L’occitanisme, un art modeste ?
Fort dépité par la mort de La Setmana, l’unique hebdomadaire papier en occitan que nous avions (voir mon dernier billet), j’ai trouvé une raison de ne pas tout à fait désespérer en me rendant, alors que je séjournais à Albi, au « festival occitan » de Saint-Juéry (la ville des aciéries du Saut-du-Tarn, près d'Albi), qui s’est déroulé les 3 et 4 août derniers, au coeur de la canicule. Certes il n’y avait pas foule, l’événement était même un peu trop modeste et confidentiel, mais j’ai trouvé la formule très intéressante, loin de l’agitation de l’Estivada ruthénoise et surtout à portée d’un public qui, en fait, pourrait être beaucoup plus large si l’information parvenait vraiment à passer. La Ville de Saint-Juéry, mais en fait ses partenaires associatifs, le CCOA (le Centre Culturel Occitan de l’Albigeois) et Radio Albigés, avait joué la carte de l’éclectisme : production des ateliers chants et théâtre du CCOA, groupe folklorique en costume « à l’ancienne », bal òc en soirée, animation radio, restauration sur place, musique occitane actuelle, etc. ceci en investissant différents lieux selon les temps du programme ; rues de la ville, jardin public (le Parc Mitterand), salle de concert (cinélux)... Cet éclectisme et ces déplacements permettent de toucher différents publics, pas forcément habitués des événements occitanistes.
J’ai assisté à la chaude (très chaude !) soirée du 3 août, participant au petit repas sur le pouce dans la cours du Cinélux, bien sympathique pour les échanges, entre autres avec les musiciens qui allaient se produire, bien que, me concernant, la joie fut un peu ternie par le constat de la persistance (je l’avais déjà noté par le passé) d’un discours anticatalaniste stéréotypé et non informé de la part de certains acteurs de l’occitanisme culturel local. Mais es aital, les préjugés sont tenaces, entretenus par des médias francophones, dont visiblement les occitanistes sont hélas parfois tributaires comme les autres (voir ici : Halte au péril catalan !).
Après quoi se sont produits deux excellents groupes de nouvelle musique occitane, que je voyais in vivo pour la première fois : Uèi et Feràmia. Les quatre chanteurs et musiciens d’Uèi (« Aujourd’hui », mais par homophonie en provençal aussi « œil » : « uelh ») m’ont apparu d’emblée fortement influencés par le Còr de la Plana ; en fait les fondateurs du groupe, Rodin Kaufmann et Denis Sampieri, en on longtemps fait partie (voir la très bonne page de présentation sur le site La Fabrica). Ils sont très remarquables, ne serait-ce que pour les qualités de voix dans les morceaux a capella (si vous ne connaissez déjà, écoutez donc toute affaire cessante La balada de Felis Galean e Noré Ciais texte sublime que l'on trouve sur le site du groupe Komred). Ils prennent comme base de la plupart de leurs pièces des mélodies traditionnelles occitanes, mais ils associent aux voix des percussions électroniques et de très beaux effets électro-acoustiques. Leurs textes sont volontiers lyriques et engagés et ils puisent librement dans le patrimoine poétique occitan (il faut écouter leur magnifique mise en musique du génial poème de Peir de Garros sur les soldats pilleurs, avec pour titre Manténguer Riòta). Feràmia (un beau mot occitan qui veut dire bête sauvage, furie, sauvagerie…), le second groupe, venu de Toulouse, réunit cinq musiciens vraiment excellents qui performent une musique très riche, sophistiquée même, pleine de rythmes et d’une remarquable énergie, quelque chose qui me fait penser au Jazz rock de ma jeunesse, mais entièrement réactualisé. Ils font le choix étonnant de refuser les instruments harmoniques (claviers, guitare. Voir à ce sujet à la très bonne page d’auto-présentation du groupe1) et laisse une bonne place à l’improvisation. Feràmia revisite le bestiaire fantastique et met en musique quelques poèmes occitans du siècle passé (Léon Corde, Robert Lafond…), mais porte aussi des textes originaux de Louis Pezet, le jeune chanteur du groupe, ex calandron de Castres, ludion sorti de sa boite, qui est vraiment très bon dans son rôle. Ses propres textes semblent très bien aussi (l’un notamment consacré à la tarasque). Je dis semble, car on est loin de tout saisir, dans ce feu d’artifice musical. Il n’y avait pas un monde fou, mais, outre les quelques jeunes aficionados qui connaissaient pour la plupart les musiciens et bouléguaient devant la scène, les spectateurs assis, d’un âge plus canonique et sans doute moins préparés, semblaient eux aussi enchantés.
J’ai dû m’éclipser avant le bal mené par Jòi orquèstrad et Trio d’òc qui complétait cette soirée, me demandant bien d’ailleurs comment les danseurs allaient pouvoir supporter les degrés celsius qu’ils allaient ajouter encore à l’étouffante chaleur ambiante.
Je suis revenu le lendemain assister à un partie des activités et spectacles de l’après-midi, à l’ombre du parc Mitterrand. J’y ai raté la pièçotte du grand Cayrou, Al dentiste, mais j’y ai vu et entendu Una marrida malautié (Une mauvaise maladie)2, courte pièce d’un magnifique comique, superbement interprétée par Los de Ròcaguda, la petite troupe de théâtre du centre occitan d’Albi. Ramonet est devenu d’un tempérament tyrannique et colérique et sa femme Justineta est la cible de toutes ses récriminations ; situation on le voit, ont ne peut plus réaliste. C’est par un stratagème remarquable que Totmedol (Toumédol, lit. « tout me fait mal ») le médecin (s’exprimant en bon français, comme son état l’exige), de mèche avec Justineta (Justinéto), parvient à adoucir le bonhomme Ramonet (Ramounet). Le couple infernal et drolatique, sujet à d’incessantes querelles ménagères (Jacouti et Catinou en était une géniale version), reste – on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer – une figure toujours actuelle de la vie quotidienne, même si la langue des échanges familiaux, presque partout, est hélas passée dans la langue du docteur, d’où une certaine perte d’expressivité... D’ailleurs, il n’est pas rare qu’au cours des querelles de ménage que les haies des jardins ne parviennent pas à étouffer, l’on puisse entendre parfois encore quelques « macarels » et « putanièrs », que Cayrou, soucieux de conserver un certain decorum linguistique, évitait consciencieusement de formuler. En tout cas, le public, qui n’était certes pas de prime jeunesse, se régalait-il visiblement de suivre les dialogues hilarants, dans l’excellente langue, populaire et fleurie, du plus américain des Quercinois. Je suis parti au beau milieu de la prestation des Esclopets (le jeu de mots en « esclop » – sabot – et « éclopé » est savoureux), groupe de danse folklorique du village proche de Saint-Grégoire, en costumes « traditionnels » (guillemets de rigueur !). Je n’ai donc pas assisté à la lecture théâtrale de passages de Man Trobat (littéralement « ils m’ont trouvé », mais ainsi graphié c’est bien le « man » anglais qui est suggéré), roman picaresque d’Alem Surre-Garcia, mis en scène et en voix par Anne Cameron et Jean-Michel Hernandez du Chergui Théâtre. Le programme s’est conclu par l’incontournable bal òc animé par les deux groupes déjà mobilisés la veille (Jòi orquèstrad et Trio d’òc ).
J’ai voulu être quasi exhaustif dans mon compte-rendu pour montrer la diversité des spectacles et – comment dire ? – l’absence de tout ostracisme culturel de la programmation. Le temps de l’opposition entre l’occitanisme élitaire et une culture folklorisante et patoisante méprisée par celui-ci semble donc révolu. Cette ouverture est sans doute largement due à la personalité de Michel Tayac, qui avait déjà organisé un événement similaire l’an passé dans le village voisin des Avalats, où il vit et dont il est originaire. Cet occitaniste de très longue date (je le connaissais déjà en ma prime jeunesse à une époque où j’avais déjà failli sombrer dans l’occitanisme), comme il aime à le dire, exècre le dogmatisme militant et fait preuve d’un infatigable pragmatisme, au sens où il s’emploie à s’adapter à des publics qui, sans partager des convictions occitanistes, sont attachés à la langue ou sont attirés par tel ou tel aspect de la culture occitane (danses, chant, folklore…). Il va vers ces publics sans chercher, surtout pas, à leur donner des leçons d’idéologie. Lors d’une conversation que j’ai eu avec lui le 3 août, il m’a redit sa conviction, alors que je me livrais à des considérations pessimistes sur le mouvement. Par ces choix et visées pragmatiques, il s’est dit au-delà de tout optimisme (mais comment pourrait-on l’être?) et de tout pessimisme (mais comment ne l'être pas ?) et je l’ai trouvé, de ce point de vue, fort convaincant. Dans la crise actuelle, très profonde, que traverse l’occitanisme, ce type de position en tout cas, me semble l’une des seules viables.
Jean-Pierre Cavaillé
1 Quant aux influences, voilà celles que les musiciens eux-mêmes avouent sur leur site : « on pourra donc reconnaître l’influence de la musique ethiopienne, la puissance des instrus dub, des refrains aguicheurs, des rythmiques électro, ou encore l’influence de grands noms jazz américain, et on pourra même assister à une conférence de volatiles ».
2 Les pièces comique en un acte de Cairon méritent toujours d’être montées, elles sont proprement irrésistibles. On les trouve toutes dans l’édition de 1994 : Lo Catèt de Macaturas e autras òbras. Pròsas complètas. Teatre complèt. Causida poëtica, IEO, Seccion Antonin Perbòsc.