L'une des sérigraphie de Hervé Di Rosa contenues dans l'ouvrage en pleine page: L'Hérault
A propos de Hervé Di Rosa, Claude Sicre, Notre Occitanie, Montpellier, Éditions Anagraphis, 2020
Sicre / Di Rosa ou Le triomphe de l'Occitanie modeste
Je viens de lire le petit bouquin grand format qui réunit le chantre des arts modestes et « l’ingénieur en folklore », qui nous fait souvent ici l’honneur de ses commentaires. J’avoue que je redoutais un peu que ce Notre Occitanie dont la première page est signée par la présidente Carole Delga, avec ses deux séries d’œuvres sérigraphiques di rosiennes illustrées de textes sicréens, l’une intitulée « nos richesses » et l’autre « nos départements », ne soit essentiellement dévolu à faire de la réclame pour l’ex Nouvelle Grande Région Occitanie. Mais ce n’est pas du tout le cas, même si la réclame est bien présente (voir infra). Mais la réclame il est vrai, à l’ère de l’arrogante publicité, possède un charme désuet, que les arts modestes chers à Di Rosa savent bien réhabiliter.
Bric-à-brac : Di Rosa, Rimbaud et le Félibrige
D’abord Sicre, dans son texte, parle très bien de Di Rosa et de tout le « bric-à-brac » du MIAM, créé à Sète en « alternative à l’arrogance culturelle » parigote, pour « revaloriser des cultures humbles et questionner les frontières de l’art contemporain » (Di Rosa dixit, p. 15). Sicre associe en effet les arts modestes aux « jeux-sports modestes » (pétanque etc.), aux « musiques modestes », à « la philosophie modeste et tout le reste modeste », et il y a là un champ qui s’ouvre à la réflexion en matière d’art et de politique : la « modestie » des petits semble conforter la suffisance des grands (de ceux qui se croient tels), mais ceux-ci, en détournant leurs yeux pleins de mépris des vaines et ridicules activités des subalternes, leur abandonnent sans le vouloir un espace de création et de subversion qui leur sera un jour fatal. Telle est du moins la modeste élucubration que je propose, assez loin je pense de l’approche sicréenne.
Mais Sicre va plus loin, en établissant un parallèle osé, mais juste, entre les mille objets pop du MIAM (figurines publicitaires, boites à soupe, BD…), et la réhabilitation rimbaldienne des genres culturels les plus méprisés par les élites de son temps. On connaît le merveilleux passage d’Une Saison en Enfer : « j’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de Saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, libres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs ». Sicre tente même un rapprochement un peu funambulesque entre d'une part ce Rimbaud des refrains niais… et, d’autre part, son contemporain Frédéric Mistral et le grand mouvement du Félibrige qu’il initie (l’année de naissance de Rimbaud : 1854 !) et accompagne : « recherche, étude, re-publication de tout ce qu’on trouvait en langue provençale. Et renaissance de l’écrit dans cette langue. Recherche de toutes les histoires orales, des contes, des chants et des chansons, des danses, des poésies, des dictons, des expressions, des mots oubliées » : « ce sera le particularisme et le folklore face à l’universalisme uniformisateur » (p. 19). Entre ce particulier assumé et cet universel prétendu le contraste est pour le moins violent, et la victoire du second n’est et ne peut être jamais entièrement consommée. Soit ce passage à la fois ironique et très sérieux : « la France républicaine a décidé, généreusement mais avec poigne, de tirer ses populations de ses ghettos ethniques (je traduis), de ses ‘superstitions’ en patois locaux, de son latin d’église, de ses contes de fées, de ses refrains niais, de son théâtre paysan, pour offrir à tous (tous dans l’idéal du projet) cet accès aux lumières de la raison critique, du progrès scientifique et technique, de sa philosophie et de sa littérature émancipatrice » (p. 8). Ironique est très sérieux, parce que, résolument, Sicre comme avant lui Castan, est des deux côtés à la fois, comme si les deux versants étaient constitutifs d’une culture nationale à laquelle nous ne saurions échapper. Comme on le voit, on est ici assez loin de la réclame !
Le Gâchis
Car, quand même, je ne peux m’en empêcher d’y revenir, ce titre-réclame, Notre Occitanie, m’étrangle. Parce que cette Occitanie soit-disant « notre » se confond de fait avec la région qui en a piqué le nom. Sicre ne fait qu’évoquer, en passant très vite, dans l’une de ses mille parenthèses (on y reviendra), « ce trouble que constitue la confusion possible entre Occitanie désignant tous les pays d’oc et l’Occitanie région, trouble qui [assure-t-il] apporte une saveur particulière à notre propos » (p. 5). Cette saveur, pour nous, est bien amère et la confusion avérée, puisqu’elle n’est pas même affrontée : l’ Occitanie, dans ce livre, est bien d’abord et seulement la région de ce nom, se nourrissant certes de pas mal d’éléments culturels occitans non identifiables à la région nouvelle stricto-sensus, de Guillaume d’Aquitaine à Mistral, par exemple... Mais, quand même, c’est dur à avaler, et ça me reste bien là, en travers de la gorge, car le « gâchis » centraliste dénoncé dans le livre – j’y viens car ce ton dénonciateur, de la part de Sicre, est pour moi une très bonne surprise – , c’est aussi ça : la fabrication par le centre, en une nuit et sans aucune forme de vote ou quoi que ce soit, de grandes-régions baudruches. Et aussi ça : trouver acceptable d’en nommer une "Occitanie", en s’appuyant sur un simulacre de consultation populaire par la presse et internet (voir ici Occitanie : du projet occitan à la nouvelle "grande région"), qui laisse ce goût si amer, ce sentiment d’un tel gâchis, chez tous ceux qui, comme moi, hors de ladite région, considèrent que l’Occitanie, c’est partout où l’on parle (enfin, où l’on parlait...) occitan, tous ceux auxquels, bien sûr, on n’a bien demandé.
Mais, justement, Sicre nous parle de façon insistante et bien peu protocolaire du gâchis centraliste dans ce livre, certes en refusant d’en assumer explicitement la dimension politique et administrative : sinon il eût fallu bien sûr qu’il soulignât, comme je le fais ici, le gâchis de ces régions décrétées sans l’ombre d’un débat dans les coulisses du pouvoir hollandesque. Mais au moins ose-t-il répéter, enfoncer le clou, déplorant « l’énorme gâchis (d’idées, de rêves, de talents, d’énergie, d’argent, de petits et de grands bonheurs) qui a plombé la culture française pendant longtemps », appelant à « mettre bas un système de gâchis nuisible à tous... », déplorant qu’il y ait « en France tellement d’idées toutes faites et de préjugés ridicules sur la langue d’oc et les langues régionales (et du coup sur les langues en général) (d’où le gâchis qu’on sait) qu’il faudrait une encyclopédie de 1000 pages pour les recenser », etc. J’ai même commencé à compter : au bout de 10 occurrences du mot « gâchis », je me suis arrêté, cela commençait à me gâcher le plaisir de lecture.
Comment ne pas être d’accord, en effet, avec les critiques sicréennes du centralisme culturel ? « L’hyperconcentration de toute la machinerie essentielle de production, de diffusion, d’évaluation, de critique de promotion, de valorisation, de médiatisation, de célébration, d’internationalisation et de commémoration des œuvres laisse ces politiques [les politiques culturelles] aux mains d’un tout petit milieu, dans lequel les pires adversaires se réconcilient sans état d’âme quand péril décentraliste il y a en leur demeure commune » (p. 16). Et il invoque à ce propos les témoignages recueillis de « retraités » et « d’exclus » du système.
La Province
Dans un « entracte » trilingue (tout français, une partie en catalan roussillonnais, et un peu en « occitan du Rouergue » : perque pasn? Mais la langue est quand même assez peu présente dans ce livre, qui en parle tant), « pour aller au fond des choses », le centralisme culturel est appréhendé à travers la production et reproduction du clivage Paris / province : ces deux P (pets?) n’existent « que dans leurs rapports : [...] c’est l’axe idéologique central et commun, le plus souvent à l’insu des auteurs, de tous les romans, toute la poésie, tout le courriérisme littéraire, social et politique, toute l’histoire et la géographie, toutes les sciences humaines et sociales naissantes... » etc. « Relisez maintenant et vous allez voir ça PARTOUT ! ». Et, en effet, en ces quelques jours, je n’ai pas arrêté de buter sur « ça », trouvant par exemple dans l’autobiographie de la philosophe académicienne Barbara Cassin des expressions incroyables et dénuées de sens, telles que « chambres de province » (ah, nous avons donc en province des chambres de province ?), et même de « gâteau provincial » (bien sûr délicieux, mais qu’est-ce qui fait qu’un gâteau est provincial ?) (Aïe ! me voilà contaminé par la parenthésite ! voir infra). J’ai aussi entendu Cassin associer sur France Culture le fait que feu son mari, Étienne Legendre, était un « provincial » et le fait qu’il n’était pas, comme elle, un grand intellectuel… J’ai aussi entendu sur la même chaîne, deux jours après, une savante de l’INSEE, parler de l’attractivité des « régions de province », ce qui semble un pur pléonasme, s’il est vrai que la formule « en région » est désormais mise pour « en province », mais qui ne l’est pas, car il s’agit de distinguer, une région de toutes les autres, l’Île-de-France, qui ne saurait être en Province, puisqu’elle contient Paris ! J’ai vu depuis que l’expression « régions de province » est bien ancrée sur google… Et tout cela donne évidemment raison à Sicre qui, « pour aller plus loin sur la province », dit entre parenthèses (le plus important est toujours chez lui entre parenthèses, oui, je vais y venir!) : « ne pas oublier que le ‘statut’ du provincial a servi de modèle à la pensée française de l’étranger, et de l’indigène colonisé ». Proposition un peu étonnante de la part de Sicre, qui sera le premier sans doute à rappeler, contre ceux qui parlaient de « colonialisme intérieur » (Jean Larzac, pour ne citer que lui), que la pleine citoyenneté du provincial devant la loi en fait tout autre chose qu’un « indigène » colonisé. Mais la déclaration vaut quand même, car c’est bien la projection dans la relation de la métropole aux colonies de celle qui oppose la capitale à la province qui donne l’une de ses spécificités – mais non certes la seule – au colonialisme français (14). Et Sicre de souligner la construction sur ce schéma d’une série de « clichés binaires » : de Paris / Province on glisse à langue / patois, mais aussi à civilisé / sauvage, intelligence / sensibilité, etc. et pour finir à savant / populaire (ibid).
Ça craque...
Mais Sicre est d’un increvable optimisme : les choses changent, fût-ce bien lentement ! « ça craque » et là je veux le citer, intégralement et exactement, car la chose est trop belle :
« CRAaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaCCC !
(ça met longtemps.)
(Faut être patient !) ».
Le style de Sicre, on le voit, ne manque pas de fantaisie, et j’ouvre enfin moi-même une grande parenthèse virtuelle pour parler de ses multiples parenthèses : elles se suivent à la queue-leu-leu en de longues phrases sinueuses dont le maître des conversations socratiques a le secret. Par exemple, p. 10, j’en ai compté onze dans une seule (et interminable) phrase. Une critique bien sentie de Guy Debord, qui usait lui aussi avec un parfait naturel centraliste de la notion de province, est enchâssée dans trois parenthèses successives (p. 17), etc. La parenthèse devient, du coup, un véritable effet de style, permettant de passer d’une idée à l’autre sans faire trop de notes et en retombant plus ou moins sur ses pieds, au risque d’y perdre quelques uns de ses petits.
Voilà, la mienne, je la referme, pour citer encore l'auteur sur ce sujet : « on dirait aujourd’hui que les soldats du maintien de l’ordre centraliste ne voient plus, pour garder leurs pouvoirs, qu’une seule alternative à nous vendre : soit la soumission active au modèle nord-américain, souvent fascinée par ce qu’il a de pire, soit l’aspiration au retour à un passé bien ‘français’ idéalisé » (p. 16). C’est vrai, là encore je suis d’accord. Et, en « concurrence aux modèles venus d’en haut, ou de loin (par l’État ou par l’argent) (ou par les deux alliés, caractéristique française), et qui sait profiter de ce qu’elle a appris de ces modèles, et conserver les acquis », il en appelle à la « connaissance approfondie de son propre patrimoine, le désir de participer à sa protection, son enrichissement, son embellissement, ses transformations décidées en commun » (p. 16). Pour ma part, j’avoue que la patrimonialisation accélérée de ce qui reste de langue et de culture occitanes me désolent plutôt, mais c’est sur l’invention et la création que Sicre met l’accent et l’on ne peut qu’être d’accord là aussi avec lui, bien qu’aux « transformations décidées en commun » (par consensus ? et établi selon quels critères ?), je préfère les décisions locales, venues du bas. Mais sans doute, au fond, Sicre veut-il dire la même chose, lorsqu’il lance par exemple l’idée de la création de « centaines de musées z’amusants », à l’égal du MIAM sétois de di Rosa. Et là aussi on comprend qu’il ne s’agit certes pas de s’enfermer dans les musées, mais aussi de jouer aux boules, aux quilles, de pratiquer le rugby et mille autres sports, divertissements, musiques et danses bien vivantes, anciennes et nouvelles.
Comme Sicre cite le champion de boules Bernard Champey, il m’a fait penser au bouliste Bepi Donal (Joseph Donadello), lui aussi occitalien, et à son incroyable jardin de statues peintes à Saiguède, et à son copain Calogero Gantitano de Fontenilles, qui travaille un peu comme lui… Et au « village occitan » de Henry de la Costète à Lunas, etc. etc. Certes, avec tous ces artistes « modestes » que l’on trouve présentés dans Le Gazouillis des éléphants de Bruno Montpied (2017), et d’autres qui restent à découvrir, il y aurait de quoi organiser de petits et grands circuits dans toute la région. Òc tot aquò es fòrça plan.
L’autonomie du centralisme culturel en question
Là où je tique par contre, c’est d’abord devant l’idée récurrente selon laquelle « l’énorme gâchis » qui plombe la culture française, fut historiquement un mal nécessaire, « un prix à payer pour de moins grands malheurs, politiques et sociaux ceux-là ». Mais quels sont ces terribles malheurs dont le centralisme politique, administratif, économique et culturel nous a épargné ? Si le centralisme à la française est unique, c’est bien que les choses auraient pu se passer autrement et que bien d’autres scénarios de construction d’un État-nation moderne étaient possibles. D’ailleurs, la forme État-nation et même la forme État tout court n’est pas elle-même une fatalité que nous ayons à subir pour l’éternité (voir par exemple les remarquables réflexions de James Scott aujourd’hui comme celles de Pierre Clastres dans les années 70).
La nécessité en histoire ne s’impose jamais qu’a posteriori, et l’invoquer pour expliquer, voire légitimer un état de fait présent, est toujours selon moi une entreprise biaisée et surtout une faute de logique, le refus du principe de contingence selon lequel les choses, à tout moment, peuvent toujours se passer d’une façon ou d’une autre.
Quoi qu’il en soit, le plus gênant, d’un point de vue là encore de méthode, est de considérer que l’on puisse parler du centralisme culturel séparément : « La centralisation politique (administrative, économique, etc.) à la française, je n’en discuterai pas ici les bienfaits et les méfaits, ce n’est pas mon sujet, l’histoire en est connue. Le centralisme intellectuel et culturel, maladie de la centralisation, lui, reste inconnu au bataillon ». Cela veut-il dire que le centralisme culturel est une pathologie (inévitable mais que l’on pourrait soigner pour elle-même et en elle-même ?) du centralisme politique, administratif, etc. dont il faudrait reconnaître aussi les bienfaits et qui, en substance, malgré ses mauvais côtés, ne saurait aucunement être mis en question ? Mais comment donc traiter du centralisme culturel sans en même temps parler de tous les autres ? Comment questionner et critiquer le premier, sans engager les autres et bien sûr le centralisme politique au premier chef ? J’avoue ma perplexité, plus même mon étonnement, que me suscitaient déjà les textes de celui que Sicre nomme « le sage de Mount Alban », Félix Castan, dûment cité au même endroit (p. 13).
Je lis encore : « le centralisme est depuis longtemps autonome de ses conditions de productions passées, […] il est devenu en profondeur ‘l’idéologie française’, [...] son influence, au-delà de son domaine est considérable sur toute la vie politique et sociale et […] aucune réforme politique ne peut l’atteindre » (p. 13). Mais qui a dit que ces conditions de production appartiennent à un passé révolu ? Les régions françaises, agrandies à coup de hache, n’ont toujours aucune autonomie politique, administrative, fiscale ; aucun droit ne leur est reconnu de lever l’impôt, et elles sont ainsi toujours trop pauvres et dépendantes pour pouvoir être d’un quelconque poids dans le concert des grandes régions d’Europe ; cette évidence est sous les yeux de tous, partout ailleurs et même en France, où cependant il ne faut surtout pas l’énoncer, car tout le monde serait alors obligé de voir et de dire que le roi est nu et la décentralisation une foutaise. Il est bien sûr impossible de traiter de centralisme culturel sans prendre en compte les dimensions politiques, sociales, économiques du problème. Cela est d’une telle évidence, que je m’excuse même d’avoir à énoncer de pareilles trivialités. L’une des conclusions que j’en tire est qu’évidemment, si le problème culturel est toujours en même temps politique, je ne vois pas pourquoi nous devrions agir au nom d’hypothétiques « devoirs » que nous aurions envers « nos régions » (et donc envers notre pays), en dehors de toute tentation revendicative sur le plan culturel. Sicre félicite les peintres Soulages et Di Rosa de ne rien « revendiquer » (p. 9). Lui-même répète à l’envie que sur son terrain, celui de la culture, il ne revendique rien ; ses revendications, il les formule par ailleurs dit-il, comme « citoyen ». Cela veut-il dire que la culture n’est pas… citoyenne ? Cela veut-il dire que les droits que nous réclamons en matières culturelle et linguistique, ne sont pas légitimes ? Car s’ils le sont, je ne vois pas pourquoi nous devrions mettre un point d’honneur, comme citoyens, artistes ou boulistes, à ne rien revendiquer !1
Bref lisez ce dernier opus de Sicre, tournez les pages multicolores de Di Rosa et faites-vous votre idée
Jean-Pierre Cavaillé
Voir également ici de et sur Claude Sicre du plus récent au plus ancien:
Claude Sicre - Universitat Occitana d'Estiu - Une nouvelle conception du stage musique, chant et danse
Claude Sicre : Identité et civilité. 42 thèses sur le jeu de l’Occitanie
Retour vers le futur : Sicre, Identité et Civilité
Ce que la « population » attend de l’occitanisme
L’occitan « langue ethnique » selon Claude Sicre
discussion d'un texte de Claude Sicre : Identité et civilité. 42 thèses sur le jeu de l’Occitanie
La Linha Imaginòt una bona revista occitanista… sens occitan
sans compter ses multiples interventions ici à la suite de divers posts...
1 C’est un thème sur lequel Claude Sicre revient souvent. J’ai par exemple trouvé ce bout d’interview (non référencé) dans un coin du web (un forum de parapentistes!) : « N’est-il pas difficile de revendiquer l’Occitanie sans passer pour un pro-régionaliste ?
Premièrement, je ne revendique pas l’Occitanie. Je ne suis pas un revendicateur, je ne revendique rien, je propose des choses. Je ne revendique même pas contre Le Pen car par mon discours et ma théorie, je casse les fondements de sa pensée. Par mes manifestations et par mes actions de tous les jours dans mon quartier, je démonte la théorie sur laquelle repose son idéologie.
Donc en fait, je ne parle pas de l’Occitanie, je parle de culture et de littérature occitane. Deuxièmement, je suis anti-régionaliste, dans mes discours, mes chansons et mon action, car le régionalisme, c’est toujours un petit nationalisme. Comme l’universalisme, qui est en fait, toujours, l’expansion d’un nationalisme à l’étranger. ». Je me souviens aussi du tract que Sicre distribuait lors de la manif de Béziers en 2007 et qui s’intitulait « Nous ne revendiquons rien ». Je lui avais consacré déjà alors ici même un petit post : Una lectura del tract : Reivindicam pas res
Par Michel Feltin-Palas
(pour s’abonner à la lettre : mfeltin-palas@lexpress.fr)
26/01/2021
S'il est parfois employé sans mauvaise intention, ce terme sert principalement à discréditer les langues privées de statut officiel. Mieux vaut pour cette raison ne pas l'utiliser.
On le sait notamment depuis George Orwell et son célèbre roman 1984 : qui veut
contrôler la pensée contrôle d'abord les mots servant à l'exprimer. Aussi est-il utile de se pencher sur un terme qui a joué un rôle décisif dans le sort des langues régionales en France : patois.
Commençons par l'étymologie. Selon le très sérieux Dictionnaire historique de la langue française des éditions Le Robert, celui-ci trouverait son origine dans l'ancien français patoier "agiter les mains, gesticuler (pour se faire comprendre comme les sourds-muets)". Une autre hypothèse a été avancée par le grammairien du XVIIe siècle Gilles Ménage. Lui renvoyait à la formule latine patrius sermo, soit "la langue des pères", celle que l'on apprend oralement en famille, mais que l'on n'écrit pas. Patrius aurait ensuite évolué en patrois, puis en patois.
Une chose est certaine : ce vocable n'a rien de neutre. "Au Moyen Age, patois désignait toutes les autres langues. C'est à partir de la fin du XVIe siècle qu'il va se spécialiser. Alors que les idiomes des pays étrangers sont désignés par leur nom - l'italien, l'anglais, l'allemand - on réserve patoisaux langues des Provinciaux", souligne Gilles Couffignal, maître de conférences en histoire de la langue à la Sorbonne. Dans la première édition de son Dictionnaire, en 1694, l'Académie française écrit ainsi : "Langage rustique, grossier comme est celuy d'un païsan, ou du bas peuple." Même a priori chez Diderot, dans l'Encyclopédie, où l'on peut lire : "Patois. Langage corrompu tel qu'il se parle presque dans toutes les provinces : chacune a son patois [...]. On ne parle la langue que dans la
capitale."
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que cette vision commence à être remise en cause. Après avoir étudié le sujet avec un peu de rigueur, les linguistes en arrivent à une conclusion implacable : il est scientifiquement impossible d'utiliser le même mot pour désigner des langues d'origine celtique (le breton), germanique (le flamand, le platt), latine (le picard, le gallo, le gascon, le provençal, le catalan, le corse, etc) sans oublier le basque, que l'on ne peut rattacher à aucune de ces familles.
Les prétendus patois seraient donc de véritables langues n'ayant simplement pas la chance de bénéficier d'un statut officiel ? L'argument ne plaît pas à tout le monde. Soucieux de justifier l'unité du pays et la prééminence du français à l'école, un autre groupe de linguistes aux penchants nationalistes allume un contre-feu. Parmi eux : "Gaston Paris et Paul Meyer, définissent alors les patois comme les "évolutions naturelles du latin"", indique Gilles Couffignal. Une théorie qui se heurte toutefois à deux nouvelles difficultés. La première est qu'elle ne résout pas la question des langues de France non issues du latin. La seconde est qu'elle conduit en bonne logique à classer le français comme l'un de ces patois, puisque lui-même est issu du latin. Pensée sacrilège !
Gaston Paris (le bien nommé) sort alors de son chapeau le "francien", prétendu dialecte parlé anciennement en Ile-de-France, lequel, dit-il, aurait fini par l'emporter sur les autres langues d'oïl. Pur artifice, là encore. "Qu'est-ce qui a présidé à l'invention du francien ? C'est le fait de grammairiens républicains ou proches de la République, et jacobins, souligne le linguiste Bernard Cerquiglini. Leur vision est celle d'un pouvoir central fort qui, par le moyen de l'école, diffuse sa langue comme l'idéal républicain dans les provinces, voire les colonies."
Malgré la faiblesse de son argumentation, Gaston Paris parvient pourtant à imposer ses vues. Il faudra attendre la montée des revendications régionalistes, dans la seconde partie du XXe siècle, pour qu'un autre discours émerge peu à peu. Les défenseurs des langues minoritaires refusent l'étiquette infamante de "patois" et finissent par obtenir gain de cause. Très symboliquement, depuis 2001, une délégation du ministère de la Culture s'occupe du français et des "langues de France".
Hélas... Chassé des textes officiels, le mot reste en usage dans les représentations collectives, y compris chez certains locuteurs, qui reprennent à leur compte le terme dont les représentants de l'Etat - notamment les instituteurs - ont toujours désigné leur langue. "Pour eux, patois renvoie à leur manière intime de s'exprimer, à la langue des sentiments profonds", relève Gilles Couffignal. Il ne s'agit surtout pas de les en blâmer, mais cette attitude relève typiquement du "complexe du colonisé" , c'est-à-dire une situation où les dominés adoptent les codes du dominant, faute de "conscientisation", comme on disait naguère.
Soyons honnêtes. Il existe une dernière acception de ce terme. Purement technique, elle consiste à décrire la variation locale d'une langue, sans connotation péjorative aucune. "Un patois, écrit ainsi la linguiste Henriette Walter, est une langue à part entière, qui se parle dans une aire géographique limitée et qui a connu une évolution légèrement différente de celle des patois voisins."
Cette approche ne m'a cependant jamais convaincu pour une raison très simple : si l'on adopte cette terminologie, l'on devrait, en toute rigueur, l'appliquer à tous les idiomes de la planète qui diffèrent peu les uns des autres. Évoquer par exemple les patois français de Belgique, du Québec ou... de Paris; ou encore affirmer que Shakespeare utilisait le patois britannique de l'anglais tandis que Faulkner écrivait en patois américain. Or il se trouve qu'on ne le fait jamais, ce vocable étant exclusivement réservé à nos pauvres langues régionales. Conclusion ? Patois est à langue ce que "youpin" est à juif ou "pédale" à
homosexuel : un terme dont la vocation est de rejoindre le cimetière des mots à bannir de l'usage courant.