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Mescladis e còps de gula
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Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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9 août 2006

L’histoire au secours du plurilinguisme

 

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La Tour de Babel de Marta Minujin

 

L’histoire au secours du plurilinguisme

 

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Je viens de lire un article daté de 1977, du linguiste et historien de la langue italienne et des « dialectes »[1] parlés en Italie, Francesco Sabatini devenu depuis président de l’Accademia della Crusca[2]. Son approche est forcément intéressante, parce qu’elle articule histoire des langues et histoire politique et sociale, et bien qu’il ne soit certes pas un grand défenseur des « langues minorisées »[3], il nous apporte néanmoins des outils et des arguments pertinents, fondés sur ses connaissances historiques.

            D’abord il adresse à l’historiographie linguistique italienne de la génération précédente une objection considérable, en remarquant qu’elle implique une distinction entre une « vision proprement historique, réservée à la langue destinée à l’affirmation hégémonique et une vision substantiellement géographique, appliquée aux langues de plus humble destinée (confiée volontiers aux dialectologues) » (p. 9, je traduis). C’est très vrai, il y a un destin historique des langues nationales qui s’oppose à la géographie des rémanences et des inerties « dialectales », dont on dresse la carte en négligeant d’en faire l’histoire, ou plutôt en faisant comme si ces idiomes, patois et parlures n’avaient d’autre histoire que celle de leur nécessaire disparition.

            Mais il ajoute que cette distinction doit être reconduite à une dissociation plus générale : l’absence, ou l’insuffisance en tout cas, de lien explicite entre le devenir historique des langues et « les processus de transformation interne et d’interaction externe des communautés sociales ». En clair, on ne peut pas faire d’histoire des langues sans faire d’histoire sociale et politique, car « l’action des forces de nature politique (…) conditionnent l’histoire linguistique » (p. 10).

            De cette vue générale, il tire une double critique : de l’angélisme qu’il suppose chez ceux qu’il appelle « les défenseurs à outrance des langues minoritaires » et du « déterminisme » erroné de ceux qui sont hostiles à ces langues.

Concernant les premiers, à mon avis, il manque globalement sa cible, mais ce qu’il dit est en effet efficace contre ceux qui refusent de politiser leur prise de position en faveur des langues minorisées, en en faisant, par conviction ou opportunisme, un combat uniquement culturel. Le facteur politique, et donc un passé fait de luttes géo-politiques, de conflits sociaux et d’intérêts économiques, pèse de tout son poids dans le destin des langues. Et Sabatini fait remarquer au passage qu’il n’est pas rare que les minorités linguistiques que l’on veut défendre aujourd’hui, doivent leur naissance à des « actions violentes » : les colonies albanaises de Calabre sont nées de l’établissement de mercenaires au service des rois aragonais de Naples appelés pour mâter des révoltes internes au XVe siècle ; la colonie catalane en Sardaigne fut créée à la suite de la conquête armée de Pierre IV d’Aragon (1354), etc. Il ne s’agit pas, dit-il, de rejeter la faute des ancêtres sur les descendants, mais de mettre en évidence ce poids du politique. Peu importe qu’il y ait là ou non quelque arrière-pensée peu amène pour les minorités, et un arrière-fond de cynisme culturel (ce que la langue hégémonique fait aux langues minoritaires, celles-ci le feraient à celles-là, si elles en avaient le pouvoir)  : l’important est en effet la mise au premier plan de la question politique, qu’il faut bien assumer et il est d’autant plus facile, me semble-t-il, de le faire aujourd’hui que, précisément, nous sommes censés vivre dans le cadre de sociétés civiles pacifiées par des institutions démocratiques. Il s’agit donc de conquérir des droits linguistiques et cette question est en soi politique, même si – il faut y insister – elle n’implique nullement une démarche nationaliste.

La seconde critique est la plus intéressante : ceux qui rejettent toute aide aux langues minoritaires tiennent bien compte de la situation politico-linguistique présente (et pour cause ! puisqu’ils travaillent à son maintien et Sabatini le premier du reste), mais ils en ont une conception « statique et déterministe ». Il s’agit de justifier l’état des choses actuel en postulant des « unités linguistiques au départ », ce qui revient à méconnaître « la réelle dynamique de formation des agencements politiques » (p. 10). Le présupposé est celui de « l’homogénéité linguistique comme une donnée pertinente de la communauté socio-culturelle et politique ». Or ce présupposé, dit-il, est « définitivement démoli par toutes les études de sociolinguistique »[4], et Sabatini renvoie à l’ouvrage fondamental de Uriel Weinrich, Languages in Contact, 1953, traduit en italien, mais évidemment pas en français. Il ajoute : « le concept fondamental, sur lequel nous devrons aujourd’hui être de plus en plus nombreux à nous mettre d’accord est à mon avis le suivant : il n’existe pas de communauté humaine qui ait été dès l’origine ou puisse devenir à la fin véritablement homogène linguistiquement »[5]. Faire donc de l’unicité et de l’homogénéité linguistiques un principe politique, sans lequel la communauté serait en péril, est une erreur, une imbécillité, et se proposer de le réaliser par la contrainte juridique et constitutionnelle est voué à l’échec… du moins c’est ce qu’affirme Sabatini : je serai pour ma part moins optimiste, car on est assez proche, en bien des pays, de la réalisation d’une communauté politique monolingue. Le totalitarisme monolinguiste et monoculturel est une réelle menace politique, d’autant plus pernicieuse qu’il n’est absolument pas perçu comme tel par la majorité des citoyens. Et le fait est que les langues disparaissent aujourd’hui massivement… En tout cas Sabatini nous montre qu’il est absurde de faire du monolinguisme la condition de l’unité politique et de la paix sociale. L’article 2 de la constitution française est une imbécillité au regard de l’histoire. Mais, tout aussi déraisonnable – et à mon sens effrayante – s’avère l’utopie consistant à revendiquer un territoire politiquement autonome pour toute « nation » définie par sa « langue » (les idées du PNO inspirées de Fontan). Je laisse à Sabatini, ce mot de conclusion : « L’histoire de la langue ne peut ignorer que n’importe quelle communauté politique, considérée à n’importe quel moment de l’histoire, est inévitablement composite et plurilingue »[6]. 

 

J.P. Cavaillé

[1] Sur la notion de dialetto en Italie, voir sur ce blog : Un voyage au pays des « dialetti ». Le Salento et ses langues.

[2] «  Minoranze e culture regionali nella storiografia linguistica italiana », in Federico Albano Leoni (a cura di), I Dialetti e le lingue delle minoranze di fronte all' Italiano : atti / del 11. congresso internazionale di studi [della] SLI, Società di linguistica italiana, Cagliari, 27-30 maggio 1977, Roma : Bulzoni, 1979, 2 vol., p. 5-19. 

[3] Voir, sur ce blog : Dialectophones, femmes et nègres, même combat !

[4] «definitivamente smontato da tutti gli studi sociolinguistici », p. 11 (je souligne). 

[5] « Il concetto fondamentale, sul quale (oggi dovremmo convergere sempre più numerosi, è a mio avviso che non esiste comunità umana che sia stata fin dall’origine o possa diventare alla fine davvero omogenea linguisticamente » p. 11. (je souligne) 

[6] « La storia della lingua non può ignorare che qualsiasi comunità politica, considerata in qualsiasi momento storico è inevitabilmente composta e plurilingue », p. 16. 


 

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Commentaires
J
Je comprends vos préoccupations, et je suis pour ma part sceptique sur la<br /> nécessité du lien entre langue et nation, et très circonspect quand on<br /> veut confondre linguistique et politique. Certains nationalistes corses<br /> (ce mouvement est plus complexe que ne le laissent paraître les médias),<br /> par exemple, refusent d'envisager leur langue comme une forme d'italien<br /> (ce qu'elle est pourtant) par obsession identitaire. A l'inverse, des<br /> Valenciens nient contre toute évidence que leur langue autochtone soit du<br /> catalan, de peur que le nationalisme catalan ne les absorbe. Plus près de<br /> nous, Philippe Blanchet refuse d'admettre que le provençal soit de<br /> l'occitan, parce qu'il confond le projet politique (d'ailleurs peu<br /> unitaire) de l'occitanisme avec l'unité, pourtant avérée, de l'occitan.<br /> Cela dit, même si je ne suis pas sûr qu'il y ait vraiment de nation<br /> occitane tant le nationalisme y est marginal, voire groupusculaire, je me<br /> pose la question de l'indépendance, pour trois raisons. La première est<br /> que je suis très pessimiste sur la possibilité que l'Etat français évolue<br /> sur la question du monolinguisme; celui-ci participe intimement des fortes<br /> tendances centralisatrices qui ont présidé à la construction de la France.<br /> La très timide décentralisation (qui pourtant fait peur à certains!) ne me<br /> paraît pas non plus remettre vraiment en cause la forte dichtomie<br /> Paris/Province (aujourd'hui désignée par l'euphémisme de "régions" qui ne<br /> trompe personne) fortement ancrée dans la mentalité française.<br /> La seconde est que le cadre étatique offre une meilleure garantie d'une<br /> législation adaptée qui ne perpétue pas la diglossie mortifère pour la<br /> langue dominée. Je m'explique : la sociolinguistique observe qu'au niveau<br /> social il y a davantage conflit que coexistence pacifique entre les<br /> langues. Si dans des sociétés rurales, relativement fermées, le conflit se<br /> résout par la répartition des langues entre la sphère privée et la sphère<br /> publique, en revanche dans nos sociétés, où l'enseignement, la<br /> communication et les médias sont de masse, les chances de survie de la<br /> langue dominée sont plus faibles. Les exemples québécois et catalan, où<br /> pourtant les langues bénéficient d'un statut juridique avantageux,<br /> montrent que le conflit demeure. Pour aller plus loin, j'observe que le<br /> bilinguisme mis en avant est bien souvent unilatéral : on demande au<br /> Catalan de parler aussi l'espagnol, mais nul ne demande à un Madrilène<br /> d'apprendre la langue de Salvador Espriu. Le Canadien de Montréal parlera<br /> souvent anglais, mais qui lui parlera en français s'il va dans un bureau<br /> de poste de l'Alberta ?<br /> Troisième raison : si je relativise l'Etat en tant que construction<br /> historique, la conséquence en est que mon souci n'est pas de conserver<br /> coûte que coûte un Etat français dont l'organisation ne me satisfait<br /> guère. Je préférerais que notre culture se considère d'abord en elle-même,<br /> sans référence obligée à un pays qui ne l'englobe pas tout à fait (le Val<br /> d'Aran est en Espagne et "las Valadas" sont en Italie). Se considérant en<br /> elle-même, elle s'aimerait peut-être davantage, ce qui peut améliorer ses<br /> chances de survie.<br /> Vaquí mas preocupacions, que pr'aquò significan pas que me vòlga embarrar<br /> dins una identitat calhada. I a dins l'occitanisme una dobertura a los<br /> autres que m'encanta, perque la lenga i es una causa porgida e partejada.<br /> Me pareis èsser un projècte mai generós que fòrça movements<br /> nacionalitaris.
Répondre
T
(j'envoie un commentaire à mon propre blog, afin qu'il apparaisse à la suite et en réponse de celui de Joan Barcelo)<br /> <br /> Je vous remercie de l'intérêt porté à mon texte, et j'essaie de préciser ma pensée sur le point que vous soulevez, en français, vu que la discussion est entreprise dans la langue de Molière comme disait l’autre. Ce ne sont pas les aspirations à l'autodétermination et à la souveraineté que je trouve effrayantes à la fin de ce petit texte, et des occitans pas plus que des autres, mais bien l'utopie d'un monde où chaque peuple, défini à partir de sa langue (ce qui déjà ne va pas de soi), aurait son État souverain, comme autant de cages à lapins séparées les unes des autres, alors que, précisément, le plurilinguisme constitue la richesse et la vie des sociétés humaines. Effrayante en effet, pour moi cette vision du monde à partir de laquelle se pense le nationalisme que je critique enpassant ici et qui décclare qu’il y nation et partant revendication d’indépendance territoriale légitime dès qu’il y a langue. C'est d’ailleurs ce qui caractérise désormais et de plus en plus le nationalisme français (ce qui n'a certes pas toujours été le cas), monolinguiste acharné et qui met en avant jusque dans la Constitution (article 2), l'unicité de la langue, en niant le droit à tout usage public d'une quelconque langue autre que le français sur le territoire national, et en niant ainsi a priori la légitimité de toute revendication d'autonomie linguistique, culturelle et politique, territoriale ou non territoriale. Pour moi, il est clair que cette même définition de la nation à partir de l'unité et de l'unicité décrétée d'une langue et d'une culture, si elle était adoptée et mise en pratique par les occitans, les bretons, les corses etc. mériterait exactement les mêmes critiques. Parce qu'évidemment, quelles reconnaissances en termes de droits lingusitiques, culturels et politiques sera-t-on alors prêt à accorder aux minorités qui ne manqueront pas de se trouver sur le territoire redécoupé ? Quid des migrants ? quid des nomades ? etc. quand je lis que la solution pour les gitans, ce serait qu'ils se trouvent un territoire du côté du Cachemire, je commence en effet à être un peu (!!!) effrayé, même si l'on m'assure que l'initiative ne saurait venir que d'eux-mêmes. La régression à l'infini du nationalisme est toujours possible et le risque inhérent à tout nationalisme est bien celui de l'ostracisme vis à vis tout à la fois des "étrangers" du dehors et "du dedans" ; d'ailleurs la nation en elle-même crée de l'altérité, de l'ostracisme et donc des ennemis potentiels, en faisant le partage entre nous et tous les autres, et en instituant politiquement, juridiquement et culturellement, voire linguistiquement ce partage. C'est pourquoi je ne n'ai personnellement, autant le dire, aucune sympathie pour l'idée de nation, quelle qu'elle soit, sachant bien, cela va de soi, qu'il s'agit d'une réalité historique dans laquelle nous avons à vivre et à agir. Mais la réalité, c'est aussi l'existence de forces culturelles et politiques qui refusent de se laisser réduire à la nation, dans lesquelles, pour ma part, je me reconnais.<br /> Ce qu'il peut y avoir également d'effrayant avec le projet nationaliste (mais ce n'était pas du tout le sens de mon propos), ce sont les moyens que le cas échéant on est disposé à mettre en oeuvre pour accéder à la souveraineté territoriale. Car en ce domaine, me semble-t-il, toutes les situations historiques ne s'équivalent pas, et même lorsque il n'y a clairement pas d'autre solution possible que la lutte armée (ce qui évidemment ne me semble pas le cas pour nous), la chose ne manque pas d'être effrayante et terrible (le Vent se lève de Ken Loadge en dit quelque chose)... Je sais aussi, et les faits – pas seulement les écrits de Fontan, de Ben, etc. – le montrent, que les nationalistes occitans sont foncièrement démocrates et pacifistes. Mais cela ne m'empêche pas de ne pas partager leur projet ni leur idéal, tout en en partageant en effet un certain nombre de revendications. Cette discussion rejoint bien sûr, indirectement, la querelle en cours (en occitan), au sujet de l'affiche Ben prévue pour la manifestation de Bésiers (voir la Setmana, et sur ce même blog).<br /> Plan coralament,<br /> JP C
Répondre
J
Adieu-siatz,<br /> <br /> Coma sabètz, vos poiriái respondre unencament en occitan, mas ja que vòstre article es en francés, e per que los vesitaires que coneisson pas la lenga d'òc me pòscan legir, escriurai dins aquela lenga :<br /> <br /> Si je trouve votre article très intéressant, je ne comprends pas bien en quoi il est effrayant de revendiquer l'autonomie pour un peuple défini par sa langue. Ou plutôt : effrayant pour qui ? Effrayant pour les Etats déjà en place ? Les républicains français, à ma connaissance, ont défini et exporté le concept du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : si une communauté linguistique se définit comme peuple, pourquoi ne pourrait-elle pas revendiquer pour elle un Etat, lequel peut-être lui permettrait d'obtenir le cadre institutionnel le plus stable pour la préservation de sa langue ? Certes, on peut se demander si une communauté linguistique est nécessairement une nation, ou si, à l'inverse, une nation se définit seulement par des critères linguistiques, ou si même ceux-ci sont toujours pertinents, mais le plus effrayant à mon avis, si je parle de l'Etat que je connais le mieux, c'est-à-dire la France, c'est l'ignorance (volontaire ou non) de la diversité linguistique et l'indifférence générale des institutions à l'égard des autres langues que le français. Et je crois savoir que vous êtes d'accord avec moi sur ce point. Maintenant, si en Occitanie (le territoire de la langue d'oc), par exemple, il y avait (je dis bien : "s'il y avait") une aspiration générale et démocratique de la population à s'émanciper des tutelles française, italienne et espagnole pour former un Etat, où serait le problème ? Bien sûr, les Etats français, italien et espagnol feraient sans doute tout en leur pouvoir pour maintenir leur unité, mais faudrait-il reprocher aux peuples leur désir d'indépendance ? <br /> Que ne pensatz ?<br /> Salutacions plan coralas,<br /> <br /> Joan Barceló
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