L’Institut d’Études Occitanes : dix ans de travail dans l’étouffoir limousin
L’Institut d’Études Occitanes : dix ans de travail dans l’étouffoir limousin
La salle des fêtes (dite Polyvalente), à Uzerche, se situe entre la maison de retraite et le cimetière. Les Limousins, je l’ai souvent constaté, ne sont pas exempts d’un bel humour macabre. C’est là que, le samedi 7 novembre 2009, s’est déroulée la fête des dix ans de l’Institut d’Études Occitanes du Limousin. Vincent Lagarde, son président, dans son petit laïus d’accueil, n’a pas manqué de noter la dimension hautement symbolique du lieu des festivités, en ce début du mois que l’on appelle en Limousin « lo mes mòrt », le mois mort, qui est aussi le mois où l’on fête les morts. C’est qu’en cette région, plus encore peut-être qu’en aucune autre des zones occitanes, le chemin qui va pour la langue de la maison de retraite au cimetière semble tout tracé, et la halte à la salle des fêtes paraît bien dérisoire et anecdotique ; tout au plus dérange-t-elle, de manière minimale et périphérique, le grand travail de refoulement et d’étouffement auquel, depuis des décennies et des décennies, se livre ici non seulement la classe des notables, des élus et des enseignants, mais aussi, il faut le dire, la plus grande partie des gens, qui commencent à peine, à peine à se dire que peut-être il y avait des perles dans ce tas de fumier dont on a débarrassé les cours des fermes limousines. On risque donc bien de passer directement du refoulement au deuil sans avoir rien fait ni tenté pour donner à la langue la moindre chance de survie, sous quelque forme que ce soit.
Bilan
S’il existe cependant un projet aujourd’hui en Limousin pour perpétuer la pratique de la langue, en préserver la mémoire, la transmettre et l’exploiter dans la création culturelle, c’est celui de l’IEO, qui doit essentiellement sa difficile permanence au soutien de la Région et de la Drac, mais d’abord à l’obstination de ses membres professionnels et de ses adhérents. Car en dehors de l’IEO, de la structure Calandreta de Limoges, des éditions du Chamin de Sant Jaume (Meuzac) et peut-être de ce qui reste du Félibrige, les initiatives résolument tournées vers un avenir possible de la pratique de la langue sont très rares, alors même que l’on trouve dans la région de nombreuses structures locales (rattachées ou non au Félibrige) qui, à leur manière, continuent à faire vivre la langue, mais réduite au statut de « patois » et tournée presque exclusivement sur le passé. D’ailleurs le fait même que ces deux types d’initiatives coexistent en demeurant complètement étrangères l’une à l’autre est un problème crucial, sur lequel je reviendrai.
Je n’entame pas cette réflexion au hasard ; l’équipe de professionnels l’IEO (je donne leurs noms qui, par un souci de discrétion maladive toute limousine, ne figuraient même pas dans les programmes : Magalí Urroz, Jean-Marie Caunet, Jean-François Vignaud, Sophie Peytoureaud et Pascal Boudy[1]) avait choisi de consacrer tout l’après-midi du 7 novembre au bilan de son action et à ses perspectives en présence de quelques élus, administratifs et représentants d’autres régions. Je n’en ferai pas ici un compte-rendu en bonne et due forme, pour lequel je ne suis d’ailleurs nullement mandaté ; ce sont donc à des considérations subjectives que je vais me livrer, n’engageant que moi, c’est-à-dire, en l’occurrence, un membre lambda de l’IEO du limousin et de la Calandreta lemosina, sans aucune responsabilité administrative ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux structures. C’est cette irresponsabilité qui me donne toute liberté d’expression, je crois, ajouté au fait, bien sûr essentiel, que les discussions, ce jour là, étaient publiques et ainsi, me semble-t-il, publiables. Les quelques citations que je ferai des interventions sont issues d’un enregistrement personnel et donc parfaitement vérifiables, le cas échéant.
Partons du bilan. On ne peut contester qu’il est globalement très positif, malgré toutes les difficultés rencontrées (voir infra). Il faut d’abord signaler que la section limousine de l’IEO, créée sur un projet de professionnalisation des agents culturels impliqués, est une structure associative parfaitement saine sur le plan budgétaire, qui s’autofinance à 40 %. Comme l’a rappelé Jean-Marie Caunet, ses champs d’interventions sont multiples et la somme des réalisations est impressionnante pour une équipe aussi restreinte : enseignement (2400 heures de cours d’occitan depuis 1999) ; enquêtes ethnolinguistiques ; expositions ; édition (livres, cd, dvd, voir par exemple Memòria de l’aiga) ; organisation de stages ; entreprise de spectacles (320 cachets en 4 ans) ; gestion de la Libraria occitana (et son transfert rue Haute-Vienne à Limoges) ; collaboration à la pose de panneaux bilingues ; programmation à l’Estivada de Rodez ; opération à Beaubreuil en 2003 en partenariat avec les communautés turques, kurdes et nord-africaines ; organisation des Assises régionales de la langue occitane en 2006, etc.
Surdité et déni de droit
Toutes ces réalisations sont d’autant plus remarquables qu’elles ont eu lieu dans un climat d’indifférence à peu près générale, sinon d’hostilité ouverte ou larvée. Prenons par exemple les Assises régionales de l’occitan en Limousin qui se sont tenues les 24 et 25 mars 2006 à Limoges, pourtant très bien préparées (j’y étais) et sur lesquelles les associations impliquées avaient placé un grand espoir. Malheureusement ces journées ne rencontrèrent à peu près aucun écho, ni parmi les élus, ni auprès du rectorat, ni dans les médias. La déception est tout à fait légitime ; dans les propos de Lydie Valéro, conseillère à la DRAC limousin pour le livre et la lecture (et soutien de la première heure), elle se change même en colère car – au moins en ce qui concerne le rectorat – on a ici affaire à un pur déni de droit. Je citerai les propos qu’elle a tenu le 7 novembre, qui me semblent d’autant plus forts et marquants qu’ils furent entièrement improvisés au fil des discussions : « Vous avez organisé il y a quelques années des Assises régionales de la langue occitane sur lesquelles j’étais moi très enthousiaste… auxquelles je croyais beaucoup et […] j’ai tout fait pour que ce soit un succès. Je reste vraiment déçue des oreilles fermées en face de vous et de tous les médias que ce soit la télé ou la radio comme du rectorat […] : une surdité à ce point, c’est effrayant […] c’est écrit dans les textes qui régissent les radios et les télévisions régionales et qui ne sont pas appliqués chez nous, dans cette région. Et je parle ici en tant que citoyenne non en tant que représentante du ministère de la culture. Je pense que vous aviez fait tout ce que vous pouviez pour les interpeller, pour leur demander de remplir leurs devoirs, qui sont écrits dans leurs textes. Si aujourd’hui il n’y a pas des personnes pour leur demander qu’on applique la loi, on ne va pas avancer. Et du côté de l’enseignement, c’est terrible. Si les jeunes n’ont pas la possibilité d’apprendre cette langue à l’école, ça va être terrible… ».
Il faut dire que les choses ne se présentaient pas de manière favorable, aux assises elles-mêmes. Le rectorat par exemple joua comme à l’accoutumée la politique de la chaise vide, de sorte qu’il n’eut pas à entendre le réquisitoire argumenté de Dominique Decomps sur le sujet (intervention publiée sur ce blog) et on ne peut dire que les élus se soient pressés au portillon ! Quant aux médias, malgré la présence plus que timide de FR3 (sans aucun engagement d’aucune sorte, d’où l’on ne s’étonnera pas qu’il n’y eut aucune sorte de suite) et la présence amicale de Radio-Bleu Périgord (pour l’émission Meitat Chen Meitat Porc), ils furent encore plus discrets.
On peut résumer les choses comme le fit Jean-Marc Siméonin le 7 novembre : « surdité de l’Éducation Nationale, hostilité de la ville de Limoges et du département de la Haute-Vienne. J’ai toujours vu ça et c’est toujours, toujours pareil, c’est un mur ». Cela, sans aucune doute, en découragerait et en décourage plus d’un ; c’est de toute façon le but recherché, sans paranoïa, en mesurant les choses de la manière la plus posée et la plus équilibrée : décourager non par la persécution (les fixations identitaires nationales ont trouvé d’autres boucs expiatoires, comme le montrent les récents débats imposés par arrêtés préfectoraux), mais par la politique de la surdité, en effet, et du mépris.
Prenons la situation de l’enseignement ; elle est absolument catastrophique et nous sommes dans le déni de droit le plus complet. Le rectorat n’a jamais réuni le conseil académique des langues régionales comme cela est prévu pourtant dans les textes ; les postes sont supprimés et jamais remplacés. L’enseignement en primaire et dans le secondaire n’est plus désormais qu’un reliquat. L’IEO a tenté de s’impliquer et de proposer des interventions dans ce vide abyssal. Jean-François Vignaud en a fait le bilan. Si la demande d’enseignement à destination des adultes ne fait que croître, tous les partenariats avec l’éducation nationale se sont à ce jour soldés par des échecs, à l’exemple des interventions dans le parc du Périgord Limousin qui après deux ans d’efforts – le temps de mettre les choses en place – n’a pas été reconduit… Selon les propres mots de Vignaud, « on s’épuise »… Mais, comme l’a bien remarqué Yves Lavalade, le problème en l’occurrence est celui d’un véritable recrutement de personnel par l’Éducation nationale et de la formation de maîtres (un seul enseignant du secondaire en ce moment en formation avec des compétences en Limousin).
Estela Parot-Urroz a apporté à ce sujet son témoignage : elle est une jeune professeur des écoles formée pour enseigner l’occitan, à laquelle on n’a jamais donné la possibilité d’exercer ses compétences. Ce n’est qu’après avoir cessé d’enseigner qu’elle a pu intervenir pendant trois ans, les samedi, dans une école du sud Haute-Vienne. Les enseignants furent alors mis en demeure d’arrêter, au motif que cet enseignement était préjudiciable à celui de l’anglais. L’équipe enseignante a cependant décidé de continuer, malgré les injonctions. Estela Parot-Urroz apporte d’autres exemples : ici une jeune institutrice dotée d’une habilitation en occitan, une fois en poste en Haute-Vienne est enjointe par sa hiérarchie à renoncer à l’enseignement de l’occitan et obligée de passer une habilitation en anglais (abjuration de l’occitan et conversion forcée à l’anglais : merveilleux effets des dragonnades linguistiques du rectorat !) ; là un projet d’enseignement élaboré par deux maîtres intégrant l’occitan est refusé, etc. l’inspection académique, à chaque fois, affirmant que les textes ne prévoient plus d’enseignement des langues régionales. De sorte que cet enseignement n’existe plus désormais à l’école publique en Limousin que de manière sporadique ; il est devenu de fait, là où il existe, plus ou moins clandestin, dissimulé sous les autres matières. Dans ces conditions, il est bien entendu impossible de former des locuteurs. Pourtant un tel enseignement jouit d’un capital évident de sympathie chez une partie importante des parents, qui ignorent généralement à quel point la situation est bloquée et décourageante, d’autant plus que nous n’avons aucun moyen, en dehors d’Internet, d’informer la population ; les quotidiens régionaux refusant de publier tout ce qui pourrait apparaître comme polémique sur ces questions, où seules sont permises des platitudes sur les bienfaits de la diversité culturelle (énoncées en français évidemment, pas une ligne de limousin dans les journaux, pas une, merci l’Écho, merci Le Popu !).
Professionnalisation à double tranchant
De sorte que c’est dans toutes ses activités ou presque que l’IEO se trouve mis en difficulté, étroitement bridé, je dirai même humilié ; lorsque par exemple on lui fait savoir que le collectage ethnographique ne saurait être une priorité (alors qu’il est évidemment – et de la manière la plus objective qui soit – une urgence absolue, voir mon compte rendu du dernier ouvrage réalisé par l’IEO Limousin), lorsque il trouve les salles de concert fermées à ses propositions (quand les artistes ne sont pas purement et simplement exclus des lieux où ils déplaisent aux élus comme Jan dau Melhau de la ville de Limoges).
Or, force est de constater que toutes ces difficultés sont accentuées par le fait même de la professionnalisation de l’équipe… Car le problème est aussi là ; les permanents se plaignent d’avoir à déployer une énergie énorme, et une bonne partie de leur temps, à monter projets sur projets (les projets dans les systèmes d’évaluation en vigueur devenant étrangement une sorte de fin en soi, la réalisation devenant une sorte d’appendice au projet, de formalité à se débarrasser au plus vite), à consolider la masse salariale... et à servir de faire-valoir pour les quelques institutions qui les aident ou les sollicitent. Ce qui vient à manquer alors, comme le déplore Vincent Lagarde, est bien sûr la dimension militante et revendicative de l’IEO.
C’est pourquoi, lorsque Jérémie Obispo, qui représentait le 7 novembre le Conseil régional d’Aquitaine, après avoir pourtant entendu ce constat accablant, nous a expliqué que les gens de l’IEO étaient trop militants et pas assez professionnels (du moins est-ce ainsi que je résume, pour ma part, les propos suivants : « je vois [...] àquel point il est difficile de structurer, de professionnaliser le milieu associatif occitan et notamment l’IEO et je crois que ce qui fera que la politique concertée pour l’occitan marchera dans les prochaines années c’est certes les efforts que feront les régions mais c’est aussi la capacité des associations comme l’IEO qui symbolise quand même l’occitanisme, cette capacité à se professionnaliser et surtout à distinguer le côté militant et revendicatif et l’aspect institutionnel parce qu’il est difficile de manier les deux : on peut pas d’un côté réclamer une institutionnalisation et de l’autre…[mot inaudible : militer ?]… c’est très difficile » ), il fut bien difficile de ne pas en concevoir une certaine amertume, voire irritation. Car c’est évidemment dans les régions où les militants sont les plus nombreux et les plus forts, comme justement en Aquitaine (avec la présence du basque et de l’occitan) que les choses avancent. Ainsi, Obispo a-t-il présenté l’Amassada, Conseil de développement pour la langue occitane en Aquitaine, composé de 85 membres, relevant de 3 collèges (institutionnels, associatifs et partenaires sociaux) destiné à structurer la politique linguistique occitane (enseignement, formation, spectacle vivant etc.) et à construire l’interrégionalité en matière de politique publique autour de l’occitan[2]. Cet aspect intéresse bien sûr au plus haut point le Limousin. Selon Vincent Lagarde, la coopération interrégionale est d’ailleurs le seul espoir d’un déblocage de la situation et d’un développement de l’intérêt des pouvoirs publics pour la langue. Je ne suis hélas pas du tout sûr que cela suffise, en l’absence d’une véritable organisation militante structurée et d’élus véritablement impliqués...
Il faut dire, comme l’a rappelé Jan dau Melhau, qui a dressé rapidement l’historique de ce qui existait avant la création de la section régionale de l’IEO Limousin (qui n’a certes pas inauguré les activités occitanes en Limousin), que l’occitan n’a cessé de reculer sur tous les fronts ou presque depuis les années 70, où des veillées pouvaient rassembler jusqu’à 300 personnes, où il était possible de donner des spectacles sans traduction, où les pressions militantes avaient permis l’ouverture de postes d’enseignements aujourd’hui presque tous perdus... La seule avancée notable, outre la professionnalisation des acteurs culturels (avec les ambiguïtés que l’on a dites), est celle de la pause, ici ou là, de panneaux bilingues (Yves Lavalade a fait un exposé détaillé sur la toponymie et les propositions de panneaux)… Maigres, maigres consolations.
Allez jouer sur Internet
Mon pessimisme est évidemment fondé sur le constat esquissé plus haut, mais aussi sur ce que j’ai entendu dire ce 7 novembre, non de la part des élus (très rares du reste : à souligner cependant la présence bienveillante de la sénatrice Bernadette Bourzai, qui s’est dite personnellement impliquée dans la revendication d’un projet de loi pour les langues régionales, dont on sait officiellement que le ministre de la culture ne veut pas), mais de celle des administrateurs et en particulier par la voix de la région, Marie-Annick Bernard Griffiths, Directrice des Services Culturels du Conseil Régional du Limousin. Cela me coûte vraiment à dire, car s’il est une institution qui s’implique pour l’IEO, c’est justement la région, et particulièrement Marie-Annick Bernard Griffiths, fortement impliquée auprès de l’association depuis sa création. Cependant, elle n’a cessé de répéter, dans une langue de bois qui, je le dis en toute franchise, m’a fortement agacé, que toutes les demandes (oh combien modestes !) ne sauraient être à l’avenir satisfaites (« on ne pourra répondre à toutes les urgences », façon de dire évidemment que toutes les urgences n'en sont pas), arguant de manière insistante de la disparition accélérée des locuteurs (sans que ne soit jamais proposée la moindre enquête statistique à la fois sur le nombre de locuteurs et sur ce que les gens penseraient d’un enseignement de la langue, par exemple), et ne proposant d’autre alternative que d’occuper des « niches » Internet encore vacantes ! Ce qu’elle a appelé « vivre avec son temps »… proposant en particulier d’investir le site Culture en Limousin, voulu par la région et porté par l’Agence Technique et Culturelle de la Région Limousin, ce qui est d’ailleurs déjà le cas, mais qui ne constitue pas franchement une grande révolution (à ce jour, ce site est surtout un agenda, à l’habillage plutôt tristounet). Nous sommes heureux d’apprendre qu’il reste une place pour l’occitan dans les catacombes d’Internet, où nous nous retrouvons en effet pour communier notre amour de la langue, faute de pouvoir le pratiquer ailleurs ! Que l’on sache une bonne fois, qu’Internet pour nous, est un pis aller et que nous ne nous en satisfaisons pas[3]. En particulier, il nous coupe d’une partie considérable des locuteurs, qui donnent pourtant sens à notre action. Mais Internet est devenu la réponse toute prête à l’effacement de toute forme de visibilité et audibilité publiques de la langue : plus d’occitan à la radio, à la télé, sur les journaux, à l’école, dans les salles de spectacle ? Mais enfin, grosses bêtes, apprenez à jouer sur Internet, faites des sites, ouvrez des blogs, ça ne coûte rien, vous vous amuserez comme des fous et n’emmerderez plus personne ! Car la crainte hélas, derrière tout ça, est toujours la même, explicitement déclarée par la conseillère : à travers l’appropriation d’Internet « il faut réfléchir, trouver un autre modèle [de quoi ?], sans en arriver à une situation conflictuelle, comme de faire sauter le rectorat ! » (je tiens à préciser que personne ne fit la moindre allusion à ce type d’action). « Le conflit, ajouta-t-elle, on l’a évité il y a 20 ans, il ne faut surtout pas le reprendre aujourd’hui »… alors même qu’elle venait d’expliquer une minute avant que les avancées en Aquitaine étaient, pour une bonne part, dues à la présence des basques et de leurs revendications… Contradiction éclairante… Mais au fait, quel est ce conflit monstrueux qui a été miraculeusement évité il y a vingt ans ? En 89 l’occitanisme était déjà en pleine décrue et certainement pas en voie de radicalisation… Du reste, l’a-t-il jamais été en Limousin ? Les militants limousins furent surtout et essentiellement des acteurs culturels, parfois de premier ordre, comme Melhau, Chadeuil, Combi, Siméonin et quelques autres… Alors pourquoi agiter ces ridicules épouvantails ? Hé bien, semble-t-il, à seule fin d’engager les militants culturels à prendre leur désespoir en patience et à sublimer leurs pulsions linguistiques sur Internet. En effet, de tels propos, de la part de la porte-parole d’une institution engagée auprès de l’IEO ne porte guère à l’optimisme…
L’avenir (comme toujours) est à contre-courant
Et pourtant il fallait bien, il faut bien, malgré tout, envisager des perspectives : Vincent Lagarde est convaincu, soutenu par Jan Moreu, président de l’IEO national, qui était présent, que l’avenir de l’occitan est conditionné par la capacité des acteurs à sortir du ghetto linguistique et culturel, en travaillant au développement économique et social, la labellisation de produits, les interventions mobilisant le lien social et l’aménagement du territoire. Des projets investissant ces domaines, que l’on ne peut détailler ci, se développent en effet dans les régions les plus proches (voir par exemple les activités de l’Amassada en Aquitaine, déjà citée, le label « òc per l’occitan »), ou plus lointaines (Bretagne et Pays Basque), dont il serait judicieux de s’inspirer, comme l’a souligné Jan Moreu… Voilà du reste qui devrait suffire à rassurer ceux qui font encore semblant de croire au péril révolutionnaire occitan ! Il est évidemment urgent de travailler à la mise en place de véritables politiques linguistiques à l’échelle régionale et nationale ; Moreu a fait remarquer à ce sujet qu’il y a 10 ans, personne en France ne parlait en terme de « politique linguistique », alors que les Canadiens le font depuis plus de 40 ans et les Gallois depuis 30 ans… Moreu a évoqué également le colloque récent de Tarbes (20 et 21 novembre 2009) organisé par l’IEO, consacré à la transmission familiale de la langue, interrompue et pourtant vitale. Cette question là aussi doit être posée bien sûr en Limousin.
Je me permettrai, pour terminer, d’y aller de quelques propositions, qui vont pour la plupart plutôt à l’encontre de ce que j’ai entendu le 7 novembre, car s’il s’agit bien pour moi aussi de sortir du microcosme occitaniste, cela veut dire évidemment et nécessairement refuser le replis, la retraite sur Internet. Ces réflexions me sont venues en entendant les propos tranchants de Melhau, contre un intervenant qui disait, à mon avis à juste titre, que de nombreuses initiatives locales, extérieures à l’IEO et hors de structures fixes (encore qu’il faudrait vérifier), passaient complètement inaperçues. Il nous apprenait qu’au moins deux spectacles de contes et de théâtre en « patois » avaient lieu ce même 7 novembre en Corrèze. Melhau déclara qu’il connaissait ces gens, dont certains mêmes – dit-il –, sont à l’IEO, qui continuent éternellement à faire des soirées « patois », bien sympathiques, mais qui ne relanceront jamais le spectacle de qualité en langue occitane. Oui, ajouta-t-il, des gens se rassemblent pour parler « du » patois, mais ils ne parlent pas pour autant patois. Or, pour ma part, je ne suis pas certain que ces protagonistes soient en fait tous véritablement connus et qu’on ait envie de les connaître. C’est un tort, car ils sont un lien, même indirect et faussé par le mot de patois, avec la langue encore parlée en Limousin. La première chose à faire serait de recenser toutes ces initiatives sans exception et d’envisager des collaborations. Je me souviens qu’il y a deux ou trois ans le groupe théâtral de l’Eglantino do Limouzi cherchait désespérément de jeunes recrues, mais il me fut impossible de tisser des liens. Quant au recensement, je croyais qu’il était naïvement à l’ordre du jour des Assises de 2006, mais ce ne fut pas le cas. On peut, au-delà, rêver d’une enquête sérieuse sur les pratiques et aspirations linguistiques en Limousin, on devrait même l’exiger, car je suis sûr que l’on aurait des surprises, certaines très désagréables (désertification de la langue en certaine zones), d’autres moins… Cet état de lieu est un préalable, me semble-t-il, à toute politique linguistique cohérente.
Dans tous les cas, j’ai la conviction qu’il est impératif de se dégager de la morgue et du dédain élitaires de l’occitaniste par rapport au patois (n’en déplaise à la plupart de mes camarades), non que je reconnaisse une quelconque validité à la notion (je me suis assez souvent expliqué à ce sujet), mais parce qu’il nous revient à nous, en les intégrant à nos projets, de prouver que ce que les locuteurs appellent patois, est bien ce que nous appelons occitan. Par provocation, mais pas plus que ça, j’ai plus d’une fois proposé que l’on vende les œuvres patoisantes et anti-occitanes de Mourguet (voir mes divers comptes rendus à ce sujet, ici même) à la Librairie occitane, à la fois par cynisme commercial et principe de tolérance ; c’est à nous de montrer aux lecteurs qu’il existe aussi des livres plus sérieux que ceux de Mourguet.
Il est au moins une chose que nous pourrions faire, et facilement, c’est de rendre accessible, dans leur graphie originale, des œuvres mythiques de la littérature en Limousin, comme les géniales Fables en vers patois de Jean-Baptiste Foucaud (par exemple l’édition de 1809) ; La Niorla d’Édouard Cholet Lingamiau ; certains recueils de Panazô (encore que pour Panazô il faille régler la question des droits)…[4] Je ne cesse en effet de rencontrer des gens, à la campagne surtout mais aussi en ville, qui recherchent ces livres, dont ils se sont délectés en d’autres temps, et qui seraient très heureux d’en disposer à nouveau. Rien ne nous empêchera de faire par ailleurs, le cas échéant, de nouvelles éditions critiques assorties d’une transcription en graphie classique ; mais l’urgence est selon moi de mettre ces ouvrages à disposition, tant qu’ils ont des lecteurs potentiels. Je n’ai d’ailleurs jamais bien compris cette frénésie de transcription systématique des textes plus ou moins anciens en graphie classique ; un texte, qu’on le veuille ou non et même si bien sûr il est possible de le transcrire, est attaché à sa graphie originale. Nous n’avons pas à avoir honte des graphies patoisantes, même si nous avons opté, pour mille bonnes raisons, pour la graphie classique dans l’écriture contemporaine.
J’insiste sur ce point, parce qu’il me semble symptomatique du fossé considérable qui continue de séparer locuteurs et occitanistes, entre autres sur la question graphique : il me paraît tout à fait légitime que les gens aient envie de retrouver le Lingamiau qu’ils ont connu, sans que l’opération ne soit accompagnée d’une rééducation graphique. Ce sont par des initiatives similaires qu’il deviendra possible de s’assurer cette collaboration intergénérationnelle (en particulier des plus âgés avec les plus jeunes) qui se développe un peu partout (voir par exemple l’article concernant la Bretagne dans le récent n° 745 de la Setmana) et sans laquelle nous ne saurions renouer le fil de la langue.
Jean-Pierre Cavaillé
Libraria Occitana, enseigne, rue Haute-Vienne. photo Josianne Pradoux
[1] A noter que tous ne sont pas des permanents. Pascal Boudy n’est affecté à l’IEO qu’un jour par semaine.
[2] Voir le compte rendu en ligne de la séance de 7 décembre 2009.
[3] Je n’ai évidemment rien contre Internet, certes, mais je veux simplement dire qu’il ne saurait suffire à lui seul à faire vivre une langue ; cela tombe tellement sous le sens, que je me dispenserai de plus amples développements. Qu’on cesse donc de nous le présenter comme le remède miracle.
[4] Je me rends bien compte de l’hérésie que je viens de proférer, à l’heure où l’on peut encore se déchirer autour de la proposition d’écrire Limòtges (graphie classique conforme à la prononciation des usagers) plutôt que Lemòtges (version bêtement étymologique) sur les panneaux d’entrée de ville.