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Législatives 2012. Recherche local désespérément

 

Voilà : l’enthousiasmante campagne des Législatives est terminée. Elle n’aura eu pratiquement aucun lien avec le thème de ce blog, sinon en quelques très rares circonscriptions. Nous le savions bien sûr déjà : le sujet des langues et cultures « régionales » est quasiment impossible à aborder ; il ne peut même pas servir, pour quelque parti que ce soit, de faire valoir ou de valeur locale ajoutée. Ceux-là même qui semblent avoir pris des engagements à ce sujet, dans leurs discours et dans leurs textes, sont – à de rares exceptions près – totalement muets à ce sujet. Là où des partis à consonance autonomiste ou ne fût-ce que régionaliste se sont présentés, leur score a été des plus misérables (voir à ce sujet le dernier n° de La Setmana).

Est-ce parce que les électeurs pensent que le souci du local est suffisamment porté par les grands et petits partis nationaux ? Ou du moins que c’est eux qui, de toute façon, font la politique locale ? Apparemment, ils ne se posent même pas la question et tout est fait pour qu’ils ne le fassent pas, mais il ne faut pas s’étonner alors s’ils se sentent aussi peu motivés pour se rendre aux urnes, une fois élu le grand chef suprême.

De toute façon, quand on parle des Législatives comme d’élections qui mobilisent la relation des électeurs à leur lieu de vie, au local, on se moque bien sûr du monde. La circonscription ne représente aucune unité territoriale pour les électeurs ; ils savent bien qu’il s’agit d’un espace « circonscrit » de la manière la plus arbitraire, un espace dont le « découpage », si bien nommé, obéit aux intérêts du parti aux commandes du pays. De découpage en redécoupage, de charcutage en recharcutage, qui connaît d’ailleurs exactement les limites de sa propre circonscription ? Et pourtant, les députés se disent au service de leur « circonscription », comme si la circonscription présentait une quelconque unité et identité géographique et humaine. Comment peut-on prétendre « représenter » une communauté de citoyens qui n’existe pas ? Pour qu’elle existât, il faudrait qu’elle soit connue et reconnue comme telle. Or cela n’est pas le cas, mais le pouvoir que les électeurs confèrent à ces pseudo-représentants d’un pseudo territoire, lui, est bien réel, qui est tout de même le pouvoir Législatif (il est vrai simple courroie de transmission de l’exécutif), celui de faire et de défaire les lois auxquelles nous sommes soumis.

Comme vous, j’ai reçu pour le premier tour de l’élection une grande enveloppe contenant les professions de foi des candidats. Une fois n’est pas coutume, j’ai entrepris de les lire toutes ; et Dieu sait qu’il s’agit d’une lecture à la fois indigeste et indigente ! Pour ce qui est de l’indigence la palme revient au Front National, au Parti Radical (c’est-à-dire ici le candidat de droite, Marc Gabouty) et à Europe Ecologie les Verts : leurs papiers sont lisibles en deux-trois minutes montre en main et il n’est donc pas étonnant que l’on n’y trouve presque rien d’autre que quelques slogans juxtaposés. J’y ai cherché, justement, tout ce qui concernait le niveau local et régional, en général... éventuellement aussi, quelques vues sur la politique culturelle. Pour ce qui est de ce point, je ne m’attendais pas à trouver grand-chose et je n’ai, en effet, RIEN trouvé, RIEN. L’absence de toute référence à la culture, quelle qu’elle soit d’ailleurs, fait partie de l’ordre des choses. Les élections sont des choses trop sérieuses sans doute pour aborder de telles questions. Quant au traitement du local, il se réduit en vérité à très peu, hors des slogans du parti, de l’évocation de rares points litigieux et de maigres et vagues projets de développement. Une misère.

Dans ma circonscription, la 3e de la Haute-Vienne, neuf candidats (et neuf suppléants) étaient en compétition.

Il y a d’abord ceux qui ne font aucune espèce d’allusion au niveau local, se contentant d’égrener les slogans généraux du parti. Du reste ces candidats là se contentent d’ajouter leur photo à un texte concocté au niveau national, c’est-à-dire – invariablement – à Paris (les adresses figurent). Dans ceux que j’ai reçu, c’était indubitablement le cas des candidats de Lutte Ouvrière, des écolos du Trèfle et du MHAN et du Front National. Évidemment, on trouve bien quelques principes généraux, du type « défendre la ruralité » (Front National) et « lutter contre la désertification rurale » (Trèfle). C’est d’ailleurs ce que l’on lit à peu près dans tous les papiers et qui, bien sûr, n’engage à rien.

D’autres font quelques propositions, comme les candidats du Parti Chrétien-Démocrate, d’une remarquable jeunesse (Constance et Augustin Foucault, respectivement 19 et 18 ans ! Aussi aurait-on préféré avoir leur photo que le portrait – certes gracieux – de Madame Boutin, mais bon…), qui ne se contentent pas de s’engager à « combattre la désertification rurale par la promotion des pôles d’excellence rurale et un nouvel aménagement du territoire, reposant sur l’équilibre villes-campagnes et une politique innovante de santé, de transports et d’infrastructure numérique » (Qui ne serait d’accord en effet avec un si noble projet ?). En effet, une rubrique « Pour notre circonscription » précise (enfin si on peut nommer cela précision) : « revitaliser l’agriculture départementale pour qu’elle soit justement rémunératrice, respectueuse de l’environnement et plus souple dans ses modes de fonctionnement ». L’agriculture manque de souplesse… a-t-elle les articulations rouillées ? Les agriculteurs ne font-ils pas assez de stretching et de gym-tonic ? Mais de quoi est-il question ? Que veut-on dire ? Et puis cette question du sens a-t-elle finalement un sens ? L’important n’est-il pas simplement d’utiliser les mots magiques : souplesse, respect de l’environnement, revitalisation, durabilité (« protéger la famille durable !» autre mot d’ordre boutinien sur le prospectus). La suite paraît plus précise : « Dynamiser nos territoires ruraux en apportant l’Internet à Très Haut Débit à la porte de chacun et mettre tout en œuvre pour que le TGV irrigue notre département en modernisant la ligne Paris Orléans Limoges ». Voilà enfin des choses qui paraissent pensées localement ! En fait non, pas exactement. Et même pas du tout. On retrouve en effet, mot pour mot, les mêmes engagements « pour notre circonscription », dans tous les prospectus en ligne du PCD des départements ruraux, par exemple dans la 2e circonscription de l’Indre : « Dynamiser nos territoires ruraux en apportant l’Internet à Très Haut Débit à la porte de chacun et mettre tout en œuvre pour que le TGV POCL irrigue notre département en modernisant la ligne POLT ». En fait tout est déjà écrit – le Haut Débit, ça marche à tous les coups – et il n’y a qu’à rajouter une deux précisions sur les TGV, TER, et autres acronymes merveilleux : POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), POCL (Paris-Orléans-Châteauroux-Limoges), etc.

En fait, le plus souvent, les allusions régionales se limitent à évoquer le développement des voies de communication et d’Internet (bizarrement conçu comme un succédané de TGV ou d’autoroute),  envisagés comme condition non seulement nécessaire mais suffisante du développement économique de la région. Mais c’est là aussi qu’il est nécessaire de décrypter des messages apparemment anodins. En effet, il faut savoir qu’un projet de tracé LGV permettant de relier Limoges à Paris par… Poitiers (quand on aime on ne compte pas !) est largement contesté par la population.

Ceux qui sont hostiles à ce projet le disent haut et fort. C’est le cas de la candidate Europe Écologie les Verts, Ghislaine Jeannot-Pagès : « Je me bats contre la LGV depuis le début du projet et défends une politique des transports respectueuses des territoires (POLLT, POCL) », et du candidat de Limousin Terre de Gauche, Daniel Clerembaux, « mobilisé pour la rénovation de la ligne POLLT (un L en plus pour La Souterraine) et contre le projet de LGV Limoges-Poitiers ».

Ceux qui sont pour, du moins qui l’ont été et semblent l’être encore, par contre, ne le disent pas (d’où mes hésitations) et évitent de prononcer l’acronyme fatidique. Ils restent dans le vague ; il faut les lire entre les lignes… Ainsi Monique Boulestin, dissidente socialiste qui se contente d’un « je réaffirme mon soutien aux transports routiers et ferroviaires ». Sa concurrente, non dissidente, Catherine Beaubatie, se limite à déplorer « l’insuffisance d’infrastructures routières, ferroviaires et numériques ». Jean-Marc Gabouty, le candidat du Parti Radical (avec soutien du Nouveau Centre de l’UMP et de La Gauche Moderne), lui aussi, n’excède pas l’affirmation selon laquelle « les liaisons routières, ferroviaires et numériques sont aujourd’hui indispensables »… On admirera l’insigne courage politique de ces candidats parmi lesquels la candidate que les électeurs ont élu… On remarquera aussi qu’ils disent tous exactement la même chose, utilisant le même vocabulaire convenu et creux.

Quand Jeannot-Pagès écrit : « j’agis pour une économie qui préserve l’environnement et les emplois sur notre territoire ». Qui pourrait lui donner tort ? Qui oserait la contredire ? Mais lorsque, par exemple, elle pose comme un « défi » pour la circonscription « l’emploi des jeunes et des séniors par la relocalisation d’activités durables et écologiques », que dit-elle exactement ? Sous ces mots obligés (tout aujourd’hui doit être « durable », même la famille, comme on l’a vu), quelles choses, quelle réalité ?

La rhétorique électorale pratique volontiers la contradiction. De ce point de vue, Gabouty est admirable : dans la lettre de trois mots qu’il adresse à ces « concitoyens », il explique que s’il se présente, c’est avec la volonté « de provoquer un vrai changement [en gras dans le texte] dans le département de la Haute-Vienne ». Mais il ajoute aussitôt que la raison de sa légitimité est qu’il est déjà en place, comme conseiller général et maire de Couzeix… depuis 17 ans. Ainsi l’unique argument en faveur de sa volonté de changement réside-t-il dans l’affirmation de sa permanence et de son immobilité !

Certains, comme Beaubatie, tirent leur légitimité de leurs amis, à laquelle se limite plus ou moins la référence au local. Tout le tract de campagne de la candidate victorieuse consiste en l’invocation d’une série de noms : le président François Holland, le député auquel elle veut succéder, Pérol-Dumont, le président de région, Denanot, le maire de Limoges Alain Rodet… Voilà pour le recto du papier. Quant au verso, il n’est que la liste interminable des notables qui soutiennent la candidature : toute une pleine page chargée de noms comme un chien de puces. Il est clair que, pour elle, le local c’est le réseau des copains ! Et cela vaut, n’est-ce pas, tous les programmes du monde…

Il y a une raison à ce name droping qui tient lieu de programme ; la présence d’une candidate dissidente, Monique Boulestin, qui se réclame elle aussi de la « majorité présidentielle » et produit également une liste – plus réduite il est vrai – de personnalités. Pour le reste, c’est-à-dire quant au programme lui-même, rien, ou plutôt l’éternelle litanie visant à conjurer le spectre de la désertification évoqué d’un ton dramatique, mais peut convainquant : « face aux menaces de désertification, je réaffirme mon soutien aux transports routiers… » bla-bla-bla (voir supra) « … dans nos communes où la colère parfois se mêle au désespoir malgré tous les talents et la volonté de réussir ». Cela est grand, cela est beau, mais nous n’en saurons pas plus : « représenter la Haute-Vienne c’est valoriser nos atouts, développer l’attractivité de notre circonscription, et faire en sorte que les lois votées prennent en compte les réalités et les exigences du terrain ». Une enfilade de truismes et, une fois encore, de phrases toutes faites qui ne disent rien et, surtout, n’engagent à rien. Pour rire de ces lectures, il faut aimer le comique de répétition, avoir un goût pervers pour le stéréotype et la formule vide… Sinon, il vous reste vos yeux pour pleurer et vous demander ce que vous avez fait au bon dieu pour que l’on vous prenne pour de telles tartes.

En fin de compte, seul le candidat de Limousin terre de gauche fait place dans sa profession de foi à des engagements précis, au-delà de l’opposition au LGV partagée comme on l’a vu avec d’autres. Conseiller municipal NPA de Limoges, il écrit en effet : « j’interviens pour la défense de l’intérêt général et pour une véritable démocratie faisant souvent face à des décisions autoritaires ou au refus d’information, comme sur l’avenir du site de la caserne Marceau, l’implantation croissante des grandes surfaces commerciales à la périphérie de Limoges, l’adhésion contrainte de Couzeix à l’agglomération de Limoges soutenue par le Préfet et le Maire de Limoges qui met en danger les services publics locaux de l’intercommunalité « Aurence Glane Développement » qui regroupe 10 communes ». Pour être précis et juste, il faut ajouter que Jeannot-Pagès aussi déclare militer « pour un département qui ne soit plus considéré comme une grande banlieue de Limoges, et contre l’absorption de la commune de Couzeix par l’agglomération limougeaude ».

Enfin voilà des cas concrets, des prises de position claires référées à des lieux dont les noms sont énoncés et que chacun peut visualiser... enfin, on nous parle au moins de choses qui touchent immédiatement à notre vie ici, à nos déplacements, et des choses avec lesquelles on peut ne pas être d’accord (car tous les papiers regorgent de non-propositions avec lesquelles il est impossible de ne pas être d’accord, et lorsque l’on ne peut pas être en désaccord, c’est que la démocratie est morte étouffée par la langue de bois), parce que, précisément on a affaire à des prises de position en des projets concrets, déterminés. Mais hélas, il s’agit presque de l’exception qui confirme la règle du général, de l’abstraction, du truisme et de la phraséologie.

Chacun je crois, dans sa propre circonscription, où qu’il se trouve dans le pays, pourrait faire à peu près la même analyse… Cela n’est guère réjouissant, en vérité, mais il faut le faire, il faut leur signifier, à la fin, que nous ne voulons pas être pris pour des imbéciles par des candidats dont la plupart ne sont même pas capables (où est-ce le parti qui l’exclut ?), visiblement, d’écrire trois lignes par eux-mêmes.

 

Jean-Pierre Cavaillé