Les électeurs « en perdent leur patois »
Les électeurs « en perdent leur patois »
J’écoute ce matin la courte émission (moins de 3 mn) sur France Culture intitulée Chemins de Campagne, consacrée aux élections législatives qui se préparent et où campagne doit être entendu aux deux sens du terme ; c’est en effet à « un tour de France » des « circonscriptions clé » que nous invite la rédaction de la chaîne. Un tour de France par étapes de 3 minutes… Et que l’on ne dise pas que les provinces, les régions, bref les « campagnes » soient délaissées par la radio nationale ! Ce matin on parle de la circonscription de Carpentras dans le Vaucluse, tenue par la droite (Jean-Michel Ferrand qui brigue son… 7e mandat !) et où se présente Marion Maréchal-Le Pen, la petite fille de Jean-Marie.
Le journaliste, Daniel Morin de France-Bleu Vaucluse, énonce les noms des divers candidats (6 en tout, si j’ai bien suivi), manifestement trop nombreux à son goût, car dit-il, « certains électeurs en perdent leur patois ». Et il fait alors entendre la voix d’un homme, qui, avec un bel accent provençal, prononce les mots suivants : « Vous savez, à 82 ans, ça a tellement changé que je m’en fous un peu, même pas mal. Le plus qui gagnent c’est ceux qui sont élus et ceux qui sont pas élus, bé ils discutent jusque pendant cinq ans pour y arriver ».
Chacun peut constater que ces considérations désabusées sont bien en français, agrémentées de quelques traits de syntaxe populaire, non d’ailleurs spécifiquement provençale (j’ai jamais lu, ni entendu « enjusquo pendént » ou « enjusca pendent » pour ne vexer personne en occitan provençal, mais cela se dit sans doute), et surtout dites avec un accent indiscutablement provençal. C’est cela sans doute qui a suscité, chez le journaliste cherchant sa cheville pour introduire le « témoignage » receuilli, cette petite phrase humoristique : certainement, cet homme âgé, devant tant de candidats, ne saurait y perdre son latin, qu’il n’a bien sûr pas, sinon son registre de langue serait plus châtié ; il n’y peut donc perdre que... son « patois » (rions, rions...) ! Une fois de plus, ce mot est bien chargé de tout le mépris et de toute la condescendance sociale possible, en même temps qu’il pèse tout son poids de mépris et de condescendance linguistiques.
Jean-Pierre Cavaillé