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Kendell Geers La Sainte Vierge

 

Images de cul et poncifs éculés

art. publié dans  la Revue Du Tarn, n° 196, 2004

Avez-vous vu l’exposition-installation Sexus, de l’artiste sud-africain Kendell Geers aux Moulins Albigeois à l’initiative de l’association Cimaise et Portique ? Si non, vous avez manqué quelque chose et s’il est encore temps et que vous avez plus de 16 ans, courez-y, car les installations, qui exploitent et détournent des images pornographiques, au fond de ce méandre caverneux, avec son humidité matricielle, à portée du fort limon du Tarn, sont à la fois troublantes, ludiques et fortement poétiques. En ces temps de censure et d’autocensure diffuses, il faut en outre saluer le courage des organisateurs. A l’entrée de l’exposition, on distribue au visiteur une interview de l’artiste qui n’est pas inintéressante, notamment parce que l’opposition traditionnelle entre pornographie et érotisme y est mise en cause et réduite à une question sociale : « je dirais que l’on trouve la pornographie dans un magasin près d’une gare avec xxx en néons sur la façade tandis que l’on accède à l’érotisme par le biais des galeries d’art et des revues de mode prestigieuses ».

 

Mais pour lire cette phrase, il faut avoir eu le courage d’aller au-delà de la réponse à la première question : En quoi l’histoire de la ville d’Albi a-t-elle inspiré votre projet d’exposition ? La Réponse pourrait se résumer à « parce que les cathares »… Autrement dit c’est le vieux lieux commun présentant Albi comme une « ville cathare », qui est sollicité, tout à fait abusif d’un point de vue historique, comme on le sait. Mais passons. Nous sommes plutôt curieux de savoir quel rapport unit les cathares et la pornographie. Hé bien les cathares, nous explique l’artiste, « concevaient le monde, en termes gnostiques, comme étant littéralement l’enfer. Par conséquent ils privaient leur corps (sic) et ne s’accordaient aucun plaisir sensuel ni physique ». Résumé un peu abrupt mais acceptable (au moins pour les parfaits).  La suite par contre l’est beaucoup moins : « il semble qu’ils aient été également influencés par les textes gnostiques se rapportant à Marie-Madeleine et que dans les cercles supérieurs de l’ordre, ou peut-être lors de certaines occasions, le corps ait pu servir de véhicule initiatique à travers lequel l’être sexuel pourrait être utilisé comme moyen de transformation physique et spirituelle ». On aimerait bien que l’artiste nous cite ses sources, parce que cette interprétation du catharisme, où la sexualité aurait joué un rôle initiatique, est pour le moins étonnante et en tout cas digne des sites web consacrés à Rennes-Le-Château et à l’Evangile secret de Marie-Madeleine transmis aux cathares.


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La Marie Madeleine de Rennes-le-Château


Qui plus est, j’arrive difficilement à voir le rapport entre ces expériences prétendues, envisagées comme relevant d’une démarche spirituelle, et l’exposition. On a, autrement dit l’impression que le fil est ténu, et qu’ « Albi ville cathare » n’est rien d’autre qu’un lieu commun servant de prétexte. Un tel prétexte est-il vraiment nécessaire ? Dans quelle optique ? Et pour quel public ? D’autant plus que le prospectus présentant l’exposition est lui aussi prodigue en lieux communs sur la ville : « Le projet de l’artiste », nous est-il dit, « a pour point de départ le contexte historique local : Albi ville du célèbre Toulouse Lautrec, peintre de la nuit parisienne et des maisons closes au XIXe siècle » et simultanément, « ville de la réputée cathédrale Sainte Cécile qui glorifie la victoire de l’église catholique et du pouvoir royal sur l’hérésie cathare ». Albi = Toulouse-Lautrec + la cathédrale, symbole de l’écrasement cathare. Remarquons toutefois, après tant d’autres, que Toulouse-Lautrec eut bien peu à voir avec Albi, même si l’on fait visiter sa maison natale. Si son nom est à ce point associé à la ville c’est évidemment parce que le musée abrite la magnifique collection que l’on sait. Il s’agit donc de situer l’exposition des Moulins Albigeois dans le circuit touristique obligé qui de la cathédrale (avec dans ses fondations les dépouilles des cathares, gnostiques fornicateurs) et du Palais de la Berbie, conduit par le Pont Vieux à l’ancienne vermicellerie. Disons-le, ces lieux communs (au deux sens du terme) nous fatiguent, surtout présentés d'une façon aussi stéréotypée, et l’on attendrait d’une exposition qui fait la part belle à la « transgression et au tabou » (ibid), une argumentation plus fine et moins attendue. En outre, la relation avec Toulouse-Lautrec pouvait sans doute se faire sur un mode plus efficace que ne l’est « le petit boudoir de maison close », décidément très cheap en même temps que très stéréotypé lui aussi, très attendu, d’autant plus que le regard est littéralement absorbé par l’extérieur (sans doute l’une des plus belles vues sur le Tarn et la ville). Heureusement que la pièce est agrémentée d’un beau bouquet phallique, hélas intitulé, Fleurs du mal. Là encore, sans vouloir jouer les grincheux (quoique...), l’allusion est clicheteuse et superflue.

J.P. Cavaillé

 

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Kendell Geers, F.H. 120