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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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31 janvier 2011

Le Quattro volte, échos calabrais et langues philosophiques

 

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Le Quattro volte, échos calabrais et langues philosophiques

 

Una capra

che fa molto latte

è conosciuta

in tutto il vicinato.

Questa la ricchezza

che ci fa campare.

Il resto no,

che vuoi che t'importi.

Pochi sanno

i beni della terra

come quelli che vivono

in collina,

dov'è tempo

di alzarsi presto,

chiamarsi le capre, e partire.

                   Franco Costabile, Il resto no, La Rosa nel bicchiere

 

Je voudrais aujourd’hui, dans ce blog dédié aux langues minorées, évoquer un film sans dialogues, un film quasiment sans paroles.

Pourtant je ne crois pas être hors sujet, ou du moins pas complètement. Je m’explique. Les Quatro volte, les quatre fois, est un film tourné en Calabre, en deux villages perchés sur la crinière de hautes collines et dans leurs alentours boisés et sauvages. On y voit d’abord, durant quelques minutes, une magnifique charbonnière, comme on n’en fait plus je crois aujourd’hui en Italie qu’en cette région, du moins dans le but d’une véritable exploitation commerciale. Les enfants et petits enfants des charbonniers en construisent en effet encore ici ou là, en Toscane, dans le Vercors, en Grésigne, pour maintenir ce savoir-faire et par fascination pour ce long et complexe processus de métamorphose du bois en charbon. Dans Le quattro volte, on entend les coups sourds du plat de la pelle résonner d’une incroyable vibration, qui indique l’achèvement de la cuisson. Puis on suit un vieux berger qui vit au bord du village et mène paître ses chèvres. Le paysage est filmé magnifiquement, en plans très larges, où s’agitent dans un coin de petites figures humaines ou animales, parfois à peine visibles. Mais la caméra suit le berger, s’attarde sur son visage, fatigué. Il tousse, marche péniblement. On le voit échanger une bouteille de lait contre une pincée de poussière de l’église du village que lui prépare la bonne du curé, accomplissant le rite qui la rend efficace contre le mal. Le soir, avant de se coucher, il dilue la poussière dans un verre d’eau. C’est son seul remède. Le jour de Pâques, alors que les villageois sont mobilisés par la représentation de la passion du Christ (des figures de romains de péplums, tout de rouge vêtus, passent devant l’enclos des chèvres, Véronique tend son voile où la face du christ est déjà peinte… mais tout cela se devine de loin, la caméra a pris sa distance et balaie lentement le paysage où se presse la procession jusqu’au lointain, très lontain Golgotha), le berger meurt dans son lit et ses chèvres, libérées de leur enclos, suite à une péripétie que je ne raconterai pas, envahissent sa maison, montent sur son balcon, sur sa table de cuisine, se pressent dans sa chambre…

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Il se passe alors quelque chose d’inouï : la caméra entreprend de filmer les chèvres elles-mêmes comme elle l’avait fait du berger ; les chèvres deviennent le centre de l’attention, du regard, un chevreau naît devant nos yeux, paquet gluant qui tombe de la matrice sur le sol nu… Ce sera ensuite le tour d’un arbre où le jeune chevreau perdu s’est endormi, un très haut sapin sur la montagne, vibrant dans la lumière des saisons, un arbre que les villageois vont couper et transformer en un immense mât de cocagne porté et hissé à force d’homme selon une technique ancestrale. La fête finie, le bois débité ira servir à la fois de pièce de construction et de combustible pour la charbonnière aperçue au début et que l’on voit maintenant s’édifier et chauffer comme un volcan miniature, jusqu’à l’accomplissement de la métamorphose du bois en minéral. Ce sont les quatre fois…

Les quatre fois, ce sont les quatre règnes qui constituent l’homme selon des paroles que le réalisateur attribue à Pythagore, cité dans la bande-annonce du film : « Nous avons en nous quatre vies qui s’emboîtent les unes dans les autres. L’homme est un minéral car son squelette est constitué de sels ; l’homme est aussi un végétal, car son sang est comme la sève des plantes ; il est un animal, car il est mobile et possède une connaissance du monde extérieur. Enfin, l’homme est humain car il a volonté et raison. Nous devons donc nous connaître quatre fois. » Le film a suivi le chemin inverse, le chemin du retour de l’humain vers le minéral. Le propos du réalisateur, Michelangelo Frammartino, est donc philosophique et il est allé chercher son inspiration dans ce qu’il croit être la philosophie de la Magna Grecia, Pythagore ayant vécu et fondé son école à Crotone en Calabre. En réalité, au terme d’une petite enquête, ne retrouvant nullement dans cette citation la traditionnelle théorie pythagoricienne de la métempsychose, je me suis aperçu que la source du réalisateur – ce dont aucun critique à ma connaissance ne s’est avisé – est une interprétation rosicrucienne du philosophe produite par un auteur belge (Jean Mallinger), publiée à une heure assez sombre de l’histoire du XXe siècle[1]. Peut-être le réalisateur aurait-il été mieux inspiré de citer deux autres grands calabrais qui disent des choses similaires : Telesio, le philosophe de Cosenza, qui a proposé au XVIe siècle une philosophie de la nature très hétérodoxe où les quatre règnes sont considérés dans leur continuité graduelle et unis par le même principe de chaleur, qui est aussi sensibilité[2], et Campanella, le moine rebelle de Stilo, qui revendiqua une génération plus tard Telesio pour maître. Au fond, peu importe. Le fragment du penseur occultiste belge, qui revendiquait son pythagorisme, est ici détourné dans un sens, m’a-t-il semblé (mais il se peut, après tout, que je me trompe), beaucoup plus terre-à-terre, disons, pour faire philosophe, immanentiste et sensualiste ; du moins est-ce ainsi que je l’ai compris, que je me le suis approprié.

Toute cette culture philosophique, en tout cas, passe par des langues, des langues nobles, des langues de l’écrit : les éléments de philosophie de Pythagore nous sont parvenus en grec ; Telesio et Campanella ont composé leur philosophie en latin ; Campanella a aussi écrit de géniales poésies philosophiques et certaines de ses œuvres dans un italien littéraire où les flexions méridionales sont assez nombreuses ; Frammartino a lu Mallinger traduit du français en italien… Les villages où le film a été tourné, Caulonia et Alessandria del Carretto, sont eux évidemment tout bruissants de « dialetti » calabrais (pour être un peu plus précis, une variété de lucanien pour Alessandria del Carretto et de calabrais pour Caulonia, les deux villages étant éloignés de plus de 300 km), la langue qui sans nul doute a nourri le sensualisme de Telesio et de Campanella, mais qui est restée hors livre, hors écrit, sur leurs lèvres seules. Elle n’est d’ailleurs pas ici hors film ; on l’y entend, pour peu qu’on tende l’oreille. En effet, même privé de dialogues, ce film n’est nullement muet. Car, contrairement à ce qu’on lit sous la plume des critiques, atteints de surdité, la voix humaine y est bien présente, le plus souvent lointaine, étouffée, mais elle est bien là. Le règne humain ici, sans nul doute, parle calabrais.

 C’est à ce point que je risquerai une petite réflexion sur cette langue en sourdine. Je ne conteste pas du tout le choix du réalisateur, qui consiste à écarter la parole humaine ou du moins de la tenir à distance, afin de se focaliser sur ce que l’homme partage, en lui, avec les trois autres règnes. Je pense au contraire que cest là un choix opportun, qui prépare le spectateur à basculer avec le film dans cette part non langagière de lui-même. Mais je voudrai seulement remarquer que tout ce qui fait l’étoffe du film et ces éléments que j’ai décrit partiellement ; le travail des derniers charbonniers, l’activité pastorale, la magie et la dévotion populaires, la fête de l’arbre, ce rituel païen de la Pita reconduit chaque année à Caulonia, tout cela est indissolublement lié en cette terre, au « dialetto » calabrais. Je ne dis pas que cette langue est « par essence » celle du mode de vie montré dans le film, de cette civilisation forestière et pastorale, mais simplement qu’elle en fait pleinement partie ; elle lui est immanente. Je veux dire que dans ce que le réalisateur montre de ce monde là, en y adhérant avec la précision de documentariste (le film faut-il le dire, est une fiction, et c’est à ce titre qu’il associe et confond des lieux différents), et dans ce qu’il montre surtout par ce monde là, c’est-à-dire sa philosophie des « quatre fois », sa pensée des quatre règnes, la langue – je l’ai dit tout au plus un écho lointain, mais qui connaît la Calabre l’entend à chaque image ou presque –, joue un rôle clé, comme langue de ce monde là, langue humble d’un monde rural où l’enchevêtrement et la concaténation des quatre règnes sont encore visibles et audibles. Ce film aurait pu être tourné dans un monde d’échos occitans (j’ai bien sûr pensé à Depardon au Pont de Montvert pour la figure humaine filmée dans ses silences), dans un monde de murmures gaéliques ou sardes, mais beaucoup plus difficilement (je n’affirme bien sûr pas qu’une telle chose est apriori impossible) en un univers français, anglais ou italien. Pourquoi ? Parce que ces langues sont désormais associées à la vie urbaine, aux livres, aux journaux, aux télévisions, à tout cet affairement, cette précipitation, ce bavardage incessant qui font écran, empêchent de nous retourner sur la consubstantialité en l’homme de l’animal, du végétal et du minéral. C’est au contraire ce que nous poussent à penser les langues reléguées, les langues pastorales, celles que l’on n’entend plus que de la bouche des hommes qui vaquent à des occupations humbles et méprisés en constante relation avec les trois règnes non-humains en lhomme. C’est pourquoi, avec ces langues, ce sont des modes de vision du monde et des possibilités de penser, d’élaborer certaines formes d’appréhension du réel, qui disparaissent, et pas seulement des mots et des phrases traductibles en n’importe qu’elle autre langue.

Je donne sans doute ici l’impression de me résigner à la situation diglossique et même de l’exalter, comme tant d’autres l’ont fait, retournant le négatif en positif et le mépris en gloire. En réalité je ne fais rien d’autre que de constater qu’en régime diglossique, la langue subalterne et menacée porte avec elle des formes de culture que la langue noble refuse et qu’elle n’est pas capable de prendre en charge, et encore moins lorsqu’elle a eu la peau de la pouilleuse, parce que de ces formes culturelles, elle ne veut pas, car c’était en fait justement elles qu’il s’agissait de supprimer en même temps que l’obscur patois et l’ignorant « dialecte ». Je ne fais que constater l’immense pauvreté et l’infinie solitude du régime monoglossique. Pour que les mots de l’hermétiste belge puissent recevoir cette interprétation sensualiste, voire matérialiste, Frammartino, j’en suis sûr, est passé par le calabrais.

 

Jean-Pierre Cavaillé

 

 

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[1] Jean Mallinger, Pythagore et les Mystères, Paris, Niclaus, 1944.

[2] « C’est la même substance qui en l’homme sent et raisonne ; la substance qui raisonne, n’est en fait pas différente de celle qui sent », De rerum natura, VII, 16.

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Commentaires
J
Bonjour,<br /> Un petit mot en passant pour remercier JFC pour ses invitations de lecture.<br /> J'ai entredécouvert ainsi l'univers de Max Roqueta. C'est pas facile, mais en faisant un petit effort on y arrive sans problème.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> JP Bertrand
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N
Je viens de voir ce film au Palace, à Béziers. Surprenant et totalement dépaysant. J'ai l'impression d'avoir passé du temps avec des gens d'un autre temps, qui continuent à vivre comme leurs ancêtres le faisaient. La vie d'un homme ou d'un animal est réduite à ce qu'elle est: le chaînon d'une chaîne qui ne se rompt jamais et dont l'importance surpasse la vie de l'individu. Le groupe est puissant, solidaire et dans les travaux collectifs, chacun, sans se presser fait exactement ce qu'il doit faire, sans que personne ne semble donner d'ordres. Il répète sans doute les gestes qu'il a vu faire à son père et son grand-père. Puis, un jour, l'individu meurt, sans drame, par un concours de circonstances, parce que la mort est naturelle.Il manque dans un premier temps à la communauté parce que son travail n'est plus fait puis il est remplacé, tranquillement, par un autre individu et s'efface peu à peu son souvenir, sa trace. <br /> Ce film sans paroles est fort et plein de sens. Une ode à la différence, à la spécificité? Je me sens concernée par la disparition des langues minoritaires et ce film montre bien qu'il s'agit aussi de la diparition de façons de vivre. <br /> Il m'a semblé ditinguer le mot "cani" pour chien: serait-ce du "calabrais"?
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R
Il se trouve que ma femme est fille de calabrais, venus en France dans les années 60. Elle est la dernière et la seule à être née ici. Elle parle du calabrais comme d’une langue sèche et rude, une langue qui pète et qui blesse, une langue secrète. Mais elle ne la parle pas, c’est comme une amnésie, trop lié à la douleur de sa condition de fille d’immigré (et d’ailleurs comme tous les enfants d’immigrés elle répondait systématiquement en français à ses parents). Pour moi qui suis isolé de l’occitan par mon père et qui vit cette privation comme une spoliation, sa proximité avec la langue et en même temps son refus reste quelque chose de difficile à comprendre. Ce mystère fait partie des raisons pour lesquelles je l’admire et je l’aime. Je n’ai pas réussit à la convaincre que nous allions voir le film.
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J
Le film passait à Montpellier, où j'habite. Je m'étais promis de le voir et je l'ai manqué, à force de repousser cette résolution à plus tard, comme ça arrive souvent. Je le regrette d'autant plus à la lecture de cet article que son thème est exactement celui du roman de Max Rouquette, "Tota la sabla de la mar/Tout le sable de la mer" (original occitan et traduction française aux éditions du Trabucaire).<br /> Ce récit mythologique raconte comment la Sibylle de Cumes, aimée d'Apollon, lui demanda de vivre autant d'années qu'il y a de grains de sable dans la mer. Elle oublia de stipuler "vivre sans vieillir" et fut donc condamnée à vieillir éternellement. Elle obtint en grâce de pouvoir se transformer en éléments dépourvus de conscience. Le roman raconte donc sa longue descente dans les profondeurs du règne animal, végétal puis minéral. Cette descente au coeur de l'être, on le sait, est le sens même de l'écriture rouquettienne : c'est une quête ontologique, que l'écrivain a poursuivie toute sa vie depuis "Secret de l'èrba" paru en 1934 et dont il a compris qu'il ne pourrait la mener qu'en occitan. Ce récit (ce roman ?) est indifférent à toutes les normes d'écriture romanesque : lent, statique, labyrinthique et ressassant. Son intérêt est évidemment ailleurs que dans l'intrigue.<br /> Autre roman occitan labyrinthique et tout aussi superbe : "Trènas per d'aubres mòrts/Thrènes pour des arbres morts" de Jean-Yves Casanova. Trois parties racontent le destin de ses deux grands -pères et de son père. Or la première, consacrée au grand-père maternel, commence par l'arrachement du jeune homme qu'il était à la fin de la guerre de 14-18, hors de la charbonnière du Morvan, où s'est consumée, si l'on peut dire, son enfance, dans un travail aliénant de vestale mâle. Les phrases-univers de Casanova, interminables et tourbillonnantes comme celles de Claude Simon, évoquent cette vie à ras de terre, mais condamnent son livre (édité à compte d'auteur) à un lectorat de "happy few". Il n'est pourtant pas plus difficile que "La route des Flandres" par exemple.<br /> "Le quattro volte" trouvent donc des échos dans la littérature de notre langue d'oc, que connaît bien JP Cavaillé.
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J
Bonjour,<br /> <br /> après la lecture de ce billet, je me suis renseigné pour savoir s'il passait à Orléans, oui c'est loin de l'Occitània-granda mais c'est là où se trouve mon logement. C'est aussi témoin que à 50 minutes en train de París, on peut avoir une vie culturelle, c'est pas facile, mais avec de la volonté.<br /> Je vais continuer un peu le hors-sujet. Le cinéma d'art et d'essai (lien) qui le propose ne possède que 3 salles face aux 3 megaplexes UGC (~20 salles).<br /> Alors oui, c'est un « travail » à la semaine de faire vivre ce cinéma, pour Mme Dahmane et ses employés (le cinéma est une exploitation capitaliste), mais aussi un « travail » des spectateurs qui souvent « prêchent » la bonne parole auprès d'un public réticent à la VO (même pour Harry P.), réticents au « communautarisme » (entendu par des gais fonctionnaires français sur Ander). Le quite public populaire auquel la programmation est destinée n'est souvent pas là (la culture a un coût ou encore cinéma pour bòbò).<br /> Le cinéma est dans un quartier en travaux, avec des subventions réduites, et malgré tout, il y a une hausse des fréquentations (il faut aussi du fumier pour faire pousser les fleurs).<br /> <br /> Pour en revenir au film, fiuuuuuuuuuuu.<br /> C'est un superbe film, un de ceux que je cogne dans la partie « contemplation » de mon esprit. <br /> Superbe, calme, un film de sons comme j'aimerai pouvoir en entendre encore quelques uns avant d'être entièrement sourd.<br /> <br /> <br /> JP la rapieta<br /> Mon bilhet sus ANDER :<br /> http://rapieta.nireblog.com/post/2010/10/04/ander-roberto-caston<br /> Le site des Carmes :<br /> http://www.cinemalescarmes.com/
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