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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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20 novembre 2010

Cendrillon en Catalogne

Catalan

 

Cendrillon en Catalogne

 

 Séjourner en Catalogne et surtout s’arrêter à Barcelone, pour un occitanophone et – j’imagine – plus encore pour un catalanophone français, est toujours une expérience étrange, qui l’arrache brutalement à la situation d’extrême diglossie qui est la sienne de l’autre côté des Pyrénées. Voilà qu’il se trouve tout à coup plongé dans une réalité où, sinon sa langue, du moins sa cousine germaine (car personne ne peu nier le haut degré d’intercompréhension qui lie l'occitan au catalan) est langue officielle, langue de médias, langue de transmission scolaire et universitaire, langue de culture reconnue et surtout langue valorisée comme telle, avec une fierté affichée par ses locuteurs.

 On comprend la surprise, le trouble, et même le malaise du Français parlant occitan qui, chez lui, a dû intégrer, volens nolens, la censure et la minoration les plus violentes qui soient de son propre idiome (c'est évidemment la même chose, ou à peu près, pour les autres « patois » de France).  Il voit d'abord que le mot de « catalan » est dit et écrit partout dans celtte ville, alors que par contre, chez lui, le nom et la réalité mêmes de sa langue sont refusés par nombre de ses concitoyens et des locuteurs eux-mêmes (il n’y a qu’à parcourir les commentaires de ce blog pour s’en convaincre). A cet idiome mal connu et reconnu, on n’accorde, tout au plus, comme « langue régionale » non autrement spécifiée, que  statut d’antiquité patrimoniale (voir art. 75-1 de la Constitution), celui de « langue vivante » lui étant désormais, de fait, refusé par l'instruction publique. En Catalogne, au contraire, on parle haut et fort de « llengua pròpia », de « langue propre », concept juridico-politique (car avec lui on est au plus loin de la linguistique), qui fait du catalan « la » langue naturellement attachée au territoire gouverné par la Generalitat (et par l’État central espagnol, bien sûr), et l'institue comme langue première et préférentielle. Ce concept, qui naturalise la langue, est éminemment discutable à mon sens, mais il a le mérite de traduire une volonté politique sans ambiguïté de tutelle et de promotion de la langue. Le statut de « langue préférentielle » est-il contesté par le gouvernement central de Madrid ? C’est un million de personnes (oui un million ! chiffre tellement énorme, peut-être un peu gonflé, qu'il est ramené par à 50 000 par les adversaires effrayés) qui sortent dans la rue, comme cela s’est passé le 10 juillet 2010, même si aucun média français n'en a dit le moindre mot. Nous étions vingt mille (maximum) le 24 octobre 2009 à Carcassonne pour la langue occitane. La comparaison est cruelle, mais significative…

 

catalan

 

 

 

 

 On comprend ainsi le complexe du petit occitaniste à Barcelone, qui se transforme parfois en ressentiment. Ainsi certains, qui se reconnaîtront, dénoncent-ils le soi-disant dogmatisme et autoritarisme linguistique des Catalans. Moi je reconnais surtout dans ces contempteurs le renard de la fable : « Ces raisins sont trop verts, et bons pour des goujats ». Les francophones hostiles à leurs langues régionales, ou – comme j’ai pu le noter – pas mal d’Italiens aussi (la palme à Giustina Terenzi de Controradio à Florence) – sont furieux, choqués, outrés par cette outrecuidance linguistique, crient au communautarisme, voire, carrément (souvent entendu dans les milieux universitaires jacobins) au « fascisme », quand, équipés d’un castillan hésitant et si durement acquis, ils se trouvent frustrés de ne pas tout saisir tout de suite dans une conversation en catalan.

 Tout le monde connaît l’anecdote, avancée comme preuve irréfutable de l’étroitesse d’esprit et de l’intolérance des catalans, de la question posée par un touriste en castillan, à laquelle le garçon de café ou le commerçant barcelonais répond ostensiblement dans son « patois » incompréhensible. Pour ma part, je n’ai jamais été témoin de telles scènes ni de rien qui y ressemble. Par contre je constate la présence massive, très largement dominante du castillan et aussi, de plus en plus, dans les zones touristiques, de l’anglais. Car c’est bien là le paradoxe du catalan à Barcelone : langue officielle, langue visible, langue lisible partout, il reste, sans aucun doute, dans les usages, une langue minoritaire.

 L’une des nombreuses raisons est sans doute la forte présence d’une immigration d’Amérique du Sud, de populations qui parlent donc des variétés de castillan à leur arrivée (et certainement aussi certaines langues amérindiennes, dont quelques échos résonnent sans doute au fond de la grande métropole cosmopolite, où s'est tenu, en novembre 2009 le cinquième forum des langues amérindiennes). Un ami catalan et catalanophone (la distinction s’impose bien sûr) m’a parlé de cette nécessité de sauter sans cesse d’une langue à l’autre, ne serait-ce que pour se faire comprendre, mais aussi pour des considérations que je qualifirai d’éthique sociale : s’adresser en catalan à un immigré hisponophone peut en effet être justement ressenti comme une forme de domination symbolique insupportable. Des programmes d’acquisition du catalan sont mis en place par la Generalitat de Catalunya à destination des nouveaux arrivants mais, semble-t-il (sur ce point je me fais l’écho de propos que je n’ai pas pu contrôler), avec des succès très relatifs. Cela montre combien, même dans une situation de prise en charge institutionnelle maximale, assistée d’une forte motivation populaire, il est difficile pour une « petite » langue (parlée par plusieurs millions de locuteurs, tout de même) de se maintenir face au castillan et à l’anglais (qui de fait, devient la première langue du tourisme). Tout cela montre aussi que l’image de la Catalogne où règnerait la dictature du catalan est un pur fantasme, que les jacobins français et les nationalistes espagnols, on le comprend, ont de forts intérêts à colporter.

 Il n’en demeure pas moins que ce que voit et entend le petit occitaniste en goguette à Barcelone est tout simplement extraordinaire, inouï, inimaginable dans sa douce patrie. En fait, s’il ne boude pas son plaisir, il est un peu Cendrillon le soir du bal. Il se pince pour être bien sûr de ne pas. rêver. Il voit des mots de sa langue écrits partout (et évidemment, la ressemblance de la graphie occitane dite classique et de la graphie catalane révèle une proximité bien plus profonde entre les deux langues), il peut lire des journaux entièrement en catalan, il peut entendre des enfants parler la langue dans la rue, il peut aussi l’écouter à longueur de journée sur certaine stations de radio et sur certaines chaînes de télévision, il peut la retrouver au cinéma et au théâtre, etc. etc.

 Durant ma dernière et très courte visite à Barcelone, j’ai pu aller au  TNC, le grand Teatre Nacional de Catalunya. J’y ai vu en matinée une pièce du répertoire, Misteri de dolor, d’Adrià Gual, un dramaturge (mais aussi un cinéaste, peintre, etc.) du début du siècle dernier, l’un des principaux auteurs de ce qu’il est convenu d’appeler le courant moderniste. C’est un drame amoureux, qui met aux prises une femme remariée (Mariagna), son nouvel époux, plus jeune qu’elle (Silvestre), et sa fille de vingt-deux ans (Mariagneta). L'histoire se passe dans un village, mais nous sommes aux plus loin des scénettes folklorisantes ou de la comédie paysanne, aux antipodes aussi du boulevard ; le souci de réalisme est évident, celui aussi d’échapper à tout moralisme… La représentation était excellente à tous points de vue (texte, mise en scène, acteurs…), la salle comble et enthousiaste. Au moment du baiser fatal échangé entre la jeune fille et son beau père, un long et profond murmure désapprobateur et résigné à la fois a traversé le public.

 En sortant du spectacle, j’étais comblé, mais aussi assez amer, bien sûr. La fée des chemins de fer, quelques heures après, allait changer le carrosse du Teatre Nacional de Catalunha en citrouille limousine (il est vrai que nous en avons de belles !). Et pourtant, nous aussi  nous disposons d’un répertoire dramatique qui, certes, s’est constitué plus difficilement et, pour ce qui est du XXe siècle, plus tardivement qu’en Catalogne. Du reste, il est évident que la renaissance catalane de la fin du XIXe siècle a joué un rôle de modèle, d’ailleurs peu étudié, pour la littérature occitane du siècle suivant . Toujours est-il que nous avons un répertoire, ou plutôt nous l’aurions, s’il était mis en scène. Même les magnifiques pièce de Max Rouquette sont invisibles ; la Medelha, chef d’œuvre incontestable, n’a jamais été montée par exemple dans sa langue originale, mais seulement dans sa traduction en français. Du coup, mis à part Claude Alranq, la compagnie du Teatre de la Rampa, et quelques autres troupes, nous n’avons pas, ou pratiquement plus de théâtre, pratiquement plus, non plus d’auteurs dramatiques. Pourquoi en effet écrire des pièces qui ne seront jamais montées ?

 La visite à Barcelone conduit ainsi à des comparaisons déprimantes, en même temps qu’elle ne peut que conforter notre engagement dans la pratique et la transmission de l’occitan.

 Enfin, dernière chose, à l’attention de nos amis occitanistes qui répugnent au modèle catalan, et à l’intention aussi de tous les ennemis des langues minorées de France : la Generalitat a récemment reconnu, cette année même, l’occitan du Val d’Aran comme langue officielle de Catalogne. Une réception officielle a même été organisée à Paris, à l’office de la Generalitat, où j’étais convié avec d’autres militants occitanistes. Je n’y suis pas allé, car la vie est courte et les mondanités fastidieuses. Mais comment ne pas se sentir flatté, quand on est par ailleurs, chez soi, considéré au mieux comme un sympathique hurluberlu, au pire comme un chien crevé ?

 

Jean-Pierre Cavaillé

TNC
Teatre Nacional de Catalunya

 

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Commentaires
D
Pour finir, deux autres liens :<br /> <br /> La diversité linguistique est-elle un danger pour l'unité du Maroc ?<br /> http://www.lematin.ma/Actualite/Express/ArticlePrint.asp?id=104545<br /> <br /> La langue française sert-elle à quelque chose ?<br /> http://www.eurominority.eu/version/bre/reports-detail.asp?id_actualite=1517
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M
Complètement d'accord avec Degun.<br /> Je conseille à tous les lecteurs de ce blog, très documenté et très interessant,de se créer "une alerte" net concernant , la "francophonie et la défense de la diversité", deux valeurs chevillées l'une à l'autre selon les blocs républicains , jacobins , academiciens etc... Il obtiendra de multiples réponses par jour , et la preuve de l'activisme indomptable des defenseurs de la diversité partout dans le monde , sauf ici. Bref tous ces hommes et femmes, adeptes de Goebbels, qui persistent à se prendre pour des démocrates et qui n'hésitent pas à faire la leçon à tous les pays de la Terre , sans voir la poutre , pour ne pas dire le baobab qui leur obture complètement le champ du visible. Et sans voir que le monde se fout complètement des "attitudes " du microcosme parisien. <br /> Ce pays va parler anglais puisque ses élites préfèrent parler l'anglais au travail, et qu'il est complètement assujeti à la pensée anglophone. <br /> Alors ils finiront bien par nous lacher un jour?
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D
Je me permets de donner deux liens assez officiels vers deux sites qui expliquent bien des choses sur la question du plurilinguisme et de la diversité linguistique.<br /> <br /> http://www.onesta.net/vade%20mecum.pdf<br /> http://edl.ecml.at/LinkClick.aspx?fileticket=JrkRu8eHjGs%3D&tabid=1860&language=fr-FR<br /> <br /> A noter, p. 5 du premier lien, la position de l'experte indépendante des Nations Unies sur les minorités.
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D
Question à République ?<br /> <br /> D'après vous, le plurilinguisme serait-il donc néfaste à la société et à ses citoyens ?<br /> Si oui, pourquoi ?<br /> <br /> En quoi les langues dominantes auraient-elles plus de valeur que les autres si bien qu'il serait légitime de faire disparaître, ou laisser disparaître, les idiomes infra-nationaux ou moins répandus ? <br /> La culture en général, et les langues en particulier, devraient-elles donc selon vous se plier à une forme de sélection "naturelle" (devenue culturelle pour le coup) : loi du plus fort ou du mieux adapté ?<br /> <br /> Quant à l'anglais omnipotent, il faut se rendre à l'évidence, c'est bien la langue internationale dominante. Le français n'a plus du tout à l'international le prestige d'autrefois, prestige bien artificiel au demeurant. En France, les multinationales mènent leurs réunions en anglais même quand il n'y a que des francophones présents. On assiste à une substitution linguistique et franchement au vu du comportement que les franco-français ont eu à l'égard des autres langues de France, cela ne me donne pas franchement envie de défendre la langue française d'autant plus que je maîtrise très bien l'anglais entre autres langues.
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R
Le français, un patois, ou en passe de le devenir ? Vous prenez vos désirs pour des réalités. J'ai plutôt l'impression que vous ne sortez pas beaucoup de chez vous. J'ai des amis iraniens qui parlent un excellent français et qui l'ont appris à Téhéran depuis l'âge de 12 ans comme un certain nombre de leur compatriotes et qui ne sont pas forcément richissimes. <br /> <br /> Vos savez, la langue de la République et les valeurs de la République sont beaucoup plus aimés que vous ne l'imaginez à l'étranger.
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