action que la DGLFLF tente de mener, avec ses faibles moyens (même si elle passe son temps à nous dire que l’action gouvernementale en la matière est considérable, ce qui est faux), qui vise à ménager un espace au moins minimal pour l’expression publique des richesses linguistiques présentes sur le territoire national. Mais elle est dans une situation proprement impossible car elle porte en elle, et déjà dans son propre nom, l’intenable contradiction d’un pays où le monolinguisme est une religion d’État (et se « célèbre » comme tel), gravé dans le marbre de la constitution, et qui, à la fois, se fait depuis quelques années l’apôtre de la diversité culturelle (et donc fatalement linguistique), mais en considérant que l’enjeu majeur de cette affirmation de la diversité est le maintien de l’empire francophone, au détriment des langues minoritaires sur le territoire national et des autres langues présentes dans les pays de la francophonie. Toutes ces langues ne présentent en fait d’intérêt que dans la mesure où elles sont la source de la « variété » et de la « diversité » du français elles-mêmes chantées dans le français le plus neutre, atone et convenu qui soit.

D'ailleurs, si ce nouveau discours de la « diversité » était véritablement assumé, nous aurions au moins une semaine des langues de France comme nous en avons une de la langue française. Mais, que je sache, nous n’en avons pas un jour, ni une heure. D’ailleurs qui connaît la DGLFLF, en dehors des initiés ? Quelle est sa représentation publique ? Qui sait ce que recouvre l’expression de langues de France ? Qui a donc la moindre idée de la liste de ces langues reconnues et soi-disant promues par la DGLFLF et donc par l’État français lui-même ?

J P C

motsmig


 

[1] http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/donnedieu/slf06.html

[2] http://www.semainelf.culture.fr/site2006/

Voir aussi le générateur de langue de bois, inspiré des méthodes pédagogiques de l'ENA

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Commentaires
M
bravo bonne continuation de la par de chuky et grimines
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M
bonne reusite pour les mot migrateur bonne continuation
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M
abriccot- amour-bachi bouzouk-bijou-chic-bizarre-clown-metre-passe_partout-valser.
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