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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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23 juin 2007

Sempre vivu ! 100 % Corse

 

semprevivu

 Sempre vivu ! Robin Renucci a pris un titre corse pour un film très largement tourné en langue corse, dans le village d’Olmi Capella dans le territoire du Giunssani. « Toujours vivant », « totjorn viu », comme on dirait nous ; toujours vivant, le maire de ce village de montagne que tout le monde croit mort, quiproquo servant de moteur à une belle comédie à l’italienne, « toujours vivant » aussi, sempre vivu, le corse, la langue corse et bien vivants, toujours vifs les corses eux-mêmes, malgré leur exode sans fin, leurs luttes fratricides, les difficultés de tous ordres et, surtout peut-être, leur folklorisation. A tout cela, ils ont pourtant survécu. Comme le dit le sous-titre : « Qui a dit que nous étions morts ? ». Le film, dans l’ensemble très roboratif, est à la fois une satire sans concession de la société corse et une preuve par la langue et les actes de sa vigueur. Renucci n’évite aucun des sujets qui fâchent, comme la corruption des élus ou le combat nationaliste, et les traite sur le mode de la farce sans sombrer pour autant dans les poncifs éculés et humiliants des Astérix en Corse et autres Enquête corse. C’est que le regard vient de l’intérieur, et porté justement par la langue, le jeu diglossique du français et du corse, qui donne poids et sens à des personnages servis pour la plupart par des acteurs du cru, improvisés et néanmoins excellents. Angèle Massei, en particulier, alias Lelle, femme du maire Pantaleone, octogénaire truculente, crève l’écran. Le personnage inattendu de la bonne venue des Indes lointaines est aussi une belle trouvaille, tout à fait à sa place dans un film où l’illustration de l’identité locale se fait dans l’ouverture au vaste monde, et pas seulement au continent, d’où reviennent les enfants prodigues accompagnés de blondes évaporées et dont on espère les subsides salutaires. La relation au pouvoir central, pour le moins ambiguë, est bien illustrée par la réception de cet improbable ministre descendu du ciel dans son hélicoptère, le temps de signer un contrat pour la création d’un théâtre dans ce village de 150 habitants et d’assister à un spectacle nocturne.

 Le théâtre, omniprésent dans le film – une mémé ne cesse de parler d’Antigone – est en fait la grande affaire de Renucci. Non content d’être l’acteur que tout le monde connaît, il organise les Rencontres Internationales de Théâtre en Corse et a fondé l’ARIA (Association des Rencontres Internationales Artistiques), structure qui s’inscrit dans la tradition de l’Éducation Populaire, dont l’acteur-réalisateur est lui-même issu et qui, depuis 1998, a produit de nombreux spectacles dans l’île, dont une bonne dizaine en langue corse. Du reste, le film est né d’un atelier d’écriture, que le réalisateur a animé en Corse avec l’écrivain Ricardo Montserrat et peaufiné avec plusieurs scénaristes dont, in fine, le non moins fameux Jean-Bernard Pouy, auteur de la série du Poulpe. De cet atelier était sorti, comme le raconte le réalisateur, « l’idée de la frénésie d’un village qui découvre le théâtre puis celle de la mort d’un homme. ‘Avà hè mortu’, disaient-ils, ce qui signifie ‘Maintenant il est mort’ ». Avà hè mortu est du reste le titre d’un précédent spectacle et d’un précédent film de Renucci : « l’atelier d’écriture avait débouché sur une pièce de théâtre noire, sombre, autour des rituels de la mort, j’ai voulu que le film soit baroque car la Corse est théâtrale  et baroque, mêlant profane et sacré, dorures, fastes, maquis épineux et bouses de vache... ».

            Dès le début, un partie des rôles majeurs étaient destinées à des voisines du village et des gens des environs, tenus au secret de leur élection : « Pendant toutes ces années où j’étais en train d’élaborer le scénario, je n’ai rien dit aux quatre mémés du village pour qui j’avais écrit des rôles, dont le personnage principal de Léllé pour Angèle Massei, quatre-vingt-trois ans. Je suis allé leur faire part de cette proposition quatre semaines avant le tournage en croisant les doigts pour qu’elles acceptent […] J’ai fait appel à d’autres villageois, comme Jacques Luiggi, un vieux monsieur qui tient un snack en haut de Pioggiola. Il n’avait jamais joué et n’a eu aucune hésitation quand je lui ai proposé le rôle de Bernabeu, pourtant lourd en texte.»[1] Ces présences sont essentielles, elles donnent au film, proprement sa consistance, sa densité humaine et langagière.

 Renucci raconte aussi volontiers les mille difficultés financières qu’il a rencontrées pour mener à bien son projet ; ce qui glaçait le plus les éventuels soutiens étant la décision de tourner en corse et cela bien sûr en dit long sur la force des préjugés. On produit pourtant en France des films iraniens ou taïwanais, souvent d’ailleurs en effet excellents voire admirables, dans lesquels les cinéphiles français veulent entendre, à juste tire, la langue orignale. Il semble bien qu’il n’en aille pas de même pour des films français tournés dans les langues de France, censées depuis longtemps, depuis au moins que le cinéma existe, et en fait bien avant, ne plus exister. « J’ai fait un film, déclare-t-il dans l’Huma, pour toucher le grand public avec des moyens de résistant, sans acteurs connus, en situant l’histoire en Corse, en langue corse... Je me suis heurté à toutes les difficultés possibles et inimaginables pour sa production, sa diffusion, sa distribution ». Pourtant, Renucci n’a rien d’un dangereux révolutionnaire, à moins que le seul fait de tourner en langue corse avec des acteurs inconnus, soit de fait révolutionnaire, même si le message n’a rien de nationaliste et pas même de régionaliste : « Je ne suis ni régionaliste ni adepte d’aucun nationalisme. Je souhaite que l’on reconnaisse ce qui existe, notamment cette langue corse qui, tout comme le français, vient du latin ancien. Il me paraissait intéressant de l’entendre, dès le titre et au-delà, de saisir sa capacité à véhiculer du sens. La Corse souffre d’une absence de représentation et des images sinistres qui lui furent appliquées par Maupassant ou Mérimée. J’ai voulu rapporter ces clichés et les brosser d’un grand coup de couleur […] j’ai choisi l’autodérision, avec quelque chose de très italien qui, en Corse, colore notre identité commune. […] Pas de querelles entre les Anciens et les Modernes mais des jeunes, des vieux, le continental et le local. Dans la réalité de ces villages corses très autarciques existent des gens, leurs voix, leurs pensées, leurs cheminements. Plus on est proche d’une réalité humaine, plus on est dans l’universel. Plus l’individu est édulcoré, plus on est dans la soupe du lieu commun.» Et il ajoute : « Bien sûr, ajoute-t-il, en Corse la langue est minorée et la situation géographique ajoute à l’isolement, mais le film est aussi un peu un cri, un appel à une réflexion qui vaut tout autant pour la Creuse ».

 Cela est fort bien dit, et cette pensée pour la Creuse toute voisine, où la langue est infiniment plus minorée encore, me va droit au cœur, mais mon regret de spectateur est cependant que la force corrosive de la comédie reste bridée par l’objectif explicite de trouver, malgré tout, un arrangement, un compromis, sinon un consensus, qui rassemble toute la communauté villageoise et, autour d’elle, dans le rire et surtout l’émotion partagée, suscite l’adhésion du spectateur bienveillant. Cette proposition, en soi tout à fait respectable, affaiblit le film qui manque, à mon sens, à la fois de méchanceté et d’audace dans la manipulation des lieux communs et dans l’invention. Le corse y apparaît comme une langue presque « convenable », là où sans doute aurait pu être exploité, plus encore, son potentiel burlesque, voire grotesque, dans la rupture – ou la continuité parodique – avec le français. Car la liberté que nous laisse la diglossie est, au moins, de mal nous tenir. Du reste, on saisit des différences très importantes dans la maîtrise de la langue, et surtout dans son accentuation… La jeune actrice qui joue la petite fille du patriarche, en particulier, n’est guère crédible, et l’on sent bien à ce genre de signes que le problème de la transmission est, dans les faits, crucial, même si le film cherche à montrer que, vaille que vaille, la langue passe et l’héritage est accepté.

 Une dernière chose : dans aucun des papiers consacrés au film je n’ai trouvé l’expression de « patois corse », présent par ailleurs sur la toile (sur Google, 171 pages signalées contre 77100 pour « langue corse »). Voilà la preuve, selon moi, que les corses sont en train de parvenir à faire reconnaître leur dignité linguistique, ce dont nous sommes encore très loin… Sur une vidéo de tf1 montrant les réactions après la première projection au village, l’une des mémés dit simplement : « Je suis très contente d’être corse, d’être une femme de ce pays ».

 Pour conclure, voici un petit résumé du film en corse, signalant une avant première au festival Arte Mare de Bastia, glané sur le site de culture corse ACEDEC : « Robin Renucci hà presentatu u so secondu filmu « Sempre vivu » à u festivale Arte Mare di Bastia. Un'opera rializata in u so paese d'Olmi Cappella, in u Ghjunsani, induve Robin Renucci amenta a so terra nativa, i so difetti, e so speranze, cuntradizzioni è brame. L'azzione si passa in un paisucciu muntagnolu chì decide di custruì un teatru pè luttà contr'à a desertificazione ».

J.-P. C.

 


 

[1] Ces informations et citations sont tirées du site des éditions Attribut


 

 

 

 

 

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Commentaires
V
Le CORSE n'est pas un Patois!!!
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K
bonjour je voudrait traduire la phrase " papa maman je ne vous oublierais jamais" en patois corse
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