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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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17 décembre 2006

Pour combien de temps encore ? (les mêmes bêtises)

Le Républicain Lorrain, à en juger par son moteur de recherche interne, fait une place importante à tout ce qui touche au Platt ou Francique[1]. Ainsi a-t-il publié, le 21 novembre dernier, un article de Jean-Marc Becker, président de l’association Wei Lang Naar ? (c’est-à-dire « Jusqu’à quand ? ou « Pour combien de temps encore ? ») ayant pour vocation la défense et la promotion du francique luxembourgeois. Cet article montrait l’importance vitale pour la langue d’un développement effectif de l’enseignement du Francique dès la classe maternelle, dans un cadre bilingue. Jacques Jung, auréolé du titre d’« ancien président de la très vénérable Académie Nationale [ex Royale, ex Impériale] de Metz », lui a répondu ce mardi 12 décembre dans les colonnes du même journal. Il s’y montre résolument hostile à tout enseignement de ce qu’il choisit d’appeler « patois », produisant en quelques lignes un concentré des préjugés les plus éculés et des bêtises les plus voyantes sur la question. Ainsi ce papier est-il très intéressant, parce qu’il est l’expression à l’état brut d’idées encore fort ancrées, mêmes si elles sont moins relayées peut-être par les médias aujourd’hui, qui tendent à changer de discours ou du moins à se montrer moins agressif à l’égard des langues minorisées.

 Tout procède de la vieille opposition entre les langues dignes de ce nom, au premier rang desquelles, évidemment, le français, et l’infâme « patois » irréductiblement lié à la misère sociale et la débilité culturelle. « J’ai, dit-il, volontairement usé des termes « patois » et « dialecte » et non de langue car j’estime que la vocation de notre Éducation nationale est de faire en sorte que chaque petit français maîtrise parfaitement la langue de son pays, afin qu’elle s’impose tout naturellement, dans ses pensées et réflexions, dans ses relations familiales, amicales, professionnelles, culturelles ».

On fera deux remarques, l’une sociale, ou disons, sociolinguistique et l’autre proprement politique.

1- Jacques Jung tient d’abord pour une évidence que l’on ne saurait maîtriser parfaitement le français si l’on pratique aussi un « patois ». Le patois vient contaminer et empêcher un apprentissage correct de la « langue » française. L’auteur, ingénieur général du génie rural à la retraite, parle par expérience : « Au cours d’une longue carrière dans les zones rurales, dans le Bas-Rhin, puis en Moselle, j’ai pu constater à quel point les zones dialectales sont économiquement défavorisées : le patois est parlé en famille, au travail, avec les commerçants, dans les loisirs. Par contre le français est un langage appris, peu pratiqué : les intéressés n’en connaissent pas toutes les finesses : ils hésitent à l’employer, surtout quand ils avancent en âge… ». Parler patois, on le voit, s’accompagne nécessairement d’une relégation sociale (dans ces confins de la civilisation que sont les zones rurales) et de la misère économique : comment en effet réussir dans la vie, si l’on parle patois ? Parler patois enfin est une tare culturelle qui empêche de saisir « toutes les finesses » du français. Évidemment il serait saugrenu de se demander si le fait d’appréhender « toutes les finesses » du patois ne peut être considéré comme un gain culturel, ce type de réflexion étant exclue, a priori, par l’usage même du terme patois : les patois, c’est bien connu, n’étant guère renommés pour leur finesse... Jacques Jung décrit en fait, du point de vue qui est le sien, d’ingénieur fier de ses galons et de sa connaissance de toutes les finesses du français, la situation de personnes dont la première langue est évidemment le platt, sans aucun doute des locuteurs bilingues, mais n’ayant pas une maîtrise parfaite du français classique, le seul qui compte au yeux de l’auteur, qui peste au passage contre les égarements linguistiques des médias (« mauvaise prononciation, fautes de grammaire : accords de participes passé, h aspiré, etc. » : notons que ces remarques sont à contre-emploi, car les gens qui parlent dans le poste sont pour la plupart de parfaits monolingues guéris du patois !). Il ne se demande bien sûr pas si le français lui-même n’a pas tout simplement changé : c’est que l’impératif catégorique des idolâtres du français classique (quand à ce qu’ils entendent par là, c’est une autre histoire), tout aussi vertueux et vide que l’impératif moral kantien parce que tout autant irréalisable, est le suivant : la langue doit rester immuable ! Notre académicien ne se demande même pas si la question du platt et de sa sauvegarde ne s’est pas elle aussi complètement transformée. Il le devrait, car la situation qu’il décrit avec toute la suffisance du notable qui a sali ses bottes dans les cours de ferme, n’existe pratiquement plus, de fait, aujourd’hui. Son objection, devant le bilinguisme auquel il s’oppose (c’est-à-dire pris en charge, ou plutôt relayé par l’école), ne tient pas, car l’on sait fort bien que les prestations en français des enfants bilingues sont plutôt supérieures à celles des monolingues. Mais il est vrai que pour lui, français + patois ne font pas deux langues. Car il n’est pas opposé à l’apprentissage (de bilinguisme il n’est certainement pas question) d’au moins une autre langue vivante, mais attention, de ce qu’il appelle alors « une vraie langue, ayant une grammaire, une littérature, des poètes, des philosophes… l’anglais, le russe, le chinois et, bien sûr, l’allemand ou encore l’espagnol ou l’italien » (ne demandons pas à l’auteur ce qu’il entend par « le » chinois pour ne point le mettre dans l’embarras). C’est bien connu : les patois n’ont pas de grammaire (il faudrait faire un recueil de la circulation de cette idée stupide), pas de littérature, pas de poètes, à la différence des « vraies langues », qui sont évidemment celles d’États nations. A ces arguments, nous ne pouvons même pas répondre en montrant les livres, car ce type de critique dira toujours qu’il ne s’agit pas alors de « vraie  littérature », mais d’expressions régionales, folkloriques, etc. Poésie, littérature[2], nos langues sans nul doute, ont tout cela, mais quand bien même, il faut dire une bonne fois qu’une langue sans écriture n’en est pas moins langue qu’une autre, et n’en a pas moins « une grammaire », et bien sûr une culture orale, susceptible de rivaliser avec les chefs d’œuvre du livre !

2- La deuxième remarque est d’ordre proprement politique, ou pourrait-on dire psycho-politique : il faut, selon J. Jung, que la langue française « s’impose » à tout petit français de façon totale et exclusive : elle doit régner « naturellement » sur ses « pensées » et ses « réflexions », car l’unité du pays, l’existence même de la nation en dépend ! En effet, affirme l’auteur comme s’il s’agissait d’une évidence, « n’oublions pas que l’unité de la France s’est faite par la langue ». Cela est faux, la France, dans ses frontières actuelles, était jusqu’à peu une mosaïque de langues et n’en existait pas moins : l’unité de la France s’est faite par les conquêtes et alliances successives de la monarchie et s’est affirmée à travers le réseau centralisé des institutions monarchiques puis républicaines. Elle ne s’est certes pas faite par la langue, comme langue unique de tous les citoyens : d’ailleurs l’édit de Villers-Cotterêts, que J. Jung brandi comme un preuve irréfutable, visait à l’imposition du français « dans la rédaction des actes officiels et de justice » comme le dit l’auteur lui-même ; instrument d’administration et de justice et non ciment culturel de la nation. Cela se fit plus tard, au moins pour les classes les plus favorisées, et nullement par édit, ni par décret. J. Jung, qui cherche à mobiliser tous les étendards, toutes les icônes nationales, rappelle aussi le fameux « enfin Malherbe vint » de Boileau. Il ne vint certes pas pour imposer le monolinguisme à la France ! Il vint, dit Boileau, pour « faire sentir dans les vers une juste cadence ». Il est vrai que son nom est également associé au procès de purification et d’épuration de la langue française, non pas parlée par tous les peuples de France, mais par les seules élites sociales. Guez de Balzac disait que Malherbe avait beaucoup contribué à « dégasconner la cour » de Henri IV. De l’entreprise de dégasconnisation de la cour de France à celle de la dégasconnisation de la Gascogne, il y a bien sûr très loin. Il faudra attendre la Révolution et l’abbé Grégoire pour que l’abolition des patois devienne un objectif politique. N’inversons donc pas les choses : l’unité politique s’est parfaitement passée de l’unité linguistique pendant des siècles, celle-ci ne saurait donc être, d’aucune façon, la condition de celle-là. C’est au nom de ces fausses idées sur l’histoire de son pays que J. Jung affirme la nécessité de l’éradication complète du francique comme des autres langues minorisées du territoire français. Car, sur ce point aussi, son article n’est que trop clair : « loin de moi, dit-il pourtant, de faire table rase du passé ». Sur ce point, on le croit aisément, sinon l’Académie Nationale serait la première institution dont il demanderait sans doute l’abolition ! En effet, explique-t-il « les traditions ancestrales méritent d’être respectées et encouragées, aussi bien au niveau intellectuel éminent des linguistes de nos universités, que dans le cadre des associations locales axées sur les coutumes du passé, le folklore et tout ce qui touche à nos racines ». Dans cette phrase, pas plus que dans le reste de l’article, il n’est question d’une quelconque préservation de la pratique de la langue, pardon du « patois ». Tout au contraire. Celui-ci est strictement réduit à être un objet d’étude pour les éminents linguistes de nos universités. Parmi les associations locales, seules sont évoquées celles qui se proposent de maintenir des « coutumes » et le « folklore », entendu par là sans doutes, quelques saines coutumes religieuses et les groupes de musique et de danses folkloriques en costume, dont la vocation n’a rien à voir, au moins dans la plupart des cas (et on le regrette fort), avec la défense et la promotion de la langue.

 Comme on l’a remarqué en commençant, l’auteur a tout dit, dès lors qu’il opte de manière explicite et provocatoire pour le maintien du terme « patois », notion à laquelle il ramène en fait ce qu’il appelle « dialecte ». On aura beau jeu de rappeler que si le Francique est un dialecte germanique parmi d’autres, il faut, à strictement parler, en dire autant de l’allemand, auquel on ne cesse de l’opposer (l’article d’ailleurs mentionne l’allemand parmi les « vrais langues »). Car si tous les dialectes germaniques sont en situation de patois par rapport à l’Allemand standard (Hochdeutsch), il faudrait par exemple dire que le néerlandais et le flamand sont des patois négligeables, comme Daniel Laumsesfeld en fait l’observation dans son ouvrage[3]. Surtout, cet auteur pose la question décisive, que J. Jung ferait bien de méditer : « Le lecteur a-t-il bien compris que le fait même d’admettre, de reconnaître, de dire que le francique est une langue participe de facto à l’élaboration du francique en tant que « vraie langue » ? Une langue, ça se fait, ça se produit socialement »[4].

 

J.-P. Cavaillé

 


 

[1] http://www.republicain-lorrain.fr/

 

[2] Certes, on dira que les langues minorisées n’ont pas, ou si peu, de « philosophie ». C’est là un sujet de réflexion passionnant. Deux raisons au moins s’imposent dans toute leur évidence : l’expression philosophique obéit au tropisme des langues réputées nobles (d’imbéciles heideggériens estiment par exemple que seul le grec et l’allemand sont véritablement des langues philosophiques), et on peut remarquer d’ailleurs les longues réticences à son expression en français ; d’autre part, depuis longtemps les philosophes sont des fonctionnaires d’État qui ont intégré comme une évidence qu’ils ne sauraient enseigner et écrire que dans la langue nationale : tout l’apprentissage et la pratique de la discipline se fait nécessairement en cette langue là, et il n’y a donc aucun espace social pour la constitution d’un public et d’une communauté de recherche en dehors des institutions de l’État national et de sa langue. Sans un degré d’autonomie politique et culturelle important on ne saurait donc envisager la possibilité du moindre développement de ce type de discipline. La Catalogne, sans aucun doute, montre la voie.

 

[3] La Lorraine francique : culture mosaïque et dissidence linguistique, L’Harmattan, Paris, 2000.

 

[4] Op. cit., p. 92.

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Commentaires
J
Bonjour,<br /> Juste un mot pour dire d'abord qu'une langue, et c'est une évidence pourtant méconnue, est avant tout un phénomène oral. L'écriture, ce n'est pas bien vieux, depuis les premières inscriptions cunéïformes, seulement quelques millénaires avant notre ère. De plus, des milliers de langues, qui n'en sont pas moins langues, ne s'écrivent pas, aujourd'hui encore, dans le monde, mais je suppose qu'on les jugera, sauf en cas de "politiquement correct", en quelque sorte en tant que "langues inférieures", dignes d'être remplacées par les vraies langues des nations civilisées, comme du temps du colonialisme, on apportait la lumière aux "sauvages".<br /> Secondo, toute langue, même la plus standardisée, est sujette à la variation dans l'espace et dans le temps. On ne parle pas partout de la même façon de même qu'on ne parlait pas comme aujourd'hui il y a trois cents ans. Le temps de la faute de français devrait désormais être révolu, non qu'il n'existe pas de règles mais qu'elles ne sauraient être aussi limitées et figées qu'on voudrait nous le faire croire. Encore faudrait-il pour cela accepter de se fier à la langue orale et non à la seule norme écrite. Le "bon français", c'est juste une invention sans réalité pour faire passer l'autre, dont la langue est autre (variante du français ou "patois"), pour un inculte, un ignare ... pourtant le plus souvent bilingue. Mais le monoliguisme, c'est sans doute le seul modèle digne de valeur. Tout le monde sait d'ailleurs bien qu'il n'y a qu'une langue en France, alors qu'on en compte en fait plus de cinquante (Métropole et outre-mers) sans parler des langues de l'immigration.<br /> Jean-Christophe Dourdet
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T
Je ne pouvais pas laisser passer ce sujet sans réagir, fierté personnelle oblige!<br /> Mon grand-père maternel est né en 1930 en à Obervisse, village situé entre Boulay-Moselle et Saint-Avold. Sa langue maternelle est le platt deutsch ou francique (je ne sais pas si son francique est rhénan ou mosellan, peut-être un peu les deux, peu importe...) qui appartient au plus vaste ensemble des Mitteldeutschen (c'est pour cela qu'il m'a dit un jour mieux comprendre un Allemand de Frankfurt qu'un Strasbourgeois), langue maternelle qu'il appela toute sa vie (et qu'il appelle encore) "patois", comme tout bon français bilingue qui se respecte... Il apprit le français plutôt tardivement (après 6 ans je crois), français qui était quasiment inaudible dans le bassin houiller lorrain à cette époque là, sûrement même moins présent que dans le Limousin profond de ma grand-mère paternelle (dans les années 1920). Toujours est-il que mon grand-père a suivi un apprentissage en Champagne-Ardenne pour devenir technicien. Après un petit retour en Moselle où il travailla à la mine, il repartit vivre à Dormans, près de Reims et Epernay, où il avait rencontré ma grand-mère. Ma grand-mère maternelle est une Haut-Marnaise à l'accent bien prononcé elle aussi (j'ai toujours vécu avec différents accents dans ma famille proche -limousin, haut-marnais, mosellan, marnais...) et j'en ai toujours tiré quelque fierté, ayant l'impression de vivre dans une sorte de "multi-ethnicité" à la française, d'où peut-être mon attachement aux langues et dialectes de France. Bref, revenons-en à mon grand-père Mosellan! De retour à Dormans (dans la Marne donc)mon grand-père devint peu à peu commercial/monteur/ajusteur pour une usine de scieries (fabrique de machines et matériels destinées à la transformation du bois). Pour son métier il n'a cessé de voyager..Où? Dans l'est de la France -Vosges, Alsace...- et en Allemagne surtout, aux Pays-Bas, en Autriche et au Danemark même. Il apprit l'allemand avec une facilité magnifique, langue qu'il parla tout au long de sa carrière professionnelle. Il conversa même souvent et sans aucune difficulté avec des Danois et des Néerlandais, lui en Allemand l'autre en flamand ou en danois, l'intercompréhension était parfaite et sans effort. Mon grand-père parle parfaitement français, un français qui ferait certes frémir nos chers cons de l'Académie française, un français décoré de germanismes et teinté de cet accent mosellan inimitable. Résumons-nous: mon grand-père, dont la langue maternelle (et d'abord unique) est le platt, parle: platt (toujours en famille), français et allemand. Il communique sans aucune difficulté avec des francophones, des Mosellans, des Allemands, des Autrichiens, des Alsaciens, des Luxembourgeois, des Danois, des Flamands de Belgique, des Néerlandais, des Suisses allemands, des Juifs ashkénazes (yiddish) sans avoir à les obliger à changer de langue le temps de la conversation... De quelle étroitesse d'esprit et de quel repli sur soi veut nous parler Monsieur Jacques Jung? Faut-il être un imbécile pour parler trois langues et en comprendre parfaitement le double? <br /> Je fus étudiant à Nancy. J'ai eu des camarades de Longwy près du Luxembourg, d'autres de Briey près de Metz, d'autres des Vosges, d'autres de la Meuse etc., sans oublier deux copines d'origine marocaine. C'était le festival des accents, des régionalismes et des localismes linguistiques. Quel bonheur, quelle découverte d'entendre parler toutes ces voix si différentes, les échanges sur le vocabulaire de chacun étaient des bons moments de jeu... En allemand j'avais 5/20 de moyenne, mes copains lorrains avaient des 15 ou 16/20 de moyenne. Ils aimaient cette culture allemande (tout en sachant qu'eux-même étaient Lorrains, c'est différent!), la comprenaient, (comme un Béarnais peut comprendre la culture espagnole), la ressentaient... Bref, vive le platt, vive l'allemand, vive le français et toutes les autres langues de France et du monde!
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