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Mescladis e còps de gula
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  • blog dédié aux cultures et langues minorées en général et à l'occitan en particulier. On y adopte une approche à la fois militante et réflexive et, dans tous les cas, résolument critique. Langues d'usage : français, occitan et italien.
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8 mars 2006

L’immersion condamnée

Publié dans la Revue Du Tarn, n° 196, 2004

immersion
Immersion, peinture à l'huile d'Anita Tesoriero


L’immersion condamnée

« Aujourd’hui l’immersion en tant que pratique pédagogique est sous le coup d’une condamnation du Conseil d’État »[1]. Cette dure réalité de l’intolérance politico-culturelle du jacobinisme tardif est rappelée et déplorée par Jean-François Albert, délégué confédéral des enseignants des écoles Calandretas, dans les actes d’un colloque qui s’est déroulé à Perpignan en 2003[2]. La pédagogie par immersion est, n’en déplaise à tous ceux que cela ne manquera pas de choquer, la seule pédagogie qui fonctionne réellement pour l’apprentissage des langues vivantes, c’est-à-dire la seule à permettre l’acquisition d’un réel bilinguisme, voire du plurilinguisme. L’immersion veut dire que l’apprenant est plongé dans un bain linguistique : la langue est le médium utilisée tout naturellement dans les situations de communication les plus diverses en classe et hors de la classe, avant d’être une matière étudiée pour elle-même. Une langue est un médium, une langue n’a d’intérêt que de servir à quelque chose : faire des mathématiques ou apprendre la cuisine, exprimer des sentiments, argumenter, se disputer, jouer, et bien sûr écrire des poèmes, mais aussi rédiger la liste des courses, etc. L’immersion tire les conséquences pédagogiques de cette évidence.

J’ai fait sept ans d’anglais, au collège et au lycée, sans jamais me trouver dans une situation réelle de communication. Je trouvais la matière particulièrement ingrate (liste des verbes irréguliers, la Smith family et leurs children, leur dog, etc. bref l’horreur) et j’étais dans l’incapacité de tenir la moindre conversation, et d’ailleurs de lire le moindre livre avec mon bac en poche. Par contre, dans une école où l’immersion est pratiquée, qu’il s’agisse des sections européennes ou des calandretas, tout le monde parle, et bien. Cette évidence confirmée par toutes les études de psycho-linguistique et de pédagogie est bonne à rappeler, à l’heure où l’article 2 de la constitution est invoqué pour condamner la méthode immersive, et faire barrage à l’intégration dans le service public des écoles bretonnes Diwan et de toutes les autres fonctionnant sur le même principe pédagogique qui voudraient risquer la même démarche. C’est que le français doit être la seule langue de communication à l’école publique parce qu’elle est la seule langue de la République. Les autres langues doivent se contenter d’être des objets d’étude, des matières, et non des langues réellement pratiquées. De quoi a-t-on peur ? Le bilinguisme est-il par essence anti-français ? Met-il en cause l’unité de la nation ? La paix sociale ? La langue française est la seule épouse légitime du citoyen : tout autre relation est forcément adultérine, voire incestueuse (d’où sans doute l’horreur inspirée par ceux qui s’énamourent du patois maternel). Le message est clair : une bonne langue (hors le français) est une langue morte, une langue apprise comme une langue morte (s’il en est de telle, car même le latin se parle, comme on sait). Si la méthode immersive est condamnée, c’est, peut-on dire, du fait même de son efficacité pédagogique, et bien sûr pour des raisons politiques, au nom d’une certaine idée de la France que mettrait en péril l’apprentissage précoce de l’Anglais, de l’Allemand et surtout, surtout, de ces langues régionales qui n’en finissent pas de crever et auxquelles des empêcheurs de tourner en rond restent attachés. Grâce à leur statut privé (comme écoles associatives, dont il faut rappeler qu’elles sont laïques et gratuites), les calandretas, comme leurs équivalents catalans, basques, alsaciens et bretons, continuent cependant d’exister et de prospérer, dans les étroites limites institutionnelles et légales qui leur sont concédées. Mais jusqu’à quand ? Leur existence est largement conditionnée par leur contractualisation (ce sont des écoles « sous contrat »), et cette procédure est désormais mise en question, comme le montre les péripéties, cette année, de la calandreta de Cuers. Il existe également des classes bilingues dans le public (Bi òc), en petit nombre, où cependant l’immersion reste limitée et, si l’on peut dire, honteuse (au sens où l’on ne saurait en aucun cas se vanter officiellement de la pratiquer). Une chose en tout cas est certaine : la question de l’immersion fait apparaître un réel déficit démocratique en matière linguistique, mal dissimulé sous les éloges officiels de la diversité culturelle. Ce déficit concerne d’ailleurs aussi bien l’enseignement des langues dites régionales que l’enseignement des autres langues vivantes et des langues anciennes, dont l’offre scolaire ne cesse de se réduire. En particulier, il faudrait ouvrir le chapitre des langues de l’émigration (arabe, berbère, etc.), honteusement méprisées et refusées, au nom de l’intégration par le français unique, là où, évidemment, le potentiel plurilingue et pluriculturel pourrait être une richesse pédagogique et culturelle remarquable, en même temps qu’une opportunité d’ouverture pour l'école française misérablement repliée sur elle-même.


Jean-Pierre Cavaillé

[1] Séance du 28 octobre 2002, lecture du 29 novembre2002. Communiqué de presse du Conseil d’Etat et texte intégral de l’arrêté sur le site du Conseil d'Etat.

[2] L’enfant en immersion linguistique précoce. Actes du colloque organisé en la Mairie de Perpignan les 14 et 15 mars 2003, Institut Supérieur des Langues de la République Française, 2003 (en vente à la Maison de la vie associative, 15 rue du Général Marguerite, 34500, Béziers, 10 euros).


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