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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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29 mai 2008

Plaidoyer pour notre “fratrimoine” linguistique

 

 

Cet article, commandé il y a un an et demi, pour un numéro de la revue Patrimoine Midi-Pyrénées consacré au patrimoine linguistique et culturel, est en fait inédit, car le numéro, finalement, fut suspendu. Je le publie ici, car il me paraît à nouveau d’actualité, après l’introduction par nos députés d’une mention dans la constitution française (art. 1) sur les « langues régionales » comme « patrimoine » de la nation.

 

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Plaidoyer pour notre "fratrimoine" linguistique

 

« Mon paire [ma maire, mon fraire…] pecaire, n’aviá qu’una dent

E mai trantolava quand fasiá de vent »[1]

Que les langues font partie de notre patrimoine culturel, en Midi-Pyrénées comme ailleurs, est une évidence, et à la fois une complète nouveauté, s’il est vrai que les expressions de « patrimoine linguistique » et de « patrimoine immatériel » sont récentes et d’un usage encore fort rare dans nos contrées. Cette nouveauté est sans aucune doute susceptible de contribuer à la revalorisation au moins symbolique de la culture et de la langue occitanes, considérées dans ses variantes dialectales. Là où il y avait, où il y a encore une chose un peu honteuse – le patois – signe d’arriération culturelle, ou simple curiosité pittoresque, « folklore » de nos provinces, on envisage déjà peut-être mieux, avec l’usage du terme de « patrimoine », la langue menacée comme un bien précieux à sauvegarder pour les générations futures. Déjà les discours sont tout bruissants de ces nouveaux syntagmes, même si dans les faits le travail d’éradication et de dénégation se poursuit allègrement. On voudrait seulement dire ici que la notion même de patrimoine, par sa forte connotation de conservation muséale, pourrait bien servir à achever le travail, se daissèm faire.

Il convient d’abord de faire le point. La grande innovation est sans nul doute l’expression, sinon l’idée de « patrimoine immatériel », mis à l’honneur par l’Unesco. « Désignant d’abord les vestiges les plus monumentaux des cultures, la notion de patrimoine s’est progressivement enrichie de nouvelles catégories comme le patrimoine immatériel » ; celui-ci étant ainsi défini dans la déclaration adoptée à Istanbul en septembre 2002, où la France était donc présente : « le patrimoine culturel immatériel constitue un ensemble vivant et en perpétuelle recréation de pratiques, de savoirs et de représentations, qui permet aux individus et aux communautés, à tous les échelons de la société, d’exprimer des manières de concevoir le monde à travers des systèmes de valeurs et des repères éthiques ». Il comprend  « les traditions orales, les coutumes, les langues, la musique, la danse, les rituels, les festivités, la médecine et la pharmacopée traditionnelles, les arts de la table et les savoirs faire ». Les langues font donc pleinement partie ce cette notion qui veut, est-il dit, refléter « autant la culture vivante qu’une image du passé ». La notion de patrimoine ainsi revisitée, même s’il serait facile de discuter sur un plan philosophique cette prétendue « immatérialité » de la culture humaine[2], est certes très intéressante pour les langues minoritaires. Encore faudrait-il passer des discours à la pratique et d’Istanbul à Toulouse et d’abord – à tout seigneur tout honneur –, à Paris.

Formellement, et c’est déjà quelque chose, le lien avec « nos » langues, est au moins reconnu, s’il est vrai que le très officiel site de la Documentation française est amené – oh certes pas de gaieté de cœur ! – à constater que « la mention des langues comme patrimoine immatériel conduit à reconnaître la possibilité d’une coexistence des langues régionales avec la langue française ». On notera quand même l’extrême circonspection, qui conduit à une expression fort discutable, car tout de même cette coexistence n’est pas une possibilité mais, de fait, une réalité multiséculaire. On aura cependant comprit qu’il s’agit bien sûr de la possibilité institutionnelle, voire constitutionnelle, de reconnaître pleinement cette coexistence. Là les choses se compliquent singulièrement et il faut rappeler très brièvement les déboires de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (1992), signée mais non ratifiée par la France (suite à l’arrêt défavorable du Conseil Constitutionnel en 1999), qui présente elle aussi une conception ambitieuse du « patrimoine linguistique et culturel européen » résolument tournée vers l’avenir, s’il est vrai qu’elle se propose comme but non seulement la reconnaissance de l’existence et du rôle historique de ces langues (préalables qui ne sont même pas acquis chez nous), mais encore leur emploi dans l’enseignement et les médias ainsi que leur usage dans le monde judiciaire et administratif, dans la vie économique et sociale, comme dans les activités culturelles. C’en était trop, beaucoup trop, pour la vision centraliste invétérée, qui sous un égalitarisme formel, met en fait tout le territoire au diapason de la capitale et de sa langue, le français qui prétend symboliser, pire incarner, elle seule et unique, la République, au mépris de la réalité historique (que parlait les conscrits de l’an VIII ? que parlait-on dans les tranchées de Verdun ? etc. etc.). Une telle conception exclut a priori tout autre patrimoine linguistique national que celui du français ; les autres langues, invariablement, et encore aujourd’hui, dégradées en patois, doivent légalement rester confinées au domaine privé : grave confusion consistant à assimiler les langues à des religions ou des convictions philosophiques. Cette regrettable confusion est fort révélatrice d’une conception religieuse de la langue française dont l’esprit laïque devrait avoir honte. Plusieurs rapports, pourtant, avaient recommandé la ratification : Bernard Poignan (rapport au premier ministre 1998), maire de Quimper, de manière très ferme, affirmant que « Notre pays aime protéger ses monuments et ses œuvres artistiques. […] Il doit porter la même attention à son patrimoine linguistique et à sa diversité culturelle. Cela relève de son devoir. Il est comptable de la vie de ces langues sur son territoire. Pourtant, la France a pris beaucoup de retard. Il a la responsabilité de les sauvegarder, de les transmettre, de les développer. Ne rien faire serait choisir leur disparition, au moins leur effacement ». Le linguiste Bernard Cerquiglini également (rapport remis au ministre de l’éducation nationale en avril 1999), qui introduit une critique intéressante de l’insistance trop grande de la charte à la territorialisation, et se vantant de ce que la France « reconnaît cinq langues dépourvues de territoire », effectivement parlées par ses ressortissants, et qui enrichissent son patrimoine : outre le berbère et l'arabe dialectal, le yiddish, le romani chib et l'arménien occidental ». Dans son immense générosité en effet, la France reconnaît formellement une liste impressionnante de langue territorialisées et non territorialisée, que la Délégation Générales à la Langue Française et aux Langues de France est censée promouvoir. En réalité, les moyens de la DGLFLF sont dérisoires, pour ne pas dire inexistants, alors que par ailleurs la politique du ministère de l’éducation nationale consiste à réduire et supprimer partout l’enseignement de ces langues, qu’elles soient territorialisées ou non. Même le constitutionnaliste Guy Carcassonne (rapport au premier ministre, 1998) recommandait la ratification, moyennant une interprétation qui vidait largement la charte de son sens et surtout de sa possible efficacité, en concluant que des « prescriptions assez nombreuses de la Charte correspondent à des pratiques déjà courantes », ce qu’il est pourtant bien difficile à admettre. Le fait est que, d’ailleurs sans aucune mention de la question patrimoniale revisitée, le Conseil Constitutionnel, en 1999 a déclaré la Charte contraire à la Constitution, aux motifs qu’elle reconnaît à chaque « un droit imprescriptible » de « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique », ce qui est en contradiction, selon le Conseil, avec l’article 2 de la Constitution (« la langue de la République est le français »).

          Dans ces conditions, il ne reste guère ouverte qu’une interprétation tout à fait restrictive de la notion de patrimoine linguistique, comprise à partir et sur le modèle du patrimoine « matériel », comme conservation muséographique. C’est du reste très largement l’acception dominante de l’expression : lorsqu’on parle de patrimoine linguistique, c’est généralement pour se limiter au travail de collectage, à l’onomastique, à l’histoire des langues et des cultures régionales. L’Université de Grenoble propose par exemple un master en « Sciences du langage spécialité Patrimoine linguistique et culturel des Alpes », dont les débouchés spécifiés se limitent aux « métiers du patrimoine », déclinés ainsi : « inventaire, conservation territoriale, animateur – musées, espaces naturels », « métiers du tourisme ». On voit bien comment il est ainsi facile, à travers la notion de patrimoine, de tourner le dos à toute pratique linguistique réellement vivante, au profit d’une pure et simple « conservation » de ce qui n’est plus, c’est-à-dire que l’on considère comme n’étant plus alors qu’il existe encore : terrible sentiment de dénégation de réalité pour les locuteurs que de voir momifier la langue qu’ils parlent, remisée finalement avec le fléau, le rouet et la batteuse dans les collections des musées des arts et traditions populaires. Bien sûr ce travail d’histoire, de collectage et de conservation est essentiel, et d’ailleurs il est réalisé bien souvent de manière privée ou associative (pensons par exemple à l’admirable travail conduit par la Talvera à Cordes, et à bien d’autres), bien souvent dans l’indifférence complète des institutions de recherche, ce qui prouve que cette conception du « patrimoine linguistique », même ainsi réduite, est loin d’être entrée dans les mœurs.

          Par cette forte attraction du patrimoine de conservation, et dans les conditions actuelles d’une crispation identitaire des institutions de la République sur exclusivité du français (et il faudrait bien sûr aussi se demander quel français ? parlé ou écrit ? écrit par qui et comment ? etc.), c’est la notion de patrimoine elle-même, appliquées aux langues, qui s’avère bien équivoque et, à vrai dire piégée, car elle permet aisément de se détourner de toute espèce d’adoption d’une réelle politique linguistique en faveur des langues et des cultures minoritaires, territorialisées ou non.

          Et puis, le patrimoine, étymologiquement, signifie l’héritage du père, là où les langues héritées sont dites maternelles... La notion de « matrimoine », parfois utilisée, n’est pas meilleure, dans quel sens qu’on la prenne : nous n’avons jamais qu’une mère et, dans nos contrées, la monogamie matrimoniale est de rigueur ! Je proposerai volontiers le néologisme de « fratrimoine », oui, de « fratrimoine linguistique », sous le signe de la fratrie, c’est-à-dire de la pluralité des égaux (qui plus est, le mot est assez drôle, avec ce soupçon de parodie redondante du religieux – frère/moine ! – et ce frottement insistant des consonnes). Et certes les langues sont l’héritage de nos soeurs et de nos frères humains. Voilà une notion étrangère à l’idée de nation et pourtant foncièrement républicaine et citoyenne. De quoi faire tourner en bourrique les souverainistes de la langue française qui, au nom même des valeurs républicaine, ne veulent entendre en fait de patrimoine linguistique que celui-là seul de la francophonie, religion nationale à vocation universelle, avec ses temples, ses livres sacrés, ses prêtres et ses vestales. Oui, l’occitan a vocation à figurer au fratrimoine mondial de l’humanité, comme langue vive et vivante, aux côtés et non au-dessous ou derrière le français.

JP Cavaillé

 


 

[1] « Mon père [ma mère, mon frère] n’avait qu’une dent/ Et encore elle tremblait quand il faisait du vent », ritournelle occitane.

 

[2] En effet la distinction entre patrimoine matériel et patrimoine immatériel me paraît sur le fond, intenable, quelle que soit d’ailleurs les positions philosophiques que l’on veuille défendre. Une chanson, une musique, un rituel n’est ni plus ni moins « matériel » qu’un bâtiment ou qu’une œuvre d’art « en dur » (sculpture, tableau), le corps en mouvement, le son, etc. n’ont bien sûr en eux-mêmes rien d’immatériel, et si l’on considère qu’est immatériel l’esprit humain qui les anime et leur donne sens (ce qui revient à adopter cette position foncièrement idéaliste qui reste la marque indélébile de l’humanisme contemporain), alors bien sûr il faut en dire autant des œuvres du patrimoine dit « matériel » : un monument, une statue, un tableau de ce point de vue ne sont ni plus ni moins « spirituels » qu’une musique, un rituel, le fait de parler une langue, ou de mettre en œuvre un savoir faire. Peut-être faudrait-il plutôt parler de patrimoine vivant, comme l’on parle de spectacle vivant, c’est-à-dire d’un patrimoine qui ne se maintient que par la présence vivante de ceux qui en réalisent les œuvres. En effet ce patrimoine comprend toutes les réalisations humaines performatives, tous les objets qui s’épuisent dans leur mise en œuvre et qui ont besoin à chaque fois, pour être à nouveau, de la mobilisation du même savoir et des mêmes compétences. Ainsi ces œuvres sont-elles vouées à la disparition lorsque disparaissent ceux qui savaient les réaliser, lorsque la transmission n’est pas assurée, et le fait de les saisir par l’image ou d’en capter le son ne saurait en aucune façon tenir lieu d’apprentissage ; ces procédures permettent d’en conserver une trace, un reflet, une trace, mais les œuvres ainsi capturées sont littéralement mortes, parce que ce qui leur donne vie est l’action présente de ceux qui les réalisent. Ainsi bien sûr des langues : il ne suffit pas de les enregistrer et de les capter par le livre pour en assurer d’aucune façon la pérennité ; elles ne vivent que si on les parle.

Pour une conception résolument matérialiste de la culture, voir les œuvres des Raymond Williams, en particulier Marxism and Literature, Oxford University Press, Oxford, 1977. Un livre important en son temps, évidemment non traduit en français, que l’on ferait mieux de lire ou relire pour contrer l’avalanche actuelle de pseudo-immatérialité.

 

 

 

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