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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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26 août 2006

Dario Fo : langue italienne, dialetti et grammelot

dariofo

Char Dario Fo au carnaval de Viareggio

Dario Fo : langue italienne, dialetti et grammelot

Voici un bout d’entretien qui m’a paru bien intéressant, délivré le 26 janvier 2004 par Dario Fo, prix nobel de littérature 1997, à Paolo Di Paolo, sur le site Italialibri . Je le donne en italien et le fait suivre de ma traduction. 

« D. Di recente, sul Corriere della Sera, Cesare Segre ha sottolineato quanto il dialetto rappresenti l’individualità storica anche del più piccolo pezzo di terra. Oggi in Italia a parlare in dialetto è una percentuale modesta di persone. Per quanto il dialetto sia una traccia preziosa dell’identità popolare, appare però risibile, a detta dello stesso Segre, «l’azione, anche militante, della Lega per rinvigorire i dialetti». Lei cosa ne pensa?

Dario Fo - Ho avuto la fortuna di nascere in una terra che era un crogiolo di dialetti, di idiomi provenienti anche dal Nord Europa, dalla Spagna: lingue arcaiche e pulite che si mischiavano dando vita a forme nuove di espressione, musicali, bizzarre, folli come il mio grammelot.

La Lega vorrebbe ripristinare il dialetto come semplice mezzo di comunicazione e nell’intento balordo di separare, di fare a pezzi l’Italia. Quello dei leghisti è un discorso gretto e banale. Non sanno nulla del dialetto come mezzo di poesia, come espressione delle verità umane più profonde, dei sentimenti più sinceri. Nei canti popolari vivono e si incrociano sofferenze, rabbie, amori, religiosità, sensualità. L’attaccamento alla terra, il dolore, il sesso : i canti popolari raccontano tutto questo in un linguaggio aspro e assoluto a cui la musica dà vigore e sostanza. Ma dietro le istanze leghiste non c’è un briciolo di cultura: soltanto canzonette da osteria, da festicciola. »  

« D- Récemment, sur le Corriere della Sera, Cesare Segre a souligné à quel point le dialecte représente l’individualité historique, même du plus petit morceau de terre. Aujourd’hui en Italie, seul un modeste pourcentage de personnes parle le dialecte. Même si le dialecte est une trace précieuse de l’identité populaire, selon Segre lui-même, « l’action, vraiment militante, de la Lega pour redonner vigueur aux dialectes », paraît risible. Qu’en pensez-vous ?   Dario Fo –  J’ai eu la chance de naître sur une terre qui était un pot-au-feu de dialectes, d’idiomes provenant même de l’Europe du Nord, de l’Espagne : langues archaïques et nettes qui se mélangeaient et donnaient vie à de nouvelles formes d’expression, musicales, bizarres, folles, comme mon grammelot[1].

La Lega voudrait récupérer le dialecte comme simple moyen de communication et avec l’intention stupide de mettre l’Italie en morceaux.  Le discours des leghisti est un discours mesquin et banal. Ils ne savent rien du dialecte comme instrument de poésie, comme expression des vérités humaines les plus profondes, des sentiments les plus sincères. Dans les chants populaires vivent et se croisent souffrance, rage, amour, religiosité, sensualité. L’attachement à la terre, la douleur, le sexe : les chants populaires racontent tout cela dans un langage âpre et absolu auquel la musique donne force et substance. Mais derrière les instances de la Lega il n’y a pas une miette de culture : seulement des chansonnettes de tavernes, de petites fêtes de rien du tout».

Fo se réfère à ce mélange de langues et de « dialetti » entendus durant son enfance à Porto Valtravaglia sur les rives du lac Majeur, cité d’ouvriers venus d’un peu partout, de pêcheurs et de contrebandiers, dont il parle si bien dans un récit autobiographique publié en 2002 : Le pays des Mezaràt, c’est-à-dire en lombard des chauves-souris, oiseaux de nuit comme l’étaient les ouvriers des verreries, les pêcheurs et les contrebandiers (j’en donne et traduis un passage ci-dessous[2]).

Fo, dont l’enthousiasme est communicatif, a le grand mérite d’insister sur la dimension créative - et non pas du tout appauvrissante - du melting-pot linguistique mais aussi sur les qualités poétiques et littéraires des chants populaires, sur la force expressive des dialetti. Il va jusqu’à dire, dans une intervention pour la présentation de el Ghibli, revue en ligne « de littérature de la migration »[3] « nostri dialetti non sono l’argot, sono proprio lingue, con loro leggi, regole, con loro strutture » (« nos dialectes ne sont pas l’argot, mais proprement des langues, avec leurs lois, leurs règles et leurs structures »). Dans le contexte italien, où la séparation langue / dialecte est presque parole d’évangile, cela est faire preuve d’un beau courage.

Cependant cette réhabilitation, cette glorification même des dialetti se fonde sur une perception qui n’est, si l’on y regarde bien, que le reflet inversé de leur image dégradée : le dialetto est puissant parce qu’il serait plus ancré dans le peuple, plus proche de la terre, plus attentif au corps, plus rude, plus expressif que la langue raffinée et donc affaiblie des élites bourgeoises. Certes les dialetti sont de fait, de par leur usage, plus proches de la vie quotidienne, des activités et des modes de communication ordinaires (ou plutôt de l’être ensemble) des communautés rurales et villageoises qui le parlent, et forts de leurs variantes infinies, c’est-à-dire de leur non codification, ils présentent une richesse de vocabulaire et d’expressions, une perméabilité et une souplesse que la langue normalisée tend à perdre. Il me semble pourtant faux et dommageable de tirer de ces caractères foncièrement liés à leur statut et à leurs usages des qualités intrinsèques et essentielles. Dommageable en effet, et même fatal, car cela revient à refuser par avance l’idée d’une véritable évolution sociale et culturelle du dialetto, de son adaptation possible aux nouvelles formes de vie et de sociabilité, d’une mise en cause de son statut culturel subalterne et tout à fait secondaire par rapport à la « lingua », et donc d’une quelconque reconnaissance institutionnelle conséquente (se traduisant par exemple par son enseignement, etc.)... Car la Lega, à laquelle on peut en effet trouver tous les défauts, sert finalement de repoussoir facile, et même trop facile.

La Lega, avec son nationalo-régionalisme d’opérette porte en effet terriblement tort aux cultures dialectales. La mauvaise foi dans ce domaine est générale et la Lega est une cible aisée, qui évite de se poser les vraies questions : défendre les dialetti ? Politique culturelle digne de la Lega ! Donner, dit Fo dans la même allocution, de « nouveaux noms aux rues liées au lombard ou au napolitain » : voilà à quoi se limite misérablement « l’attention à notre culture » ! Cela semblerait vouloir signifier une bien plus grande ambition culturelle pour le « dialetto ». En réalité, pas du tout, car, déclare Dario Fo, ce qu’il faudrait plutôt, c’est « enrichir la connaissance par tous les mots, de tous les dialectes, pour enrichir [sic] notre langue »[4]. L’objectif est donc d’utiliser les dialetti pour enrichir la langue italienne et il n’y a aucune réciprocité dans ce souci : les dialetti sont bel et bien abandonnés à leur sort, qui est celui, manifestement, dans l’esprit de Dario Fo, des cultures populaires traditionnelles en voie de disparition. Il ne se rend pas compte qu’en ayant cette vue à sens unique, il mange la poule aux œufs d’or ou, ce qui revient au même, qu’il la laisse crever de faim.

J.-P. Cavaillé

[1] Le grammelot est une forme de théâtre inventée par la Commedia  dell'Arte, fondée sur l’usage d’onomatopées qui miment les sonorités d’une langue reconnaissable. Dario Fo s’est approprié le terme pour désigner la création pour son propre théâtre comique d’une langue faite d’un mélange d’idiomes, fortement onomatopéique. Voir surtout son Mistero Buffo (1969). Une bonne présentation générale du grammelot sur wikipedia. 

[2] « A Porto Valtravaglia stava nascendo un nuovo incredibile idioma : lucertola diventava ritzòpora (dal greco dell’Ellesponto) ; pastore diventava bergeròt ; l’espressione germanica tràmpen indicava l’imbranato ; stappích il truffatore ; sflulk, l’imbroglio ; tachinosa, la battona e così via.

In quel paese mi sono reso conto che il passo biblico della tragica confusione scoppiata sulla torre di Babele si rivelava una subdola invenzione di un mitico bugiardo.

Certo a quel tempo, ragazzino com’ero, non mi rendevo conto che in quella strana fucina di lingue e dialetto stessi frequentando una irripetibile università della comunicazione, un’esperienza che mi avrebbe permesso di comporre all’infinito moduli espressivi di sconosciuta libertà », Il Paese dei mezaràt. I miei primi sette anni (e qualcuno in più), Feltrinelli, 2004 (2e édition), p. 58.

Trad. de l’italien par Nathalie Bauer (à laquelle je rajoute entre crochets quelques mots élidés, merci à Euphrasie Hana !) : « Un nouvel idiome naissait à Porto Valtravaglia : le mot « lézard » se transformait en ritzòpora (du grec de l’Hellespont) ; bergeròt désignait les gardiens de moutons, l’expression germanique tràmpen indiquait l’ahuri ; stappích, l’arnaqueur, sflulk, l’arnaque ; tachinosa, la prostituée et ainsi de suite.

Dans ce village [, tout minot que j’étais], je me suis rendu compte que l’épisode biblique de la confusion tragique qui éclate sur la tour de Babel n’est autre que l’intervention sournoise d’un menteur mythique.

Bien sûr, à l’époque, je ne me rendais pas compte que je fréquentais dans cette étrange forge de langues et de dialectes, une formidable université de la communication, et que cette expérience me permettrait de composer à l’infini des formules expressives d’une liberté inconnue. », Le Pays des Mezaràt. Mes sept premières années et quelques-unes en plus, Plon, 2004, collection Feux croisés, p. 59.

[3] Milan le 21 febbraio 2005

[4] « Ed ecco quando penso ad alcuni che vorrebbero trasformare certe, non so, strade con nuovi nomi legati al lombardo, al napoletano ecc., la pochezza dello spinger verso una attenzione alla nostra cultura si ferma proprio lì a cambiare i termini, una parola, invece di arricchire la conoscenza con tutte le parole, di tutti i dialetti per arricchire la nostra lingua »


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