La pause du 202e post
La pause du 202e post
Je m’étais promis de faire un petit bilan des activités de ce blog à l’occasion du 200e posts (le blog a été créé en mars 2006) ; j'ai laissé passer le 201e et il est donc temps de dire quelques mots, en évitant, si possible, les satisfécits et les jérémiades.
Quelques données
D’abord quelques données de bases. Ce blog, consacré aux langues minorées et tout particulièrement à l’occitan, est trilingue (français, occitan, italien), mais très largement rédigé en français, avec un peu moins d’une trentaine de textes en occitan et une dizaine en italien. De l’occitan, je croyais qu’il y en avait plus, et il faudra que j’y veille, car la présence et la promotion de la langue sont tout de même parmi les enjeux majeurs de l’entreprise : se pòt pas trabalhar a la far viure sens l’escriure.
Certains de ces textes occitans ou italiens sont traduits en français mais non tous. Je ne trouve d’ailleurs pas intéressant de tout traduire, soit parce que les publics visés peuvent l’être très fortement dans une langue et pas dans une autre (il est des questions internes au mitan occitaniste qui méritent d’être abordées en oc), soit parce que la présence d’une langue romane non traduite me semble incitative, au sens où si l’on veut bien se donner la peine, n’importe quel francophone (Òc ben ! Voir la documentation réalisée par la DGLFLF à ce sujet : 1, 2, 3) peut lire et comprendre l’essentiel et j’oserai même dire, une bonne partie du détail.
Bien m’en a pris, au tout début, d’appeler le blog « Mescladis » (si c’était à refaire, limousin oblige, ce serait plutôt « Boiradis »), car on y trouve des choses très différentes, et je ne vais pas essayer ici d’ordonner ou de hiérarchiser ce qui s'y présente dans l’anarchie la plus totale : des réactions à des entretiens radiophoniques et à des articles de journaux, des analyses de débats parlementaires autour des langues régionales, des tentatives de critique interne de l’occitanisme, des impressions de voyage, des compte rendus de lecture, des critiques de films, de pièces de théâtre, des articles à caractère historique, de petites recherches sur la littérature orale en Toscane, il y a même une oeuvre littéraire occitane que j'ai traduite de l'occitan (Rai la mòrt, de J. M. Pieyre)… Le seul dénominateur commun, j’espère suffisamment apparent, est la question de la langue minorée (qu’on l’appelle « patois », « dialecte », « régionales », « vernaculaire », « indigène » ou autre), abordée de tous les points de vue qui me sont possibles.
J’éprouve la plus grande difficulté à interpréter les chiffres que me donnent les statistiques de canalblog, car je sais qu’une visite de moins d’une minute ne signifie rien ou pas grand chose et il y en a bien sûr beaucoup. Je vous livre donc quelques uns de ces chiffres qui me paraissent importants sans trop savoir ce qu’ils veulent dire réellement. D’abord en matière de fréquentation : le blog reçoit une centaine de visiteurs par jour en moyenne (disons entre 80 et 120) pour un peu plus de 160 pages visitées. Selon les périodes, entre 10 et 20-25 visiteurs sur 100 sont « déjà connus ». La fréquentation tend à croître mais sans commune mesure avec la quantité de documents disponibles (je croyais à un effet cumulatif, or celui-ci n’est pas du tout évident).
Les visiteurs, ce n’est guère étonnant, à plus de 80-85 %, se connectent en France. Les 15 % restants le font surtout dans les autres pays francophones, en Espagne et en Italie.
Les textes en occitan sont peu fréquentés et, en général, moins commentés. C’est pour moi la source d’une grande inquiétude. Cela est peut-être dû au fait que la masse critique de textes occitans est trop faible (30 sur 200, c’est très peu). J’ose l’espérer.
Les textes en italien (et plus généralement parlant ceux qui sont consacrés aux langues et cultures de la Péninsule) ont bien quelques lecteurs (les visiteurs d’outre-Alpes sont en moyenne 4 ou 5 par jour) mais, par contre, ils ne sont jamais ou presque directement commentés (sauf exception) en ligne. Cela montre d’abord, me semble-t-il, que ce blog, avec ses problématiques spécifiques, très éloignées de ce qu’on lit généralement sur les « dialetti » en Italie, est perçu comme trop étranger, trop décalé par rapport aux discussions sur ces sujets dans la Péninsule et ses îles, ce qui pour moi est, certes, un échec, mais atteste d’abord du fait que l’on écrit toujours de quelque part, d’un lieu géographique, social et culturel spécifique et les lecteurs ne s’y trompent pas.
De toute façon, il est très difficile de se faire une idée de la lecture effective des textes les plus visités, non seulement parce qu’un visiteur n’est pas forcément un lecteur, mais aussi parce que les lecteurs reviennent sur les pages pour participer aux fils de discussion. Il doit y avoir des moyens de débrouiller tout ça à partir des informations statistiques du blog, mais il me vient mal à la tête rien que de penser aux calculs qu’il faudrait faire.
Les mots clés les plus récurrents conduisant au blog sont « patois limousin » (aussi le post le plus lu, toute catégorie confondue, est-il celui que j’ai consacré au troisième tome de Vive le patois limousin, de Fernand Mourguet), « patois », « occitan limousin », « langues régionales », mais aussi, des mots comme Family Village et Auchan Périgueux ! Je me demande bien d’ailleurs comment réagit un(e) internaute en quête de l’adresse de l’hypermarché et tombant sur un post consacré aux questions de déontologie du Label òc. Sans doute, s’échappe-t-il aussitôt, surtout si sa femme ou son mari l’attend déjà dans la voiture. Mais c’est aussi ça le net ! On cherche Auchan Périgueux et on tombe sur le Parc Naturel Régional Périgord-Limousin, on y cherche du patois et on y trouve de l’occitan, on y cherche une réponse à sa question, et on en trouve deux contradictoires, voire – au mieux – une autre question…
Fils de discussion
Ce blog, dans sa conception et sa réalisation, est un blog personnel, même si je publie volontiers des posts écrits par d’autres, des amis ou des relations occitanistes qui me proposent des textes ou que je sollicite. Mais justement, c’est moi qui publie et en général j’explique pourquoi je le fais.
Ce blog possède pourtant indéniablement une dimension collective : elle est celle du groupe de discutants qui interviennent régulièrement dans les fils de commentaire. Ce collectif n’est bien sûr et heureusement pas arrêté et toujours identique à lui-même, mais je constate qu’il a une base limousine, ce dont je suis très heureux, parce que le Limousin est aussi ma propre base géographique ; c’est là où je vis, et l’on intervient toujours depuis un lieu déterminé, même sur la toile, évidemment. Ce collectif comprend des intervenants liés ou non (mais de fait surtout) à la langue occitane. Certains interviennent pour marquer leur hostilité à la dénomination « langue » (au singulier) occitane et à l’occitanisme sous toutes ses formes et il s’ensuit, parfois de longues et assez véhémentes discussions. Sans vouloir me vanter, ce blog est à ma conaissance l'un des seuls lieux où de tels échanges sont possibles.
Pour ma part, j’interviens peu, afin de laisser une place maximale aux autres voix, préférant me concentrer sur mes posts. Cela me permet de dire que les discussions, qu’elles soient à caractère strictement linguistique ou plus larges (sur les questions de politiques linguistiques en particulier, mais aussi d’histoire, etc.) me paraissent souvent de très bonne tenue ; elles m’apprennent beaucoup, nourrissent ma réflexion et je suis sûr qu’elles confèrent au blog une grande partie de sa (très) modeste notoriété. Évidemment, on y trouve aussi des commentaires déplacés ou très faibles, exceptionnellement à la limite de l’injure, et je n’ai pu éviter parfois que tel ou tel intervenant ne pratique la reductio ad Hitlerum. Certains de mes lecteurs me disent que ces « scories » parasitent et dévaluent le propos général. J’essaie de faire en sorte que la limite de l’injure ne soit pas dépassée et je censure sans vergogne les mails qui me paraissent l’avoir franchie (mais l’appréciation est bien sûr assez subjective et je l’assume complètement, d’autant plus volontiers que cela arrive rarement).
Mon problème majeur est de n’opérer la modération qu’a posteriori, pour laisser libre cours aux échanges et au dialogue, dans la continuité (car je ne suis pas toujours derrière mon écran !) ; or la discussion a souvent déjà rebondi lorsque je lis un message que j’aurais volontiers supprimé ; je suis donc tenté de le laisser, pour la cohérence du fil, et en me disant que c’est bien sûr à l’internaute de se faire une opinion. En outre – vice professionnel – il me semble que ces discussions, même lorsqu’elles dérapent, méritent l’archivage, car elles témoignent d’un état des échanges à un moment donné sur des sujets qui, par ailleurs, ne sont le plus souvent pas considérés par les autres médias comme dignes d’attention. Surtout, ces discussions me paraissent valoir la peine d’être conservées, parce que, dans l’ensemble, je les trouve autrement plus argumentées et enrichissantes que les fils de commentaire apparaissant de-ci de-là, sur les sites des médias nationaux à propos de sujets similaires, où la part d’argumentation (et d’information) est des plus réduite (voir par exemple la discussion récente sur la question tendancieuse du Figaro soumise au vote de ses lecteurs : faut-il réduire l’enseignement des langues régionales à l’école ?). Enfin, les rares fois où je supprime des commentaires, voire exclus un intervenant, je le signale et j’explique pourquoi.
Ce que j’aime le plus, dans les fils de discussion, c’est d’y trouver des styles d’écriture et de pensée complètement différents du mien ; le pédagogisme humoristique d’un tel, la prose heurtée et toute mesclée de languedocien de tel autre, les limousinismes (et l’humour qui va avec) de tels autres, les sorties volontiers provocantes de tel accro des pseudonymes, les remarques aigues et ramassées d’un autre encore… J’apprécie aussi le passage et le va et vient entre l’oc (quelle que soit sa graphie et son appellation) et le français, qui confèrent de fait au blog, plus que mes posts, sa spécificité de naviguer entre deux langues, sans que la discussion n’exclut d’aucune manière – me semble-t-il – les internautes non occitanophones…
Évidemment, chacun défend ses idées et on ne saurait être d’accord avec tout le monde. Je voudrais surtout dire, au passage, à toutes celles et à tous ceux qui sont des lectrices/lecteurs habitué(e)s, mais ne laissent jamais le moindre signe de leur présence (phénomène que connaissent tous les blogs), qu’évidemment ils ont tort, car le renouvellement ou non, l’ouverture du propos ou sa clôture, son évolution ou son involution dépendront de leurs (non)interventions.
En partie pour cette raison, des discussions que j’avais essayé d’impulser n’ont jamais eu lieu : autour de Calandreta en particulier, dont je suis pourtant membre ; avec les élus et responsables des collectivités locales du Limousin ; avec les responsables ou simplement habitués des Francophonies en Limousin et autres personnes engagées dans le monde de la culture de la région où j’habite (sans doute, tout simplement, parce que les questions que j’agite, ne les intéressent aucunement, ce qui est bien leur droit) ; avec les journalistes locaux, ici en Limousin, qui se gargarisent de diversité culturelle sans jamais imaginer possible de publier un seul mot en oc ; avec les partisans (italiens ou autres) de la « dialectologie » ; et bien sûr avec mes collègues non occitanistes de l’enseignement supérieur et du CNRS, qui n’ont pour la plupart, comme ils me le disent à l’occasion, nullement l’intention de souiller leur plume dans la fange du net.
Le nez dans le guidon
Ce blog – faut-il le dire ? – n’est pas un blog d’information (au sens usuel du terme), mais de réflexion. Mes posts en fait, pour la plupart, n’en sont pas vraiment. Ce sont plutôt des articles, de longueur très variable, mais généralement longs, voire très, sans doute trop longs pour le format blog. C’est que je ne crois pouvoir faire œuvre utile pour le lecteur et intéressante pour moi-même, qu’à condition :
1- de donner de l’information, de communiquer du savoir, sur la base généralement d’un petit (ou gros) travail documentaire, avec liens et références (le problème des notes est à peu près insoluble, il faut être sur la page isolée d’un seul post pour que les renvois fonctionnent : visiblement le format blog n’est pas fait pour ça) ;
2- de prendre le temps d’argumenter les critiques et d’instruire les questions.
En outre, il me semble que l’on met plus de temps à (se) poser des questions et à produire de la critique (et de l’autocritique) que d’asséner ses propres convictions et des vérités toutes faites. Même lorsque la critique se veut virulente, j’essaie en effet d’en énoncer et d’en examiner les raisons.
En tout cas, sur le plan des apports documentaires comme sur celui de l’argumentation, tout ce que je présente relève de l’auto-formation car, sur les sujets que j’aborde, je n’ai par rapport à mes textes aucune longueur d’avance, je ne dispose pas d’un savoir préconstitué et d’opinions définitivement arrêtées. Je suis entièrement engagé dans l’apprentissage et l’interrogation. J’ai le nez dans le guidon. Du coup, alors même que j’essaie d’aborder les sujets les plus divers, parmi tout ce qui me tombe entre les mains ou que je vais chercher ; à l’occasion aussi de déplacements et de rencontres, chaque texte est l’équivalent d’une page de journal, une réflexion au jour le jour.
Par rapport à mes premiers posts, les enjeux ne se sont guère modifiés : il s’agit d’abord pour moi d’examiner, de l’intérieur, et avec toute la matière et la documentation qui me tombent entre les mains, une position militante dans sa confrontation avec les réalités de terrain, telles bien sûr qu’elles m’apparaissent, directement ou par la médiation de livres, d’émissions de radio, de films, etc.
Vous avez dit militant ?
Au départ, j’ai créé ce blog pour y publier les papiers que me refusaient de plus en plus souvent les quotidiens et les revues nationales, mais aussi locales, voire (plus rarement), des publications à vocation occitanistes (voir à ce sujet mes posts de 2006-2007). Ces textes n’étaient pourtant pas excessifs dans le ton, comme on peut en juger en parcourant les archives du blog, mais ils n’étaient pas recevables parce qu’immédiatement perçus comme militants, là où la seule attitude admise est l’objectivité prétendue des positions hostiles aux langues régionales (en effet, le discours dominant peut prétendre à l’objectivité du seul fait qu’il est dominant, c’est une chose bien connue) ou en tout cas des positions strictement non participantes (j’ai compris que le premier réquisit pour être autorisé à traiter publiquement des langues régionales, c’est de ne pas les parler !).
Pourtant cette position militante était, et est restée, en ce qui me concerne, minimale. Il n’en demeure pas moins que ce qu’elle met en branle, pour moi, dans ma vie quotidienne, dans ma vie sociale, est considérable. Ce militantisme tient en peu de mots. Il naît de la constatation que l’on ne peut s’approprier ou se réapproprier une langue et culture minorée, menacée d’extinction, et même, disons-le, en ce qui nous concerne, à l’agonie, que dans le combat pour qu’elle vive quand même dans notre bouche et dans nos productions culturelles. Ce combat – c’est cela le militantisme –, n’est même pas un choix, il s’impose de lui-même. Il nous est imposé. En effet, le seul fait de consacrer du temps et de l’énergie à cette réalité, d’en devenir d’une façon ou d’une autre le porteur conscient et soucieux, nous place ipso facto dans une position militante. En effet, en parlant occitan (je prends mon propre exemple, mais on pourrait en prendre bien d’autres, le cas n’est certes pas isolé) et en parlant de l’occitan, en prononçant même le mot pour désigner ce que l’on parle et ce dont on parle (cela, pour le coup, constitue une spécificité, sans être une situation unique), nous voici assignés, sans que nous ayons eu à le choisir, à une position militante.
Ceux qui pensent échapper à cette assignation en faisant de l’occitan leur métier, en passant les concours d’enseignement, en devenant chercheurs, animateurs culturels ou autre, se jettent dans la gueule du loup, car l’institution elle-même les (mal)traitera au mieux comme des militants d’une cause perdue, au pire comme de doux rêveurs inutiles et encombrants auxquels on s’efforcera par tous les moyens de faire enseigner autre chose ou de faire faire autre chose que la promotion de la langue vivante (par exemple de la patrimonialisation, de l’événementiel, etc.).
C’est d’ailleurs parce que cette position de militant est imposée, que l’on est amené si vite à s’interroger, à se demander ce qui passe, et ce que l’on a fait pour se retrouver dans cette situation d’inconfort, de décalage. C’est parce qu’on ne peut pas s’intéresser de manière participative, active à une langue réellement menacée (parce qu’évidemment une langue parlée par l’énorme majorité de la population, voire toute sa population, comme le français, n’est dite menacée que par pure paranoïa propagandiste), sans être taxé au pire de doux rêveur passéiste, au mieux (ou l’inverse ?) de militant fanatique, doctrinaire et sectaire.
Cette oscillation entre l’insignifiance et la diabolisation est peut-être d’ailleurs une condition universelle de tous les phénomènes minoritaires, dès lors qu’ils assument une certaine visibilité sociale. Même lorsque, avant toute articulation d’une idéologie déterminée, on s’en tient à la revendication ou seulement à l’aveu, même à demi mot (je veux dire par là qu’il n’y a nul besoin d’ostentation), d’une pratique ou d’une conduite… Mais c’est justement la revendication ou l’aveu, même le plus discret, qui est soit perçu comme une extravagance inoffensive, soit interprété comme prosélytisme, dogmatisme, sectarisme, communautarisme (ou tout autre mot pour affirmer une sécession délétère d’avec le reste du corps social) et traité comme tel.
Dans la situation qui est la nôtre (là nous sommes dans le spécifique), nous payons cette assignation militante non d’une répression brutale et frontale (un peu parce que nous bénéficions des garanties formelles de la liberté d’expression, beaucoup parce nous somme jugés politiquement inoffensifs), mais d’un indéniable ostracisme social, sous ce rapport là (il est clair que nous bénéficions aussi d’une situation où sont reconnues de fait, socialement – mais non certes idéologiquement – les identités multiples et nous ne sommes donc pas réduits à notre seule étiquette militante). Cette gêne amusée des collègues de travail, des voisins de paliers, des membres de sa propre famille sur cette question là, conduit forcément, me semble-t-il, à se poser une foule de questions sur cette situation dont on ne pouvait pas s’imaginer, lorsque comme moi l’on s’est prononcé tard, qu’elle pouvait être aussi inconfortable, aussi délicate, et pour tout dire, un peu honteuse.
Il faut bien prendre acte du fait que, sans même le vouloir, par ce seul geste d’intéressement actif, de souci (au sens du prendre soin de ce qui compte pour nous) déclaré ou avoué, nous nous retrouvons à contre-courant, à contremarche, à contretemps. Ainsi représente-t-on au moins une petite gêne, pour dérisoire qu’elle soit, une petit caillou dans la chaussure du monde pressé, un léger trouble au cours normal des choses, à la fluidité de l’information et à la transparence de la communication. Voilà évidemment ce qu’il en coûte de ramer à contre sens de ce que le main stream affirme être l’histoire, de s’approprier ce dont la plupart cherchent à se défaire, de se souvenir de ce que tout le monde oublie, de trouver de la dignité dans ce qui est presque unanimement voué au mépris et au ridicule. C’est-à-dire non seulement d’être assigné à une position de militant, mais aussi de militant d’une cause passéiste, réactive, réactionnaire, alors que – là aussi – nous pouvons avoir mille bonnes raisons de penser que c’est nous qui allons de l’avant en affrontant les vieilles lunes d’une conception autoritariste du vivre ensemble rigoureusement unificatrice et centralisatrice, tellement invétérée qu’elle n’est plus même ressentie, et nous le faisons évidemment au nom d’un autre monde possible, pluriel, riche de ses différences, démocratique enfin, au sens du respect, non des communautés (nationales ou autres, ça c’est la pire des conneries qui nous guette), mais des aspirations culturelles et linguistiques individuelles, pour minoritaires qu’elles soient, qui s’inscrivent dans des collectifs d’égaux.
C’est ce possible, cette possibilité là, qui donne un avenir à la pratique des langues minorées et un sens à la proposition d’engager la réflexion la plus ouverte et à la fois la plus exigeante à leur sujet. Le fait même, qu’ici, en France, elles représentent une réalité vivante, encore, malgré tout, alors qu’on les déclare mortes ou moribondes depuis deux bons siècles, ce défi d’une résistance, d’une persistance, que les esprits prétendument éclairés, depuis tant de temps, jugent néfaste, impossible ou utopique (voir à ce sujet le post sur le projet de conservatoire des patois en 1910), suffit à justifier la présente entreprise, en vérité bien modeste.
Jean-Pierre Cavaillé