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Mescladis e còps de gula
Mescladis e còps de gula
  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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23 juin 2006

Ici Paris à vous Najac…

Ici

J’ai vu la semaine dernière à Paris (à Limoges, il ne passera sans doute pas) le film documentaire de Jean-Henri Meunier, Ici Najac à vous la terre. Malgré le mal que j’ai à en dire, ce film possède d’indéniables qualités, qui méritent d’abord d’être soulignées. Il présente en effet une très intéressante galerie de portraits éclatés, pleine de fantaisie, de justesse et de finesse. Servi par un monteur de génie, le réalisateur accompagne et met en scène, mais sans intervenir directement, en les laissant être ce qu’ils sont, une poignées de fortes et belles individualités locales : un vieux mécanicien qui cite Archimède et déplace les montagnes de métal à force d’ingéniosité et d’obstination, un magnifique barde irlandais juchée sur sa moto, un clown à l’ancienne mode, dans sa voiture brinquebalante, un jeune agriculteur de la Confédération Paysanne qui rejoint l’Afrique en auto, et sa mère qui prépare les quartiers de canards, une serveuse de bar sur la corde raide, au fou rire du désespoir, un boulanger néo-rural qui construit son four, fait sa farine et attend de ses clients non tant l’argent que la « reconnaissance », un retraité « citoyen » à l’assaut de la décharge découverte et des herbicides municipaux, un incroyable chef de gare pince-sans-rire nonchalant et fantasque qui en remontrerait à vingt comiques de métier, le maire du village qui voudrait tant arranger tout le monde et que l’on sent un peu fuyant à vrai dire devant cette caméra rodant d’une maison l’autre… Ici Najac à vous la terre est un beau film sur la singularité, la ténacité et l’intelligence des hommes, qui ne renoncent pas à suivre leur voie, à persévérer dans leur être, à dire ce qu’il leur semblent devoir être dit. Car ces gens, du moins ceux que le réalisateur laissent parler, et longuement, ont un discours, s’efforcent de donner sens par la parole à leur expérience, défendent des idées avec une pertinence qui prouve, au cas où l’on en douterait, que l’on raisonne aussi bien à Najac qu’ailleurs.

Najac

 

On y raisonne certes et qui dit raisonnement dit arguments contestables. Or de contestation, de discussion, de désaccord, il n’est guère question, et c’est le premier défaut du film, considérable : un seul discours est énoncé, sous plusieurs facettes il est vrai, mais concordantes et complémentaires : le discours altermondialiste où convergent les positions de la Confédération Paysanne, de la critique citoyenne, type Atac et de l’écologie, dans sa version politique ou sous une forme plus existentielle. Le synopsis publié du film résume honnêtement cette dimension militante du film : « quelques habitants d’un petit village aveyronnais résistent avec bon sens citoyen, humour et poésie, au rouleau compresseur de la mondialisation ». Un parfait exemple, soit dit en passant, d’une nouvelle langue de bois qui nous menace, le « rouleau compresseur » des phrases toutes faites sur la notion la plus floue et la plus faussement évidente qui soit : « mondialisation » ! Ce nappage idéologique qui unifie et – disons-le au moins par provocation – bétonne le discours audible du film est très gênant, et d’abord il est en parfaite contradiction avec l’esthétique de la caméra et du montage qui insiste au contraire sur le singulier et la différence. J’en parle avec d’autant plus de liberté que je me reconnais assez bien dans ce forum social najacois improvisé. Mais la bonne idéologie n’a jamais fait un bon film, et si les images étaient l’illustration de ce discours, cela ferait à coup sûr un film très mauvais. Certes ce discours n’est pas imposé, il est tenu librement par les personnages, mais par certains seulement, dans lesquels se reconnaît ostensiblement le réalisateur. Il n’en est pas moins, ne serait-ce que par son unité et son unicité, quelque peu lénifiant et parfois très attendu.

Mais en fait le problème vient aussi et même peut-être d’abord du parti pris, réussi, mais qui a ses limites, de filmer des individus séparés et séparément. Le relationnel, le collectif fait défaut : il n’est perçu, aperçu que fugitivement, à travers quelques vues du bar sur la place, quelques échos de fête et le temps d’une photo de tous (?) les habitants avec le puech du château en arrière-plan. Il manque une réelle attention à la communauté, à ce qui fait tenir ensemble les individus, c’est-à-dire les relations sociales et les divisions constitutives, qui passent entre autres choses par des désaccords idéologiques. Car ce qui fait tenir ensemble une société, à quelque niveau que l’on se situe, ce sont ses clivages et ses désaccords, ce qui ne peut jamais apparaître ici véritablement, et se pressent seulement, dans cette juxtaposition de l’individualisme radical de la caméra et du monisme du discours, puisque l’on baigne dans le consensus, au prix évidemment d’un tri drastique des interlocuteurs.

Ce qui manque aussi, pour qu’il y ait un regard sur la communauté, c’est une attention à l’histoire et à la culture, qu’elle soit collective ou individuelle. On est à Najac, mais on pourrait être finalement n’importe où ailleurs dans la France rurale : on a beau voir de temps en temps le château, la caméra ne fait rien pour saisir le génie du lieu, la singularité de cet espace là, avec ce qui le fait être ce qu’il est : paysage, activités, hommes et bêtes, la mémoire des gens et des choses, les filiations, les éléments de culture brassés là et dont le seul discours qui intéresse le réalisateur n’est, on peut en être sûr, qu’une toute petite partie. Car enfin, cela s’entend, et très fort sur la bande son : il y a ceux qui sont nés là, ou pas loin, ceux qui sont venus d’ailleurs… Il y a ceux aussi dont on sait qu’ils ont dû partir définitivement pour aller chercher leur vie, il y a enfin les morts, sans lesquels aucun être ensemble n’est possible. Or les exilés et les morts sont absents, et c’est fatal, puisque les relations, l’être ensemble (avec et donc contre, tout contre), n’est pas le souci de ce cinéma finalement bien superficiel. On aimerait en savoir plus, sur ces itinéraires : comment on se retrouve à Najac, comment on y arrive, comment on y revient, comment on y reste, et comment on en part... On aimerait aussi savoir, dans le film même, quelque chose sur le filmeur, qui en effet, à juger de son point de vue, ne peut que venir du dehors et habiter depuis assez longtemps au village pour avoir pu ainsi gagner la confiance gens qu’il fréquente et emmagasiner ces images. Il l’explique ailleurs, dans sa présentation de presse[1], mais c’est au film à le dire… il n’y a aucune évidence dans la position de cinéaste et je préfère celle de Raymond Depardon qui dans ses Profils paysans, prend soin de préciser les lieux, les temps, et les relations qui l’unissent aux gens qu’il filme.

Le dernier manque dont je voudrais parler, qui trahit cette indifférence à la culture, c’est, évidemment, l’absence complète, totale et fort irritante (pour peu que l’on y soit sensible) de la langue occitane, qui essaie pourtant de se faire entendre, à travers la force de l’accent, et trahit plus d’un locuteur. Mais, à part trois petits mots échappés à la fermière, rien, pas res, ou, comme dit en limousin, ren dau tot. Si le souci de la diversité biologique est omniprésent, de diversité culturelle, il n’est point question. Pas de doute, nous sommes bien en France, le nez dans le guidon des fausses évidences francophoniques et parisianiques : à Najac se recompose, sous la main du réalisateur, la manière dont s’appréhende le territoire depuis Paris ; on regarde de la ville, en retrouve naturellement ses repères dans les bourgs et on appréhende avec émerveillement et circonspection les vertes campagnes, où des vieux marmonnent encore d’étranges choses. Le filmeur est plus à l’aise avec le barde irlandais. Il est bien, il est beau de l’entendre ainsi chanter et encore chanter, comme si toute sa vie était de chanter à Najac, de l’anglais d’ailleurs, plutôt que du gaélique. Ah ! Le gaélique… Et l’occitan ? Oui, à voir ce film, il serait impératif de traduire An Béal Borcht (Le Pleure misère) de Flann O’ Brien en occitan. L’occitan est-il vraiment mort à Najac ? Ne se chante-t-il donc plus du tout ? Si l’on veut sur ce point se rassurer un peu et avoir par là même occasion une toute autre vue de Najac, qu’on se reporte au livre de Christian-Pierre Bedel et « dels estatjants [habitants] del canton de Najac » : Najac : La Folhada, Lunac, Montelhs, Sant-Vensa, Sent-Andriu, Vòrs e Bar ; préf. de Bernard Vidal, Mission départementale de la culture, 2001 (12-Villefranche-de-Rouergue : Impr. Grapho 12).

Najacvilatge

 

Derrière cette « discrétion » linguistique, il y a peut-être une très mauvaise bonne raison : plus de « patois » ferait pittoresque, folklorique et J.-H. Meunier, il est clair, veut nous épargner le folklore. Mais alors, voilà comment un innocent barde irlandais, qui chante si bien son folklore, peut servir opportunément à ne pas se poser des questions, sans doute difficiles à résoudre quand on ne comprend rien et ne veut rien comprendre au parler local. De toute façon, on ne pouvait échapper à la réception parisienne du film sous l’angle du « pittoresque » des campagnes. La palme en revient à Jean-Luc Douin qui, dans le Monde, parle de « ruraux burlesques et sympathiques » et va même à désigner Henri, le mécanicien, comme un « pittoresque vieillard »[2]. Il y a un usage suffisant et condescendant des qualificatifs propre à la bêtise parisienne, qui est vraiment à vomir.

L’une des images de présentation du film montre pourtant un panneau, sur la départementale D39 qui dit « Najac, vilatge occitan », lequel dévoile tout de même un pan des revendications culturelles locales. Mais cette inscription ne mobilise aucunement l’attention du réalisateur. D’ailleurs elle disparaît de l’affiche : cela aurait sans doute fait désordre si « vilatge occitan » était resté visible derrière à « vous la terre ». Eh oui ! Le raccourci qui va de Najac à la terre entière passe par Paris mais non certes par l’occitanie, et cela n’est pas fortuit, mais au contraire très révélateur de l’attitude d’une bonne partie, hélas, des troupes altermondialistes. Elles sont par principe, favorables à la « diversité culturelle », comme l’est notre grand président, comme l’est tout le monde, pourvu qu’elle soit le plus loin possible de nos frontières, et – si possible –, se dise en français. Aussi sont-ils, comme les autres, trop souvent aveugles aux problèmes de démocratie élémentaire qu’elle pose ici même, à Najac comme à Paris. Plus encore, on a l’impression que la focalisation de leur discours sur les questions d’écologie et d’économie se fait au détriment de la culture et des langues, là où il faudrait penser les choses ensemble. Certes, on peut bien pleurer sur les pauvres petits brins d’herbe brûlés par le désherbant du cantonnier, et pourquoi pas en effet (la mièvrerie en matière d’écologie, connaît-elle des limites ?), il y a sans doute des alternatives dans l’entretien des fossés et talus… Mais que l’on arrête de désherber et l’herbe repousse, vaille que vaille. Pour les langues et les cultures, le patrimoine immatériel, les choses ne sont pas si simples. Et encore faudrait-il s’en soucier, et ce n’est certes pas le cas de nos najacois, du moins dans les propos retenus par le réalisateur.

Finalement, et c’est triste à dire, Ici Najac, à vous la terre est un film de parisien à la campagne, qui fait un film sur la campagne pour un public (un certain public évidemment) de parisiens ou du moins d’urbains. De toute façon, sa distribution le condamne à ne pouvoir guère être vu en salle qu’à Paris, en quelques autres grande villes, et tout au plus, à la sauvette, un peu à Rodez, à Cahors peut-être… en tout cas une distribution assurée à partir de Paris et non pas de Najac, de Rodez ou de Toulouse. Bref, si vous voulez être sûr de voir Ici Najac, montez à Paris !

    Mais Najac vu de Paris, cela donne quoi ? Un village « perché au sommet d'un mont du Rouergue, entre l'Auvergne et l'Occitanie ». Voilà ce que tous les articles consacrés au film répètent à satiété (par exemple l’Express du 01.06.2006, mais il suffit de faire une recherche sur le net pour voir fleurir les occurrences). Depuis quand, l’Auvergne ne fait-elle plus partie de l’Occitanie, depuis quand n’est-elle plus zone de langue d’oc ? Mais les journaleux n’en sont pas à une connerie près, pourvu que le cliché sonne juste, la vérité n’est pas du tout un problème. De tout façon, ils ne semblent désormais n’écrire plus qu’en bricolant maladroitement du copier-coller. On excusera la naïveté du critique amateur qui tombe du ciel, mais je me suis vite aperçu que tous les articles ou presque sur le film parus dans les journaux et qui traînent sur le web pompent sans vergogne dans la documentation, d’ailleurs maigrelette, mise en ligne par le réalisateur[3]. En l’occurrence, la citation est en partie issue de la « note d’intention » (le début, qui n’est pas en cause) et en partie, semble-t-il, d’une « notice touristique » foireuse. Voilà reconduite une imbécillité, cautionnée probablement par des cartes (l’Occitanie par sa taille fait peur, et l’on aime à la morceler de toutes les façons arbitraires possibles), et qui ne fait de mal à personne, n’est-ce pas ? Le Figaro d’ailleurs ne s’embarrasse pas de tant de précisions, fussent-elles erronées, et se contente de parler d’une « charmante bourgade de la France profonde ». Et voilà chers najacois, vous avez le choix : soit être des indigènes pittoresques, figurants de cartes postales, soit de bons petits citoyens qui défendent la nature agressée par la méchante mondialisation. Finalement, dans les salles de Paris et d’ailleurs ces deux clichés se rejoignent, et il y a de quoi partir d’un grand rire, ou de ce grand braiment d’âne qui ponctue opportunément le film.

J.-P. C.

najac_chefdegare

 


[1] http://www.ocean-films.com/icinajac/

[2] Le 06.06.06, http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3476,36-780111,0.html

[3] Ouest-France par exemple, qui reprend l’idiotie en en faisant une citation (sans référence), tire sa description des personnages directement de la présentation mise en ligne (« Henri, le poète de la mécanique, Serge, le paysan philosophe, Arnaud le chef de gare fantasque, Jean-Louis le retraité à la coule, Hubert le maire attentif ou Jacky le clown »), sans doute via d’ailleurs un article précédent : celui de l’Express par exemple qui avait déjà fait la même chose. Mais putain, pourquoi on vous paye ?

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Commentaires
S
Toute critique peut être légitime. Si l'on donne une caméra aux 500 amis et habitants de Najac, nous auront 500 films différents et peut être une vision plus "juste" de Najac. Si l'on offre 500 monteurs différents à ces 500 films... je n'ose pas y penser.... Vous pouvez donc avoir 250 000 films differents sur Najac, mais avant d'obtenir un chef d'oeuvre...<br /> Pour moi ce film est un petit chef-d'oeuvre, parceque je vois le travail et je sens l'amour de l'autre ...<br /> Vous pouvez ajouter mes propos, si vous le jugez utile à votre site.<br /> Bien amicalement.<br /> Serge
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T
Merci pour votre commentaire. Ce que vous dites au sujet de la qualité du film est juste. Mais dans un film, surtout quand on film "le réel", il n'y a pas que l'oeil qui filme, il y a aussi les choses qui se passent de l'autre côté de la caméra : on peut juger cette réalité inintéressante et insignifiante en elle-même, si l'on adopte une position purement esthétique et hédoniste. Mais ce n'est en tout cas pas ainsi que filme ce réalisateur, attentif à la réalité sociale, culturelle et politique et qui se concentre sur une forme de discours (le discours alter), pour le quel il prend de fait partie (en le choisissant, sans faire intervenir le moindre décalage, on est aux antipodes de Tati, là). C'est pourquoi je soutiens que ma critique (discutable certes) est légitime.<br /> cordialement,<br /> JP C
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S
Je viens de lire ces "critiques". Elles n'apportent rien. J'étais tombé par hasard sur "La vie comme elle va", ça m'avait déjà scotché. Avec "Ici Najac", on voit les progrés, les plans, le rythme, c'est plus serré, plus conçi. Moi je vois l'oeil qui filme et ce qui a derrière. Ca ne m'apporte que du bonheur. Faire un film, c'est faire des choix de chaque seconde et là c'est reussi. J'attends le prochain qui s'annonçe avec impatience. Je crois qu'il s'intitule "Y a pire ailleurs". Je vois un lien avec Tati... à la difference que ce n'est pas joué mais simplement filmé. Et merci pour le régal!
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E
Qu’est-ce qui décide de nos pas vers telle ou telle salle de cinéma ? Son histoire, la proximité d’avec la maison ou le travail, la touffeur d’un dimanche après-midi avec l’espoir d’une climatisation pour se retrouver, la presse, les échanges entre amis, le hasard : tout cela un peu mêlé, tissé comme un fil qui ferait couture, lien. <br /> Saint André des arts, salle 3, rue Gît-le-Cœur, 17h45, premier dimanche de juillet. Paris, sa fatigue, le soleil encore écrasant pour qui passait entre les deux rives de la Seine, ce jour-là… Najac attendait. Dans la salle, on se comptait sur les doigts des deux mains (à peine). Le moment fut agréable, sans ennui mais pas sans agacements passagers ou plus durables. Dès le début tout de même, traînait dans l’air et sur l’écran cette impression que le film se diluerait très vite, que je n’en retiendrais pas grand-chose.<br /> Le choix des « portraits éclatés », visages et paroles en archipel donnent au film du rythme : allegro, allegro. Les effets de juxtaposition, de parataxe, montrent l’habileté d’un montage brillant, partagé, semble-t-il, entre le réalisateur Jean-Henri Meunier et Yves Deschamps, monteur, décidément très doué. Ainsi la fragmentation (les coups de serpe des monteurs) est-elle l’option essentielle du film mais fait-elle surgir, le regard, certain ou incertrain, le point de vue du réalisateur ? Selon moi, rien de significatif. J’en suis même encore à me demander si J.H Meunier en avait un. Que veut-il dire au fond ? Montrer, filmer, engranger du matériel filmique, la belle affaire !.. Mais tout cela doit être sous-tendu par une exigence forte qu’elle soit prise dans le quotidien, le rire, le banal, l’exceptionnel, le sublime, le trivial, le religieux, le sensuel, le tragique, le poétique ou le politique. Ici règne le superficiel mâtiné de saupoudrage idéologico-esthétique et c’est bien dommage quand on voit la densité de la farine de ce boulanger, la pâte pétrie, la beauté des grignes sur ses pains. A l’opposé, chaque plan du puech, du château dans le soleil ou nimbé de brume m’a fait souffler, tant il est exaspérant que la carte postale prenne le dessus sur la vérité physique d’un lieu… Fichtre ! J.H Meunier se serait installé à Najac depuis 1995 ! Le paysage peut-être appréhendé, les chemins de traverse abordés, les miroirs brisés !<br /> Je pense que le film est passé à côté de lui-même comme cette gare quasi désaffectée. A l’époque du tournage, un train historique et d’une très grande utilité, appelé par les uns Le Parisien, par d’autres Le Jaurès, assurait une liaison quotidienne et nocturne Villefranche-de-Rouergue/ Carmaux/ Paris via Capdenac. Ce train faisait vivre et vibrer cette gare : on y montait, on y descendait, on s’y réveillait au petit matin après le long arrêt de Capdenac, les saisons de Najac vous saluaient de tous les verts, les ocres, les roux ou le silence de ses frondaisons. Le réalisateur aurait pu, au moins, filmer cette activité, sa remise en question, sa disparition progressive (malgré la mobilisation des usagers) décidée par les technocrates qui, découvrant le film, doivent bien se fendre la pêche et s’asseoir sur leurs tonnes de certitudes poisseuses. Impératifs touristiques ou condescendance des statisticiens et des managers de la SNCF obligeant, les gares de Villefranche, Najac, Laguépie, Lexos, Cordes-Vindrac, Tessonnières, Marssac, Albi-Ville et Madeleine, Carmaux sont desservies quotidiennement cet été encore en juillet et août (jusqu’à quand ?). Le train passait tous les jours et le réalisateur n’en dit mot… Il est fort regrettable de ne pas avoir vu notre chef de gare facétieux dans ses œuvres ferroviaires, toutes en railleries sans l’ombre d’un doute. <br /> Cette insatisfaction court tout au long du film, affleure à chaque portrait. « Qui trop embrasse, mal étreint ». Eh, oui, l’abondance des personnages nuit à la profondeur, à la rencontre que nous aurions pu faire avec chacun d’eux. Si le film s’était attaché à l’un ou l’autre, avait pris le temps nécessaire pour être aux côtés de l’un ou l’autre sans vouloir en mettre toujours plus, remplir l’écran, le saturer (le trop plein tue le désir qui naît du manque et laisse aux silences et à l’à-côté leur chance), peut-être aurais-je été moins déçue. Car j’avais envie de partager de plus longs moments avec le mécanicien / Archimède, connaître un peu plus son parcours, apprendre le prénom de la belle dame sur la photo, savoir par quels truchements les carcasses d’autos et de camionnettes avaient échoué aux alentours de ce chemin vicinal/impasse, car enfin, elles n’avaient tout de même pas poussé comme champignons dans un sous-bois. D’ailleurs, curieusement, ce bonhomme à la ténacité sans pareille, à la force si ingénieusement volontariste, m’est familier avec son visage à la fois coquin et concentré sur sa tâche, avec ses pantalons bouffants ramassés dans ses chaussettes, mesure de sécurité à la fois désuète et souvent salvatrice. Est-il, un jour monté dans le train ?. L’ai-je déjà vu dans un autre documentaire ? (J’ai loupé « La vie comme elle va », sorti en 2004, premier essai najacois de J.H Meunier qui, peut-être, mettait en valeur tout ce que je reproche à ce deuxième long métrage construit à partir de 80 heures de rushes conservés). Peut-être désirais-je depuis longtemps croiser un tel personnage à l’écran ? Je ne sais. La question m’a taraudée pendant toute la durée du film. Peut-être est-ce l’éruption/irruption de cette « inquiétante étrangeté » …? Qui sait ?… J’ai éprouvé ce même sentiment de mécompte pour le boulanger, le barde irlandais, la cafetière à la recherche d’une improbable issue (de leur arrivée, de ce qui la motiva, du pourquoi, du comment nous ne saurons rien de rien). De l’âne qui scande le montage de ses braiments nous ne connaîtrons pas le nom. Diable ! Balthazar, probablement… A moins que ma mémoire ne flanche…<br /> « De la vie des marionnettes », suis-je tentée d’écrire, car même si l’humanité de ces gens est bien là, la parole donnée à chacun d’eux, il n’empêche (même si le débat est stérile à la manière de celui de l’œuf ou de la poule…) qu’instruments ils sont et demeurent. Le film se veut brillant, il est clinquant : des « monteurs de génie » jouent les virtuoses. Oui, couper, découper, rythmer : au bout d’un moment et peut-être à chaque instant, tout ce qui nous lie, tout ce qui pourrait faire lien entre les personnages et nous (de la sympathie à l’agacement), vole en éclats, part en découpages taillé en plans souvent trop courts… Clips à Najac…<br /> <br /> La nostalgie, l’ampleur du plan-séquence, se fait cuisante. Le travelling/incipit des « Profils paysans », œuvre magistrale de Raymond Depardon encore en devenir, où se libère l’écoute, se lavent les yeux et prend corps l’Elégie de Gabriel Fauré, s’impose. Nous sommes si loin de tout cela, de ce temps-là qui nous inscrit nous aussi dans la durée du film, dans son poids et sa gravité, austérité et gravitation : là, fort est le lien puisqu’il tient à la terre et nous soumet à sa force d’attraction.
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