Une littérature sans locuteur : le dialecte limousin dans le Guide Bleu
Une littérature sans locuteur : le dialecte limousin dans le Guide Bleu
Dans le tout nouveau Guide Bleu du Limousin, qui vient de paraître (2006, établi par Marie-Pascale Rauzier), trois petites pages sont consacrées au « Dialecte limousin ». Elles méritent une courte réflexion. Ces pages donnent en effet une information assez riche (s’entend : pour trois pages de texte) sur la littérature limousine, envisagée dans la diachronie : naissance de la poésie lyrique, troubadours, auteurs « patoisants » du XVIIIe siècle, « renaissance » du Félibrige au XIXe siècle, écrivains à cheval sur les deux siècles, et même du seul XXe : Jean-Baptiste Chèze, Paul-Louis Grenier, Albert Pestour, Marcelle Delpastre, Roger Tenèze… avec deux mots de description pour chacun. On notera cependant qu’aucun vivant, n’est nommé, à la différence des écrivains d’expression française, auxquels est consacrée la rubrique suivante (il est vrai étrangement plus courte : une seule page). Il s’agit donc d’une littérature active jusque dans un passé proche, mais apparemment aujourd’hui atone voire révolue.
Mais surtout une langue ne se réduit pas à sa littérature. Or sur la langue parlée, chantée, vécue, il n’y a à peu près rien, sinon un petit encadré sur les origines des noms de lieux et de personnes où apparaissent quelques mots d’occitan, d’ailleurs orthographiés convenablement … Vous me direz, c’est le problème des guides : entre les monuments, il n’y a rien, ou pas grand chose sur la vie sociale, la culture, etc. de même donc entre les monuments littéraires, pas de réalité linguistique vivante : cela n’est pas censé intéresser le touriste, pourvu qu’on lui réponde en un français compréhensible lorsqu’il demande où se trouve le menhir ou l’église romane. Voire, mais enfin, ce déficit est regrettable et révélateur…
Révélateurs d’abord les premiers mots : « Issu de la langue occitane, le dialecte limousin a connu ses heures de gloire à l’époque médiévale… », etc. Bien sûr, il n’y a jamais eu « une » langue occitane originelle dont seraient issus, par la suite, « des » dialectes, dont le limousin. Mais cela montre la difficulté de comprendre, lorsque l’on est pétri de l’idéologie de la langue unique, qu’une langue puisse être constituée de plusieurs dialectes, sans que l’on ait à présupposer l’existence d’une langue non dialectale les ayant précédés dans le temps. Ainsi n'est-il guère pertinent d’écrire, par exemple, que « le dialecte limousin » fut « adopté par les poètes d’òc » à l’époque médiévale. Cela est même, littéralement, faux.
La notice du guide raconte comment, par la suite, à la Renaissance, après l’ordonnance de Villers-Cotterêts, le « dialecte » fut « remisé au rang de patois » : ce n’est que « dans les campagnes » qu’il conserve sa place « comme langue orale et familiale ». Fausse projection de la situation, disons des années 1930-1950, sur les siècles antérieurs, car jusqu’à ces années-là, la langue était parlée et abondamment dans les villes et les bourgs comme à la campagne. Je suis obligé ici de me répéter (voir, « La langue des cimetières » : l’oraison funèbre d’un "francophone" pour le "patois" limousin), mais c’est l’un des préjugés les plus tenaces, partagé par de trop nombreux occitanistes et pourtant démenti par toute la documentation et bien sûr la mémoire vive des urbains. Il ne suffit donc pas d’adopter un vocabulaire politiquement correct, parler de « dialecte » et non plus de « patois » (effort certes louable), pour s’affranchir des préjugés liés à la notion de patois. Évoquer le limousin des XVIe-XVIIIe, et même du XIXe siècle, c’est se souvenir d’un territoire où l’occitan limousin reste la langue de communication orale dominante partout, à quelques exceptions sociales près.
Le lecteur du guide devra en tout cas se contenter de cette très succincte allusion pour ce qui est de la langue orale : rien d’ailleurs n’est dit, sur le présent, qu’il s’agisse d’oral ou d’écrit. Comme si Delpastre, dont la date de décès est donnée (1998) avait été la dernière à écrire la langue, et surtout, comme si Delpastre avait écrit en une langue déjà morte depuis longtemps. C’est ainsi que le Guide Bleu, dans ces quelques pages, muséifie la langue à travers sa seule littérature. Et cela est évidemment très déplaisant et assez déprimant pour ceux la parlent et qui l’écrivent.
JP C