Trois langues pour un ruisseau
Nicole Drano Stamberg, Résurgences du
ruisseau Lagamas dans le désert. Ressorgéncias dau riu Agamàs dins lo desèrt.
Lagamas ko-sor puk we-raoogo puga, Montpeyroux, Jorn, 2007.
Vignette de couverture. Gravure de Rébecca Holtom
Les éditions Jorn (Jour)
présentent un recueil de poésie trilingue, d’une subtile et parfaite cohérence.
Les poèmes qui le composent disent le ruisseau de Lagamas, qui coule en
Languedoc, et ses résurgences en un pays d’Afrique brûlé par la soif, au
Burkina Faso. « Je te parle de cette pensée qui me porte vers des amis qui
restent debout sur la terre sans pierre […] La poussière la poussière agrandit leurs yeux rouges qui
brûlent. Larmes poudreuses sous les paupières ». La poète habite, en
français, l’un et l’autre espace, ils sont les lieux de sa vie et l’eau les
relie, l’eau dont elle fait entendre le ruissellement, la sinuosité sonore,
dont elle dit l’évidence simple, et, là-bas, au bord du désert, le désir immense
et la nécessité. Le désir, que l’eau porte mais n’étanche pas, circule de l’un
à l’autre espace, du murmure de la fraîcheur moussue au monde des terres rouges
et des corps noirs : « l’homme, qui porte un turban descend de
son chameau. Il dit que l’univers n’a jamais vieilli. Nous conversons au bord
du vide. […] Il caresse mon épaule nue. Je sens les crevasses de sa peau. Je
lui tends l’eau du Lagamas ». Or, ce désir qui court avec l’eau – et c’est
là que réside toute la cohérence poétique du recueil – est celui qui circule
dans les trois langues : le français de la poète ; l’occitan du Lagamas,
car le Lagamas coule bien sûr d’abord (c’est-à-dire aussi) en occitan (traduction
de Joan-Pau Creissac) et la voix occitane d’Agamàs vient doubler tout au long
la voix française ; le ruisseau renaît enfin, au bout du recueil, dans la
langue mooré, du Burkina Faso (traduction de Joachim Kabore Drano, fils de la
poète). Plus, encore, l’eau coule en ces trois langues, toujours diverse, sur
les pages du livre en calligrammes fins, un filet ondoyant entre deux douces
rives de textes. « Lagamas lumineux
qui ruisselle de toutes tes voyelles mouillées », dit le poème qui
serpente, « Agamàs luminós que raja de totas tas vocalas banhadas » ;
« A Lagamas Vêenema sèn Wita Gom-biisa buud Fãa sẽn yadge ». Trois musiques humaines pour dire
un ruisseau.
JP C
La première page de la Tenson d'amour du Lagamas et de la Sirba
Tençon d'amor d'Agamàs e de Sirba