J'ai le plaisir de publier ici un compte rendu et une analyse de l'ouvrage récent de Jacques Faury sur le parler de Charente Limousine par Jean-Christophe Dourdet qui a consacré sa thèse à cette langue. C'est une occasion d'attirer l'attension sur cette forme d'occitan limousin, sur l'ouvrage qui lui est consacré et d'ouvrir une discussion avec l'auteur, ses lecteurs et bien sûr tous les locuteurs de cette variété qui souhaiteraient se manifester. JP C
Le parler charentocien, le limousin de la Charente par Jacques Faury
Vient récemment de paraître aux éditions Communication-Presse-Edition (CPE) un ouvrage dans la droite ligne de la désormais bien connue collection « Patois et chansons de nos grands-pères... (marchois; en Berry, Vendée...) » avec ses nombreuses variantes dans le titre alternant Langue ou Patois en fonctionde la représentation et de la sensibilité sociolinguistique de l'auteur et/ou des locuteurs de chaque « terroir ». Cette fois, ce sont les parlers limousins de Charente qui sont à l'honneur. L'ouvrage est signé Jacques Faury, un locuteur de cette Charente de l'Est aux confins du pays Limousin et de l'Angoumois. L'ouvrage est particulièrement bienvenu dans la mesure où ces parlers souffrent d'un certain manque de description linguistique, encore que d'autres endroits soient encore davantage à plaindre telle la Basse-Marche. A première vue, l'ouvrage se veut pour l'essentiel un glossaire du « charentocien », néologisme pour désigner les parlers occitans limousins de Charente. Au passage, contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture, il ne s'agit nullement du premier glossaire de cet ensemble subdialectal, puisque Roger Pagnoux, de Chabanais, a déjà fourni un glossaire limousin de Charente relativement étoffé, bien que nécessairement lacunaire, pour cet ensemble, (ré)édité en 2005 par l'Institut d'Etudes Occitanes du Limousin et Terra d'oc (Glossari lemosin : Contribucion a l’estudi de la linga lemosina). Le travail de J. Faury était néanmoins nécessaire dans lequel il se propose de « fouiller les recoins, à la recherche du mot ou de l'expression en voie d'extinction » (p. 9), avant tout donc, selon l'auteur, dans une perspective de conservation et de passage à la postérité, semble-t-il. Personnellement très accointé avec ces parlers de l'Est Charente, d'où est originaire mon épouse, d'une famille à ce jour toujours limousinophone, c'est de ce travail que je me propose de présenter ci-après les qualités et les défauts éventuels.
Je commencerai par m'interroger quant à l'intérêt en ouverture (p. 9) d'une citation pour ainsi dire particulièrement désuète et dépassée sur les intentions du linguiste qui n'aurait soi-disant pas « la prétention d'enrayer la décadence des patois ». Il manque en outre la référence de la citation en bas de page ou en fin d'ouvrage. L’absence de citation des sources est d’ailleurs une lacune constante de l'ouvrage.
En fait, le linguiste contemporain n'est en rien un archéologue, encore moins un entomologiste, quand il travaille sur du matériau encore vivant. Même si je ne me fais plus d'illusion sur le sort réservé à l'occitan dans les années à venir, je sais aussi que rien n'interdit au linguiste d'aujourd'hui de contribuer à la reconnaissance et à la promotion de l'idiome sur lequel il travaille, quand bien même la situation est plus que précaire. C'est d'autant plus le cas lorsque le linguiste travaille sur des langues minorisées en grand danger, aussi bien en France avec les langues régionales, qu'au Mexique avec les langues améridiennes ou en Océanie avec les langues austronésiennes. On peut même se demander s'il n'est pas du devoir du linguiste de participer à la préservation desdites langues. Par conséquent, si le linguiste a bien pour mission d'assurer pour les générations à venir la connaissance des langues « en fin de vie », son objet ne se limite pas pour autant à cela.
Mais passons, chacun adopte l'attitude qui lui sied vis-à-vis de l'idiome qu'il étudie. Je ne me focaliserai pas plus longtemps sur cette attitude, en somme conservatrice, qui semble néanmoins en contraste par rapport à ce que l'auteur proclame plus avant. Il dit en effet : « j'ai essayé de rendre ce glossaire vivant » (p. 9) ; et : « les apports linguistiques extérieurs, fussent-ils « français », sont le propre d'une langue vivante » (p. 11) affirmant ouvertement le caractère bien vivant de l'idiome, à moins que l'auteur n'entende par là qu'il souhaite seulement rendre compte de la langue parlée à un instant T sans la mettre en perspective d'aucune manière, comme le suggèrent ses propos (« J'ai donc voulu donner ici une photographie de la langue vernaculaire de « Haute-Charente » ou « Charente de l'Est » p. 10). Après tout, la démarche est recevable, empreinte de nécessité même, en dépit manifestement d'un manque de dynamique et de perspective comparatiste, écartant par ailleurs dans l’analyse la prise en compte des contacts diglossiques entre langues.
Le terme « charentocien » est une trouvaille, qui, bien que quelque peu ambiguë – l'unité du limousin de Charente étant très aléatoire – n'engage à rien. Par contre, l'évocation de l'ancien français comme "bien présent" dans le lexique, et donc dans le glossaire proposé, a de quoi surprendre (p. 9). L'auteur explique à ce propos que « l'ancien français fut la seule langue écrite aux côtés d'un nord-occitan vivant, certes, mais purement oral » ajoutant que « les Troubadours sont loin, et entre eux et le XIXe siècle, rares sont les écrits purement occitans » (p. 9). L'influence du vieux français (XIVe, XVe siècle ?) sur l'idiome occitan de Charente n'a jamais été démontré et on se demande bien comment l'ancien français qui n'a jamais été parlé, ni écrit, dans ces contrées pourrait bien avoir eu une quelconque influence sur l'occitan local, d'autant plus quand on sait que la langue écrite au temps du vieux français était exclusivement le latin et que c'est seulement lors de la promulgation de l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 sous François Ier que le moyen français, et non le vieux français, et par la suite le français moderne ont commencé de pénétrer les écrits administratifs. C'est aussi sans compter que nombre de registres et de chartes ont été rédigés en langue vulgaire, donc en occitan, dont on a encore les traces, même si elles font en effet défaut dans cette microrégion de Charente limousine comme le souligne J. Faury : « rares sont les écrits occitans, tout au moins pour notre micro-région » (p. 9), ce qui ne signifie pas que ces écrits n'ont jamais existé.
Plutôt que de parler d'influence du « vieux français » ou même du moyen français, mieux vaut évoquer une morphologie partiellement commune avec les dialectes de langue d'oïl voisins et éventuellement postuler qu’occitan de Charente et poitevin-saintongeais se sont influencés, bien qu'il soit sans aucun doute préférable de supposer simplement une évolution parallèle aboutissant à des résultats semblables dans certains domaines qu'il reste à préciser (en fait, il s'agit pour l'essentiel de lexique, de dérivation suffixale et en partie de conjugaison).
Par ailleurs, on comprend bien que l'auteur a eu pour ambition de s'affranchir d'une démarche trop influencée par le courant occitaniste (bien qu'empruntant la graphie classique) et qu'il n'a ainsi pas voulu se « masque[r] derrière une belle vitrine occitaniste » ce en quoi on ne peut que le féliciter dans la mesure où l'étude d'un idiome ne doit pas reposer sur des préjugés quand bien même seraient-ils bien intentionnés.
Voilà donc l'essentiel quant au propos.
Sur l'aspect linguistique, la démarche de collectage du fonds lexical est particulièrement heureuse. En effet, ce coin de Charente n'a pas fait l'objet de beaucoup d'études et il manquait là quelques points essentiels que Jacques Faury relève. Cependant, le glossaire souffre, à mon sens, essentiellement dans sa forme, d'une démarche qui aurait gagné à être plus aboutie.
Au sujet du dialecte en « ê » (sic), que J. Faury présente brièvement, il est noté « le "A" long y prend en effet la tonalité « ê », voire rarement « é » » (p. 12). Ceci reste pour le moins imprécis car sont en fait réalisés [ɛː] ou [eː] tous les [aː] (« a » longs) ou [ˈa] (« a » toniques) des autres parlers limousins (perspective synchronique) ou du limousin de Charente dans son état antérieur (perspective diachronique) si bien que l'on arrive non seulement à vacha [ˈvɛːʦɔ] (réalisation précise relevée à Montembœuf) mais aussi à pastisson [ˌpɛːtɪˈsʊˑ] (idem), toute voyelle tonique étant réalisée systématiquement longue ou mi-longue en haut-limousin. Si l'auteur note également [eː] comme résultat possible, il ne s'agit pas, comme le parler de Montembœuf le prouve, véritablement d'un [e] aussi fermé que le caractère phonétique le laisse supposer mais d'un [ɛ] très faiblement ouvert qui reste néanmoins distinct de [e] comme l'atteste la différence entre le [eː] de novéla et le [ɛː] de vacha. Peut-être pourrait-on noter cette subtilité à l'aide d'un macron sur ɛ, ce que les traitements de textes laissent difficilement envisager.
Les nuances phonétiques propres aux parlers de cet Est Charente sont plutôt bien notées par J. Faury. C'est un point qu'il faut souligner car l'aspect phonétique atypique de ces parlers n'a jamais vraiment fait l'objet de publication. Pour autant, ces spécificités phonétiques ne se limitent pas toujours à ces parlers et débordent pour certaines d'entre elles largement sur les parlers de Haute-Vienne et de Dordogne, ce dont l'auteur semble faire abstraction. Malgré tout, il était temps de les faire connaître. Il en est ainsi de la mouillure systématique de certains déterminants comme (i)un [jʏ̃m], (i)una [jʏ̃nɔ], (i)ela [jelɔ]... mais aussi et surtout du relâchement vocalique relevé en partie par J. Faury, qui sert notamment à marquer l'opposition singulier-pluriel et qui est en outre sous-tendu par le système accentuel, ce dont J. Faury ne parle pas. C'est le cas par exemple de chamin [ʦaˈmɪˑ] (réalisation précise relevée à Montembœuf) avec une voyelle finale lâche sensiblement ouverte qui sonne presque [e] qui s'oppose à chamins [ʦaˈmiː] (idem) avec une voyelle finale tendue clairement fermée, mais aussi de pastisson [ˌpɛːtɪˈsʊˑ], où [ʊ] sonne presque [o], qui s'oppose à pastissons [ˌpɛːtɪˈsuː], ou encore 'gut [gʏˑ], où [ʏ] sonne presque [ø] ou [ʉ], qui s'oppose à 'guts [gyː]. Ce phénomène bien qu'exacerbé dans cette zone (en fait une partie seulement de la zone que J. Faury étudie) est néanmoins attesté dans tout le sud-ouest du domaine haut-limousin comme en témoignent les études de Mok[1] et Reydy[2], les écrits de Marsiquet[3] en ma possession, et les enregistrements que j'ai fait de locuteurs sur les communes, entre autres, de Saint-Saud-Lacoussière (24) ou de Saint-Hilaire-les-Places (87). Ainsi J. Faury atteste le phénomène mais sans l'expliquer dans la partie prononciation (p. 16)°: « i vaut toujours i ou é selon le dialectalisant... . Ainsi "pitit" (petit) sera-t-il prononcé "piti ou pété" selon les personnes ». En fait, ce n'est en rien un phénomène idiolectal (personnel) mais bien un trait subdialectal qui s'étend largement dans tout l'ouest-sud-ouest haut-limousin. Le domaine qu'étudie J. Faury est justement partagé en deux par ce trait selon qu'on se trouve au nord en tendant vers Confolens (piti ou plus exactement [piti]) ou au sud vers Montemboeuf (pété ou plus précisément [pɪtɪ], en effet presque [pete]), la limite restant à définir très précisément même si on peut approximativement la situer à hauteur de Suris. J. Faury laisse donc le lecteur largement face à ses interrogations concernant ce point.
Sur le plan des solutions adoptées par J. Faury concernant la notation graphique du lexique limousin charentais, on a déjà dit que la graphie classique avait été adoptée. Néanmoins, soucieux de coller au mieux et dans la mesure du possible, aux spécificités de ce « far-west » limousin, J. Faury a procédé à quelques adaptations qui, en ce qui me concerne strictement, ne me dérangent nullement, mais que l'on peut toutefois discuter au cas par cas.
On regrettera parfois le manque de simplicité qui consiste à préférer une notation par trop étymologisante alors que la graphie classique l'est parfois déjà en excès. En effet, on peut se demander pourquoi noter uect pour uech même si on devine le souci, peut-être par analogie au système français qui n'articulerait pas cette même finale -ct, de ne pas encombrer le lecteur avec la palatale amuie depuis belle lurette (mais réapparaissant éventuellement dans des composés) lui préférant donc le digramme -ct plus facile, peut-être, à ne pas lire. Mais à ce moment là, pourquoi ne pas passer à uet ? Notons à ce propos que J. Faury note paradoxalement cuech et non cuect, nuech et non nuect. On relèvera également les curiosités plus ou moins étymologisantes pasliçon, colteu, reg de birat, reibenist, sella, coeslevar au lieu de palisson, coteu (éventuellement couteu), redebirat, reiben(e)it, séla, coelevar... mais par contre quete au lieu de queste sans doute pour ne pas contredire le postulat de l'auteur que « es » vaudrait toujours [eː] (voir ci-après), achon et non apchon...
On regrettera la notation systématique « es » (assimilé à la prononciation [e]) de réalisations en réalité très diverses quand la graphie classique elle-même note « ei » dans certains cas comme par exemple : gesnar (pour geinar), crescer (pour créisser). En l'occurrence, la systématisation de la transcription phonétique en [e] du digramme « es » est abusive et même erronée. Il n'existe aucun doute sur la pluralité des réalisations correspondant à ce que l'on écrit « es » sur lesquelles J. Faury fait l'impasse. Ainsi on dit bien [ʣɛjnɛː] et non [ʣeːnɛː], [ɛjtã] et non [eːtã] (noté estanc chez l'auteur), [pejtəʉ] et non [peːtəʉ] ... mais on dit en effet [teːtɔ] et pas [tɛjtɔ]* (pour le coup, J. Faury note paradoxalement et exceptionnellement [téyto] en phonétique?), [eˑkolɔ], [eˑparɲɔ] (espanhar, faire des éclairs)...
D'autres solutions ont été utilisées pour opposer diphtongue ouverte et diphtongue fermée : àucha vs auchas, àiga vs aigas qui ne chamboulent pas la graphie classique et ont le mérite d'apporter un peu de clarté pour le lecteur, particulièrement le néophyte.
L'auteur note aussi la vélarisation de [a] ancien en [ɔ] due au [n] final caduque comme dans pán, demán... ce qui en soi n'est pas traumatisant pour la graphie.
Jacques Faury choisit de plus de noter « ä » ce qu'il nomme « "a suraccentué » (p. 16), en fait [a] lexicalement long, en général sous l'influence d'une consonne ancienne disparue aujourd'hui ou éventuellement d'une voyelle géminée, et il fournit les exemples : diäble, mäschoira (NB : je n'ai personnellement entendu du côté de Montemboeuf, Massignac et Lézignac-Durand que le mot jangaunhas pour mâchoires, mot d'ailleurs présent dans le glossaire). J'imagine que gänhat [gɛːɲa] entre dans ce dispositif. L'accent circonflexe semblerait pourtant davantage convenir dans ce cas bien que le choix de l'auteur ne prête pas vraiment non plus à de grandes conséquences pour la graphie classique.
On relèvera cependant quelques incohérences comme le fait de noter vergier [værdje] mais jarba bàuda [ʣærbɔ bawdɔ] sachant que les parlers étudiés réalisent pour la majorité [ær] pour ce que l'on note en général « er » sauf justement dans le cas de vargier puisque tous les parlers limousins qui emploient le mot ont [ar] dans ce cas là. On concèdera pour gerba que la prononciation [ʣarbɔ] (écrite alors en effet jarba) puisse exister comme il existe « barja » en dehors des parlers qui réalisent [ær] pour « er ». On peut se demander en outre pour vargier s'il ne vaudrait pas mieux noter vardier car le groupe consonantique [ʤ] est passé à [dj] dans bon nombre des parlers étudiés depuis certainement plusieurs siècles. C'est le cas dans la majeure partie du pays dit des Fuelhardiers, à l'origine Fuelhargier/Folhargier (forme encore attestée en Nontronnais), mot dont la finale a subi la même évolution.
Si on suit la logique de J. Faury de respecter au mieux la phonologie, on pourrait aussi se demander pourquoi la réalisation [əʉ] notée [euil] n'est pas relevée dans une notation qui pourrait être chanteü.
Au final, le lexique transcrit est particulièrement instructif pour qui ne connait pas les parlers de l'Est charentais. On regrettera toutefois l'absence de rabilhas pour chabeç (fânes) mais c'est un détail. Enfin, il faut noter que du côté de Montembœuf, Massignac, Lézignac-Durand et Mouzon, les mots cinglant et serp ont subi une véritable inversion de sens, ce que J. Faury ne note pas, à savoir que la serp désigne la grosse couleuvre verte/noire et jaune et cinglant n'importe quel serpent.
En bref, le travail de J. Faury, malgré ses imperfections, est très précieux et mériterait à présent d'être enrichi et de profiter d'une méthodologie sans doute plus établie.
Jean-Christophe Dourdet
[1] Mok, Q.I.M. (2008). « L’opposition singulier-pluriel dans le parler de quelques communes du Périgord blanc ». Etudes de linguistique occitane moderne. Aachen : Shaker Verlag. 3-16.
[2] Reydy, J.-P. (2008). Notre occitan. Uzerche : Institut d’Estudis Occitans dau Lemosin.
[3] Un habitant des environs de Montembœuf qui écrit des chroniques sur les traditions non éditées pour le plaisir.
Par ailleurs, quant au mot pasliçon que je relève comme étant trop "étymologisant", J. Faury l'utilise dans son glossaire non pour désigner les panières pour faire lever le pain, autrement dit palissons, mais pour désigner la palleur, quelqu'un de pâle, pallichon chez Lavalade.
Pasliçon est quoi qu'il en soit moins conforme à la fois à l'étymologie (lat. pallidu-) et à la formation par dérivation suffixale en graphie classique. A la rigueur pallisson serait acceptable.