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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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12 octobre 2007

Il vento fa il suo giro ; E l’aura fai son vir

ventogiro

 « Non faccio vacanze, faccio formaggio »

 

Il Vento fa il suo giro est un film d’une très grande qualité plastique et dramatique, tourné par Giorgio Diritti ancien élève de Mario Brenta à Ipotesi Cinema (centre de formation coordonné par Ermano Olmi), sur un scénario de Fredo Valla[1], dans la zone montagneuse occitanophone de Val Maira, en Italie. L’occitan des vallate y occupe une grande place, aux côtés de l’italien et du français[2]. La présence, parmi les acteurs, de Dario Anghilante et d’Ines Cavalcanti[3], n’y est sans doute pas pour rien, car tous deux sont à l’origine de multiples initiatives visant à faire vivre, connaître et reconnaître la langue et la culture des vallées occitanes d’Italie. La langue n’est pourtant pas le sujet du film, même s’il en question dans la documentation proposée sur le site de présentation, à travers quelques phrases bien senties, recopiées bêtement par tous les journaux, et sur lesquelles il y aurait d’ailleurs à redire (en effet, je traduis : « la langue d’oc, jadis citée par Dante comme langue poétique par excellence est restée inaltérée au fil des siècles dans les montagnes de la frontière italo-française » ; toute langue étant soumise à un processus d’altération continu, cette assertion est heureusement fausse, et l’idée convenue d’une pureté linguistique maintenue dans les replis montagneux à l’abri de la civilisation est à mes yeux déplaisante, mais passons). Si la langue n’est pas le centre de l’attention – et ce n’est certes pas une critique de ma part –  l’important est qu’elle y soit parlée, ce qui relève d’une certaine témérité dans un pays où l’on a décrété qu’un film – même "d’art et d’essai" – ne doit jamais être sous-titré, mais doublé (mal si possible et toujours par les mêmes, comme le dit Nanni Moretti). Pour répondre, entre autres, aux exigences du cinéaste et de la langue parlée, le choix des locuteurs s'est porté non sur des acteurs professionnels mais sur des habitants de Val Maira.

DarioAnghilante

Dario Anghilante

 

            Le réalisateur et toute l’équipe ont payé le prix fort pour ces audaces, et pour l’idée jugée absolument saugrenue de parler de la vie en montagne qui (soi-disant) n’intéresserait personne. Aucune forme d’aide n’a été accordée pour la réalisation du film, qui doit son existence à une procédure d’autoproduction, dont l’équipe de tournage est partie prenante (voir le site du film). Malgré cette difficulté considérable, Il vento fa il suo giro (E l’aura fai son vir), a connu une reconnaissance immédiate, à travers une impressionnante collection de prix dans les festivals internationaux. Néanmoins, chose assez sidérante, pour les raisons déjà évoquées (film « en dialecte » avec sous-titrages, racontant des histoires de chèvres), aucun distributeur ne l’a accepté. En désespoir de cause, après deux ans d’essais infructueux, la réalisation, à travers un réseau d’associations, a organisé elle-même la distribution. Et le film, à en juger au moins par la lecture de la presse italienne, qui l’a abondamment commenté, connaît en ce moment un grand succès, largement mérité. Il devrait sous peu être distribué en France. Ne le manquez sous aucun prétexte.

 

 Il raconte l’histoire de l’installation d’un berger français, Philippe, ex professeur éleveur de chèvres et de sa famille, dans un village dépeuplé, Chersogno, de la haute vallée[4]. Dans un premier temps, l’accueil n’est pas des plus chaleureux, mais grâce au maire, Contanzo, qui cherche à revitaliser son village et prend l’étranger en sympathie, un logement est trouvé et les villageois se mobilisent pour rendre possible l’installation du forestiere (l’étranger). L’un des moments les plus émouvants d’un film du reste très retenu, est celui de l’accueil de la famille et de son troupeau, par ce que les italiens appellent une fiacolata, une sorte de retraite aux flambeaux, dans la nuit d’hiver. Pourtant les méfiances, défiances et incompréhensions (celles-ci réciproques), présentes en fait dès le départ, ne vont cesser de grandir, jusqu’à éclater en conflits de plus en plus graves ; le rêve d’un éden pastoral retrouvé se transformant peu à peu en cauchemar pour la famille française. L’un des paradoxes, que le maire du village saisit fort bien, étant que l’on reproche aux nouveaux venus de conduire le même genre de vie que menaient les anciens du village. Les choses sont tellement plus simples avec les touristes, qui viennent et repartent à la belle saison, comme on vient fleurir un caveau de famille. Certains du reste, au village, ne rêvent que d’une chose pour l’avenir des montagnes : faire « venir la télé » et l’on en a un bel exemple vu d’hélicoptère (car qui dit télé, désormais, dit hélico, vues d’en haut et vite fait, vite arrivé, vite parti). Aussi la famille d’étrangers doit-elle subir les humiliations que connaissent presque tous les néo-ruraux ; les réactions oscillant entre la sanction morale et une charité inutile et indésirée (des gâteaux et des vêtements pour les pauvres petits enfants des irresponsables frichettoni – babas-cool), à quoi s’ajoutent les problèmes de limites des champs, de propriété du bois… bref l’ordinaire des conflits pastoraux, dans les vallées alpines, celles des Pyrénées, mais aussi en Aveyron, comme en Limousin. Cet un aspect de la culture panoccitane dont nous n’avons pas spécialement à être fiers, mais dont nous n’avons pas non plus, après tout, à avoir honte.

tamburrinoelva04

Patrizio Tamburrino vue d'Elva

 

L’analyse de cet échec, par le maire («Que sommes-nous devenus ? »), consiste à déplorer la perte du sens de la communauté, lui qui travaille à conserver la mémoire du temps de la guerre, où l’on cachait le foin de tous dans les églises pour le préserver de la saisie ou du feu des allemands. Il est clair que la situation est radicalement différente : aupravant, la communauté soudée devant l’adversité se protégeait collectivement, alors qu’ici, elle rejette, comme une greffe qui n’a pas pris, les nouveaux arrivants. Selon moi, le film donne également à comprendre qu'une histoire similaire, bien sûr avec d’autres formes de migration, aurait pu sans doute se produire en ces temps mythifiés de la solidarité communautaire.

Une limite scénaristique du film est, me semble-t-il, la manière dont est évoqué le parcours du berger : il vient des Pyrénées mais n’est pas pyrénéen, en tout cas son accent n’en dit rien. Urbain, ancien enseignant, il a fui la ville et les pesanteurs bureaucratiques du métier. De sorte qu’il est normal et cependant étrange qu’il soit beaucoup parlé de la langue d’oc des Vallate, sans que rien ne soit dit de celle des Pyrénées. Pourtant le lien était évident, criant. Il a été manqué. Si le berger a vécu dans les Pyrénées, il a forcément eu un contact, déjà, avec une forme dialectale, certes très différente, de la même langue, même si l’on veut bien admettre que l’occitan est aujourd’hui moins parlé dans les vallées pyrénéennes que dans celles des Alpes italiennes[5]. On peut même se dire qu’il n’y a aucune raison pour que le berger n’ait pas d’abord rencontré dans ses premières montagnes, sous une forme ou sous une autre, les problèmes qu’il trouve dans les Alpes. Les difficultés et les échecs d’intégration de néo-ruraux dans les Pyrénées occupent en effet la chronique locale de ces 40 dernières années. Par contre, la raison donnée de l’exil - la construction d’une centrale nucléaire -, est très artificielle, même si elle n’est bien sûr pas invraisemblable. C’est une chose que l’on n’aurait même pas remarquée dans un film quelconque, mais dans celui-ci, qui continue longtemps à faire son travail dans les esprits, le vent allant et revenant, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le temps en amont et en aval du récit filmé qui dure, lui, peu ou prou; un cycle de saisons. Donc le berger aurait pu déjà connaître à peu près les mêmes avanies en un village des Pyrénées françaises, le même écart culturel, la même étrangeté, y compris de la langue, ou du moins de l’accent. Le film soulève à cet égard un problème intéressant, néanmoins passé inaperçu auprès de nombreux critiques, qui l’ont vu certes avec bienveillance, mais de manière superficielle : à savoir que n’est pas seulement mise en cause l’incapacité d’une communauté repliée sur elle-même à s’ouvrir à l’autre, mais tout autant la difficulté, voire le refus du nouvel arrivant d'accepter la différence culturelle, et dese plier au moins pour une part aux règles de vie locale (il envoie notamment promener le prêtre venu bénir sa maison, ce qui d’ailleurs est plus difficile à réussir qu’à tenter, comme je peux en témoigner). Il commet effectivement plusieurs bévues, dont certaines sont jugées impardonnables par les villageois, certains n’attendant que l’occasion de les monter en épingle. Il ne manifeste par ailleurs à peu près aucune curiosité, aucun intérêt pour la culture et la langue du lieu ; quand le maire lui dit de la culture occitane « a un certo punto l’hanno quasi ammazzata. Sai peché ? perché era gente tollerante » (« ils l’ont, à moment donné, presque tuée, et sais-tu pourquoi ? Parce que c’était des gens tolérants »), ce qui est un lieu commun – qui possède sans aucun doute une part de vérité – du discours occitaniste, il répond à côté, tout en formulant l’enjeu même du film : « A me la parola tolleranza non piace. Se tu devi tollerare qualcuno, non c’è il senso di uguaglianza » : « Je n’aime pas le mot de tolérance. Si tu dois tolérer quelqu’un, le sens de l’égalité n’existe pas ». Dans l’occitanisme, il ne voit, comme il le dit au maire, que la nostalgie d’un passé révolu et son seul effort consiste à parler à peu près correctement l’italien. C’est exactement de cette façon que se comporte la grande majorité des néo-ruraux dans nos régions occitanes, qu’ils soient français ou étrangers (ceux-ci, peut être, ont-ils somme toute une plus grande sensibilité pour la différence culturelle), mais il est clair que personne, le plus souvent, ne les invite en fait à changer d’attitude en leur présentant une image attractive de la culture et de la langue, et surtout pas les autochtones. Ce n’est pas le cas dans les vallées italiennes, où l’on nous montre une présence importante d’initiatives pour la langue, dont certaines tournées vers la jeunesse, comme le montre la scène de concert avec les Delfini, si je ne me trompe, et la municipalité, dans le film, exhibe fièrement son identité linguistique, alors qu’en Limousin par exemple, on s’emploie à la cacher le plus possible[6]. Cela n’intéresse pas tellement notre berger, qui néglige le concert et le bal (y laissant sa femme courir le guilledou), comme il renvoie dans le passé les propos du maire qui s’est tant donné de mal pour lui permettre de s’installer au village. Il est focalisé sur d’autres idées, apparemment d’inspiration libertaire[7], un autre idéal de vie, qu’il croit tourné vers l’avenir, oubliant que Il vento fa il suo giro, car tout le film tourne autour (c’est le cas de le dire !) d’un proverbe selon lequel, comme le dit l’un des personnages du film, « Le cose sono come il vento, prima o poi ritornano ». Il est vrai qu’une forme de retour positif a bien lieu, à la fin d’un film pourtant d’une grande âpreté et même dureté, un retour déplacé, si l’on peut dire, puisque celui qui reste n’est pas celui qu’on cherche à chasser, mais un autre. Il n’en demeure pas moins que ce qui ne revient pas, ce que le vent emporte pour toujours et à jamais, ce sont les voix des hommes et avec elles leurs langues effacées par l’histoire. A moins qu’une improbable jeunesse retourne habiter la langue, comme le jeune homme du village, ami de l’étranger, réinvestit le lieu déserté, à la fin du film.

         « Senza contatto, scambio di valori e accoglienza, non può esserci sviluppo umano e qualità dell’esistere… » : « Sans contact, échange de valeurs et accueil, il ne peut y avoir de développement humain et de qualité de l’existence… ». La déclaration d’intention de la réalisation peut paraître un vœu pieux, faussement consensuel. Mais il n’est pas inutile de préciser que les vallées occitanes ne sont pas si loin des zones d’influence de la Lega Nord, qui pratique le racisme et la xénophobie à outrance, dernièrement en s’en prenant, y compris par la force, aux communautés tziganes présentes dans leur mythique Padanie. Je voudrais ajouter que j’ai vu le film à Florence, et que là encore il avait tout son sens après les mesures prises par la municipalité de centre-gauche pour chasser les « lava vetri », c’est-à-dire les plus pauvres des immigrés qui nettoient les pare-brises aux carrefours. Selon un sondage (de quelle fiabilité, je ne saurais dire) 85 % des habitants sont d’accord avec une mesure de basse police que nous sommes donc une toute petite minorité à trouver scandaleuse. Il vento, purtroppo, il vento fa il suo giro…

 

Jean-Pierre Cavaillé

 

Chersogno

Patrizio Tamburrino Tramonto sul Chersogno 

[1] Journaliste et documentariste de Cuneo, la ville importante la plus proche de Val Maira.

[2] Premier film italien tourné en occitan, lit-on partout. Faudrait vérifier…

[3] Lire leur entretien sur le site http://www.cinemaitaliano.info/notizia.php?id=00669

[4] Sur ce dépeuplement terrifiant, voir l’entretien de Dario Anghilante, le village d’Elva, que l’on aperçoit dans le film et d’où est originaire Ines Cavalcanti, est passé de 1600 habitants à 80, celui dans lequel il a été tourné, en comptait 1000 contre 9 aujourd’hui. « Par chez nous les écoles manquent et le téléphone parfois ne fonctionne pas, internet, n’en parlons même pas. Les services qui couvrent 95 % du territoire national n’existent pas et il est donc très difficile de repeupler le territoire ».

[5] Révélatrice à cet égard la déclaration d’Alessandra Agosti, qui joue le rôle de la femme du chevrier (je traduis) : « ce fut une expérience qui m’a fait connaître (…) cette réalité de la langue d’oc, que je ne connaissais pas, habitant pourtant Montpellier ».

[6] Rien n’est plus faux que l’analyse proposée par certains critiques, comme Stefano Coccia, lequel parle non sans pédantisme de « difesa ad oltranza di un modello antropologico ormai tramontato e tenuto in piedi come folclore » (« défense à outrance d’un modèle anthropologique désormais dépassé et artificiellement maintenu en vie comme folklore »). Si modèle anthropologique dépassé il y a, c’est bien plutôt celui qui consiste à percevoir de cette façon les sociétés qui maintiennent contre vents et marées leur mémoire linguistique, culturelle et historique, et le film ne tombe heureusement pas dans ce travers. L’intégration ratée qu’il décrit pourrait fort bien se produire, et se produit tous les jours, dans la métropole la plus moderne, voire post-moderne que l’on puisse imaginer.

[7] Voir sa critique de la tolérance au nom de l’égalité (supra). Il explique à un autre moment la violence, comme fruit de la répression sexuelle et de la frustration qui en dérive, vieille idée reichienne pour le moins simpliste et sujette à caution. 

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Commentaires
V
Merci à tous pour votre étape vissécoise !!!<br /> <br /> a leu !!!
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P
Je me souviens, ado (années 1990), d'avoir vu l'Orsalier, entièrement tourné en occitan. <br /> En ce temps, je pouvais comprendre un film en occitan. Après 15 ans "dans le nord", faute d'occasion de le parler et de l'entendre, j'ai presque tout perdu... internet m'a redonné la possibilité de lire. Merci à vous tous!
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F
Veni de legir ambe un grand interes vòstre article. Se troba que me faguèri la meteissa reflexion que vos, a perpaus del rambalh que se fa a l'entorn de la "posicion coratgosa" de la França per aparar lo" drech a la diversitat" lo drech a "l'excepcion culturala" e lo demai.<br /> Coma aquela diferençia d'atituda entre las culturas minoritarias estrangièras e la de las culturas e lengas de l'exagona me tafurava , li ai escrich per li dire. De que comptava de far per nos ajudar. Que l'UNESCO fa tremolar los dictators non? <br /> E me respondèt l'aparaire en cap de la diversitat del mond ;un cert Monsur Anahit me diguèt un pauc pèta sèc que :<br /> "era a nosautres de nos far ausir e de nos aparar"<br /> Es pas bèla la vida. <br /> Alara me demandi per que recaptan d'argent per aparar lo françes, Canada , França donan tant e mai . <br /> Mancariai de li dire al còp que ven.<br /> Per n'acabar , caldria demandar a tot aquel mond consi volon d'un costat aparar la pus menuda lenga que se troba sus la tèrra e contunhar de nos escupir dessus. Non?<br /> merce encara per los vòstres articles.<br /> Oc ambe vosautres<br /> Alan Fabre
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