Ours et démocratie locale
Une fois n’est pas coutume, voici un texte qui n’est pas d’abord consacré à des questions de langue, mais au problème, absolument indissociable des débats sur les langues et les cultures minorées, de l’extrême difficulté d’envisager dans notre France toute centralisatrice le règlement de conflits à l’échelle locale et régionale. Le conflit exacerbé autour de l’ours dans les Pyrénées en est sans nul doute un révélateur particulièrement frappant. C’est ce que s’attache à montrer David Grosclaude dans un article paru en Occitan dans la Setmana (n° 623 du 2.08 au 8.08.2007). Je le traduis ici pour les non occitanophones.
J-P C.
L’Ours est un révélateur d’irresponsabilité
La question de l’ours porte de l’eau au moulin du centralisme. Elle prouve aussi que nous n’appliquons pas le principe selon lequel la diversité biologique dépend de notre capacité à préserver la diversité culturelle. Ce qui vaut en Amazonie ne vaut dans les Pyrénées.
La ministre de l’Ecologie était à Toulouse la semaine passée pour essayer de débloquer la situation de l’ours. Les attaques de Franska contre les troupeaux en Bigorre ont relancé la polémique sur la présence de l’ours dans les Pyrénées et sur la politique de réintroduction de l’animal.
Les bergers des Pyrénées bénéficient du soutien d’une grande partie des élus des départements concernés. Certainement, toutes les opinions ne sont pas aussi tranchées que celles de ceux qui demandent la capture de la bête ou de certains bergers qui parlent de son élimination. Mais, une fois de plus, nous voyons arriver un arbitre, l’État, pour trancher une question qui devrait être réglée au niveau régional.
C’est une facilité qui semble contenter tout le monde. Certains élus régionaux et locaux sont les premiers satisfaits, qui n’ont pas ainsi à prendre en charge une affaire que l’on peut comparer à une patate chaude, ce qui veut dire, que par quelque bout qu’on la prenne, on est sûr de se brûler les doigts.
D’un autre côté le pouvoir d’État conserve l’illusion de maîtriser tout ce qui est important sur le territoire et d’apporter partout des paroles d’apaisement et des solutions raisonnables. Finalement, l’affaire de l’ours montre une fois de plus le retard démocratique dont nous souffrons. L’incapacité des gens des Pyrénées à régler seuls la question de l’ours est anormale. Certainement, ils n’en ont pas actuellement le pouvoir. C’est une affaire qui, légalement, concerne le ministère. Mais je n’ai entendu aucun élu local réclamer la tenue d’une table ronde avec tous les acteurs politiques de la région, y compris ceux de l’autre côté de la montagne, pour essayer de trouver une solution.
Diversité biologique
De toute façon, quelle que soit la solution proposée par le ministère, elle ne saurait d’aucune façon être durable. Ceux qui seront mécontents de la décision auront toujours la possibilité de dénoncer une décision de Paris prise de loin, pendant que les autres pourront se couvrir confortablement derrière une décision de l’État. Et l’affaire de l’ours reviendra s’imposer plus tard. C’est la logique qui le veut.
Le fait de ne pas appliquer à nos régions les principes qui s’appliquent ailleurs, nous condamne à la polémique permanente. Ces principes sont au nombre de deux. Le premier est celui de la responsabilité. Les Pyrénéens sont responsables de la préservation et de la disparition de l’ours et doivent avoir la capacité politique de régler l’affaire. Le second est le principe du respect de la diversité culturelle afin de pouvoir conserver la diversité biologique. Nous chantons les vertus de ce principe quand il s’agit de l’Amazonie, mais nous l’ignorons quand nous parlons de nos régions. Si la diversité biologique est autant menacée chez nous, c’est aussi du fait de l’uniformisation des méthodes de gestion des espaces. Et il y a derrière tout cela des questions culturelles. Le fait d’avoir enseigné aux occitans à renier leur culture (et leur langue) ne peut que provoquer une incapacité à trouver une solution appropriée à la préservation de la diversité biologique locale.
Finalement l’ours est un bon révélateur d’une forme de colonialisme culturel. L’incapacité d’imaginer une solution efficace, à la négocier, réduit les pyrénéens à rester dans la position de petits enfants incapables de régler un problème par eux-mêmes. D’autres alors arrivent avec de mauvaises solutions, inadaptées aux réalités et aux mentalités. De cette façon le conflit ne peut que se poursuive. Mais que dire de l’enfant, finalement heureux d’être infantilisé ?
Le pouvoir d’État se justifie dans cette affaire seulement parce que des gens parviennent à nous faire croire qu’elle se résume d’une part à une bande d’allumés qui ne rêvent que de sortir les fusils et de l’autres à des protecteurs de la nature qui n’ont aucune idée de ce qu’est la réalité pyrénéenne. Si j’étais un élu de la région, j’aurais honte de donner à voir cette image de mon pays.
David Gosclaude
(trad. J P C)