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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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2 juin 2010

Les idées reçues du Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine

Dicitionnairehistoireculturelle

 

Les idées reçues du Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine

 

 Ces derniers mois, les médias culturels ont salué la parution du Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, réalisé par deux équipes d’universitaires, le Centre d’Histoire de Sciences Po et le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui se sont agrégés de nombreux contributeurs[1]. L’histoire culturelle est une jeune discipline et l’on s’y attendrait à trouver un savoir actuel et rafraîchi. Certains articles ne manquent pas d’intérêt ni de réflexion mais, sur les sujets dont l’on débat sur ce blog, qui constituent pourtant une dimension irrécusable de la culture française contemporaine, le silence est dans l’ensemble assourdissant, ponctué tout au plus, ici ou là, de vieilleries idéologiques et d’idées reçues, réassénées au nom du savoir historique.

 

Lacunes et négligences

 En effet, dans ce livre de près de mille pages, qui présente plusieurs centaines d’entrées sur de très nombreux sujets (et dans le cadre de cette discipline, cela est bien sûr tout à fait légitime), on chercherait en vain des notices intitulées Langues régionales ou Langues de France, Diversité culturelle, ou encore Minorités, Métissage ou Créolisation, ou bien Cultures régionales (à ne pas confondre avec Régionalisme qui figure et sur lequel on reviendra), ou Cultures de l’immigration (qui n’est pas la même chose que Présence culturelle étrangère en France, traité dans l’ouvrage)… L’article Patrimoine méconnaît la question aujourd’hui cruciale du « patrimoine immatériel », qui concerne évidemment les langues et les cultures ; l’article Politiques culturelles qui, étrangement et sans explication, affirme que la mise en avant de la « diversité culturelle » contribue à fragiliser « le paradigme de la démocratisation culturelle », méconnaît la question des « politiques linguistiques », etc. Ne figurent pratiquement aucun des grands noms associés aux revendications linguistiques, à la création et à la constitution d’un savoir au sujet des langues et cultures de France (au sens le plus large, des cultures historiques et de celles qui sont issues de l’immigration), pas même Félix Castan, pas même Robert Lafont (disparu en 2009, dont la stature et l’importance intellectuelle et universitaire – 152 entrées au catalogue de la BNF – sont pourtant indiscutables), pas même Claude Sicre, dont l’activité et les initiatives (forum des langues, repas de quartiers…) ont marqué les dernières décennies. Le nom de Suzanne Citron n’apparaît jamais non plus, qui a déconstruit les mythes nationaux, entretenus et cultivés par contre dans la grande opération de sauvetage (et de construction) des Lieux de Mémoire de la nation, entreprise autour de Pierre Nora, qui elle, est abondamment citée dans l'ouvrage. Quasiment aucun chanteur, aucun groupe utilisant les langues régionales (à l’exception d’Alan Stivell et de quelques autres artistes bretons) n’est mentionné. Rien n’est dit des réseaux scolaires bilingues, ni de l’édition dans les langues historiques de France, ni des festivals comme les Vieilles charrues ou l’Estivada de Rodez, ni des manifestations pour la reconnaissance minimale de ces langues, etc. etc. La fausse évidence du monolinguisme est présente dans toutes les entrées où elle pourrait être questionnée : Chanson, Musique, Littérature et presse de jeunesse, Littérature populaire, Culture populaire, Éducation, École… Il va de soi que tous ces champs ne concernent, spontanément et sans exception, que le français. C’est tout au plus si l’on s’octroie une délicieuse petite frayeur en notant, à l’entrée Rugby, que « dans les années 1990, les terroirs du rugby s’offrent aux ethnologues comme autant de conservatoires d’une ruralité quasi perdue », mais sans bien sûr dire quoi que ce soit de l’élément linguistique. La notion de Multiculturalisme, couplée de manière très significative avec celle de Communautarisme en une seule entrée (Yvan Gastaut), envisage la question multiculturelle sous l'angle exclusif des cultures de l’immigration[2]... Que la France ici soit une entité abstraite plutôt qu'une réalité géographique est assez bien attesté par l'absence de tout index des noms de lieux, alors que celui des contributeurs (charité bien ordonnée...) et celui des noms propres ne manquent pas. A cela s’ajoute la traditionnelle incurie et totale indifférence par rapport à  la correction graphique des langues de France : soit, par exemple deux fautes lourdes en quatre mots dans le titre de la chanson de Guillaume Lavabre (« en langue d’oc »,  est-il dit, manière évidemment d’éviter le terme honni d’occitan) qui inventa Marianne en 1792 (La Garisou de Marianno, La Guérison de Marianne, pourtant graphiée « à la française », devient ici Lou Garisou di Marianno).

Garisoudemarianno

 

Anachronisme des régionalistes

 On trouve certes un article « Langue » (François Chaubet), mais au singulier et, bien sûr, il est consacré à peu près exclusivement au français. Mais il ne suffisait pas, et il est appuyé par deux autres entrées : Francophonie et Présence culturelle de la France dans le Monde, du même auteur.

 Le mythe n’est pas ici discuté (certes pas !) ; il s’expose lui-même et de lui-même en quelque sorte : « la langue » (pas même besoin de préciser de quelle il s’agit !) est le moyen et le symbole de l’unité »; « elle incarne les valeurs de distinctions et de pureté »; enfin on en « célèbre l’universalité ». L’histoire présentée est une contre histoire des critiques « régionalistes » adressée à l’imposition de la langue : « C’est à l’école que revint la tâche d’inculquer les principes communs d’un français standart [sic] et de réduire ainsi l’usage quotidien des patois et des langues régionales. Des discours foncièrement anachroniques, dans les années 1970-1980, sont venus stigmatiser la violence morale et physique à l’œuvre dans ce processus. Mais de Péguy à Albert Schweitzer, que de paroles émues sur cet apprentissage perçu comme libérateur et sur un idiome identifié comme la rose des vents du monde ». L’air est connu : le français ouvrit l’universel aux yeux émerveillés des petits patoisants : il brisa « l’espace claquemuré des terroirs », dit encore Chaubert. Nous ne sommes plus en 1970, pourtant les fossiles que nous sommes continuent de soutenir que la représentation d’un « espace claquemuré des terroirs » est un pure fiction repoussoir, car la mobilité, y compris linguistique est une donnée historique irréfutable pour l'ensemble du territoire, comme tant de notices le rappellent d'ailleurs. Et surtout, la notion même de « terroir » n’a aucune pertinence, en dehors de l’importance historique qu’elle a pu (et peut encore) avoir dans la phraséologie de la droite et de l’extrême droite et, exception faite éventuellement, de son emploi gastronomique (sur lequel il y a cependant tant à dire). Quant à l’anachronisme de la dénonciation de la violence de l’acculturation scolaire par la chasse aux patois, nous n’en convenons bien sûr pas : ce n’est certes pas l’exemple de ceux qui bénissent leur apprentissage du divin français, qui sont en effet légion, qui démontre d’aucune manière le caractère pacifique et bienveillant du processus scolaire de francisation. Ce type d’argument, on le sait, est tout autant utilisé pour justifier le colonialisme et toute forme d’impérialisme. Par contre la violence, morale et physique, de l’inculcation et de l’interdiction, a bien été ressentie et exprimée par un nombre de citoyens tout aussi considérable, et en particulier par beaucoup de ceux auxquels l’école n’a pas apporté la promotion sociale dont ont bénéficié les Péguy et les Schweitzer. Du reste, en ce qui nous concerne, nous disons aujourd’hui, exactement la même chose au sujet de l’assimilation scolaire, qui impose un monolinguisme sans partage et refuse de considérer comme un atout possible, voire même comme quelque chose qui existe, les compétences  souvent plurilingues des nouveaux arrivants.

 On retrouve cet anathème de l’anachronisme, dans l’article Régionalisme (Loïc Vadelorge). En effet, l’auteur, arguant du fait que les termes de régionalisme et de régionalistes ne se sont répandues que sous la IIIe République, affirme que « l’histoire des cultures régionales relève avant tout de l’histoire contemporaine, ce que refusent bien entendu les régionalistes, pour qui ces cultures s’enracinent dans la longue durée. En la matière, l’anachronisme relève moins de l’erreur méthodologique que de l’option idéologique qui n’a rien à voir avec l’histoire ». On ici affaire à un paralogisme qui, bien sûr, est au service de l’idéologie et n’a rien à voir avec l’histoire. Nous demeurons d’accord sur le fait que les cultures régionales n’ont rien d’immobile, ni d’ « autonome » au sens de la clôture sur soi (ce n'est pas nous qui parlons de « l'espace claquemuré des terroirs », mais le Dictionnaire !), nous reconnaissons que ces nombreuses composantes n’ont cessé d’être recréées et réinventées et que l’on est en effet confronté dans les discours régionalistes à de pseudo-traditions et de fausses ancestralités, ce qu’il appartient en effet aux historiens de mettre en lumière, ni plus ni moins que pour les discours nationalistes « légitimes » (un discours nationaliste ne devient en effet légitime, pour la science historique au service des pouvoirs en place, que lorsqu'évidemment la souveraineté est établie et reconnue) ! On se réfèrera d’ailleurs à ce sujet à l’entrée Mythe (Sudhir Hazareesingh), qui souligne combien la France est un pays « mythogène », et de ce côté là, il y a, dans ce dictionnaire même, de quoi faire ! Mais prétendre que les cultures régionales commencent à exister avec l’apparition du vocable « régionalisme » sous la IIIe République et qu’elles n’ont aucun lien avec la longue durée est évidemment absurde ; il s’agit simplement d’un tour de passe-passe particulièrement grossier visant à montrer l’illégitimité des revendications régionalistes. C’est exactement comme si l’on disait que l’histoire sociale est anachronique lorsqu’on l’applique aux périodes antérieures à l’invention de la sociologie !

 

Derrière l’autonomie culturelle, le spectre de l’autonomie politique

 La question de l’autonomie, telle que l’aborde cet article est tout à fait biaisée, car, tout dépend ce que l’on entend par autonomie : si les transferts culturels sont indéniables et multiples, si les contacts de langue sont un phénomène déterminant, il n’en demeure pas moins évident que la langue bretonne par exemple, possède une grammaire autonome par rapport au français, et qu’il existe tout un ensemble de composantes culturelles qui possèdent en un espace donné à un moment donné une relative autonomie. Quand La Villemarqué, pour reprendre  un exemple exploité dans l’article, collecte dans les années 1830 les chants qui constitueront le Barzaz-Breiz, il n’invente pas ses sources, même s’il construit l’œuvre ; la mémoire qu’il consigne, et ce faisant filtre et réagence, n’est pas la fiction d'un barde allumé néo-celtique. Cela est désormais définitivement établi (voir Donatien Laurent, Aux sources du Barzaz-Breiz. La mémoire d’un peuple, Douarnenez, 1989), mais le fait que l’authenticité de l’entreprise ait pu à ce point être et si longtemps contestée et aujourd’hui encore sans plus aucune solidité historique, atteste d’abord et avant tout de l’incroyable résistance opposée à l’existence, dans la longue durée, de cultures orales échappant, par la langue, les formes et les contenues, au récit national consacré par l’histoire littéraire officielle (qui va, comme on le sait, jusqu’à intégrer les troubadours à la littérature… d’expression française !). On comprend bien en fait quel est l’enjeu de la très facile contestation de l’autonomie culturelle des régions : montrer l’illégitimité de revendications d’autonomie politique des régions, sous quelque forme que ce soit, alors que, bien entendu, l’autonomie comme processus d’autodétermination démocratique n’a rien à voir avec l’affirmation d’une prétention à l’autonomie culturelle et linguistique.

 L’article Régionalisme oppose la communauté des historiens d’aujourd’hui où régnerait un consensus sur l’inexistence de « culture régionales autonomes » à des chercheurs relevant plutôt de l’ethnologie qui choisiraient d’en affirmer « la singularité »… Il renvoie à ce sujet à un numéro de la revue Ethnologie française de 2003 (où interviennent d’ailleurs plusieurs historiens, sur l’histoire du félibrige, de l'occitanisme, des mouvements culturels bretons, etc.) qui pourtant est fort loin d’adopter des positions tranchées sur ces questions (l’introduction de ce recueil se termine d’ailleurs par l’expression classique de la panaroia nationale : « à valoriser à l’excès ces subdivisions [les régions] et leurs singularités, ne risque-t-on pas de les amputer de ce qui fonde historiquement leur originalité : leur constante intrication et complémentarité avec la culture nationale qui les subsume ? » ; Christian Bromberger et Mireille Meyer : « Cultures régionales en débat »). Où il apparaît, une fois de plus, que l’on ne saurait imaginer d’autre dialectique féconde hors du national et du régional, et une relation au national qui ne soit pas de dépendance et de subordination  non seulement politique  mais bien d’abord culturelle et linguistique… Mais si ce numéro d’Ethnologie française est cité comme l'expression d'une posture antithétique à ce qui serait la position consensuelle des historiens, c’est en fait surtout qu’y figure un article du politiste Ronan Le Coadic qui, dans sa thèse publiée en 1998 (L’identité bretonne), irait jusqu’à commettre le crime irréparable de « mettre en cause le modèle universaliste qui sert de soubassement, selon lui, à la démonstration des historiens ». Je n’ai pu vérifier (l’ouvrage ne figure d’ailleurs pas dans la bibliographie à la fin de la notice, comme il le devrait), mais l’article de Le Coadic figurant dans la revue insiste en tout cas lui aussi sur les processus de réinvention affectant la langue et la culture bretonne, tout en tenant simplement la position de bon sens consistant à dire que l’on ne réinvente pas à partir de rien (par exemple au sujet de la langue : « la langue bretonne telle qu’elle est enseignée et médiatisée aujourd’hui relève, en partie [je souligne], de la réinvention. Depuis le XIXe siècle, et surtout l’entre-deux-guerres, des lettrés l’ont étudiée, enrichie de mots nouveaux, codifiée et standardisée »).

 

barzaz_breiz

 

Folklore et Tradition : déconstructions salutaires

 Il est d’ailleurs intéressant de confronter cette entrée Régionalisme à deux autres notices plus stimulantes consacrées au Folklore (Édouard Lynch) et à la Tradition (Didier Francfort). Lynch insiste sur la période d’accumulation de savoir de la première période des études folkloristes durant la deuxième moitié du XIXe siècle et montre comment, plus encore que l’instrumentalisation de ce savoir par Vichy, c’est l’effondrement du modèle agrarien qui a entraîné en France la quasi disparition du folklore, plus tard remplacé par l’ethnologie rurale (qui cependant manque, ajouterai-je, tout autant sinon plus que le folklore, d’une perspective historique). Franfort, quant à lui, déconstruit la notion de tradition de manière plutôt efficace, mais remarque d’abord que le folklore pratiqué par un Van Gennep sous la IIIe République ne « limite pas son observation au repérage d’archaïsmes ou de survivances mais s’intéresse aussi aux modalités de diffusion, aux chaînes de tradition, aux réelles pratiques culturelles populaires plutôt qu’à leur idéalisation ». Il note aussi, en prenant l’exemple du film de Jean Rouch, Petit à Petit (1971), où des nigériens regardent Paris, l’importance de l’idée paradoxale « d’une tradition provocatrice, d’une culture héritée de l’innovation, d’un héritage de ruptures ». Il note enfin que « la continuité vaut légitimité. Si la tradition est ressuscitée, elle est artificielle. Si elle est « ininterrompue », elle justifie le maintien du particularisme. C’est dire ce que le terme doit à la tradition catholique et à l’idée de « normes des Pères » ». La remarque fonctionne fort bien en matière linguistique : dès lors qu’il y a eu rupture dans la transmission, rien n’est plus commun que de nous accuser de parler des langues désormais « artificielles » et non plus « naturelles ». La déligitimation par l’argument de la discontinuité ou de la nouveauté est précisément au cœur de l’article Régionalisme déjà cité, mais aussi des propos de tous ceux qui taxent d’anachronisme nos revendications linguistiques. C’est pourquoi, en effet, il nous faut éviter de nous laisser prendre au double piège de l’invocation de la tradition opposée à l’innovation et de la célébration incantatoire de l’innovation qui de toute tradition prétend faire table rase.

 

folklore_francais

 

Pas grand-chose et presque rien

 Enfin, on ne peut que noter l’insuffisance de l’information dans les quelques rares notations sur ces questions linguistiques : dans cette même entrée Régionalisme, comme dans la notice Langue, le panorama dressé de la France d’avant l’unification linguistique est celle de langues (« non françaises » au nombre de sept: alsacien, flamand, breton, basque, catalan, occitan, corse – le franco-provençal, autrement dit, reste inconnu dans un dictionnaire publié en 2010…) auxquelles s’ajoutent des « centaines de patois […] pratiqués de manière courante par un peuple de paysans ». Cette description n’a bien sûr aucune pertinence : il n’y a pas, il n’y a jamais eu de vrais langues (parlées par qui ? des élites urbaines ? rurales ?) et à côté des myriades de patois pour paysans. Il n’y a jamais eu que des langues, non unifiées, non standardisées et donc soumises à variation. Cela est un aujourd’hui une évidence pour tous les linguistes et les sociolinguistes, à l’exception d’un dernier carré des linguistes – tous français – qui continuent à affirmer que le patois correspond au dernier moment de particularisation et de dégradation de la langue (ce qui d’ailleurs, de toute façon, n’a rien à voir avec la partition fictive entre sept vraies langues et des centaines de patois).

 Mais on ne trouve pas que de poussiéreuses vieilleries dans ces très rares articles où la question linguistique est effleurée plutôt qu’abordée. On y rencontre aussi la nouvelle vulgate, désormais quasiment incontestée, issue d’une lecture simplificatrice du livre de François Chanet (L’École républicaine et les petites patries), selon laquelle l’école de Jules Ferry aurait été l’amie des cultures régionales et se serait montrée beaucoup moins répressive à l’égard des « patois » que ne l’ont prétendu les anachroniques militants régionalistes : « Si le port du « sabot » n’est pas une légende [il s’agit du fameux « signal » qui pouvait être un sabot], il ne justifie pas pour autant que les langues et les cultures régionales furent victimes, sous la troisième République d’un « génocide », comme on le prétendra sous la cinquième ». Je suis le premier à trouver que le terme de génocide n’est pas approprié (voir sur ce blog), mais qu’il y ait eu alors une politique d’éradication de langues dégradées en patois par les discours officiels (celui d'abord des « savants » relayés par les administrateurs et les politiques) me semble tout autant incontestable.  On ne trouvera aucune autre mention concernant les langues minorées de France dans cette entrée, qui trace une histoire cherchant à faire apparaître avant tout, à travers des exemples presque tous empruntés à la Bretagne, que le « régionalisme culturel » ne cesse de s’étioler : ainsi  l'auteur évoque-t-il une « renaissance timide » après 1968, « un regain éphémère » dans les années 1990 et puis… c’est tout ! En effet, les années 1980 ont vu « le triomphe de la régionalisation sur le régionalisme » et ce sont alors les régions, qui « savent qu’identité politique et culturelle vont désormais de pair » et se saisissent des compétences culturelles (et donc, sans doute, linguistiques). Il y aurait donc, si j’ai bien compris, une régionalisation culturelle sans régionalisme. Ce n’est pas tout à fait faux, sauf qu’il ne me paraît pas très honnête de parler de la promotion « politique », par les régions elles-mêmes des cultures et langues régionales, souvent d’ailleurs on ne peut plus limitée, sans évoquer l’action des réseaux associatifs et la « demande sociale » effective en ce sens, démontrée pourtant par plus d’une enquête.

 L’article Langue offre la deuxième et dernière allusion à la question dans l’ouvrage, à travers un rapide survol historique : » Le triomphe incontesté de ce français unitaire après la Seconde Guerre mondiale a autorisé alors une timide reconnaissance des langues régionales, de la loi Deixonne (1951) à la création de Capes de langues régionales (1983). A l’heure du plaidoyer en faveur de la diversité des langues dans le monde, il a paru nécessaire de penser, désormais, au pluriel la question de la langue en France et au sein de la Francophonie ». Mais ce n’est justement pas ce que fait le dictionnaire ! C’est donc que cela ne paraît pas « nécessaire » à ses rédacteurs ! Poursuivons : « La création en 1989 d’une Délégation générale à la langue française, dont le titre fut complété en 2001 par « langues de France », traduit bien la montée de cette nouvelle orientation ». Amen ! Pas un mot de plus, la messe est dite ! Cela suffit à montrer, je crois, comment ce dictionnaire, où chaque entrée fait environ trois pages sur deux colonnes, résiste fortement à cette orientation nouvelle évoquée du bout des lèvres et à contre-cœur !

 

Propagande centraliste

 On trouve, par contre, les plus belles effusions sur le mythe de la vocation universaliste de la culture et de la langue françaises. L’entrée Présence culturelle de la France dans le Monde est de pure propagande : « Un triple universalisme guide l’action extérieure française, fondée sur la diffusion de modèles culturels variés, animée par le désir de toucher tous les publics et inspirée par une souple philosophie de l’échange culturel ». On n’est pas non plus très loin de l'effusion idéologique avec Francophonie, où l’auteur déplore le désintérêt des élites pour ce merveilleux projet, et qui se termine par ces mots édifiants : « les Francophonies, au-delà des considérations pessimistes sur le « déclin » de la langue française, demeurent bien le théâtre de tensions fécondes dans leur recherche d’un universalisme inédit », « exception française », qui serait en quelque sorte un anti-modèle opposé à la globalisation anglo-saxonne.

 Dans tout ce qui touche aux langues et aux cultures, ou à peu près, ce dictionnaire est ainsi clairement la voix d’un nationalisme viscéral et du centralisme le plus strict et le plus réactif, sous couvert d’adhésion, bien sûr, aux politiques de décentralisation, qui font si fortement rire nos partenaires européens, tant les autonomies régionales concédées par le centre (qui décide de la décentralisation comme du reste) leurs paraissent dans notre pays dérisoires. C’est bien d’ailleurs cela qui manque le plus, une réelle pratique de comparatisme ; mais on peut se demander aussi si le niveau hexagonal est une échelle convenable pour traiter aujourd’hui d’histoire culturelle. D’autant plus que l’hexagone (les territoire d’outre mer et leurs cultures y sont très largement absents) y est essentiellement vu de Paris, malgré les efforts désespérés pour envisager à l’entrée Province, la question du rapport Paris Province, « aussi » à partir de celle-ci. Mais lorsqu’on lit que, historiquement (le Dictionnaire fait commencer son histoire contemporaine en 1848), en Province, face à la capitale, « l’arriération existe mais […] n’est pas générale. Les provinces proches de Paris, les plus grandes villes sont « civilisées »… », avouons-le, force est de constater que l’exercice de relativisation des points de vue reste fort limité !

 Évidemment, les lieux d’implantation des deux équipes qui ont conduit l’entreprise (en recrutant largement des chercheurs travaillant en « province ») ne peuvent pas ne pas peser dans cette situation, mais nous avons appris à nous méfier tout autant des chercheurs travaillant « en province », comme ils disent eux-mêmes, exprimant par là d’ailleurs leur aspiration à rejoindre la capitale. Ceux-là écriraient n’importe quoi pour faire oublier leur origine et ils ont à ce point intégré l’idéologie du centre, qu’ils sont parfaitement capables de la reproduire, alors même qu’ils occupent les positions géographiques et académiques les plus périphériques. Il n’empêche que je suis convaincu qu’une histoire culturelle de la France contemporaine conduite à partir de Brest, de Toulouse ou de Montpellier serait sensiblement différente.

 

Jean-Pierre Cavaillé

Flaubertideesre_ues

 

 


 

[1] Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, avec Christian Delporte, Jean-Yves Mollier et Jean-François Sirinelli, PUF, « Quadrige dicos poche », Paris, 2010, 928 p.

 

[2] Cet article a pourtant le mérite de rappeler que si « ailleurs la réflexion [sur les communautés] n’a guère suscité d’émotion, envisager une « France multiculturelle » provoque d’emblée une passion hexagonale d’une densité peu commune ».

 

 

 

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Commentaires
C
Donc ainsi, je ne vous lis pas assez attentivement ? C'est assez drôle car vous me posez cette question : "En quoi le provençalisme anti-occitaniste échappe-t-il à cette critique, c’est-à-dire n’est pas ou moins une idéologie ?" <br /> Question à laquelle j'ai déjà répondu ceci : "Suis-je dans l’idéologie ? Oui aussi, évidemment. Combattre une idéologie totalisante dans sa vision du monde suggère quand même de se forger quelques armes ! Mais toutes les idéologies se valent-elles ? Non. Chacun conviendra que le radicalisme, la social-démocratie ou le gaullisme ne sont pas exactement la même chose que le nazisme ou le communisme stalinien. Toutes proportions gardées, il en est de même pour les idéologies qui nous occupent présentement."<br /> <br /> Donc votre autre question ["On lit parfois dans les écrits provençalistes que le provençalisme est une "doctrine" et par là, n’est pas, une idéologie[...] Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?] ne me concerne pas vraiment puisque je n'ai pas employé le mot doctrine ! ! ! Si j'en parle présentement, c'est uniquement car vous me posez des questions à ce sujet. Vous ne me lisez vraiment pas ! ! ! Je vous attribue un zéro pointé ! <br /> <br /> Dernière question : "Quelle est, encore une fois, à vos yeux cette idéologie occitaniste que vous mettez en cause ?" Cela fait de nombreuses fois que je répète que l'occitan est une recréation historique qui nie l'évolution des langues d'oc. Elle est basée sur une histoire contre-factuelle qui imagine que la langue d'oc se soit développée comme le français avec un système figé comme au sein d'un pseudo-Etat occitan (sauf pour le catalan bien entendu puisque les catalans ne croient pas à vos histoires). Il n'y a pas d'occitan "central" et encore moins de graphie unifiée "classique", vous employez ce mot dans un sens purement idéologique ! <br /> <br /> Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas à me les poser même si l'été je ne suis pas toujours devant mon ordinateur !
Répondre
T
Vos réponses concernant l’idéologie ne sont pas cohérentes : le renvoi à Destutt de Tracy qui a inventé le terme,càd l’idéologie comme “science relative aux idées” est hors de propos et n’a aucun rapport avec ce que l’on entend spontanément et en effet confusément par idéologie aujourd’hui. Vous-mêmes ne l’employez pas du tout dans ce sens lorsque vous reprochez aux occitanistes d’avoir “une” idéologie. Vous donnez une autre définition, qui est entièrement différente, et très insuffisante : “une certaine manière de voir les choses”. A ce compte-là toute forme de représentation du monde est une idéologie, qu’elle soit subjective ou objective, qu’elle relève de la science ou de l’opinion... et là non plus il n’y a aucun sens à reprocher (car il s’agit bien d’un reproche et d’une critique récurrents dans vos commentaires) aux occitaniste d’être des idéologues (les partisans et promoteurs d’ “une” idéologie). Pour que le mot d’idéologie puisse avoir un contenu polémique (ce qu’il a incontestablement dans vos commentaires), il faut d’une façon ou d’une autre que vous fassiez intervenir la définition marxiste, ou du moins ses dérivées : l’idéologie chez Marx étaient d’abord un système d’opinion servant les intérêts d’une classe sociale dominante, et par laquelle elle masque les conditions matérielles de sa domination. C’est à partir de là que l’idéologie peut-être mise en cause, au nom du matérialisme historique chez Marx, et à partir de là par un savoir positif (scientifique) sur la société. Par extension on y voit le plus souvent aujourd’hui les systèmes exhaustifs de représentations et d’explication du monde à usage politique, bouclés sur eux mêmes et inaccessibles à la critique et à l’autocritique. Là aussi l’idéologie est mise en cause au nom de la critique et d’une analyse (prétenduement) plus objective des choses... C’est bien quelque chose comme ça que vous entendez quand vous accusez les occitanistes d’être des idéologues.<br /> Alors la moindre des choses serait de préciser :<br /> 1- Quelle est, encore une fois, à vos yeux cette idéologie occitaniste que vous mettez en cause ? (ne répétez pas la mise en cause, on la connaît ! mais plutôt, dites-nous de quoi est faite cette idéologie et ce qui vous permet de dire qu’il y en a “une” et une seule ?<br /> 2- En quoi le provençalisme anti-occitaniste échappe-t-il à cette critique, c’est-à-dire n’est pas ou moins une idéologie ?<br /> 3- On lit parfois dans les écrits provençalistes que le provençalisme est une "doctrine" et par là, n’est pas, une idéologie. C’est bizarre car dans l’usage courant du mot, idéologie a précisément le sens, plus au moins, de doctrine, ou du moins de doctrine au service d'une politique (l'idéologue est un doctrinaire). Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Répondre
P
ça irait quand même mieux si quelqu'un pouvait m'expliquer de quoi parle M. Faugier. Comme dit le poète, quel rapport avec la choucroute ?
Répondre
D
La question qui me tarabuste aussi bien concernant le provençalisme dur que l'occitanisme centralisateur, et les idéologies des hommes en général, c'est celle de la motivation. Qu'est-ce qui pousse les gens à la déraison ? Je préfère néanmoins me faire une raison sachant que la question est insoluble et n'a à vrai dire pas sa place sur ce blog.<br /> <br /> Ce que P. Martel écrit est toujours absolument mesuré et argumenté, et cette fois n'y fait pas exception, pour peu qu'on prenne la peine de lire, d'essayer de comprendre, de peser le pour et le contre, en sachant toute raison garder. <br /> Je regrette que ce ne soit pas toujours le cas de ses détracteurs au vu des commentaires qui dénotent un manque évident d'attention à l'égard des réponses élaborées, en somme un manque de lecture et de compréhension.<br /> Il faudrait en effet désormais obtenir des réponses précises aux questions posées sans quoi on ne peut parvenir à comprendre quoi que ce soit.
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C
Est-ce que M. Martel croit sérieusement à ce qu’il écrit ? Vous êtes un amusant caricaturiste mais un piètre interlocuteur. Les gens sérieux qui lisent ce blog savent que l’Astrado, Parlaren ou le Collectif organisent festivals, dictées, cours, lectures, manifestations, soirées, repas, publications depuis bien longtemps. Personne ne vous a attendu ! Heureusement car nous serions déjà tous morts. Et ils nous arrivent parfois aussi de rétablir la vérité.<br /> <br /> Ainsi, sans aucun argument, vous récusez la part d’idéologie qui sous-tend vos prises de position. Je prends la peine de vous répondre même si les derniers commentaires m’ont atterré. L’idéologie, c’est les autres ! Ben voyons… A qui voulez-vous faire croire ça ? ? ?<br /> <br /> Ce refoulement nécessite une prise en charge psychanalytique. Vous voulez être l’incarnation de la science, nier toute subjectivité, nier même le fait que vous ayez un point de vue. Mais j’emploie ici idéologie dans son acception la plus noble, d’ailleurs idéologie selon Destutt de Tracy est la science relative aux idées et c’est une certaine manière de voir les choses. Vous avez une idéologie, ne vous inquiétez pas M. Cavaillé, ce n’est pas sale et ça arrive à des gens bien.<br /> <br /> En ces temps où le gouvernement mène une politique de rigueur en refusant d’employer ce mot, vous disposez d’exemples hauts placés, si je puis me permettre. Et si les occitanistes n’ont aucune idéologie, comment faut-il appeler ça ? Une cueillette des olives en basse Provence ? Comme je n’ai plus envie de vous contredire, je vais abonder dans votre sens : l’occitanisme est une cueillette des olives en basse Provence. Laquelle dénomination me convient mieux que cueillette des olives en Occitanie orientale, qui n’existe dans que dans votre idéol… je veux dire votre « cueillette des olives en basse Provence ».<br /> <br /> Je vous plains. Robert Lafont, là où il est, doit rire en vous lisant. Car oser nier la part d’idéologie qui est en vous, dans votre combat, revient à nier tout ce que vous avez aimé et montre que vous êtes tellement sur une position défensive, que vous en venez même à renier. Ainsi, intellectuellement, vous ne vivez plus que de « l’air de temps »…
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