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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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21 octobre 2008

Langues régionales, politique et littérature

 

Langues régionales, politique et littérature
 On peut lire sur le Blog de la Pensée de midi, un petit article daté du 31 juillet 2008 d’Élisabeth Cestor, repris sur le célèbre site Rue 89, puis sur celui de Fabula.org. Il est intitulé : « Les langues régionales ne sont-elles que littérature ? » et donc postérieur de quelques jours à l’adoption dans la Constitution par le Congrès de la formule « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Ecrit par une sociologue travaillant sur le chant en langue d’oc en Provence[1], on devrait sans doute se réjouir de ce papier favorable à la protection et à la reconnaissance de la richesse culturelle constituée par les « langues régionales ». Je le trouve cependant, pour ma part, très décevant, superficiel et surtout tout à fait insidieux, l’auteure juxtaposant, sans aucune analyse, la situation française et la situation espagnole, où la Catalogne est présentée avec quelques exemples à l’emporte-pièce comme un repoussoir en matière de politique linguistique. Le papier flatte ainsi les préjugés les plus obtus entretenus en Castille et en France à l’égard de la manière dont les Catalans défendent leur langue et fatalement, par une conséquence inévitable, faute d’outils permettant une analyse plus approfondie, il fait apparaître les revendications linguistiques en France comme potentiellement dangereuses et donc à considérer avec la plus grande circonspection. Cette conséquence est clairement indiquée par un appel à dépolitiser une question qui est de facto, qu’on le veuille ou non, une question politique. Le lecteur, conforté dans ses idées toutes faites sur la Catalogne et sur les militants de la cause des langues minorées en France qui osent poser la question à un niveau « politique », est ainsi incité à formuler des conclusions très peu propices pour la protection et le développement de nos langues.
A l’égard de la politique, c’est-à-dire des relations de la politique à la culture et à la langue, l’article est d’abord parfaitement contradictoire. En effet, si l’auteure évoque la « chasse aux patois […] amplifiée au XXe siècle » (mais elle la fait remonter, de manière erronée à Villers-Cotterêts : voir ma mise au point à ce sujet sur ce blog), si elle souligne leur mise à l’écart « parfois violente » des lieux publics, n’hésitant pas à recourir à la notion de « violence symbolique » chère à Bourdieu, et si elle considère l’inscription patrimoniale dans la constitution comme « une ouverture », elle affirme à la fois qu’il faudrait dépolitiser la question et ne la considérer que sous l’angle « culturel », voire du point de vue de la « littérature ». Comme si une telle séparation pouvait être possible ! Le simple fait d’ailleurs de soutenir qu’il faudrait séparer le culturel du politique est une prise de parti politique, qui va dans le sens d’une étroite limitation des droits légitimes que l’on est prêt à concéder à ces langues. Et la diabolisation de la Catalogne est à cet égard tout à fait édifiante.
 L’auteure appelle en substance à une revalorisation symbolique : « que l’on cesse de confiner les cultures régionales uniquement au milieu populaire, notamment paysan, et au passé », et rappelle l’existence d’une littérature et d’une culture musicale à la fois ancienne et contemporaine… Au sujet de la littérature, elle cite succinctement, très, trop succinctement, Mistral, prix nobel refoulé et folklorisé en France ; les troubadours, étudiés dans le monde entier, mais non dans notre pays comme, dit-elle le déplore Gérard Gouiran (et non Gouirand, comme elle écrit) dans la revue Europe, puis cite les noms, du bout des lèvres, de Jòrgi Reboul, de Florian Vernet et Max Rouquette… Il y aurait bien d’autres noms à mentionner pour la littérature occitane contemporaine : au moins Boudou, Delpastre et Manciet et surtout il me semble assez inconvenant de ne pas évoquer avec plus d’insistance les littératures des autres langues « régionales »… Je m’étonne aussi de ne pas voir en légende de la photographie de livre ouvert, qui illustre l’article, que le texte qu’il contient, en partie lisible, est celui de la Pastorale Maurel (alors que le nom du photographe lui, figure !)… Donc, l’auteure propose la réhabilitation d’une littérature injustement méconnue, fort bien, j’en suis très heureux, mais que propose-t-elle pour y parvenir ? Hé bien explicitement – c’est sa conclusion que je trouve pour ma part absolument confondante – de trouver pour les langues « régionales » une « place en dehors de tout contexte politique », là où, précisément « seule la littérature parlerait ». Il faudrait donc, si je comprends bien, extirper les langues aux discours politiques, pour les réserver à la seule protection littéraire...
 Comment une littérature pourrait-elle se développer en dehors de tout contexte politique ?  Et puis que pourrait bien être une langue qui ne «parlerait» plus, où ne vivrait plus que par sa littérature ? Et puis : la littérature est dans les livres, les livres sont imprimés et vendus, ils n’ont de sens que s’ils trouvent des lecteurs et ils n’ont de lecteurs que s'il existe des institutions scolaires pour les former. On ne peut pas espérer une meilleur reconnaissance de la littérature en langue « régionale » si l'on n'adopte au préalable une politique éducative efficace de transmission de la langue écrite (et bien sûr orale). Or l’article ne dit pas un mot, pas un seul, de la question vitale de l’enseignement. L’auteure doit tout de même bien savoir que le drame majeur de la culture littéraire dans les langues minorées en France est le fait que les locuteurs « naturels » (disons ceux qui ont appris à parler dans leurs famille)s ont été, dans leur immense majorité, délibérément tenus à l’écart de toute alphabétisation en leur langue, d’où, chez nous, en domaine occitan, l’éternel retour des graphies patoisantes calquées sur le français. Il n’y a pas de littérature sans lecteurs et pas de lecture sans enseignement ; or la question de l’enseignement, de la transmission de la culture écrite, est évidemment une question politique.
 Du reste, c’est exactement ce que montre la seconde partie de l’article, contre ses propres conclusions, en évoquant le cas, absolument impensable en France, de Najat El Hachmi, jeune femme d’origine marocaine, qui a remporté le prix littéraire Ramon Lull pour un roman en catalan, L'ultim Patriarca, qui était au printemps dernier en tête des ventes en Catalogne. Or, ce cas, preuve évidente du poids des politiques linguistiques et culturelles sur la littérature, est fourni pour illustrer les excès de la Catalogne, monde à l’envers par rapport à la France, que l’on ne saurait considérer comme plus enviable, du fait de la prétendue adoption d’une politique discriminatoire à l’égard des locuteurs castillans. Les exemples pris à la va-vite pour montrer cette discrimination sont livrés sans analyse et chacun, pris séparément, est discutable. Lorsque je lis la plate constatation selon laquelle « les Catalans s’intéressent à tout tant que ce n'est pas en castillan, ou relevant de la culture castillane... », et que je la vois suivie de la simple question «Pourquoi un tel ostracisme ? », je suis assez héberlué. Pourquoi en effet un tel ostracisme ? S’il y a ostracisme, il ne s’agit pas de le justifier, mais on ne peut poser une telle question et ne pas rappeler  aussitôt, au minimum, la persécution indubitable dont la langue catalane fut frappée à l’époque franquiste. Mais faire un peu d’histoire conduirait fatalement à reconnaître le statut éminemment politique de la question des langues, ce qu’il s’agit précisément ici d’éviter en invoquant la littérature, la seule littérature qui échapperait au monde dégradé des idéologies. Ou plutôt, la politique n’est évoquée ici, dans la question catalane, que pour souligner de terribles excès qui doivent évidemment conduire à préférer la situation française. En particulier, est donné comme preuve de ces excès, le fait que le catalan bénéficie d’un statut de co-officialité avec le castillan et que son enseignement est « obligatoire » sur le territoire de l’Autonomie. Je constate seulement que c’est la voie que les catalans ont choisi pour sauver leur langue et que, non sans d’ailleurs d’immenses difficultés, ils sont peut-être en passe de réussir. Je ne vois, pour ma part, dans ce choix, encadré par des institutions qui relèvent d’un gouvernement démocratique, rien de choquant. L’enseignement des langues officielles, dans bien des pays du monde n’est pas optionnelle, que je sache…
 Je ne suis pas un assez grand connaisseur de la situation catalane pour pouvoir me prononcer sur les excès de décastillanisation. Il est vrai que trois heures obligatoires d’enseignement par semaine en primaire sont bien peu pour un bilinguisme digne de ce nom. Mais au fait, combien d’heures de langues « régionales » pour les élèves en Catalogne française ? Zéro, pour l’immense majorité d’entre eux… La comparaison parle d’elle-même. Certes, l’idéologie et la politique linguistique catalanes méritent discussion et critique. Par exemple, le concept de « langue propre » (« llengua pròpria »), distinguant le catalan dans la co-officialité, est sans aucun doute problématique, car il « semble supposer une sorte de naturalisation de la spécificité linguistique » (J.-M. Éloy, « La notion de « langue propre » : pragmatique et sociolinguistique »[2]). Mais l’article de Cestor ne mentionne même pas la notion controversée. Celle-ci l’aurait pourtant obligée à mettre en question la sacro-sainte partition, sur laquelle repose tout son discours, entre langue nationale (au singulier) et langues « régionales ». Car, pour l’auteure, il est tout simplement évident que le catalan en Espagne est une langue qui outrepasse les limites que lui impose le fait justement d’être « régionale » et non « nationale », mais elle ne se rend pas compte que désormais, le catalan, de fait, c’est-à-dire du fait de l’histoire dans laquelle s’est engagée la Catalogne, qu’on le veuille ou non, n’est plus une langue régionale ; elle semble ne pas s’apercevoir que le statut des langues peut changer, qu’une langue n’est pas « régionale » par essence, et que la partition entre langue nationale et langue régionale, telle que nous la concevons immédiatement, ne vaut que dans le cadre d’une pensée et d’une organisation politiques du territoire propre à un pays centralisé, centraliste et centralisateur (la «dé»centralisation décrétée par le centre en étant la meilleure preuve). Le romanche en Suisse n’est pas langue régionale, mais nationale, aux côtés des autres composantes linguistiques du pays. La notion même de « langue régionale » est éminemment politique, comme l’a bien vu Claude Sicre, qui demande la « nationalisation » des langues de France. C’est aussi évidemment ce que savent tous ceux, dont je fait partie, qui récusent le terme, parce qu’il masque et révèle à la fois un rapport de domination meurtrier pour ces langues mêmes. Des manières alternatives de penser le rapport entre le français et les autres langues parlées en France (langues territorialisées et non territorialisées) sont bien sûr possibles, mais ce n’est certes pas le refuge dans une littérature prétendument préservée des compromissions et des compromis politiques qui permettra le développement de la réflexion sur la question.
Jean-Pierre Cavaillé

Rouquettevertparadis      Rouquette       Rouquette


 

[1] Les musiques particularistes : chanter la langue d’oc en Provence à la fin du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006.

[2] On se reportera avec profit à ce sujet aux trois articles, dont celui de J.-M. Éloy, dans l’ouvrage collectif récent Variables territoriale et promotion des langues minoritaires, Bordeaux, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2007.

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Commentaires
I
Y tu que sabes de todo este tema para opinar de esa manera, como si estuvieras en poder de la Verdad absoluta? Un poco de educacion, paleto.
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P
Cestor se prévaut de la "complicité" d'un certain Ignacio Martin. Je suppose que les cris d'orfraie contre l'omnipotence du catalan ont été soufflés sinon directement rédigés par lui. Les réactions des lecteurs du blog, notamment ceux qui croient qu'il existe des catalans qui en parlent que catalan sont rigolotes elles aussi. ON voit tout de suite le mec qui connaît vachement la question, et va régulièrement à Barcelone pour écouter en quelle langue on y parle majoritairement.
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M
E que pensar de la paraula de Sarkosy a l'acamp de la francofonia al Quebec. Al "visca lo Quebec liura" de de Gaule , seguissèt , lo " visca lo Quebec canadian".<br /> A mai , diguèt los que pensan que França vei lo monde en tèrmes de divisions suplementarias s'enganan.<br /> Cò que vòl dire "quebequèses podètz pas pus comptar sus l'ajuda de França e demerdatz vos.<br /> Praquò una question que pausi <br /> Consi explicar la contradiccion que i a ara entre las nòstras eleitas que parlan tota en englès, ' cercaires , cantaires , governaments, peoples , que van l'impausar tre l'escòla mairala, e la volontat capuda de nos esclafar , a començar per la nòstra lenga.<br /> Se crevan que crevessen mas que nos daissan contunhar nòstre vial non? <br /> Legiguèri tanben la reaccion d' "anarquistas" que s'espantan del revèlh dels "particularismes" e del replègament sus sèu... Dison de se mesfisar. Parlan de l'occitan e de las lengas regionalas...Per saludar l'univèrsalisme de l'òme.Interessant. Los quites anarquistas francèses son de vertadièrs jacobins...<br /> Que "plòu de pertot"...<br /> De còr e d'òc
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