Une visite à Expolangues
En attendant qu’un train veuille bien me ramener
dans mon Limousin courbé sous le poids de la neige, je suis allé visiter
Expo-langues, porte de Versailles, comme de grands panneaux publicitaires m’invitaient
à le faire dans le métro. Je vous livre mes impressions, sans prétendre avoir
aucunement fait le tour de la question. D’ailleurs, je dois confesser que je
n’ai même pas compris quels étaient vraiment les objectifs de cette foire aux
langues, où l’officiel côtoie l’associatif, où la publicité marchande pour des
méthodes d’apprentissages, outils informatiques, agences de séjours
linguistiques, etc., se mêle à la propagande des nations et à la réclame
touristique, le tout agrémenté de conférences souvent à caractère commercial,
plus rarement à visée didactique ou scientifique… et ce n’est pas le catalogue
qui m’a éclairé, dont toute la littérature se limite à une série de lettres
officielles apparemment en français, mais dans la variante dialectale dite
« de bois », missives signées, respectivement, Camille Rabehanta (commissaire
du salon), Bernadette Chirac, Lioudmila Poutine (la Russie était à l’honneur
cette année), Gilles de Robien, A. A. Foursenko (Ministre de l’Éducation et de
la Science de la Fédération de Russie), Renaud Donnedieu de Vabres et Catherine
Colonna. Il faut dire que lorsque j’ai lu sous la plume de Robien combien les
progrès en matière d’apprentissage des langues à l’école étaient conséquents,
je n’ai guère eu envie d’aller beaucoup plus loin.
Ce que je pus en tout cas vérifier par moi-même,
c’est le peu de langues représentées : 60 s’enorgueillit la brochure ;
moi j’en ai compté 24 sur la liste des stands ; j’ai pu en oublier
quelques unes, et j’ai vu d’ailleurs que certains stands n’étaient pas
mentionnés, mais lorsque je lis dans la lettre introductive de la commissaire,
que les 23 langues officielles de l’Union européennes « sont bien sûr présentes », je me demande où elle
les a trouvé… Comparativement, il suffira de rappeler que pour son édition
2006, le Forom des langues de
Toulouse, organisé par Claude Sicre et ses amis, en présentait au moins 120, parlées
dans la ville rose, ce qui reste évidemment très peu à l’échelle mondiale, mais
enfin incomparablement plus que n’en offre la très officielle Expolangues. Donc très peu de langues en
fait, pas de langues africaines (à part l’arabe), pas de langues amérindiennes,
pas de langues asiatiques en dehors du chinois et du japonais, etc. etc. Par
contre évidemment, l’anglais, le français, l’espagnol et l’allemand se taillaient,
avec le russe (aucune autre langue de l’ex empire russe n’était présente et
surtout pas le tchétchène !), la part du lion… Sans doute faut-il être
suffisamment argenté pour louer un stand (je n’ai pas eu le temps d’enquêter
sur les prix, mais il sont, m’assura-t-on, salés). Et les « langues
pauvres », nationales ou non, sont nombreuses. En tout cas, j’ai tout de
suite pensé que le matin même, dans le RER et le métro, j’avais sans doute
croisé des locuteurs d’un nombre incomparablement plus grand de langues que les
quelques unes présentes sur les stands. Ceux-là peuvent continuer à bosser pour
nous dans l’abnégation et le silence, ils sont sûrs de n’avoir jamais une quelconque
reconnaissance linguistique et culturelle à la foire des langues... Ce serait
d’ailleurs une excellente initiative que de créer un forom des langues de Paris, les mêmes jours qu’Expolangues, une
sorte de off, protestataire et
festif. Les communautés de locuteurs, à Paris plus encore qu’à Toulouse, ne
manquent évidemment pas ; il serait aisé, j’en suis sûr, d’en mobiliser
plusieurs centaines.
J’en était là de mes
réflexions, quand je tombai, au centre de l’exposition sur le stand de la
Délégation Générale à la Langue Française et aux langues de France, qui
présentait des outils informatiques : logiciels de traduction automatique,
mémoires de traduction, identificateurs des langues, dictionnaires multilingues
électroniques, vantés par le ministre dans son petit mot introductif... debout
devant de petites tables rondes haut perchées, des hommes en costumes cliquaient
sur des ordinateurs portables. Je demandai à une hôtesse ce qu’elle pouvait
offrir comme documentation sur les langues de France : elle me donna une fiche
cartonnée, recto-verso : Les langues de
France : un patrimoine méconnu, une réalité vivante, signée Nina Catach.
Comme j’insistai, trouvant cela bien maigre, elle me dit que c’était déjà « mieux
que rien » et me tendit la brochure de 5 petites pages intitulée La langue française à travers les âges,
où il n’est d’ailleurs nulle part question du rapport du français, dans son
histoire, avec les autres langues parlées sur le territoire présent (il n’est
d’ailleurs fait aucune allusion à l’histoire des frontières de la France :
la France est hexagonale et éternelle, ou elle n’est pas). Il n’y est fait
allusion qu’au « bilinguisme » médiéval français/latin (je sais donc maintenant
d’où viennent quelques unes des simplifications falsificatrices du dépliant sur
les mots migrateurs). Pour être honnête, il me faut ajouter qu’en farfouillant
dans les rayons, parmi de très nombreux fascicules et glossaires concernant le
français, je dénichai un petit livret destiné aux enfants (Des langues plein les poches, 2003),
plutôt bien fait, ainsi que le n° 8 de la petite revue Langues et cité, bulletin de l’Observatoire Linguistique, qui
contient des choses intéressantes, notamment une petite page sur les résultat
de l’enquête en Auvergne qui fait apparaître, dans ce désert de la politique
linguistique comparable au Limousin, que 71 % des gens, contre tout ce que nous
répètent depuis des lustres politiques, administratifs et médias, se disent
favorables au maintien et au développement de la langue[1]. Quoi
qu’il en soit, mis ensemble, ce que j’avais pu glaner était est une vraie
misère. Noyées dans un flot de documentation consacrée au français, les langues
de France étaient à la DGLFLF complètement invisibles et bien mal servies.
Pestant et rageant, je ne tardais pas à rencontrer les stands superbes et opulents de la Generalitat de Catalunya, du Govern de les Illes Balears, de la Xunta de Gallicia, de l’Eusko Jaurlaritza (Gouvernement basque). Quelques mots de sympathie échangés et l’on me couvre de prospectus, de calendriers, de marque-pages, de posters, de colifichets, mais aussi de livres – parfois de grandes valeur – de Cd roms de textes, de Cd musicaux, de Dvd[2]... Autrement dit des échantillons substantiels de la production culturelle en catalan, en gallicien, en basque... Les grandes poches de papiers ne suffisant pas, un animateur du stand de Gallice me voyant empêtré me rejoint dans les allées pour m’offrir une grande sacoche aux armes de la Xunta... Certes on pourrait trouver à redire sur cette communication fastueuse, qui oscille entre la gadgétisation culturelle et l’effective promotion de la littérature, des arts et du savoir dans les langues d’Espagne, mais quand on vient du stand de la DGLFLF, c’est Bysance ! l’Eldorado linguistique !
une page de Rory Ryder, Learn 101 Galician verbs in 1 day, livret associé au site www.learnverbs.com
Cette impression ne pouvait justement être que confirmée par la très maigre présence dans l’exposition desdites langues de France, limitée en fait aux deux petits stands de l’ Ofis ar brezhoneg (Office de la langue bretonne) et de l’Amt für Sprache und Kultur im Elsass (Office pour la langue et la culture d’Alsace), autrement plus modestes et économes que les espagnols. Pas de stand occitan donc, trop onéreux pour l’IEO sans doute, à moins que l’on ne soit trop occupé par la préparation du 17 mars... Ou plutôt, il y avait bien un stand où l’on pouvait parler occitan, mais il s’agissait d’un stand anti-occitan ! Oui, le stand du Couleitiéu Prouvenço, distribuant un tract appelant à la contre-manifestation d’Arles le même 17 mars : « Lou Couleitiéu apello lou pople de Prouvènço à s’auboura fin de pas cabussa dins uno gloubalisacioun óucitano e pèr serva soun èime » Lutter contre la globalisation occitane… pour ces provençaux, la globalisation, c’est donc l’Occitanie ! Je ne pus évidemment pas m’empêcher d’aller chercher querelle, disant à la dame et au monsieur qui tenaient le stand que plutôt que de manifester « contre », il vaudrait mieux qu’ils manifestent « pour », et avec « nous », si leur objectif est bien pour eux, comme pour nous, « leur » langue. S’ils veulent parler des langues d’òc au pluriel, après tout, cela est leur droit le plus strict ; on ne va pas faire la guerre pour un pluriel ! Le monsieur n’était autre que Jean-Pierre Richard lui-même, le président du collectif, qui me répondit du tac au tac que « nous » voulions les submerger, anéantir leur « identité », imposer notre langue artificielle et « nos » calandretas (ostensiblement prononcé « a ») à la Provence comme nous l’avons fait dans toutes les autres régions où se parlent « les » langues d’òc. Il ne suffit pas de répondre que l’occitan est une langue dialectisée, qui comme telle reconnaît toutes les spécificités provençales, car l’argument massue est toujours celui de la graphie « classique » qui serait la preuve de l’imposition du même occitan standard à tous. Même la reconnaissance de la graphie mistralienne est une concession insuffisante : nous ne pourrons discuter que le jour où nous reconnaîtrons que l’occitan n’existe pas ! A ce discours se mêle la revendication d’être français et fier de l’être, alors que « nous » serions tous des nationalistes occitans, affichés ou couverts. Je dois dire qu’il me fut très difficile de m’expliquer, même si n’entrait dans la discussion aucune animosité personnelle. Par exemple, si je disais que j’étais originaire d’Albi, mais installé près de Limoges, alors c’est que j’étais allé imposer le languedocien central en Limousin, pauvre région de langue d’òc ayant perdue son « identité » (les limousins apprécieront). Quand je disais que j’avais appris la langue, tout devenait clair : j’avais « appris » le languedocien et ne le parlait donc pas (je retrouvais le vieil adage selon lequel le patois se sait et ne s’apprend pas) ; je ne pouvais pas dire que j’avais appris la langue de mes grands-parents, etc. etc. J’ai vraiment pensé, à moment donné, que j’avais affaire non tant à des gens de mauvaise foi, que bourrés de préjugés, d’idées toutes faites, erronées et d’abord sur la manière même dont ils construisent leur adversaire, dans leur façon de camper le portrait-robot de l’occitaniste et d'identifier une supposée langue uniformisée (qui n’existe pas et dont la grande majorité des occitanistes combat le projet. Voir sur ce blog l'âpre discussion au sujet de Tvist'1), à partir de la question de la graphie. Mais j’ai eu justement l’impression qu’ils ne connaissaient que très mal cette graphie à laquelle ils s’opposent, qu’ils ne la lisent pas et ne veulent pas la lire, alors que « nous » lisons, sans difficulté et sans animosité particulière la graphie mistralienne. La question de la graphie est en vérité le cœur du problème, pour tout ce qu’elle induit, parce que le choix d’une graphie calquée sur le français ou d’une graphie normée indépendamment de la langue nationale, détermine évidemment une relation au français – acte d’allégeance culturel et politique ou au contraire visée émancipatrice – et implique en effet le morcellement en langues et pays séparés ou bien signe au contraire une appartenance commune, insupportable pour beaucoup qui, en fait, n’acceptent, au-delà de leur propre « identité » locale, que la seule et unique identité nationale, française évidemment.
couverture du dernier n° de la revue du Collectif Prouvènço
Cela je n’ai guère eu l’opportunité de le
formuler, car la conversation fut interrompue lorsqu’un jeune homme, probablement
locuteur de l’une de ces langues qui ne seront jamais invitées à Expolangues,
est venu distribuer une publicité pour un traiteur offrant ses services aux
exposants, entièrement rédigée en anglais et qui vantait la saveur de ses
chiken wings, and so on. Cela avait,
apparemment, de quoi mettre tout le monde d’accord.
Au fond, dans mon métro, tout en regrettant
amèrement l’absence d’une voix pour porter la bonne parole des régions
occitanes, je me disais naïvement, en veine d’évangélisme, qu’à force de
discussions, on « devrait » arriver à gagner à la cause commune
jusqu’au Collectif Prouvènço, comme on a pu le faire avec le Félibre, quand
j’entrepris la lecture du n° 15 de Me
Dison Prouvènço, gracieusement offert par J.-P. Richard. Je tombai en effet
sur la lettre ouverte de celui-ci, visant à protester contre un enseignant qui,
selon ses affirmations, auraient fait flotter le drapeau du PNO sur son lycée
(Barbara Hendricks, Orange). N’ayant aucune information précise sur cette
affaire je me garderai bien d’accréditer ou de nier la chose. Dieu seul connaît
mon peu de sympathie pour les thèses du Parti Nationaliste Occitan : mais
en lisant cette lettre m’est venu un irrépressible haut-le-cœur, lorsque son
auteur dénonce ainsi à Madame le proviseur, le professeur soi-disant membre de
ce « groupuscule [le PNO] qui… va à l’encontre des intérêts les plus
évidents de la République Française dont [elle est] supposée la
représentante ». J’ai trouvé ces mots d’une vilénie sans pareille, même
s’ils énoncent une évidence : tous les coups sont donc permis pour imposer
sa propre conception de la langue et de la culture provençale contre ceux qui
ont sur la question d’autres opinions, tout aussi respectables, même si l’on peut
être en complet désaccord. Et puis, dans la même lettre, l’occitan est qualifié
de « gai sabir »,
« vecteur visant à fondre tous les pays d’Oc dans un « melting pot ». Cette accusation de
fusion est fausse, une fois encore, mais je trouve que l’expression
médiévalisante de gai sabir (remarquable jeu de mot, le saber comme sabir !) sent son anti-intellectualisme à plein nez, et surtout que l’usage ici du syntagme de « melting pot » (qui d’ailleurs vaut
bien les chiken wings) a comme des
relents de purification culturelle, sinon ethniciste, qui n’ont rien a envier
aux thèses les plus dures de Fontan, le théoricien du PNO nommément dénoncé
dans la même lettre. D’ailleurs, à propos de melting pot, le métro parisien est vraiment un endroit génial. Le off d’expolangue devrait se faire dans
le métro.
lettre d'accueil donnée aux Baléares aux parents d'enfants à scolariser
[1] Contient aussi, d’A. Filhon,
« Transmission et pratique linguistique en Ile-de-France » ;
J.-M. Géa, « Marocains de Corse : entre deux pays et trois
langues » ; J.-B. Martin, « Le laboratoire
francoprovençal » ; F. Broudic, « Médias et langue bretonne au
début du 21e siècle » ; M. Bras, « Le projet
teloc : construction d’une base textuelle occitane ».
[2] En particulier la magnifique anthologie réunie par Joan Miralles i Monserrat, Antologia de textos de les Illes Balears. Vol. I, segels XIII-XVI, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2006. Un beau livre de poésie des Baléares aussi, enfin beau par sa facture, quant au contenu je l’ai trouvé quand même bien clicheteux et qui plus est confit de religiosité : Diego Sabiote, El Pi de Costa i Llobera. Llum i ofrena, Govern de les Illes Balears, Lleonard Muntaner, 2006. Un seul exemple qui démontre que leur langue est aussi indiscutablement la nôtre : Menorca:/ Metàfora mediterrània/ de pedra, llum, mar, cel,/ vent i de matí clar,/ i una conçó d’aigua/ que no s’acaba. On m’a aussi donné les Cd roms contenant les Dietaris (journaux) du grand Antoni M. Alcover, ses Quaderns de camp (cahiers de collectage)… deux Dvd intéressants, l’un sur Raymond Lulle (Ramon Lull. Ciència i acció) et sur la naissance du cinéma en Catalogne (El naixement del cinema. 1895-1905 ; El món dels pioners, 1906-1913), édités par la Fundació videoteca dels països catalans, etc. etc.