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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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25 septembre 2011

La souffrance de Claude Alranq est aussi la nôtre

 camel

Lo Camel de Besièrs


La souffrance de Claude Alranq est aussi la nôtre

 

 

Il y a quelques jours, je participais à l’université de Montpellier à une journée d’études sur les écritures mixtes occitan / français au XVIIe siècle. Nous travaillions sur une pièce du corpus connu sous le nom de Théâtre de Béziers, intitulée Histoire de Pepesuc, datée de 1616 et attribuée à un mystérieux avocat Bonnet.

Pepesuc est le nom d’une statue qui se trouvait à l’entrée de la rue centrale de la ville, rue Française. Selon la légende, Pepesuc était un capitaine qui avait à lui seul empêché les Anglais de pénétrer dans la rue lors de la prise de la ville. Cette pièce, comme les autres du recueil, fut composée pour les réjouissances de la fête de l’Ascension. Des intervenants rappelaient les études des folkloristes et des anthropologues qui montrent que c’est dans ces pièces du Théâtre de Béziers et leur préface que l’on trouve la première mention d’éléments qui allaient devenir centraux dans les traditions biterroises : la Galera et lo Camel, présentés pourtant en ces textes comme de très anciennes traditions.

A ce point de nos discussions, un homme prit la parole. Il voulait apparemment défendre la thèse de l’ancienneté de ces traditions déjà au XVIIe siècle, peut-être sous d’autres formes, avançant comme postulat – qui me parut tout à fait sensé – qu’une tradition ne se développe jamais que sur un terrain déjà préparé. Nous devions savoir que les archives laissées par les élites lettrées sont lacunaires et le plus souvent dissimulent ou trahissent la parole populaire. Il parlait d’expérience, disait-il, pour avoir vécu dans sa chair, quatre décennies durant, l’extrême difficulté de porter au théâtre une parole populaire occitane, en bute à l’ostracisme, au mépris, à la préférence servile de la plupart des élus pour les productions homologuées à Paris. Il était occupé à monter à Béziers un spectacle réactualisant la figure de Pepesuc, confronté à mille problèmes et mille questions concernant la revitalisation de la tradition dans le contexte contemporain et l’usage public de la langue, toujours plus difficile. Nous autres, en devisant gentiment sur la littérature occitane du XVIIe siècle, en nous en tenant benoitement aux archives écrites, ipso facto nous nous mettions clairement du côté de l’étouffoir et de la censure. Son expérience, ses douleurs, ses blessures, lui rendaient accessibles ce que nos archives taisaient et ce que notre condition d’universitaires replets nous interdisait d’appréhender.

Il parla longtemps, d’abord posément, enchaînant avec éloquence de longues périodes mais, à chaque reprise, le ton montait d’un cran, il devenait véhément, sa voix se faisait plus forte, plus tendue, enfin au plus proche du cri, exhibant une immense souffrance et autant de colère, sans pourtant dévier de son but, qui était principalement la dénonciation de la compromission des élites occitanistes dans l’étouffement de la culture et de la langue occitanes.

Je dois préciser tout de suite que les mots que je viens d’utiliser jusqu’ici sont les miens, non les siens, dont j’ai bien saisi le sens, je crois, mais que je n’ai pu retenir, un peu inquiet de la tournure accusatoire et surtout proprement dramatique que prenait l’intervention. Il rectifiera lui-même s’il le souhaite. Car je ne voudrais ici d’aucune façon trahir sa parole et caricaturer ses propos.

Cet homme, que je n’avais jamais rencontré personnellement jusque là, n’était autre que Claude Alranq, l’un des plus importants, sinon le plus important metteur en scène d’expression occitane vivant, fondateur du Teatre de la Carriera, qui joua un rôle proprement historique, auteur d’une multitude de pièces où la langue est toujours présente. Il a en outre publié récemment un livre sur les animaux totems des fêtes du sud, où le chameau de Béziers est bien sûr présent (Les Animaux de la fête occitane. Les Totems Sud de France, Éditions du Mont, Cazouls-les Béziers, 2008).

J’ai essayé, maladroitement, de lui répondre, avant qu’il ne parte précipitamment. Car si je partage entièrement le constat de la nature lacunaire et partisane des archives, je pense qu’il est de la plus grande nécessité d’éviter de projeter ses propres convictions sur les sans-voix de l’histoire ; cela revient, en effet, selon moi, à les trahir une seconde fois. Que l’on puisse partager à travers nos propres frustrations, nos propres défaites et nos propres avanies, quelque chose des ressentiments et dissentiments, quelque chose de la rage muette des vaincus, je le crois aussi, mais cela ne nous autorise nullement à faire avouer aux sources ce qu’elles ne disent ni ne laissent transparaître, à moins évidemment de renoncer à la position de l’historien. En d’autres mots, le militant et l’historien ne sauraient se fondre, sans tout confondre. Fau pas boeirar las aigas de las bonas fonts, ai-je entendu dire en Limousin.

Ainsi, avons-nous cru ce jour-là convenir d’une absence de conflit linguistique dans la structure très fortement diglossique de l’Histoire de Pepesuc où les deux langues se partagent équitablement la scène sans jamais s’affronter. A la lecture de l’avocat Bonnet, on peut avoir l’impression d’être confronté à une diglossie équilibrée et pour tout dire, selon le mot de Courouau, « heureuse ». Cela, il serait absurde de ne pas le constater : il est évident que les conditions d’usage de l’occitan au théâtre et dans la rue en 1616 n’ont rien à voir avec celles que nous connaissons.


Cependant, malgré ce désaccord de méthode fondamental, et des accusations évidemment peu agréables, je tiens ici à remercier Alranq. Car, jamais peut-être jusque là je n’avais mesuré à ce point la malédiction qui pèse sur nous, jamais je n’avais senti avec plus d’acuité ce que représente concrètement d’être dans une situation de domination et d’extinction, le dos au mur, jamais je n’avais eu le sentiment plus vif d’appartenir au dernier carré d’un bataillon égaré que plus personne ne viendra sauver. On trouvera bien sûr ces mots exagérés, emphatiques, grandiloquents, voire déplacés. Et pourtant, pourtant tout autour de moi les signes sont d’une clarté cruelle : le sourire gêné et un brin compassionnel des collègues et amis non occitanistes, les trois lignes sur l’occitan que l’on nous concède – de plus en plus rarement – dans les revues à la condition expresse que la langue n’y dépasse pas trois mots (et si possible pas en graphie classique), la difficulté de trouver des interlocuteurs dans la langue, l’incompréhension devant notre entêtement des locuteurs résignés (après tout ce n’est que le patois qui s’en va ! aquò rai, se i aviá pas qu’aquò !), l’indifférence agacée des élus, l’accusation perpétuelle, qui tient en fait exclusivement au fait minoritaire, de constituer une secte, un groupuscule, une bande de doux illuminés et d’arriérés, etc. etc.

D’ailleurs, s’agissant de cette journée de recherche, le refus de la plupart des collègues invités spécialistes de littérature française de participer à un programme qui, étant donné qu’il porte sur les contacts de langue, leur est largement destiné, en dit suffisamment long. Et le fait même, évidemment, que nos discussions en public (heureusement pas en privé, toutes en oc) aient été exclusivement en français, comme sont en français les lignes que je suis en train d’écrire (je tairai pudiquement les statistiques de lecture des posts que je publie en occitan), en dit suffisamment long.

Non que je veuille désespérer Billancourt. De toute façon, même et surtout si cela déplaît, agace ou faire rire, nous ferons ce que nous avons à faire : cal mai qu’aquò per nos far gridar cèba. Mais la lucidité est nécessaire. I cal veser clar. Il est difficile, bien souvent, de n’avoir pas le sentiment d’être vraiment acculés et de tirer nos dernières cartouches.

Cette situation explique pour moi cet étrange phénomène des renégats de l’occitanisme, qui retournent leur haine sur ce qu’ils ont été et prennent les occitanistes eux-mêmes comme boucs émissaires, plutôt que de considérer froidement la situation et de faire face à l’adversité. Elle explique aussi les déclamations prophétiques, assez proches de la tradition du gascon matamore, ou les accents savonaroliens de quelques uns de nos leaders ou de nos chantres les plus charismatiques. C’est pourquoi je comprends finalement ceux qui renoncent et qui préfèrent développer des activités où ils pourront espérer une meilleure reconnaissance. C’est aussi pourquoi je suis sincèrement admiratif de voir des jeunes qui, en toute connaissance de cause, choisissent de faire de la transmission de l’occitan leur métier. Ils sont en effet notre dernière chance.

La seule issue psychologique pourtant que je vois à la dépression qui nous guette, la seule solution viable que j’ai trouvée pour évoluer sans péter les plombs dans la société monolingue qui ne veut pas de notre engagement – mais c’est une solution entièrement personnelle et un luxe que je peux me permettre – consiste à cloisonner, à bétonner, à protéger l’espace du militantisme des intrusions de ceux qui n’en ont rien à faire ou qui manifestent leur hostilité avec cette assurance que donne le fait majoritaire. Ils sont les plus forts, il est inutile de s’exposer inutilement. J’ai évidemment bien conscience, par là, de renforcer la clôture minoritaire, le côté secte, lo biais Enfarinat, qui nous est reproché, uniquement, comme je l’ai déjà dit, parce que nous ne sommes pas nombreux. Perque sèm paucs e paures. Mais il y va de notre santé mentale et de notre efficacité : il nous faut adopter la prudence serpentine des Jésuites en Chine (je me répète encore !). Sauf que nous n’avons aucune religion nouvelle à proposer et que nous ne sommes pas dans une situation de (re)conquête mais de pure et simple résistance. L’urgence pour nous est de tenir le coup, de contrôler nos nerfs, de ne pas céder à la panique, de ne pas nous épuiser en conflits intestins complètement stériles, pour conserver la force de préserver ce qui peut l’être et de le faire partager à ceux qui en ont encore envie. E… fai tirar !

Jean-Pierre Cavaillé

 

 Alranq

Cl. Alranq à Béziers lors de la manif de 2007

photo empruntée au Blog Emboligòl

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Commentaires
M
@Alwenn<br /> Complètement d'accord avec vous. Les mécanismes qui entraînent d'abandon d'une langue sont connus.<br /> Imaginons que Barcelonne soit une ville corse, occitane, bretonne !!! <br /> Les francolâtres veulent voir du génie? , (limite génétique quand on y songe?), une mission quasiment divine, de la civilisation du français ,vers des peuples qui la recoivent comme l'hostie , telle une lumière surnaturelle par le vecteur de la langue, qui porte en elle la clarté incroyable de la pensée (pour la droite, pour faire court) et la libération de l'obscurantisme (pour la gauche, laîque taratata).<br /> En même temps tous de Melanchon à Marine Le Pen, parlent de la "communion du(es) peuple de France " depuis la Gaule (pour la droite) de la république "pour la gauche", mais quand même depuis la Gaule aussi tout compte fait . M Rocard se félicite du recul de l'alsacien: " ils y viennent dirat-il sur France Culture , les choses s'améliorent , (bien la preuve que le français est supérieur) <br /> La France n'est donc pas la réunion de peuples très différents autour de 1789, mais la célébration du génie français , sa puissance surnaturelle a agreger , assimiler , puis transformer, anihiler, desosser de la matière première brute , en premier les cultures minuscules de la périphérie, tour en claironnant mondialement son droit à la différence et sa volonté de protéger la diversité.
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D
Les théories sociolinguistiques s'appliquent partout mais pas de manière aveugle, elles peuvent tenir compte de chaque situation qui est particulière en soi. Elles sont adaptables en somme. La situation sociolinguistique du limousin n'est pas celle du breton ni celle du basque aujourd'hui et encore moins de ces mêmes langues il y a trente ans.
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A
"Ici on parle d'habitude surtout de l'occitan limousin, et là c'est un terrain auquel beaucoup de grandes théories sociolinguistiques et de grandes idées politiques ne peuvent s'appliquer."<br /> <br /> Les théories de la sociolinguistique s'appliquent partout, ou nulle part, si tant est que le genre humain forme une unité.
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S
je n'aime pas trop ce ton :"ça pourrait rafraîchir tes connaissances en sociolinguistique". C'est vraiment prendre l'autre pour un con. On peut penser autrement que ce que dit ta Bible, ce bouquin sur le basque? On a le droit? Et tu trouves que le basque va bien?<br /> <br /> Bref, j'arrête là la discussion, t'as gagné, allez! Et vive le breton et le basque ! Ici on parle d'habitude surtout de l'occitan limousin, et là c'est un terrain auquel beaucoup de grandes théories sociolinguistiques et de grandes idées politiques ne peuvent s'appliquer. C'est tout.<br /> A+ sur un autre fil, celui-ci est usé jusqu'à la corde.
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A
"un vieux Cévenol (conteur et historien de son pays) m'avait dit une fois "Pour achever l'occitan, il suffit de l'enseigner à l'école!". C'est exagéré bien sur, mais ce qu'il voulait dire, tout en regrettant énormément la fin de la transmission familiale, c'est que d'emmerder les gosses avec une heure d'occitan entre le calcul et la grammaire française, ça pourrait avoir l'effet inverse à celui recherché."<br /> <br /> Une heure de latin ou de grec n'a jamais tuer le latin ou le grec. Ca n'a jamais réssussiter le latin ou le grec non plus !<br /> <br /> Bon, faut être sérieux et savoir ce qu'on veut.<br /> <br /> Autre citation du même livre, "L'expérience basque" :<br /> <br /> "Pour qu'une langue s'épanouisse, il lui faut impérativement remplir les cinq premières fonctions : la fonction identitaire ou personnelle, la fonction familiale, celle du monde du travail, la fonction locale et la fonction nationale. De même, dans le processus de récupération, la création d'espaces d'utilisation de cette langue sera également très importante : enseignement, médias, unification du corpus, monde du travail, culture et administration publique. Dans cette diffusion, les mouvements sociaux en faveur de la langue ont un rôle essentiel à jouer, car ils aident à revitaliser le processus de récupération. <br /> <br /> Dans le cas du basque, pour que notre langue ait des locuteurs complets, il a fallu, d'une part, commencer par alphabétiser les locuteurs dans cette langue. Les adultes– alphabétisés dans la l'autre langue (français ou espagnol) ou non-alphabétisés– ont dû être alphabétisés en basque, et les locuteurs non-bascophones ont dû apprendre le basque. D'autre part, il a fallu aussi que les enfants reçoivent un enseignement en basque et pour ce faire, il fallait miser sur les ikastola où l'enseignement était entièrement dispensé en basque, mais basé sur une hégémonie ouverte. Autrement dit, l'hégémonie du basque a été instaurée sans rejeter, pour autant, les autres langues (espagnol et français). Pour les fondateurs des ikastola, il était clair que, pour pouvoir garantir un enseignement en basque, il fallait que cette langue fût hégémonique.<br /> <br /> Mais pour cela, il a fallu former les enseignants en basque, créer tout le matériel pédagogique en basque, et se préparer à enseigner toutes les matières en basque : mathématiques, physique, chimie, littérature, sciences sociales, etc. Il a donc fallu adapter le basque à tous ces domaines.<br /> <br /> Pour y parvenir, il était indispensable d'unifier, de standardiser la langue. C'est ainsi que le basque unifié a vu le jour, une langue standard née de l'unification des différents dialectes. Cette tâche a été accomplie par Euskaltzaindia (l'Académie de la Langue Basque), aidée en cela par les institutions ayant travaillé à la modernisation du corpus de la langue. Comme cela a été dit, l'enseignement, le corpus et les moyens de communication sont les principaux terrains à investir pour la normalisation d'une langue. Mais pour mettre tout cela en oeuvre, tout au moins dans le processus de récupération du basque, les mouvements sociaux au niveau local comme au plan national sont fondamentaux, car c'est grâce à l'initiative collective qu'ont vu le jour la plupart des associations et institutions qui ont revitalisé la langue basque."
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