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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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13 décembre 2015

Comment le CNED traite les "gens du voyage"

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Scandale des évaluations diagnostiques des élèves itinérants

 

Ce billet est un coup de gueule. Il concerne un aspect des discriminations que ne cessent de rencontrer les « gens du voyage » et n’a que peu à voir avec le sujet de ce blog. Il a cependant tout à voir avec l’absence de prise en compte des altérités culturelles et linguistiques des populations concernées et surtout il est symptomatique de la relégation sociale de celles-ci. En ceci, il s'inscrit exactement à la suite d'un précédent (Le droit de pleurer ses morts).

Je fréquente, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, des familles manouches. J’apprends leur langue (le sinti), leur manière spécifique de parler le français (le français « voyageur ») et m’initie à leur culture et à leur mode de vie. J’y suis apprenant, mais aussi parfois mis à contribution pour quelques aides à la lecture et à l’écriture de documents administratifs. Je n’y exerce aucune activité suivie d’enseignant, d’où peut-être ma stupéfaction devant une situation qui doit être bien et même trop connue des professionnels.

Une famille, sur une aire d’accueil, reçoit deux enveloppes du CNED pour deux de ses enfants jeunes adolescents poursuivant leur scolarité par correspondance (13 ans et 15 ans). Elles contiennent toutes deux le même fascicule photocopié en noir et blanc (très important pour la suite), Évaluations diagnostiques [quelle terminologie !] parcours personnalisé en français et en mathématiques. Les résultats vont décider du contenu des cours et des devoirs qui seront envoyés aux élèves. C’est écrit au tout début du fascicule de tests : « Voici une série d’exercices auxquels nous te demandons de répondre seul(e) afin que nous puissions mieux te connaître et que nous t’envoyions les cours qui correspondent le mieux à tes besoins ».

Les parents, qui ne savent pas lire, me demandent de quoi il s’agit et d’expliquer aux enfants comment ils doivent s’y prendre. Pourtant les fascicules sont au nom des enfants et aucun médiateur n’est, en l’occurrence, prévu. Or, il est rigoureusement impossible de faire correctement une bonne partie de ces exercices sans aide, car ils requièrent la lecture et l’usage des « consignes de passation » (encore une belle expression limpide) qui se trouvent à la fin du fascicule. Des enfants d’une autre famille s’y sont essayés, ils ont vu qu’en face d’une série d’exercices figure l’icône d’un casque audio et ces exercices commencent par la consigne « Écoute »… Ils n’ont donc pu les faire et, en toute bonne foi, ont écrit, comme je l’aurais fait moi-même : « on n’a pas reçu le CD ». En fait sur la première page, il est mentionné, en face du dessin des écouteurs : « Ce symbole indique que tu as besoin de l’aide d’un lecteur pour réaliser l’exercice ». Or le symbole en question (voir figure ci-dessous) ne symbolise pas du tout la lecture ni un lecteur mais une écoute audio. Et puis rien n’indique que le lecteur, si l’enfant parvient néanmoins à comprendre ce qu'on lui demande et à trouver un bon lecteur dans son entourage (souvent cela est exclu), ou s’il arrive à être à lui-même son propre lecteur, comprenne qu’il lui faut aller chercher ses informations dans les « consignes de passation », titre dont le sens reste profondément sibyllin pour l’ensemble des mortels étrangers au monde du pédagogisme (j’ai trouvé ces consignes, non sans mal, sur internet, les voici). Mais ce n’est pas tout. Je jette un coup d’œil aux exercices et je tombe sur le suivant : « Chaque carte jaune est associée à une carte bleue ». Je vous ai dit que le cahier est en noir et blanc (enfin plutôt en grisâtre)… J’ai fini par trouver en ligne l’original (voir figure reproduite supra), qui contient de nombreux effets de colorisation pour aider à la compréhension, y compris dans l’écriture de certains mots dont chaque syllabe est colorée différemment (le tout devenant un dégradé gris-noir presque illisible sur les photocopies).

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Bref ces cahiers de test, quel que soit le niveau réel de l’élève, sont, dans les conditions de leur réception, rigoureusement infaisables. Et l'envoyeur le sait bien, puisque l'enveloppe est directement adressée à l'élève ; il sait bien que celui-ci va se retrouver seul à seul avec le cahier. Pourtant les (non) résultats vont décider du niveau du cours que l’on choisira pour lui… Je vous laisse le soin de trouver les bons adjectifs pour qualifier cette négligence, cet abandon en fait, sous couvert d’une apparence de suivi, un simulacre de suivi auquel cependant les parents doivent s’astreindre, sous peine de perdre leurs allocations, voire la garde des enfants.

J’ai noté autre chose : l’univers iconique et culturel des questions est largement étranger à celui de leurs destinataires. Je prends un exemple : un exercice présente des images renvoyant toutes au thème de la mer, sauf un (une rose), qu’il faut entourer. Le gamin entoure l’image du phare. Je lui demande pourquoi ? Il me répond : « l’église n’a rien à voir avec la mer »… Et en effet, le phare pour lui est un clocher, il n’a probablement jamais vu la mer, car son itinérance très relative ne l’éloigne jamais vraiment de sa région au centre des terres. Par contre la rose, pourrait être le tatouage d’un marin… Voilà comment un enfant tout à fait capable, du fait de ses conditions sociales, risque bien d’être considéré comme déficient par l’école de la République.

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Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette affaire de cahier d’évaluation infaisable aux histoires, j’en connais toute une série, de tous ces manouches qui ont pourtant usés leurs fonds de culottes dans toutes les écoles de la région, et ne savent pas lire, pas du tout. Je n’ai aucune raison de mettre leur parole en doute, lorsqu’ils me disent que dans les écoles où ils passaient (et où ils ne pouvaient rester, du fait de la règle des 48 heures), on les mettait au fond avec une feuille et des crayons de couleur. J’ai même entendu l’histoire d’un instituteur de village, dans les années 50, qui employait le petit gitan de passage à la réalisation de menus travaux pendant les heures de classe. Je ne jurerai pas qu’elle soit vraie, mais ce qui est sûr, est que ceux qui m’ont raconté leurs histoires de classe – ils en ont d’ailleurs souvent une certaine nostalgie attendrie, car ils se faisaient de nombreux ami(e)s gadjé, qu’ils retrouvaient à chaque passage, et avec lesquels ils ont parfois gardé contact toute leur vie – hé bien ne savent toujours pas lire. Ou alors, cela arrive, ils ont appris seuls, par eux-mêmes. Soixante ans plus tard, malgré le CNED et autres dispositifs, les choses n’ont guère changé. J’ai juste l’impression que la relégation s’est accrue.

 

Jean-Pierre Cavaillé

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Commentaires
P
Je ne connaissais pas cette situation mais je ne suis guère surpris car de manière générale, en France, adapter les contenus des enseignements (entre autres choses) aux spécificités socio-culturelles de chacun, ou de groupes, est perçu comme contraire à l'égalité. Là, en plus, c'est non seulement les contenus qui sont inappropriés mais y a aussi quelque chose qui ressemble soit à un "je m'en fous" de ces gens (genre je fais passer les documents en noir et blanc par négligence), soit carrément à une volonté de les emmerder ce qui dès lors est de la discrimination.<br /> <br /> La république à la française, j'ai bien peur que ce soit exclusivement le souci de tous en général, id est la majorité, mais surtout pas de chacun en particulier. L'école en tant que telle est d'ailleurs conçue comme ça, il me semble, où chacun est fourré dans un grand bazar trié par classe d'âge avec le devoir de se fondre dans le moule de la majorité et tant pis pour les inadaptés à ce modèle. Tout reste à inventer en matière d'éducation à mon sens. L'école n'est pas une mauvaise idée en soi et elle permet l'accès à l'éducation en théorie à tout le monde, même si on voit que ce n'est pas le cas, mais elle est sérieusement à repenser et ça n'en prend pas la voie.
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T
Sur la page facebook Les Infos des Gens du Voyage, qui a relayé ce post, je trouve cette réaction :<br /> <br /> Marie Christine Brion Tout ça est très vrai, j'ai fais les cours par correspondance, toute seule, personne ne comprenait, mon père est pourtant instruit, il capitulait, pour prendre l'argent des voyageurs ces organismes comme tant d'autres, comptables,impôts, ils savent y faire, mais pour respecter les gens en tant que n'importe quel français, c'est autre chose.
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D
Bien contente que vous avez vu de vis propre yeux quand on le dit personne ne nous croit
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