Michèu Prat, de Gap, vient récemment d’attirer l’attention sur un texte anonyme figurant sur le site de l’Académie Française. Le passage en question se trouve sur une page intitulée Du françois au français, sous la rubrique Naissance et évolution du français. Assez comique, reconnaissons-le, il fait passer pour une vérité attestée une entourloupe linguistico-historique d’une grossièreté vraiment remarquable, qui suffirait à achever de jeter le discrédit sur la vénérable institution, s’il en était encore besoin. Pour être honnête, il faut dire que sans de criantes inexactitudes et de pieux mensonges la compagnie des immortels ne pourrait accomplir sa vocation idéologique de sanctification et sanctuarisation de la langue.
Lisons plutôt : « Au Moyen Âge, la langue française est faite d'une multitude de dialectes qui varient considérablement d'une région à une autre. On distingue principalement les parlers d’oïl (au Nord) et les parlers d’oc (au Sud). Avec l'établissement et l’affermissement de la monarchie capétienne, c’est la langue d’oïl qui s'impose progressivement. Mais on peut dire que la France est, comme tous les autres pays d’Europe à cette époque, un pays bilingue : d’une part, la grande masse de la population parle la langue vulgaire (ou vernaculaire), qui est aussi celle des chefs-d’oeuvre de la littérature ancienne (la Chanson de Roland, le Roman de la rose...) ; d’autre part, le latin est la langue de l’Église, des clercs, des savants, de l'enseignement, et c’est aussi l’idiome commun qui permet la communication entre des peuples aux dialectes plus ou moins bien individualisés. »[1]
Nous sommes là au cœur des vieilles machines à fabriquer les mythes nationaux.
En effet :
1- la France clairement supposée, comme déjà existante dès le Moyen-Age, est territorialement celle d’aujourd’hui, avec son centre et ses « régions ».
2- Est aussi supposée d’emblée l’existence d’une seule langue, sous ou derrière (en fait on ne sait pas trop où) une diversité de « dialectes » variables : il s’agit évidemment de la « langue française ». Une partition langue d’oïl et langue d’oc est bien reconnue, mais considérée comme interne à la nébuleuse « langue française ». Les parlers d’oc sont donc des dialectes constitutifs de la langue française en ses débuts.Cette thèse fut celle des théoriciens assembliste au XVIe siècle. Depuis la linguistique a connu quelques progrès, dont il faudrait peut-être tenir compte...
3- Il est affirmé que la France est un pays bilingue « comme tous les autres pays d’Europe » : c’est-à-dire latin/vernaculaire. En réalité, on sait bien qu’en France, comme partout ailleurs, bien des gens parlaient, nécessairement, pour des raisons de déplacements, de voyages etc., plusieurs langues, le latin n’étant justement connu que d’une fort petite partie de la population. La situation la plus courante était donc un plurilinguisme diffus. Mais dire cela c’est oublier le principe de base du mythe académique : les vernaculaires ne sont que la forme brouillonne et inchoative des langues nationales en devenir. Donc parler bas-breton et saint-ongeois, ou basque et languedocien, par exemple, c’est toujours parler français! Ajoutons le latin et le compte est toujours bon : 1 + 1 = 2. Comprenez bien que le bilinguisme est déjà suffisamment difficile à admettre sans en rajouter !
4- Donc la « grande masse » de la population, parle à la va comme je te pousse du vernaculaire pas très individualisé, où le français, on ne sait comment, est déjà au travail. Il y a même une littérature, et cette littérature, admirable (signe irrévocable d’une glorieuse destinée), est bien sûr… française ! La Chanson de Roland, Le Roman de la rose… C’est tout ? Personne n’est oublié, vraiment personne ? Encore un effort, il suffisait, allez, de nous expliquer que les troubadours écrivaient le français, ou du moins l’une de ses formes commençantes, puisque d’ailleurs, certains n’hésitent pas à l’affirmer. Cela serait parfaitement logique dans ce docte argumentaire académique. Mais sans doute le silence est-il plus efficace, et moins… contestable.
Terminons par un petit détail, un grain de sel valant son pesant d’or, comme dirait l’autre. L’exclusion ou plutôt la négation académique de toute autre langue que le français sur la bonne terre de France, des origines médiévales à nos jours (le site ne manque pas de célébrer l’ajout de l’article 2 au texte de la Constitution), va se nicher, dans le site en question, jusque dans la page « liens ». En effet, entre autres sites institutionnels, l’Académie renvoie à la Délégation Générale de la Langue Française (DGLF), qui comme chacun sait (et il suffit de cliquer sur le lien pour le constater) s’appelle en réalité, depuis 2001, Délégation Générale de la Langue Française et des Langues de France (DGLFLF). Manifestement les dernières lettres du sigle ne sont pas du tout du goût de l’Académie, qui préfère n’en rien savoir. En fait, il ne s'agit pas d'un oubli, comme en témoigne un discours de la secrétaire perpétuelle, Hélène Carrère-d'Encausse, tenu l'année suivante : « Depuis mars dernier, un organisme officiel s’intitule Délégation générale à la langue française et aux langues de France », intitulé qui les place donc en situation d’égalité. Comment aussi ne pas être alarmé par la volonté affirmée, louable certes, d’un haut responsable politique d’« assurer sur notre territoire la primauté du français, langue de la République » ? Primauté implique la coexistence du français avec d’autres langues, alors que c’est le principe d’unicité, c'est-à-dire qu’elle était unique, qui depuis cinq siècles a défini son statut. » Et voilà comment, pour éviter, toute idée d'égalité, et même de primauté du français, mais pour préserver son unicité, l'Académie ne connaît que la DGLF...
JP C
Superdupont
[1] http://www.academie-francaise.fr/langue/index.html
L'Académie Française n'avait en effet pas besoin de cela pour prouver qu'elle n'est rien d'autre qu'une blague.
Ce n'est pas très étonnant qu'elle nie l'existence d'autres langues que le Français en France : à l'intérieur même du Français elle nie déjà l'existence de nombreux mots, expressions et formulations, alors que nombre d'entre eux contribuent pourtant à faire du Français Parlé une langue beaucoup plus intéressante, directe et riche à mon goût que le Français Écrit.
Quitte à affirmer un peu sans savoir, j'ai l'impression que la fracture parlé/écrit est beaucoup moins nette dans la langue Occitane, non ?
A bientôt et merci encore pour ce billet !