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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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13 février 2019

Bêtise identitaire en Saintonge

L'ami Jean-Christophe Dourdet m'envoie ce bref écrit polémique sur les Saintongistes opposés, contre toute raison linguistique, à la reconnaissance d'un ensemble poitevin-saintongeais. On pourra peut-être nous reprocher d'animer une querelle forcément dépassée par la réalité (la rareté désormais des locuteurs). Mais il ne sera pas dit que, jusque au bout, nous n'aurons réfléchi et exprimé nos points de vue sur ces questions, et aussi clamer notre indignation sur le sort fait en ce pays aux langues minorisées.

J.-P. C.

Blason_Saintonge

Lettre ouverte aux provincialistes anti-linguistiques de Saintonge

 

Voilà une semaine que ma mère s’en est allée – qu’elle repose en paix loin de ce monde de fureur – quand je me vois informé par mail, avec stupeur et affliction, de la résurgence de l’insensée querelle sur la question de l’identification et de la dénomination des idiomes d’oïl du centre-ouest, à savoir la querelle des autoproclamés « Saintongistes » contre les tenants du poitevin-saintongeais, se focalisant cette fois sur l’excellente websérie de Yannick Jaulin qui aurait le tort d’utiliser le terme « poitevin-saintongeais ».

Contrairement à ce que j’avais tenté de faire par le passé, je ne prendrai cette fois plus aucun gant face aux absurdités et bêtises distillées par ceux que je dénommerai identitaires ou encore provincialistes anti-linguistiques de Saintonge. Alors voilà, je m’adresse à vous, du mouvement pour la défense de l’identité saintongeaise d’après le nom que vous vous êtes donnés.

De quoi donc avez-vous peur ? Du grand méchant poitevin-saintongeais, invention artificielle d’intellectuels universitaires de Poitiers d’après vous, qui assassinerait l’authentique et ancestral parler saintongeais et l’identité saintongeaise ?

Mais si tel est le cas, vous nagez en plein délire, à vrai dire, tout votre discours transpire la paranoïa et l’identitarisme provincialiste proprement xénophobe et au-delà l’antiscience humaine. Il en va ainsi de votre discours sur les « racines », les anciennes « provinces », vos emblèmes passéistes, vos sobriquets folklorisants, vos tournures de langue qui la confine sans cesse à la gaudriole et à la truculence (ah, le patois, ça a tant de saveur… n’est-ce pas ?). Alors, attention, je vais employer des gros mots « d’intellos » (« injure » de cour de collège que seuls quelques ados attardés utilisent encore pour décrédibiliser leurs détracteurs à l’âge adulte comme vous le faites).

Je vous sors mon CV d’abord pour plus de clarté. J’ai grandi en Limousin, j’y ai toujours vécu, j’y vis toujours d’ailleurs, même si je monte désormais à Poitiers pour le travail 3 ou 4 jours par semaine, je transpire le Limousin tellement j’y suis comme un poisson dans l’eau, sans l’idéaliser pour autant. On parlait évidemment l’occitan limousin dans ma famille, d’origine modeste, paysanne d’un côté, ouvrière de l’autre, mes grands-parents, ayant appris le français à l’école comme tout le monde en Limousin sauf les classes favorisées, les bourgeois en somme, dans la première moitié du 20e siècle, désignant évidemment leur langue par le terme de patois puisque c’est le seul antiglossonyme que la sacro-sainte république française, linguicide en diable, leur a appris pour cela. Par ailleurs, mes ancêtres aussi loin que je remonte étaient limousins et périgourdins, pourtant, mon nom propre est d’oïl, il a donc bien fallu qu’à un moment ou à un autre quelques-uns de mes ancêtres descendent du nord de la gallo-romanie pour s’installer dans les parages. Je ne rejette rien, je prends tout en bloc, je ne renierais pas des origines métèques, bien au contraire car, sachez-le, je serai toujours du côté des métèques, migrants ou de toute autre population ou groupe ostracisé. Allez, j’ajoute tout de même, mais cela risque de peser en ma défaveur étant donné votre haine du Poitou, que j’avais un « oncle » par alliance du côté de ma grand-mère dont la famille était installée à l’Isle-Jourdain dans la Vienne où je me suis rendu quelques fois et ai pu entendre l’accent ainsi que quelques mots typiquement poitevins, quelques bribes de « patois » en fait, plutôt déconcertants pour un petit Limousin comme moi.

Voilà pour le CV. J’enseigne désormais la linguistique à l’Université de Poitiers depuis 7 ans, ayant pris le relais de Liliane Jagueneau, décédée au mois de janvier 2018, une femme admirable, d’une gentillesse sans pareille, née dans le Thouarsais, passionnée par les parlers populaires entre Loire et Gironde et au-delà, par tous les idiomes d’oc et d’oïl. Je ne suis en rien titulaire d’une chaire de poitevin-saintongeais comme j’ai pu lire dans certains messages en ligne. Il n’y a pas de chaire de poitevin-saintongeais, les langues mal dites régionales, ont été méprisées pendant des décennies par le monde universitaire d’où qu’il soit d’ailleurs, elles le sont encore parfois et il faut faire des pieds et des mains pour obtenir qu’un malheureux enseignement en langue régionale, ou plutôt une sensibilisation comme c’est le plus souvent le cas, soit accepté, reconnu et dispensé dans une université. Alors, que croyez-vous ? Qu’il y a pléthore d’universitaires à Poitiers bénéficiant de financements mirifiques pour enseigner ce que vous considérez comme un artifice linguistique, le fameux poitevin-saintongeais ? Je suis seul, le poitevin-saintongeais, c’est la portion congrue de mon service, une dizaine d’heures sur un semestre seulement ces dernières années, j’enseigne majoritairement la linguistique française, c’est ce qu’on me demande de faire principalement, j’ai aussi quelques cours sur les politiques linguistiques ou sur la variation qui me permettent de parler de la problématique des langues minorisées mais sûrement pas d’enseigner le poitevin-saintongeais. Et pour la dizaine d’heures (j’en avais 20 quand je suis arrivé, waouh, c’était profusion, n’est-ce pas ?) de cours de poitevin-saintongeais, où j’ai pu avoir entre 20 et 35 étudiant·es certaines années, que croyez-vous que j’y enseigne ? Dans votre délire méconnaissant les théories linguistiques, vous pensez sans doute que je dispense un enseignement d’une langue créée de toutes pièces, pfff, je sensibilise les étudiant·es comme je le peux à des bribes de langue, simple saupoudrage (car que voulez-vous faire en 10 heures (?) mais les étudiant·es assimilent tout de même des rudiments de langue), il n’existe aucun poitevin-saintongeais standard et donc, je présente les parlers poitevins et saintongeais tels qu’ils sont, dans leur diversité, dans leurs convergences aussi, expliquant les variantes que l’on peut trouver au sein de ces parlers qui partagent malgré tout nombre de traits communs entre Loire et Gironde (la zone où l’on dit « o », ou plus rarement « ou », pour dire « ça » comme trait emblématique), j’y explique la morphologie des parlers d’après les relevés, les collectes de la parole, d’après les écrits d’hier et d’aujourd’hui aussi (car, oui, il y en a et il y en a eu bien plus que ce que vous vous plaisez à dire à savoir que le patois, ça s’écrirait pas, que ce serait strictement oral, etc... autant d’inepties que vous alignez, même si, certes, chacun l’a écrit à sa façon mais peu importe, ce n’est pas la graphie qui fait la langue, la graphie n’est qu’un moyen, une convention plus ou moins arbitraire pour transcrire une langue), je leur fais entendre la langue surtout, dans plusieurs de ses variantes, des parlers poitevins variés, des parlers saintongeais variés, il y a d’ailleurs autant de variété au sein du sous-ensemble poitevin que dans celui du saintongeais, il n’existe pas davantage un poitevin unique qu’un saintongeais unique, il en est ainsi de toute langue à l’état « sauvage », non-standardisée (et même standardisée à vrai dire), et cela fait belle lurette que l’unité, et non l’unicité, du domaine poitevin-saintongeais a été mise en évidence par les linguistes en recoupant des traits phonétiques, morphologiques et lexicaux, ce n’est donc en rien une invention d’universitaires (lesquels d’ailleurs ? On frôle la théorie du complot là) de Poitiers qui auraient créé un « truc » de partout et de nulle part pour coller à la région Poitou-Charentes, la mise en évidence de l’ensemble poitevin-saintongeais fut réalisée bien avant, et d’ailleurs le domaine déborde les limites de l’ancienne région (incluant la Vendée, qu’on appelait Bas-Poitou, le pays Gabaye en Gironde et même un peu du pays de Retz en Loire-Atlantique, mais excluant bien entendu le Confolentais, la Charente limousine en somme, qui ressort du limousin, dialecte d’oc).

Alors, vraiment ? Le poitevin-saintongeais, c’est ça qui menacerait les authentiques parlers saintongeais, l’identité saintongeaise irréductible ? Le poitevin-saintongeais ne menace rien du tout, les parlers du domaine sont en train de crever, la faute à une politique linguistique du tout français en France, toute autre langue étant niée, méprisée, éliminée. L’UNESCO, les nations unies pour la culture en fait, classe la plupart des langues de France comme gravement en danger, le poitevin-saintongeais n’y coupe pas bien évidemment. Votre langue, peu importe la façon dont vous l’appelez d’ailleurs, patois, charentais, saintongeais, meurt bien plutôt à cause de l’idéologie monolingue et linguicide française qu’à cause du poitevin-saintongeais qui est un simple glossonyme commode pour mettre en exergue un ensemble linguistique cohérent, non standardisé (comme la plupart des 3000 à 8000 langues du monde) et qui se distingue assez nettement des autres ensembles du domaine d’oïl souvent plus proches du français (mais qui n’en sont pas néanmoins – wallon, picard, gallo-angevin, bourguignon-morvandiau, lorrain… hormis les parlers de l’île de France, de la Tourraine, de l’Orléanais, du Haut-Berry, et j’en oublie, qui constituent en fait la matrice diatopique du français mais précisons tout de même que le français standard a surtout été codifié d’après la manière dont on parlait ces variantes dialectales d’oïl dans la haute société et non chez les paysans).

Contrairement à ce que vous croyez, le poitevin-saintongeais n’a que très peu de moyens. Oh, il y a bien une fédération d’associations, l’UPCP, plus ou moins attachées à la culture poitevine et saintongeaise, mais dont très peu s’intéressent à la langue, quelques écrits dans le bulletin de la nouvelle région, un malheureux calendrier partagé avec le basque et l’occitan dans ses variantes gasconnes et limousines, une collection « parlanjhe » (terme que vous abhorrez car il ne se dit pas dans vos parlers locaux mais se dit pourtant ailleurs) chez Geste éditions avec quelques ouvrages dignes d’intérêt mais bien trop rares. Bref, d’où vient votre obsession du poitevin-saintongeais qui serait si doté qu’il pourfendrait l’identité saintongeaise ? La réalité de la langue, de vos, de nos idiomes, c’est qu’ils sont en train de crever, de perdre la parole dit autrement (car qu’est-ce qu’une langue morte si ce n’est une langue qui a perdu la parole ?). Oh, ils n’en finissent pas de crever, il en reste ça et là des bribes et untel sera encore capable de s’exprimer dans un parler plus ou moins empreint de français, la situation étant que le français s’est fait de plus en plus prégnant depuis des décennies, marquant ainsi la profonde subordination de nos idiomes à la seule langue autorisée de l’état-nation ayant pignon sur rue dans laquelle je rédige d’ailleurs ce texte.

 

Alors, chaque fois qu’un auteur, conteur, chanteur, artiste fait vivre la langue quelle que soit sa variante, je me réjouis. Je me réjouis des traductions et éditions de Tintin effectuées par vos soins et peu importe la graphie que vous utilisez car je ne suis pas fétichiste de la graphie. Mais s’il vous plaît, de grâce, cessez de confondre représentation graphique et langue, je pourrais écrire dans nos parlers à l’aide de l’alphabet cyrillique que cela ne changerait rien à leur nature ; ils resteraient poitevins et/ou saintongeais. Oh, vous pouvez me dire que vous n’y comprenez rien à la graphie de l’UPCP que vous identifiez au poitevin-saintongeais, que vous n’en comprenez pas les principes, ça, ça pourrait s’entendre car cette graphie demande un minimum d’apprentissage même si je ne la rejette pas pour ma part, car je sais que pour réussir à raviver une langue, il est préférable qu’elle soit dotée d’une norme à l’écrit, mais je n’exclus pas pour autant qu’il existe d’autres usages plus proches du système français, je m’en fous à vrai dire et à ce propos, je m’élève avec vigueur contre le procès de mauvaise foi fait à Eric Nowak, « stakhanoviste » de la langue, du collectage, de l’enquête de terrain, sincère et engagé, particulièrement affable, qui œuvre depuis tant d’années pour nos parlers, qui justement rejette la graphie normalisée du poitevin-saintongeais et préfère utiliser des systèmes graphiques plus abordables pour les non initiés mais qui insiste sur le fait de mettre l’accent sur l’unité du domaine poitevin-saintongeais dans le respect de toutes ses variantes, vilipender Eric Nowak comme j’ai pu le lire, c’est tout simplement dégueulasse et indigne.

Pour ma part, j’ai appris le poitevin-saintongeais comme j’ai pu, essentiellement à partir des parlers centraux poitevins du pays mellois mais intégrant d’autres variantes, j’ai fait autant d’efforts que possible pour apprendre cette langue et assimiler sa diversité, je ne parle certainement pas parfaitement (l’occitan limousin m’est de pratique de loin beaucoup plus spontanée) mais je fais aussi bien que je le peux, je m’intéresse à toutes les variantes, poitevines comme saintongeaises. Aux ateliers du club de langues régionales de l’Université de Poitiers où tout le monde peut venir (ce ne sont pas des cours pour étudiants mais des ateliers para-universitaires), il y a des gens d’un peu partout, du Poitou, des marges du Poitou même, de l’Angoumois, de la Saintonge, de l’Aunis, tout le monde est heureux de participer et d’amener sa pierre à l’édifice, de transmettre, d’apprendre aussi. Comment peut-on s’élever contre ces gens pour qui l’unité du domaine poitevin-saintongeais est une réalité vécue de chaque atelier ? C’est inconcevable.

Et désormais, Yannick Jaulin serait dans votre collimateur parce que, lui-aussi, utilise l’appellation poitevin-saintongeais ? On frise le ridicule. Yannick Jaulin est un artiste reconnu qui parle poitevin, qu’il inclut en effet dans un ensemble plus large et, même s’il ne se définit pas comme un militant de la langue d’après ce que je sais, il fait beaucoup pour la langue. Et, vous, tout ce que vous trouvez à dire, c’est qu’il ne devrait pas dire poitevin-saintongeais ? De qui vous moquez-vous ? Arrêtez donc de prêter des intentions hégémonistes aux gens qui défendent le poitevin-saintongeais, travaillez plutôt à la reconnaissance de nos parlers, à leur transmission, à leur apprentissage chaque fois que vous le pouvez et foutez-nous la paix avec vos élucubrations anti-linguistiques sur la prétendue singularité absolue du saintongeais vis-à-vis du poitevin.

Même dans le domaine d’oc où il existe aussi des mouvements contestataires à base identitaire comme le vôtre, on ne trouve personne en Provence même – c’est là où se trouvent l’essentiel de ces mouvements – pour demander la séparation du provençal maritime du provençal rhodanien ce qui reviendrait à faire comme vous le souhaitez avec votre demande d’indépendance du saintongeais vis-à-vis du poitevin sur fond d’identification avec les anciennes provinces, ce en quoi vous êtes résolument provincialistes, vous définissant seulement en regard du siège du pouvoir politique de l’état central, d’ailleurs les sécessionnistes provençaux qui vilipendent l’occitanisme (cela se joue tout de même à une toute autre échelle, l’occitan ou domaine d’oc, c’est plus de quarante départements), contrairement à vous, revendiquent le pays gavot jusqu’aux confins du Dauphiné comme étant de parlers provençaux alors qu’ils constituent un groupe dit « alpin », c’est dire tout l’hyperlocalisme, l’esprit de clocher, dont vous faites preuve dans vos rangs que vous prétendez saintongistes.

Cette querelle est affligeante, votre lubie pour la défense de l’identité saintongeaise, de la manière dont vous le faites en tous cas, présente tous les stigmates d’un mouvement de repli identitaire empreint d’une bonne dose de xénophobie (la xénophobie peut s’exercer à l’égard de l’étranger radicalement étranger mais aussi vis-à-vis de l’étranger plus proche, de manière relativement insidieuse). Arrêtez donc enfin une bonne fois pour toute de tout confondre, d’identifier langue et province, langue et représentation graphique, langue et département, lisez donc un peu de linguistique et cessez de vous prendre pour les chantres de la défense du saintongeais, et, surtout, rendez-vous compte de l’état plus que préoccupant dans lequel se trouvent nos parlers et que cela n’est en rien le fait du « poitevin-saintongeais » que vous haïssez tant sans aucune trace de rationalité.

Vous l’aurez compris, cette querelle aura eu raison de toute la bienveillance habituelle que je cultivais depuis 7 ans passés à l’université de Poitiers. Il faut dire qu’il y a de quoi éprouver une colère noire face à la bêtise qui le dispute à l’ignorance.

Jean-Christophe Dourdet

Maître de conférences en linguistique, sociolinguistique et langues régionales

Université de Poitiers

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