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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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11 octobre 2006

Francofffonie se frotte tant, qu'à la fin elle se pique


Les Francophonies en Limousin, cette noble institution culturelle par laquelle notre région tente d’expier son passé patoisant (dont on jure craché qu’il est bien désormais définitivement aboli[1]) en invitant le monde entier à lui seriner la langue de Molière, sont entrées cette année (année des francophonies tous azimuts, universelles, orbi et urbi) discrètement, peut-être malgré elles, dans une phase nouvelle et fort intéressante : dans plusieurs spectacles les langues colonisées se sont invitées sur le plateau, oh certes sans faire trop de bruit, un peu en catimini, sous le français, à côté du français... mais quand même… On a entendu du malgache dans la pièce d’Ahmed Madani, L’improbable vérité du monde et surtout, plusieurs langues kanak (nengoné, xaracuu, paîci) dans l’Oedipe de Sénèque adapté et mis en scène par Jean Boissery. Sans compter les diverses langues présentes dans les spectacles musicaux : le mandiké de Touré Kunda ; le dioula, le mooré, le n’gambaye, le sara et l’arabe de Yéleen ; le malgache encore avec N’Java, etc. On dira sans doute que dans la chanson, l’air est presque tout et les paroles si peu, qu’une langue étrangère chantée n’est que musique sur musique, mais enfin, enfin... Par contre, il n’y a pas eu cette année de « langue invitée » : cette langue, vous savez, qu'une fois l'an, dans son immense générosité, Madame Francophonie invite à sa table (en 2005, ce fut le tour du roumain, qui fut bien nourri et parti content). Cette année point d’invitée, mais les langues sont venues quand même. Est-ce parce qu’en les chassant par la porte, elles reviennent par la fenêtre ?

Qu’en dit la nouvelle directrice, Marie-Agnès Sevestre ? Tout autre chose, évidemment. Elle dit ceci, dans un entretien à RFI : « proposer chaque année un spectacle dans une langue étrangère est une belle idée. Je n’y suis pas opposée. Mais encore faut-il trouver un spectacle de qualité. Ce n’était pas le cas cette année »[2]. On comprend aisément l’immense difficulté de trouver dans le vaste monde un spectacle de qualité qui ne soit pas en français. Cela relève en effet sans doute d’un défi surhumain ! Mais, dit-elle aussi, après avoir évoqué les deux pièces que j’ai citées en commençant, le festival cette année a fait mieux : « Plutôt que d’avoir une langue invitée, je préfère inviter tous les voisinages de la langue française, là où celle-ci se frotte à d’autres parlers, d’autres visions du monde ».

Que ce mot de « frotter » est charmant ! Bel euphémisme pour désigner toutes les langues que le français a si longtemps essayé d’écrabouiller. Mais tout cela est bien fini ! Désormais elle « se frotte », la bougresse, la maraude, contre tous les « parlers » voyous sans toit ni loi, sans feu ni lieu qui traînent de par le monde.

Parmi les pièces jouées cette années il y eut Parenthèse de sang, du congolais Sony Labou Tansi. Lui écrivait le français et le réinventait, magnifiquement. Mais il ne le frottait pas, il le déchirait plutôt. Sa langue natale était le kikongo. Né en 1947, il a souvent raconté comment il a commencé sa scolarité dans sa langue à Kinshasa, pour la poursuivre à Brazzaville où le français était de rigueur : « Là, moi qui ne connaissais pas un mot de français, j’ai découvert un ami : le « symbole ». C’est-à-dire qu'aux enfants qui parlaient leur langue maternelle ou qui faisaient des fautes de français, on accrochait autour du cou une boîte de merde pour les punir. Ils la gardaient jusqu’à ce qu'un autre la mérite. J’étais un spécialiste du « symbole », la cible préférée, bien que j’essayais de me taire le plus possible.»[3] Voyez comment la francophonie coloniale frotte, ou caresse plutôt ses jeunes disciples ! Au fait, cette histoire de « symbole », ça ne rappelle rien aux ex-patoisants ou patoisants endurcis du Limousin ? Ici, comme en Afrique, la pédagogie francophone utilisait bien les même méthodes : l'esprit d'égalité est, on le sait, son point fort.

Ainsi existe-t-il clairement un décalage entre le discours officiel des francophonistes (ou francofffonistes, selon une nouvelle graphie dont on saluera l’audace inouïe), et ce qui se dit, se fait et s’entend sur scène. Il faut sans aucun doute, de ce point de vue, reconnaître que les organisateurs font parfois de bons choix et acceptent, de fait, de plus en plus, sans trop le crier sur les toits, que les langues colonisées viennent parasiter le français, pas seulement en frottant même violemment la langue de Racine (ce dont le francofffone rafffole !), mais en se faisant entendre comme telles, en montrant qu’elles existent aussi sans le français !

Ce fut tout particulièrement le cas avec l’Oedipe néo-calédonien, appropriation kanak du mythe grec et de la pièce latine de Sénèque, à travers, entre autres moyens, l’ajout de choeurs écrits par Denis Pourawa dans les langues kanak déjà mentionnées et l'interpolation dans le français traduit du latin de pans de textes composés en l'une de ces langues [4]. Est-ce en paîci que Tirésias prononce des paroles fortes et sombres, à destination universelle, sur la mort proche des civilisations orales et coutumières (une mort allégée, on en conviendra, dès lors qu’elle bénéficie de l’assistance réconfortante de dame Francophonie) ? On ne le saura pas, car rien n’est précisé dans la documentation délivrée au spectateur : ni dans le livret des programmes, ni dans le feuillet distribué à l’entrée, qui donnait pourtant un extrait de ses poèmes avec sa traduction française[5]. On aurait quand même pu nous parler de cette étonnante multiplicité des langues néo-calédoniennes (les chiffres divergent : de 25 à 28, sans compter les variantes dialectales), nous préciser un peu les choses, tant qu’à faire, non ?[6] Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’une presse hâtive ait employé le singulier, là où il aurait au moins fallu le pluriel, fût-il évasif... Le Populaire du centre, lui, a consacré deux articles correctement informés (y compris sur les langues du spectacle) à la pièce et à la question culturelle en Nouvelle Calédonie[7].

A mon tour de prophétiser, même si nul n’est prophète en son pays (étant originaire d’Albi, j’ai peut-être une chance de me faire entendre ici, après tout !) : le temps viendra où l’on pourra entendre enfin, au détour de quelque spectacle ou entre deux chansons, mezza voce ou en a parte, de l’occitan limousin aux francophonies en limousin ! Ce jour-là sera une révolution : les francophonies concèdent déjà que d’autres langues existent dans les ex-néo-colonies (c’est fou tout de même comme néo-Calédonie sonne comme néo-colonie !), et elles finiront par reconnaître qu’il y en a aussi sur le territoire national, juste au moins pour le plaisir de se fretar. Chère Francophonie, sais-tu que l’exotisme, si tu voulais, si tu osais est aussi à la porte de ta ville d’adoption, que dis-je à la porte, dans le placard, sous le lit même ! Lo Leberon, qu’es pas luenh ! (le loup garou n'est pas loin)

Les choses pourraient en tout cas sembler bien parties, car l’autocritique va bon train, s’il est vrai qu’une journée de débats a eu lieu le samedi 30 septembre à Limoges sur Francophonie, colonisation, décolonisation. Selon le compte-rendu de l’Echo du 3 octobre (je n’ai pu hélas y assister[8]) : « Convaincus des enjeux expansionnistes d’une langue, qu’ils soient politiques, culturels, économiques ou religieux, et étudiés par Henriette Walter, linguiste, les participants se sont accordés sur l’idée développée par Soulemane Koly (animateur de l’ensemble Koteba) que la francophonie doit accompagner les langues nationales et non faire du français une caisse de résonance politique ». Ces mêmes participants, selon la même source, ont insisté sur le fait qu’il s’agirait d’ailleurs là d’un retour aux origines de la francophonie théorisée par Onésime Reclus et Jean Dard « dont le vœu consistait au développement des langues nationales pour un apprentissage complémentaire du français ». Si le rapport est fidèle, disons-le, nous ne sommes pas tirés d’affaire : car quel est le sort réservé, dans cette conception obstinément, étroitement nationaliste de la question linguistique, aux langues sans État ? Le sort d’une multitude de langues africaines par exemple, comme des langues kanak et bien sûr de ce qu’il est convenu d’appeler les « langues de France », dont notre occitan chéri ? Hé bien, le mot d’ordre persiste : pas de langue reconnue, reconnaissable, si elle n’est nationale. La lutte, mes frères, promet d’être encore rude et longue, soit pour faire reconnaître nos langues par les nations déjà existantes, soit pour les imposer à travers le projet nationaliste. J’insisterai cependant volontiers sur le fait que, dans ce dernier cas, on adopte la stratégie et l’idéologie même des vieux francophonistes, qui tenaient à conserver le rayonnement symbolique du français, à côté des langues nationales, par conscience nationale et nationaliste. Après tout, par nationalisme, on pourrait fort bien, et on le fait tous les jours en France, reconnaître que l’on a absolument besoin d’une anglophonie généralisée. On invoque l’utilité et la nécessité (indéniable, loin de moi de faire de l’anglophobie), mais il y a autre chose derrière : s’approprier l’aura symbolique des maîtres du monde. Mais comment se frotter un peu sans perdre à la fin sa pureté virginale ? C’est une question éthique très grave pour cette vieille demoiselle qui a fait vœu de le rester, en l’inscrivant même désormais dans la constitution (art. 2).

Je finirai sur une dernière note d’humour, noir, aux deux sens du terme. Dans l’entretien déjà mentionné, Marie-Agnès Sevestre, directrice du festival, conclut ainsi : « Je constate que l’année des cultures francophones n’a aucunement facilité la venue en France des artistes francophones du Sud ! Même dans une organisation comme la nôtre, qui a pignon sur rue, nous avons beaucoup de mal à obtenir des visas pour faire venir les artistes. La France ne se donne pas vraiment les moyens de coopération, de collaboration et de partage que ses dirigeants ne cessent de revendiquer par ailleurs dans leurs discours ». Moralité : nos dirigeants travaillent dur et ferme au maintien et au développement du français partout en Afrique, mais tout autant et beaucoup plus, à faire en sorte que les africains parlent, chantent et dansent le français le plus loin possible des frontières nationales ! On pourrait suggérer d’ailleurs, pour l’avenir, d’introduire un apartheid de bon aloi : les francophonies ayant lieu en France ne rassembleraient que les artistes des pays dont on est absolument sûr que les ressortissants n’utiliseront pas leurs visas pour rester à demeure dans notre belle nation ; on en organiserait d’autres pour les pays d’émigrations notoires, sur place, à Cotonou, Bamako, ou ailleurs, en y transportant par charters entiers les spectateurs français (belle aubaine pour nos agences de voyage, bonnes devises pour le pays d’accueil) sans plus courir le risque que des artistes sympathiques certes, mais tout de même indésirables ne s’incrustent chez nous !


JP C




beninoise
Linogravure de Roland Cros


[1] Voir le livre de Jean-Marie Borzeix président des Francofonies : Les carnets d’un francophone (Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu Autour, 2006 et ma réaction sur ce blog : « La langue des cimetières » : l’oraison funèbre d’un "francophone" pour le "patois" limousin. 

[2] http://www.rfi.fr/Fichiers/MFI/CultureSociete/1890.asp

[3] Jean-Michel Devésa, Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 60. Voir l’article de Janusz Krzywicki, « L'écriture romanesque de Sony Labou Tansi. L'oeuvre littéraire dans l'environnement francophone », URL :

http://www.orient.uw.edu.pl/home/jkrzywicki/ecriture.html#przyp%202

[4] Denis Pourawa est notamment l’auteur d’un bel album bilingue français/paîci pour la jeunesse : Téâ Kanaké, l'homme aux cinq vies Nouméa, éditions Grain de sable, 2003. Voir la présentation approfondie de l’ouvrage et un entretien avec l’auteur sur Citrouille netblog :

http://www.citrouille.net/iblog/B1116052525/C1225598995/E147799181/index.html

http://www.citrouille.net/iblog/B1936346772/C874208255/E1326341790/index.html

[5] Rexte dit par Tirésiasi, écrit par Alexandre Burané Trimari:

Node ! Con ode

Ule bunij ha ci meneng

Ithua ne ilore hna ane ceden

Ule re nodeï wanata me numu icaica ilem, bunij ha ci hnedungon

Ule re thare suyu nore htacaer

Ha ci ae

Ha ci bi

Ha co tako

Ha co tango 

Pays ! tous les pays

Attention à vous, vous habitez

Loin de tout ce qui a été posé fondé

Regardez toutes les légendes qui ont de la valeur, vous les oubliez

Surveillez les braises de suyu de la case

Car elles se consument

Elles s’éteignent

Et elles vont disparaître

Elles vont mourir 

[6]

 Voir une introduction très générale dans Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_kanak

[7] articles du 4 et du 5 octobre 2006, signés par Muriel Mingau.

[8] Les débats seront diffusés sur France-Culture, mais on ne sait pas encore quand.


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Commentaires
J
Me demandi se cal escriure lo francés normalament coma zo fan, o zo an decidat...<br /> Los franceses an pas sabut escriure nòstra lenga, se vei dins la toponimia d'Occitània. Car cal recordar que l'escrit occitan es nascut a l'abadiá de Lemòtges al moment del poder independent del Ducat d'Aquitània, e que un collòqui en junh de 1999, organizat pel CR de Lemosin, ne faguèt lo resson ; mas esperem sempre los actes d'aqueste collòqui essenciat per Robert Lafont.<br /> Donc e aital ai la costuma d'escriure "phrânncauphönié" per çò qu'un occitan escriuriá normalament e simplament 'francofoniá'. Car la "phrânncauphônié" aquò pesa politicament, segon un grand froncofòne un elefant ambe una "f" pesa mens qu'ambe una "ph" .... Donc cal escriure lo francés coma zo pensan !
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