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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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29 mai 2008

Régions et patrimoine : les langues minorisées dans la constitution

hemicycle

 

Régions et patrimoine : les langues minorisées dans la constitution

 

      Le 22 mai, l'assemblée nationale a voté l'introduction d'une mention sur les « langues régionales » dans la constitution française. Si tout se passe bien, c'est-à-dire si les amendements à la constitution sont adoptés par le congrés, cette mention deviendra effective. Cela est une grande surprise, que ne laissait nullement présager le débat qui s’était déroulé deux semaines avant dans le même hémicycle et où la voix gouvernementale avait exclu toute modification de l’article 2 selon lequel la langue de la « République est le français ». Du reste cet article n’a pas été amendé, et il est très important de le souligner d’emblée. Par contre le parlement a voté une modification à l’article 1 qui a la suite de la décentralisation, considère les langues régionales comme « patrimoine » de la nation. On peut estimer qu’il s’agit là d’une avancée considérable dans la reconnaissance de nos langues et, indirectement, de notre engagement pour les faire vivre. Ce qui me surprend surtout est le quasi consensus qui s’est dégagé, sans montée au créneau des républicards (j’entends par là ceux qui arguent d’une conception totalitaire de la République pour justifier encore et toujours la guerre aux patois). Comme beaucoup d’autres, je n’avais absolument pas mesuré l’évolution récente des députés sur cette question dans ma petite réflexion sur le débat du 7 mai.


        On doit certes se réjouir de cette évolution du discours politique sur la question, qui contraste radicalement avec les insanités que l’on peut continuer à lire sur les sites républicards (par exemple Marianne, qui met en avant les propos haineux et délirants de Yvonne Bollman, ou bien encore le blog de Roland de Boissieu, sans parler de Respublica, site de la Gauche Républicaine).


        Il est très difficile d’apercevoir encore clairement ce qui va devenir possible en matière de promotion des langues et qui ne l’était pas auparavant. Surtout cela va permettre au gouvernement de faire adopter une loi qui, sinon, risquait fort d’être jugé inconstitutionnelle, du fait de l’article 2. En fait il faut plutôt qu’elle lui permettra de faire passer une loi qui ne soit pas en contradiction avec l’affirmation d’un article excluant a priori que tout autre langue que le français puisse accéder à un quelconque usage public. On sait ainsi d’emblée que cette loi, qui va sans doute s’appuyer sur la notion désormais constitutionnelle de « patrimoine », ne devrait hélas pas transformer radicalement la situation actuelle.

        La manière dont s’est déroulé le débat (voir le texte) et ce que l'on peut deviner des négociations de couloir qui ont précédé invitent de toute façon à la plus grande circonspection. En effet le débat a commencé par une proposition d’amendement de Noël Mamère visant à la modification de l’article 2 pour permettre enfin à la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Le maire de Bègles, en effet, a proposé d’ajouter la mention : « Les langues régionales de France sont également reconnues par la République. », formule plus ambitieuse que la proposition, défendue depuis longtemps, et encore le 7 mai par plusieurs députés, de s’en tenir à l’évocation d’un « respect » dû à ces langues. Évidemment l’ajout de l’amendement Mamère ne manquerait pas de mettre en crise l’affirmation précédente de l’unicité de la langue de la République. Il en ferait apparaître toute l’absurdité.

        C’est là qu’intervient le rapporteur de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, qui propose une modification du seul article 1, concoctée par ladite commission, explicitement dans le but de ne pas toucher à l’article 2[1]. Il est autrement dit tout à fait visible que l’on a affaire à un compromis, et surtout à une initiative qui vise précisément à couper l’herbe sous les pieds de tous ceux qui souhaitent cette modification et la ratification de la Charte européenne. Cela a du reste été déclaré en substance par M. Claude Goasguen : « l’amendement n’a rien à voir avec la Charte, dont la ratification suppose un acte indépendant de toute stipulation constitutionnelle ». Le rapporteur lui-même a souligné que la nouvelle mention « ne serait pas créatrice de droits nouveaux » « et elle ne vise pas à permettre à des groupes ou à des particuliers de poser une quelconque revendication ». Nous voilà prévenu ! Il s’agit seulement de reconnaître « l’existence » de ces langues sous une forme patrimoniale. Qui plus est, en ne faisant aucune référence aux langues régionales dans l’article 2, le français continue à trôner seul dans l’empyrée républicain et, comme plusieurs député l’ont dit (Camille de Rocca Serra, Marc Le Fur), personne ne pourra dire que les langues régionales s’opposent à lui. Le Fur estime que leur mention dans l’article 2 serait ambiguë, ce qui est vrai, mais du fait même de l’absurdité de l’alinéa, et cette ambiguïté (dommageable au français disent déjà les républicards, mais en fait on le voit d’emblée, en fait aux autres langues), n’est pas levée ; elle surgira immanquablement de la confrontation des deux articles.

        Mais, à la lettre, est seule affirmée la nature patrimoniale des langues régionales, ce qui semble impliquer une tutelle de l’État, mais de quel ordre ? Qu’est-ce que la tutelle d’un « patrimoine linguistique » ? La notion de patrimoine, lorsqu’elle est appliquée au langues, même si le syntagme de « patrimoine immatériel » (à mon sens intrinsèquement problématique, voir sur ce blog), est désormais sur toutes les doctes bouches, peut être interprété de bien des manières. Mais l’idée attachée au terme est celle de conservation de type muséale, et non de promotion culturelle. On sent déjà tout ce que pourrait bloquer cette assimilation de nos langues à des éléments du patrimoine : pourquoi leur reconnaître par exemple un place dans les médias ? Il suffit que ceux-ci en traitent de manière seconde, comme objets patrimoniaux, à l’égal des belles pierres. Pourquoi les enseigner à l’école primaire, ou dans les collèges ? Il suffit de maintenir des cours d’université sur les troubadours et éventuellement de créer des chaires d’histoire de la culture populaire, ou d’histoire des langues. Interprétée de manière restrictive la notion de patrimoine peut très bien non pas servir, mais entièrement desservir les « langues régionales » considérées, ainsi que nous le faisons, comme des langues vivantes à promouvoir en tant que telles. Une lecture inquiétante est fournie par le député UMP Claude Goasgen qui affirme dans la discussion que deux critères doivent présider à l’identification d’une « langue régionale » : un critère géographique (autrement dit, les langues régionales, à la différence du français doivent rester cantonnées dans des territoires déterminés, et évidemment cela permet d’évacuer toutes les langues errantes, les langues romanichelles !) et le fait de posséder un « patrimoine écrit ». Est-ce en fait seulement ce patrimoine écrit qui doit être préservé ? J’en profite au passage pour noter la curieuse définition donnée par Goasgen, absolument nouvelle et contraire aux principes les plus évidents et triviaux de la linguistique : selon lui, c’est parce qu’elles possèdent un « patrimoine écrit » que l’on peut parler de langues et non de « dialectes ». Bayrou est intervenu pour rappeler que certaines langues régionales ont un patrimoine écrit plus ancien que le français. C’est vrai, mais ce n’est pas la question ! Les dialectes, comment qu’on les définisse, s’écrivent bien sûr, quand aux langues, elles ne sont pas moins langues, et pas moins « patrimoniales », du fait d’être dialectalisée, ou de ne pas avoir de patrimoine écrit. Les langues n’ont bien sûr pas attendu l’écriture pour exister ! Mais à la réflexion, « dialecte » est sans doute mis ici pour « patois » (lesquels s’écrivent évidemment aussi, puisqu’on parle en fait de la même chose : d’ailleurs nos adversaires ne manquent pas de parler « d’écrivais patoisants ») mot semble-t-il devenu désormais à peu près imprononçable par un député qui se respecte. Pour moi, c’est tant mieux, mais il faudra veiller au grain sur toute interprétation restrictive du mot « langue », qui laisserait de côté ce que l’on appelait encore hier « patois », c’est-à-dire les langues parlées par des locuteurs qui, la plupart du temps, ne savent pas (et pour cause !) les écrire.
        Non, décidemment, la régionalisation et la patrimonialisation des langues entérinée dans la constitution, n’est pas une décision enthousiasmante. C’est pourquoi du reste certains députés ont voulu introduire des amendements pour préciser les engagements de l’État. Philippe Folliot, puis Bayrou ont demandé à ce que l’on parle explicitement de « protection » des langues (« la protection […] implique une action ou un effort, est, en la matière, un devoir de la République ») et  Patrick Braouezec a voulu ajouter l’adjectif « vivant » au mot de patrimoine, sans succès dans les deux cas au motif qu’il s’agirait d’évidence. Rien n’est pourtant moins certain. Bayrou aussi est intervenu pour dire que selon lui la place de la mention n’était pas dans l’article 1 qui établit les principes de la constitution, « ou bien fallait-il aussi adopter l’amendement de M. Mamère sur la diversité », c’est-à-dire en parler aussi dans l’article 2. Je vous livre la réponse du rapporteur, que je renonce à interpréter : « Je vous rappelle le début de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Quel besoin d’ajouter que la République protège les langues régionales, mentionnées dans la foulée, puisqu’il s’agit là de la France elle-même ? ». Il est vrai que cette proximité, dans le texte constitutionnel, est impressionnante, mais on sait combien les deux principes énoncés en dernier – démocratie et social – sont perfectibles ; au moins est-il permis de les invoquer et il pourra désormais en être de même pour les « langues régionales », ce qui n’est pas rien, même si les mots, y compris dans un texte constitutionnel, ne sont que des mots (ceux qui croient à leur performativité intrinsèque sont de parfaits Candide). Certains députés en tout cas, comme Jean Jacques Urvoas estime que, grâce à cet amendement, il ne sera pas désormais possible de refuser par exemple d’intégrer Diwan à l’enseignement public au prétexte de l’immersion, comme ce fut le cas en 2001. Je demande à le voir pour le croire… 

        En attendant, le cadre légal promis par la garde des sceaux, on peut donc dire – et disons-le donc – que désormais, si l’on fait une lecture extensive de la mention de « patrimoine », en Limousin et en bien d’autres lieux de France, les télévisions et les radios publiques, le rectorat, le département et la plupart des communes sont diamétralement en contradiction avec ce nouvel esprit constitutionnel, car ils ne font rien de rien pour la tutelle de notre patrimoine linguistique. 

Jean-Pierre Cavaillé



[1] « Il ne s’agit pas de remettre en cause l’article 2 de la Constitution, mais de donner un ancrage constitutionnel aux langues régionales » 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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